Image(s) francaise(s) du Maroc avant le Protectorat

Le regard dโ€™un captif, Germain Moรผetteย 

ย  ย Dโ€™aprรจs les informations que nous livrent Roland Lebel, Germain Moรผette naquit ร  Bonnelles, prรจs de Rambouillet, en 1652. Poussรฉ par lโ€™esprit dโ€™aventure et peut- รชtre par lโ€™esprit du nรฉgoce, il sโ€™embarqua ร  Dieppe en 1670, ร  lโ€™รขge de dixneuf ans, pour les Antilles, avec un de ses cousins. ยซCโ€™รฉtait lโ€™รฉpoque oรน les jeunes cadets de France, รฉmerveillรฉs par les rรฉcits des explorateurs des pays lointains : du Mississipi, du Canada, des Grandes Indes, de la Chine, sโ€™envolaient ร  lโ€™envi du foyer natal pour tenter la fortune et les aventures.ยป1 . Fait prisonnier en route par les corsaires de Salรฉ, il resta captif au Maroc jusquโ€™en 1681, date ร  laquelle il fut rachetรฉ par les Pรจres de la Mercy. De retour en France, dans les deux annรฉes qui suivirent sa libรฉration, il rรฉdigea et publia les souvenirs de son esclavage en terre dโ€™Islam. La Relation de Germain Mouette affiche, dรจs le seuil du texte, un aperรงu sur le contenu de la narration. Le titre Relation de la captivitรฉ du sieur Mouette dans les royaumes de Fez et de Maroc, oรน il a demeurรฉ pendant onze ans ; oรน lโ€™on voit les persรฉcutions qui sont arrivรฉs aux chrรฉtiens captifsโ€ฆet les travaux ordinaires auxquels on les occupe,[โ€ฆ] et sa composition est, ร  lโ€™instar des titres de lโ€™รฉpoque, une reprise de lโ€™intitulรฉ et de la substance narrative dโ€™un livre publiรฉ en 1656 ร  Bruxelles par Emanuel Aranda sous le titre : la Relation de la captivitรฉ du Sieur Emanuel menรฉ esclave ร  Alger en lโ€™an 1640 et mis en libertรฉ lโ€™an 1642. La premiรจre รฉdition dโ€™Aranda comportait deux parties : la relation de captivitรฉ suivie de trente-sept ยซrelations particuliรจresยป. Mouette use du mรชme procรฉdรฉ scriptural en ajoutant ร  lโ€™รฉnoncรฉ de ses aventures six ยซhistoiresยป. En faisant appel ร  dโ€™autre voix narratives, les deux auteurs cherchent ร  donner ร  leurs rรฉcits une dimension collective qui consiste ร  รฉdifier le lecteur par des histoires rapportรฉes sur le vรฉcu de lโ€™aventure captive et sur la Barbarie honnie. ยซJโ€™ai cru que le lecteur me saurait grรฉ de lui donner non seulement lโ€™histoire de mon esclavage, mais mรชme les aventures de plusieurs compagnons de mes disgrรขces, que jโ€™ai jugรฉes nโ€™รชtre pas tout ร  fait indignes de sa curiositรฉยป, souligne Mouette dans la prรฉface de sa relation. Mais un peu plus loin, dans la mรชme prรฉface, il dรฉclare : ยซOutre lโ€™histoire de ces cruautรฉs, jโ€™en rapporterai plusieurs autres qui seront moins tristes, et que jโ€™ai insรฉrรฉes telles que je les ai apprises de ceux ร  qui elles sont arrivรฉes, afin dโ€™รดter au lecteur les fรขcheuses idรฉes que le rรฉcit des supplices pourrait lui laisser.ยป Lโ€™ajout dโ€™un complรฉment narratif au rรฉcit premier est peut รชtre le lieu dโ€™un va-et-vient entre fiction et expรฉrience vรฉridique ou livrรฉe comme telle. Par ce vaet- vient, comme le constate Xavier Girard, ยซ le lecteur pouvait se faire une idรฉe de la complexitรฉ romanesque dโ€™une geste ร  multiple hรฉros, rรฉels ou imaginaires, aux situations extraordinairement embrouillรฉes et aux fortunes diverses, rรฉunies en une histoire totale.ยป Mouette sโ€™est rendu compte, lui-mรชme, quโ€™un rรฉcit relatant la misรจre et la cruautรฉ finirait par lasser le lecteur. Aussi a-t-il eu recours ร  des motifs plaisants qui ne suscitent pas forcรฉment la compassion de ses coreligionnaires. En effet, dรจs le chapitre de la capture, Moรผette habille son rรฉcit dโ€™un air de galanterie que les รฉpisodes de piรฉtรฉ nโ€™excluent pas. Ainsi, en arrivant ร  Douvres oรน il resta quatre jours pour se rafraรฎchir, le voyageur eut le temps de remarquer : ยซ Les dames y sont fort galantes, civiles et admirablement belles. [Lโ€™un des passagers] de ยซ complexion fort amoureuse, et qui parlait un bon anglais voulant faire connaissance avec elles, sโ€™engagea dans une affaire dโ€™oรน il ne serait pas sorti heureusement sโ€™il nโ€™avait รฉtรฉ secouru par quelques-unes des nรดtresยป. Dโ€™ailleurs, ce nโ€™est pas le seul morceau galant quโ€™on rencontre dans son ล“uvre. Aprรจs le rรฉcit de sa capture et sa vente sur le marchรฉ des esclaves, le narrateur insรจre une deuxiรจme anecdote qui a des points communs avec la premiรจre : au dรฉbut de sa captivitรฉ ร  Salรฉ, Moรผette fut lโ€™objet de tentatives amoureuses de la part de la femme de son maรฎtre, qui le sollicitait de se faire renรฉgat pour pouvoir lui donner de plus grandes marques de bienveillance. Dans un chapitre intitulรฉ ยซDu commerce galant dโ€™un esclave franรงais et dโ€™une dame de Salรฉยป, lโ€™auteur raconte une histoire qui contraste sรปrement avec les souffrances des captifs et les tortures que leur infligeait Moulay Ismaรฏl. Un jeune chirurgien franรงais reรงut les faveurs de la femme dโ€™un bourgeois salรฉtin ; des juifs qui avaient prรฉvenu le mari de son infortune furent poursuivis pour dรฉnonciation, et condamnรฉs, grรขce ร  lโ€™alibi que procura ร  lโ€™รฉpouse coupable une nรฉgresse complaisante. Le mari put donc vivre tranquille, plus occupรฉ dโ€™ailleurs ร  boire quโ€™ร  contenter lโ€™ardeur excessive de son รฉpouse. Lโ€™esclave et sa maรฎtresse, que nul ne dรฉrangea plus, continuรจrent ร  sโ€™aimer jusquโ€™en 1678, oรน ils moururent ensemble de la peste. Moรผette, en commentant cette historiette pense que les femmes africaines sont pour la plupart fort peu chastes. Selon lui, la premiรจre raison majeure est que ces femmes nโ€™ont quโ€™un mari ร  plusieurs. Aussi, trouvent-elles auprรจs des jeunescaptifs, des amants voluptueux. La seconde raison, selon lโ€™auteur, est que ces femmes ยซ aiment les Chrรฉtiens parce quโ€™ils ne sont pas circoncisยป. Dans une autre histoire ยซ contenant les aventures du sieur de La Place, gentilhomme normandยป et ร  laquelle Roland Lebel consacre beaucoup dโ€™รฉloges, lโ€™auteur nous relate le bonheur du sieur de La Place, qui donnait des leรงons de luth ร  lโ€™รฉpouse de son maรฎtre. Celle-ci fut si contente de son esclave quโ€™elle en parla ร  ses amies. Toutes voulurent bientรดt prendre des leรงons, et elles emmenรจrent le vendredi au bain public le professeur de luth, dรฉguisรฉ en fille, ยซ lequel, pendant quโ€™elles entraient seules dans un bain sรฉparรฉ, restait au milieu des autres femmes qui, toutes nues, se baignaient devant lui pendant quโ€™il jouait de la guitare, en attendant que ses maitresse le vinssent retrouverยป. Moรผette ajoute : ยซ Et, sโ€™il se passe quelque chose de plus particulier dans ces galanteries, je nโ€™en ai point eu connaissance.1ยปLes deux histoires associent les thรจmes ressassรฉs et complรฉmentaires de la libertine barbaresque et de lโ€™heureux esclave et montrent bien que lโ€™aventure captive nโ€™est pas exclusivement une sรฉrie de persรฉcutions et de supplices, mais aussi une expรฉrience luxurieuse et douce. Moรผette, en รฉtoffant sa Relation dโ€™รฉpisodes plaisants, se dรฉmarque ainsi de lโ€™orthodoxie rรฉdemptrice qui rรฉduisait le Maroc de lโ€™รฉpoque ร  un espace de sang et dโ€™apostasie et le Maure ร  un individu cruel, avide et sans parole. Moรผette est le seul auteur ร  avoir parlรฉ des rapports des esclaves et des femmes marocaines. Les religieux ne jugeaient pas convenable moralement dโ€™aborder un tel sujet. Dโ€™autre part, Moรผette a connu le temps oรน les captifs nโ€™รฉtaient pas tous rassemblรฉs dans la prison de Meknรจs. Au service de particuliers, il leur รฉtait laissรฉ une relative libertรฉ, qui favorisait les intrigues. Tout au long de son rรฉcit, le captif varie ses motifs, prend soin de faire alterner les scรจnes paisibles et les situations fortement cruelles. Le lecteur passe dโ€™une scรจne ร  lโ€™autre, sans transition, dโ€™une exรฉcution ร  un somptueux palais, dโ€™un mauvais traitement ร  un relevรฉ topographique dโ€™une ville. Ainsi, aprรจs avoir รฉtรฉ capturรฉ et fait esclave des Maures, Moรผette en profite pour se livrer ร  un bref repรฉrage des dรฉfenses de la ville de Salรฉ : ยซ Elle est bรขtie sur la riviรจre de Bou Regrag, qui descend des montagnes des zaouรฏa et qui la divise en deux parties. Celle qui est du cรดtรฉ du nord sโ€™appelle proprement Chellah, en langue du pays, et Salรฉ en la nรดtre. Cโ€™est en ce lieu que demeurent les plus riches marchands juifs et maures .Elle est entourรฉe de bon murs dโ€™environ six brasses de hauteur et de neuf ou dix palmes, dโ€™รฉpaisseur, construits de terre et de sable rouge, engraissรฉe de chaux pilรฉe ร  la mode du pays.ยป Le captif -qui se dรฉplace beaucoup pour un esclave dans les fers- dรฉcrit chacune des villes oรน il est restรฉ quelque temps et fournit un ensemble de renseignements sur les mล“urs des habitants, leurs faรงons de vivre, leurs faรงons de traiter les affaires, dโ€™obtenir la justice. Moรผette est curieux de tout. Il entre dans les maisons et scrute tout ce qui lui paraรฎt digne de remarque. Ainsi, en dรฉcrivant les demeures fassies, lโ€™auteur, tel un technicien, en dessine un plan dรฉtaillรฉ : ยซLes maisons de lโ€™une et lโ€™autre Fez, aussi bien que celle des autres villes de Barbarie, sont bรขties en carrรฉ et couvertes dโ€™une terrasse. Les murailles qui donnent sur les rues ou sur leurs voisins, nโ€™ont aucune ouverture, elles ont ordinairement quatre chambres basses, larges de huit ร  dix pieds et longues de vint-cinq ร  trente, quelques-unes plus ou moins. Les portes de ces chambres sont directement au milieu, afin que le jour qui entre par icelle, donne รฉgalement dans les deux bouts de chaque chambre. La cour est au milieu, oรน il y a dโ€™ordinaire des puits, ou si ce sont des maisons de seigneurs qui sont toujours fort amples, il y a des coquilles de marbre qui jettent de lโ€™eau et quelque vivier, sur les bords duquel sont quelques orangers et des citronniers qui sont chargรฉs de fruits toute lโ€™annรฉe.ยป A lโ€™instar de ses prรฉdรฉcesseurs, comme Lรฉon lโ€™Africain, Moรผette vante les jardins dรฉlicieux, les vergers magnifiques, les arbres parfumรฉs et les vallรฉes heureuses des royaumes de Maroc. Il voit dans ces belles contrรฉes une terre en friche que le conquรฉrant pourrait cultiver et en tirer un bon parti. Le captif, qui nโ€™a pas perdu de vue les intรฉrรชts de sa patrie, imagine mรชme une possible intervention : ยซSi lโ€™on entrait dans le pays pour y faire des conquรชtes, il faudrait se mettre en campagne au mois de mars, afin de faire retirer les Arabes du cรดtรฉ des montagnes, et pour se conserver les grains quโ€™ils commencent ร  couper vers le mois de mai, et quโ€™ils enserrent dans la terre et labourent dessus. Car si on y allait aprรจs quโ€™ils sont coupรฉs, lโ€™armรฉe y pรฉrirait de faim, aussi bien les hommes comme les chevaux, car ils ne font aucune provision dโ€™herbes sรจches, que le soleil dรฉtruit en รฉtรฉ par son excessive chaleur.ยป En dรฉtaillant les fortifications des villes et les piรจces dโ€™artillerie dโ€™une ville comme Salรฉ, plus dโ€™un conseil pratique pour une invasion en rรจgle et ร  la bonne saison, Moรผette livre lโ€™image dโ€™une terre facile ร  occuper. Il nโ€™oublie pas, pour autant, que son ยซ principal dessein est de faire connaรฎtre les misรจres des pauvres captifs de ce paysยป. Si sa Relation se fixe un programme dโ€™รฉdification morale et religieuse, il convient, cependant, de noter quโ€™elle est loin dโ€™รชtre un rรฉquisitoire contre lโ€™esclavagisme comme lโ€™avait illustrรฉ le Pรจre Dan au milieu du XVIIe siรจcle, ou Dominique Busnot au dรฉbut du siรจcle suivant. Lโ€™auteur-captif relate son expรฉrience personnelle et celle de ses semblables non comme un fervent propagandiste, mais comme un simple tรฉmoin dโ€™une captivitรฉ apaisรฉe. Capturรฉ en mer le 16 dรฉcembre 1670, Moรผette fut vendu ร  Salรฉ, pour la somme de 360 รฉcus. Ses propriรฉtaires รฉtaient au nombre de quatre, dont lโ€™un possรฉdait ร  lui seul la moitiรฉ de lโ€™esclave. Les trois autres, dont chacun sโ€™รฉtait rรฉservรฉ le sixiรจme de Moรผette, vinrent le voir tout de suite au foundouk oรน il avait รฉtรฉ conduit aprรจs la vente. Le plus vieux, Muhโ€™ammed al Marrakchรฎ, รฉtait ยซfermier des poids du Roiยป ; le second รฉtait un marchand de laine et dโ€™huile, nommรฉ ยซMohammed Liebusยป, et le troisiรจme un juif, Rabbรฎ Yamรฎmin. Muhโ€™ammad el Marrรขkchi mena lโ€™esclave chez lui et le fit voir ร  sa femme qui lui donna ร  manger ยซun pain blanc, du beurre, avec du miel et quelques dattes et des raisins de Damasยป. Moรผette, reconduit au fondouk, y reรงut la visite du juif qui le salua cรฉrรฉmonieusement et lui promit la libertรฉ pour peu que ses parents acceptent bien de payer le prix exigรฉ par les quatre propriรฉtaires. Ses maรฎtres le forcรจrent ร  รฉcrire une lettre et lโ€™envoyer en France pour demander la ranรงon. Craignant dโ€™รชtre chรขtiรฉ impitoyablement et de mourir dans un matemore, le captif sโ€™exรฉcuta sans hรฉsitation : ยซ Jโ€™รฉcrivis donc une lettre la plus pitoyable du monde, et je mandais ร  un frรจre, que je traitais de savetier, de faire la quรชte pour amasser quarante ou cinquante รฉcus, pour donner aux Pรจres de la Rรฉdemption, afin quโ€™ils ne mโ€™oubliassent pas quand ils viendraient dans le pays.ยป

Saint-Olon : de lโ€™ambassade au descriptif de lโ€™รฉtat des lieux de ยซla maison Marocยป

ย  ย Depuis 1672, date de son accession au trรดne, soit sur vingt ans de rรจgne, la France รฉtait le seul pays avec lequel Moulay Ismail nโ€™avait jamais pu parvenir ร  un accord diplomatique dรฉfinissant les relations entre les deux nations. De part et dโ€™autre, les tentatives et les occasions nโ€™avaient pourtant pas manquรฉ. Lorsquโ€™en mars 1692, le consul de France ร  Salรฉ, Jean- Baptiste Estelle, transmet ร  Louis XIV la lettre du sultan du Maroc, par laquelle celui-ci sollicite lโ€™envoi urgent dโ€™un ambassadeur, les relations entre les deux pays รฉtaient dans un รฉtat des plus dรฉplorables. Malgrรฉ les conflits et les divergences de vue relatives ร  la question des captifs, Louis XIV et Moulay Ismail recherchaient et dรฉsiraient visiblement รฉtablir un traitรฉ de paix. Pour le roi de France qui avait, depuis vingt ans, exigรฉ, menacรฉ, essayรฉ dโ€™intimider le roi du Maroc, en envoyant ร  maintes reprises ses escadres de guerre le long des cรดtes marocaines, la demande du sultan marocain รฉtait une occasion pour en finir avec la course salรฉtine qui contrariait le commerce de lโ€™Hexagone en Mรฉditerranรฉe depuis le milieu du XVIIe siรจcle. Mal renseignรฉ sur le Maroc, Louis XIV continua ร  raisonner en 1692 comme si ยซle royaume des Mauresยป, encore largement terra incognita se limitait ร  Salรฉ et ร  ses corsaires. Cette vision myope et rรฉductionniste qui prรฉvalait dans le regard occidental de lโ€™entitรฉ marocaine prรฉfigure le schรจme colonialiste futur fondรฉ sur la parcellarisation entre un Maroc ยซ utile ยป et un autre versant dรฉvoilant peu dโ€™intรฉrรชt aux fins de mise en coupe rรฉglรฉe de lโ€™entitรฉ territoriale. Charles Penz, pragmatique et prospectif, ne sโ€™y est pas trompรฉ lorsque, faisant allusion ร  de vraisemblables vellรฉitรฉs expansionnistes, dit ร  ce propos : ยซMais si le roi de France avait รฉtรฉ mieux renseignรฉ par des consuls actifs et clairvoyants, il aurait compris le profond changement qui sโ€™opรฉrait au Maroc. La vigoureuse politique autocratique de Moulay Ismail, en unifiant le pays, favorisait les relations de puissance ร  puissance. Des hommes dรฉcidรฉs ร  remplir leur mรฉtier de souverain, comme Louis XIV et comme Moulay Ismail, auraient pu sโ€™entendre, pour leur profit mutuel, et cet accord avait pu se produire si celui qui brillait dรฉjร  de toute sa gloire avait devinรฉ son semblable en celui qui luttait รฉnergiquement pour se donner un empire. Mais comment juger de Paris ou de Saint-Germain les rรฉvolutions desroyaumes de Maroc et de fez. On ne connaissait que les Salรฉtins, on continuerait ร  les combattre : en ce temps-lร , la stratรฉgie se nourrissait de prรฉjugรฉs.ยป Moulay Ismail, qui avait dรฉjร  commencรฉ le processus dโ€™unification de son pays grรขce ร  la levรฉe dโ€™une armรฉe rรฉguliรจre, permanente de cinquante mille hommes, parvint ร  reconquรฉrir les villes portuaires occupรฉes par les Europรฉens. En 1681, les Espagnols abandonnรจrent la Mamora au nord de Salรฉ, quโ€™ils tenaient depuis 1614 ; Tanger qui รฉtait aux mains des Anglais fut reprise en 1684, Larache et Asilah, deux forteresses occupรฉes par lโ€™Espagne, sont, ร  leur tour, reconquises en 1689 et 1691. Dโ€™un point de vue stratรฉgique, le fait dโ€™envisager la conclusion dโ€™un traitรฉ dโ€™alliance avec la France, lui permettrait, par consรฉquent, de reprendre aux Espagnols les presidios1 Melilla annexรฉe depuis1497 et Ceuta depuis 1668, sans craindre que ses navires soient attaquรฉs par la flotte franรงaise. La France nโ€™รฉtait pas du tout portรฉe par le mรชme รฉlan conquรฉrant que le Maroc de Moulay Ismail. Louis XIV, assailli par des ennuis de santรฉ, nโ€™รฉtait plus le Dieu de la guerre de ses annรฉes de jeunesse. Lโ€™engagement de ses troupes en Catalogne, en Italie, dans les Flandres รฉtait le plus souvent forcรฉ par des ligues puissantes. Le 9 juillet 1686, presque toute lโ€™Europe (ร  lโ€™exception de Lโ€™Angleterre de Jacques II, du Portugal et de la Russie) adhรฉrait ร  la ligue dโ€™Augsbourg et se concertait pour mettre un terme ร  lโ€™expansionnisme de Louis le Grand. Sur le plan intรฉrieur, la rรฉvocation de lโ€™Edit de Nantes, le 18 octobre 1685 et le renvoi hors de France de prรจs de trois cent mille religionnaires dโ€™รฉlite vers les pays ร  vocation protestante ne manquaient pas dโ€™effets. Beaucoup dโ€™huguenots รฉmigrent en emportant leur ire et leur savoir. De plus, le pays connut une pรฉriode calamiteuse sans prรฉcรฉdent. Le ยซvilain tempsยป sโ€™est abattu sur les campagnes. Les rรฉcoltes รฉtaient mauvaises. La famine menaรงait. Le trรฉsor รฉtait vide. ยซ Pontchartrain vendit tout ce qui รฉtait ร  vendre : les gouvernements, des emplois publics, les magistratures, les monopoles, les licencesโ€ฆ Il imagina une multitude de rentes et dโ€™offices royaux, disant ร  Louis XIV : Sire, toutes fois que Votre Majestรฉ crรฉe un office, Dieu crรฉe un sot pour lโ€™acheterโ€ฆยป Les tremblements de terre secouรจrent le nord de la France. Les รฉpidรฉmies et la mortalitรฉ sรฉvissaient de sorte quโ€™entre 1693 et 1694, on ne compta pas moins de deux millions de morts. Une hรฉcatombe dรฉmographique et รฉconomique sans prรฉcรฉdent qui impulsera un inflรฉchissement dans la conduite de la politique extรฉrieure de la France. En effet, dans ce contexte dรฉfavorable, du cรดtรฉ de Versailles, on sโ€™avisait quโ€™un accord, qui permettrait de faire un tour dโ€™horizon sur les questions รฉconomiques et militaires avec le royaume chรฉrifien, serait, ร  tout le moins bรฉnรฉfique, dans lโ€™ล“uvre de renflouement des caisses de lโ€™Etat. Dans cette optique de ยซ realpolitik ยป avant lโ€™heure, ร  la fin du XVIIe siรจcle, Louis XIV envoya deux ambassadeurs ร  la cour de Moulay Ismail et lui-mรชme reรงut la visite de deux reprรฉsentants du sultan. La premiรจre ambassade franรงaise, confiรฉe au baron de Saint-Amans eut lieu au cours de lโ€™hiver de 1682-1683, immรฉdiatement aprรจs la signature du traitรฉ de paix et dโ€™amitiรฉ franco-marocain de Saint-Germain-en-Laye. La seconde, qui fut habilement prรฉparรฉe par le jeune consul Jean Baptiste Estelle depuis 1691, nโ€™eut lieu quโ€™en 1693. Contrairement ร  ce quโ€™รฉcrivait Louis XIV ร  Moulay Ismail le 23avril 1692, lโ€™ambassadeur ne fut pas un officier de marine, mais un diplomate de terre ferme, le sieur Pidou de Saint-Olon. Il est le fils dโ€™un tourangeau, un modeste chevalier, commandeur et greffier dโ€™un obscur ordre royal et militaire de Notre-Dame du Mont-Carmel et de Saint-Lazare, รฉlevรฉ gentilhomme ordinaire de la chambre par brevet. En 1720, lโ€™annรฉe de sa mort, le duc SaintSimon lui rendit un hommage un tantinet ironique : ยซSon nom est Pidou et de fort bas alois : il รฉtait gentilhomme ordinaire chez le Roi nโ€™en parle en des voyages en pays รฉtrangers avec confiance et avait รฉtรฉ aussi envoyรฉ du Roi au Maroc et ร  Alger oรน il vint ร  bout dโ€™affaires difficiles et mรชme fort pรฉrilleuses pour lui, avec une grande fermetรฉ et beaucoup dโ€™adresse et de capacitรฉ, dโ€™ailleurs fort honnรชte homme et qui ne sโ€™en faisait point accroire.ยป Sa plus importante mission avait รฉtรฉ jusquโ€™alors celle de Gรชnes en 1682. Cette citรฉ fut, ร  lโ€™รฉpoque, soumise ร  un bombardement intensif de lโ€™escadre dโ€™Abraham Duquesne, qui nโ€™en arrรชta la destruction systรฉmatique quโ€™en 1684. Pendant ces deux annรฉes, lโ€™envoyรฉ du Roi- Soleil patienta claquemurรฉ dans une ville, au milieu de lโ€™hostilitรฉ gรฉnรฉrale dโ€™une population et dโ€™un gouvernement qui traitaient en ennemi toute personne suspecte de relation avec la France. Saint-Simon ajoute que ยซlongtemps employรฉ en des voyages en pays รฉtrangersยป, Pidou de Saint-Olon fut dรฉpรชchรฉ pour porter les compliments et surtout les condolรฉances de Louis XIV. Une mission protocolaire en Espagne en 1709 oรน il serait porteur des condolรฉances du roi ร  lโ€™occasion de la mort de la mรจre de Marie Anne de Neubourg le ferait surnommer, le consolator afflictorum. Lorsque Saint-Olon eut รฉtรฉ choisi comme ambassadeur, Louis XIV lui confรฉra un titre de crรฉance pour le sultan quโ€™il avait rรฉdigรฉ en ces termes : ยซTrรจs haut, trรจs excellent et trรจs puissant prince, notre Trรจs cher et bon ami. ยซLe dรฉsir que vous nous avez marquรฉ de renouveler le traitรฉ et de rรฉtablir la bonne correspondance qui รฉtait ci-devant entre nos sujets nous ayant portรฉ ร  faire choix du sieur chevalier de SaintOlon, notre ambassadeur ordinaire, pour vous assurer de la sincรฉritรฉ de nos intentions et traiter avec vous, nous avons cru devoir le charger de cette lettre pour vous prier dโ€™ajouter une crรฉance entiรจre ร  tout ce quโ€™il vous dira de notre part. Sur ce, nous prions Dieu quโ€™il vous ait, trรจs haut, trรจs excellent et trรจs puissant prince, en sa garde. ยซEcrit de notre chรขteau Imperial de Versailles, le 14 janvier1693ยป1 Habituรฉ ร  des missions peu glorieuses et ne connaissant ni les affaires marocaines ni les affaires africaines, le nouvel ambassadeur de France avait raison de sโ€™affliger de la mission quโ€™on lui avait confiรฉe. La correspondance adressรฉe par Saint-Olon au ministre de la Marine Pontchartrain nous renseigne dรฉjร  sur ses apprรฉhensions. De Paris, le 9 fรฉvrier, il lui fait part des soucis que lui cause lโ€™incompรฉtence de son interprรจte. ยซIl convient, รฉcrit Sain-Olon, quโ€™il ne sait ni lire ni รฉcrire le franรงais, quโ€™il nโ€™entend pas bien lโ€™arabe de ce pays-lร , mais quโ€™il espรจre que, quand il y aura รฉtรฉ douze ou quinze jours, il lโ€™entendra. Voyez dans quel embarras cela va me jeter, et quel remรจde vous y pouvez apporter, car la bonne volontรฉ quโ€™il tรฉmoigne ne rendra pas son service plus utile, et il me serait bien fรขcheux, outre le prรฉjudice quโ€™en recevrait le service du Roy, de ne pouvoir ni entendre, ni รชtre entendu. Vous serez vous-mรชme le tรฉmoin de son savoir si vous voulez bien mโ€™assigner un quart dโ€™heure dโ€™audience ce mercredi soir ou jeudi matinยป. Aprรจs avoir reรงu des instructions et des รฉclaircissements sur la nature de sa mission, Saint-Olon prit la route de Marseille, se rendit ร  Toulon oรน il dressa le rรดle des Marocains galรฉriens, soit 233dont 29 invalides. Il y prit note รฉgalement que le nombre total des invalides musulmans de diffรฉrentes origines sโ€™รฉlevait ร  272 au cas oรน Moulay Ismรฏl pourrait les accepter dans lโ€™รฉchange. Les instructions remises ร  lโ€™ambassadeur franรงais avaient pour finalitรฉ de convenir avec le sultan marocain des articles et conditions de la paix, de faire cesser la guerre de course des Salรฉtins. Pour ne pas donner ร  penser que Louis XIV cherchait ร  solliciter quelques faveurs et renonรงait ร  la politique de prรฉรฉminence habituelle du Roi Soleil, les cadeaux devraient se faire au nom de son envoyรฉ. Pour le reste, Pidou รฉtait chargรฉ par le roi de France, comme ses prรฉdรฉcesseurs, de faire un travail de renseignement dโ€™ordre gรฉopolitique. Il devait recueillir les รฉlรฉments dโ€™un rapport dโ€™ensemble sur la situation gรฉnรฉrale du Maroc : sโ€™informer si les terres รฉtaient fertiles, si elles รฉtaient peuplรฉes, quels รฉtaient les princes voisins de ces royaumes avec lesquels le roi du Maroc pourrait entrer en guerre, quelles รฉtaient ses troupes, quelle รฉtait la conduite de ce prince dans le gouvernement de ses Etats ; quelle รฉtaient les mล“urs des habitants et leur religion. Bref, une enquรชte dรฉtaillรฉe sur ยซlโ€™ensemble des Etats du roi de Marocยป. Dรฉcidรฉment, Louis XIV, comme Richelieu auparavant, nourrissait lโ€™idรฉe dโ€™une รฉventuelle tentative de conquรชte du pays. Armรฉ de ces recommandations et de quelques objets de mercerie diplomatique, lโ€™ambassadeur du ยซroi des roumsยป comme lโ€™appelait Moulay Ismail, sโ€™embarqua sur Lโ€™Arc-en-ciel le 4 avril 1693. Il arriva en rade de Tรฉtouan le 3 mai aprรจs un pรฉriple de vingt-huit jours qui faisait commencer son ambassade sous de fรขcheux auspices. Il sโ€™en plaignit tout de suite ร  son ministre Pontchartrain dans une lettre : ยซNous avons voulu forcer les vents pour sortir de Toulon et nous mettre en route, mais nous nโ€™en avons eu que plus de fatigue et nous nโ€™en avons pas fait plus tรดt notre chemin, puisquโ€™aprรจs vingthuit jours dโ€™une navigation trรจs pรฉnible nous ne faisons quโ€™arriver en cette rade

La Rรฉdemption, un supplรฉment dans lโ€™aventure barbaresque

ย  ย Les Pรจres rรฉdempteurs eurent une place essentielle dans la littรฉrature relative ร  lโ€™esclavage chrรฉtien en terre dโ€™islam, en tant que reprรฉsentants dโ€™institutions dรฉvouรฉes ร  la mรฉdiation entre les deux rives de la Mรฉditerranรฉe. Les rรฉcits de ces missionnaires forment, avec quelques rรฉcits des esclaves eux-mรชmes, le fonds dโ€™une littรฉrature consacrรฉe ร  la captivitรฉ qui connut une grande faveur auprรจs du public. Le captif devient alors un personnage romanesque propre ร  attendrir les lecteurs plus encore quโ€™ร  servir la curiositรฉ de lโ€™historien. Les missions dโ€™รฉvangรฉlisation entrprises par les Pรจres nโ€™รฉtait point destinรฉe, ร  lโ€™instar des autres pays de lโ€™Afrique, aux Marocains. En effet, leur entreprise marocaine ne consistait quโ€™ร  pouvoir sauver lโ€™รขme des captifs intรฉressรฉs qui ne cessaient dโ€™user de tout les expรฉdients pour se faire racheter beaucoup plus que dโ€™aspirer ร  la bรฉatitude de la foi. Jouissant dโ€™un capital de confiance auprรจs du roi et de ses sujets, ces religieux prirent la relรจve des missions dโ€™ambassades avortรฉes et leurs tentatives sโ€™avรฉrรจrent plus efficaces et moins coรปteuses que les dรฉmarches officielles. ยซPour ne pas abandonner les captifs ร  leur sort, sur lequel tout le monde sโ€™apitoie mรชme lorsquโ€™on ne fait rien pour eux, le mieux est dโ€™employer les religieux des ordres qui ont รฉtรฉ crรฉรฉs spรฉcialement en vue du rachat des esclaves. Telle est la solution qui reรงoit lโ€™agrรฉment de la cour de France : les rรฉdempteurs seront des intermรฉdiaires plus honnรชtes et plus dรฉvouรฉs que des marchands et moins coรปteux que des ambassadeurs officiels. A dโ€™aussi humbles nรฉgociateurs, les maรฎtres des captifs nโ€™oseront pas prรฉsenter des prix majorรฉs. Enfin, les religieux se chargent de trouver eux-mรชmes les fonds nรฉcessaires ร  la rรฉdemption par des quรชtes effectuรฉes dans toute la France ยป Depuis le dรฉbut du XVIIe siรจcle, les captifs chrรฉtiens avaient bรฉnรฉficiรฉ de la sollicitude de deux ordres rรฉdempteurs qui sont issus de la Croisade : lโ€™ordre de la Trรจs Sainte Trinitรฉ dont les membres portaient le nom de Trinitaires ou Mathurins et celui des mercรฉdaires (ou Pรจres de la Mercy). Le premier, celui de la Sainte Trinitรฉ, auquel appartient le Pรจre Busnot et qui a รฉtรฉ fondรฉ par Jean de Matha et Fรฉlix de Valois en 1198, รฉtait fortement implantรฉ dans le sud de la France et en Espagne (ร  Marseille, Arles, Saint-Gilles-du-Gard, Tolรจde, Sรฉgovie, Burgos); le second, celui de Notre-Dame de la Merci, en 1218, lโ€™a รฉtรฉ par Pierre Nolasque et Raymond de Penafort, รฉtait fixรฉ notamment ร  lโ€™ouest du pays et en Catalogne. Les deux ordres ne se distinguaient pas seulement par leur ancrage gรฉographique, mais aussi sur le plan de la conception religieuse : la rรจgle des Mathurins stipulait quโ€™un tiers de leurs revenus (tertia pars) devait รชtre consacrรฉ au rachat de chrรฉtiens captifs chez les infidรจles. En revanche, les Mercรฉdaires pouvaient se dรฉmarquer par le quatriรจme vล“u de leur ordre (aprรจs lโ€™obรฉissance, la pauvretรฉ et la chastetรฉ) parlequel ils se devaient de faire le sacrifice de leur personne en รฉchange de la dรฉlivrance des captifs. ยซSโ€™il manque quelque chose au prix [de la ranรงon], sโ€™รฉmerveillait Bossuet, le rรฉdempteur [mercรฉdaire] offre un supplรฉment admirable : il est prรชt ร  donner sa propre personne, il consent dโ€™entrer dans la mรชme prison, de se charger des mรชmes fers, de subir les mรชmes travauxยป. Humbles nรฉgociateurs, les religieux se chargeaient eux-mรชmes de trouver les fonds nรฉcessaires ร  la rรฉdemption par des quรชtes effectuรฉes en France pour les plus dรฉmunis des captifs et dont les familles ne pouvaient pas rรฉunir le paiement de leurs ranรงons. Le 28 mars 1638, par lettres patentes du roi, les Mercรฉdaires furent chargรฉs du rachat des esclaves franรงais ร  Salรฉ. En 1638, un arrรชt du 6 aoรปt partagea la France en deux rรฉgions : la Bretagne, la Provence, le Languedoc, provinces maritimes directement intรฉressรฉes par la rรฉdemption, furent rรฉservรฉes aux Mercรฉdaires, le reste de la France aux Trinitaires. Les aumรดnes recueillies par les Trinitaires, auprรจs des รขmes charitables, leur permirent dโ€™effectuer plusieurs voyages au Maroc et leurs missions de rachat sโ€™achevรจrent, gรฉnรฉralement, par un succรจs. Le Pรจre Jean Escoffiรฉ qui reรงut lโ€™ordre dโ€™aller au Maroc le 27 juin 1641, ramena ร  Marseille, le 22 novembre 1642, quarante et un captifs dont le Pรจre Dan nous donne le nom, lโ€™รขge et la ville dโ€™origine. A leur arrivรฉe ร  Marseille, les captifs furent accueillis par les Trinitaires de cette ville. Une procession solennelle se forma, les captifs marchaient deux par deux, accompagnรฉs de jeunes enfants dรฉguisรฉs en anges qui ยซtenant chacun dโ€™eux une chaรฎne dโ€™or les menaient par les bras au lieu de celles de fer dont ils รฉtaient cruellement enchainรฉs en Barbarie.ยป En 1683, les Pรจres de la Mercy, profitant de la signature du traitรฉ de SaintGermain signรฉ un an avant, envoyรจrent trois membres de leur ordre ร  Ceuta pour une nouvelle rรฉdemption. Les Pรจres qui furent choisis pour cette mission, รฉtaient le Pรจre Monel, de Paris, le Pรจre Bernard Mรจge et le frรจre Joseph Chastel de Toulouse. Celui-ci, qui connaissait le Maroc pour y avoir รฉtรฉ lui-mรชme captif de 1671 ร  1676, qui parlait lโ€™arabe et qui avait une expรฉrience de Moulay Ismail porta la parole ; aprรจs des nรฉgociations houleuses et des incommoditรฉs lors du retour ces Mercรฉdaires ramenรจrent, quand mรชme, une cinquantaine de captifs. Au dรฉbut du XVIIIe siรจcle, les Mathurins et les Mercรฉdaires ล“uvraient de concert pour sauver le plus grand nombre dโ€™esclaves possible au meilleur prix. Ils se rendirent ร  trois reprises au Maroc (en 1704, 1708 et 1712). Leur premier voyage, en novembre 1704, rassembla les Pรจres mercรฉdaires de la province de Paris et de Rouen : Le Berthier, Quillet et Nolasque Nรฉant, et les Pรจres trinitaires Toรซry, Liรฉbe et Busnot, auxquels se joignirent les Mercรฉdaires de Toulouse, les Pรจres Castet, Brun et Forton. Au second voyage qui eut lieu ร  Ceuta, le pรจre Busnot รฉtait en compagnie des Pรจres Nolasque et Forton. Pour le troisiรจme et dernier, il รฉtait avec le seul Nolasque. Busnot comme Nolasque furent les journaliers de lโ€™aventure rรฉdemptrice. Lโ€™un et lโ€™autre se chargรจrent de relater lโ€™expรฉrience barbaresque. Le rรฉcit de rรฉdemption รฉcrit est aussi un rรฉcit dโ€™initiation avec ses multiples รฉpreuves, sa quรชte et sa rรฉvรฉlation. Dรจs le dรฉbut de la relation, le Pรจre-narrateur livre au lecteur les difficultรฉs rencontrรฉes pour lโ€™accomplissement de la mission de rรฉdemption diligentรฉe par la cour de Louis XIV et tant attendue par les captifs chrรฉtien de Moulay Ismaรฏl. La premiรจre difficultรฉ selon le Mathurin vient du statut mรชme des captifs franรงais au Maroc : ยซIl nous avait รฉtรฉ toujours plus facile de travailler, comme on a fait avec succรจs, ร  racheter les captifs dans les autres Etats de Barbarie parce que les esclaves y appartiennent ร  des particuliers avec lesquels on peut entrer en composition [โ€ฆ]. Mais dans lโ€™empire de Maroc, ils appartiennent tous au roi qui ne les relรขche quโ€™avec peine parce quโ€™il les trouve plus adroit que les maures pour les bรขtiments qui sont son occupation ordinaire et que, par leur moyen, il sโ€™attire les prรฉsents de toutes les nations de lโ€™Europe.ยป La deuxiรจme difficultรฉ est liรฉe ร  lโ€™itinรฉraire parcouru. Aprรจs lโ€™obtention du passeport, les religieux, partis de Paris, devaient rejoindre Madrid pour atteindre Cadix. Cโ€™รฉtait lโ€™รฉpoque oรน lโ€™Espagne et le Maroc รฉtaient ร  peu prรจs au mรชme degrรฉ de dรฉveloppement. On y marchait en caravane. On emportait des provisions pour vivre. Les routes de la pรฉninsule avaient toutes les incommoditรฉs des routes marocaines, cahoteuses, torrides, et, de surcroรฎt, elles รฉtaient moins sรปres. Il fallait sโ€™y dรฉfendre le jour contre les excessives chaleurs ยซet toutes les nuits du grand nombre de voleurs que lโ€™impunitรฉ y multipliaitยป. Lโ€™itinรฉraire par voie de terre avait semblรฉ plus sรปr que le voyage par mer ร  cause du conflit avec lโ€™Angleterre provoquรฉ par lโ€™affaire de Succession dโ€™Espagne. Le port de Cadix รฉtait alors le grand relais du commerce europรฉen avec le Maroc avant que Gibraltar ne sโ€™y substituรขt au cours des annรฉes suivantes. La colonie franรงaise y รฉtait nombreuse et riche. La place fournissait les piastres indispensables au rachat des esclaves. Le petit groupe de Pรจres y sรฉjourna prรจs de trois mois. Il rejoignit Salรฉ le 4 novembre1704 aprรจs une traversรฉe difficile de prรจs de cinq jours. Le sรฉjour des rรฉdempteurs ร  Salรฉ leur รฉtait favorable car ils avaient lโ€™occasion de rencontrer les chanceliers du consulat de France, dโ€™รชtre reรงus agrรฉablement par le gouverneur de la ville, de pouvoir ยซoffrir chaque jour le saint sacrifice comme en terre chrรฉtienne et dโ€™administrer les sacrements ร  quelques marchands et ร  quelques captifs dont la piรฉtรฉ, soutenue dโ€™une patience รฉprouvรฉe [les] รฉdifia beaucoup ยป. Le Pรจre Nolasque, en dรฉcrivant la ville de Salรฉ, ville rรฉputรฉe par ses corsaires fรฉroces qui terrorisaient les cรดtes des pays chrรฉtiens, donne lโ€™impression de rรฉdiger un rapport destinรฉ aux officiels des renseignements. Il nโ€™รฉprouve aucune รฉmotion relative aux couleurs locales, aucun รฉmerveillement devant les senteurs dโ€™un espace inconnu. De la mรชme maniรจre que ses prรฉdรฉcesseurs, le regard du religieux ne se soucie ni des couleurs ni des nuances sur lesquelles disserteront les voyageurs du siรจcle suivant. Au lieu des sensations pittoresques, lโ€™auteur prรฉfรจre dessiner un plan de la ville portuaire : ยซ [โ€ฆ] Il faut faire le plan de la ville de Salรฉ. Salรฉ comprend deux villes, dont lโ€™une qui regarde le nord est proprement ce qui sโ€™appelle Salรฉ, et une riviรจre nommรฉe Boureggret et qui en fait le point. On passe dโ€™une ville ร  lโ€™autre par des bateaux [โ€ฆ]. Les maisons nโ€™ont point de fenรชtres en dehors, et elles nโ€™ont pour la plupart que lโ€™รฉtage dโ€™en bas, [โ€ฆ], et elles sont toutes couvertes en terrasses. [โ€ฆ]. Ces deux villes ont chacune leur muraille avec des tours de distance en distance, mais celle de la nouvelle ville est dโ€™une plus grande circonfรฉrence. [โ€ฆ]. Elle a de plus deux chรขteaux ; le plus grand est situรฉ sur un rocher assez รฉlevรฉ du port, et il y a au bas, sur lโ€™embouchure de la riviรจre, un fortin muni de cinq piรจces de canons pour faciliter la retraite de corsaires. [โ€ฆ]. Au dehors de cette nouvelle ville, il y a une gemme, cโ€™est-ร - dire une mosquรฉe, qui nโ€™est bรขtie quโ€™ร  moitiรฉ, et qui aurait รฉtรฉ fort vaste ร  en juger par la quantitรฉ des piliers qui y sontยป. Grรขce ร  ce descriptif topographique, nous apprenons peu de choses hormis que Rabat nโ€™รฉtait quโ€™une sorte de faubourg de Salรฉ, et que ce nom de Salรฉ, si souvent rencontrรฉ dans la littรฉrature du XVIIe et XVIIIe siรจcle, sโ€™appliquait รฉgalement ร  Rabat. Paradoxalement, lorsque le descripteur a lโ€™occasion de sโ€™approcher de lโ€™humain, la subjectivitรฉ et les jugements de valeur sont de mise pour assombrir les habitants du pays visitรฉ : ยซLes habitants, tant de Salรฉ que des autres villes des royaumes de Fez et des Algarves, sont blancs et bien faits, je veux dire les naturels du paรฏs, parce quโ€™il y a beaucoup de noirs qui sont รฉtrangers, et de moulattes qui son nรฉs dโ€™un blanc et dโ€™une noire. La mauvaise รฉducation quโ€™on leur donne pendant leur jeunesse les rend si peu polis quโ€™on peut dire quโ€™ils nโ€™ont que la figure dโ€™homme.[โ€ฆ]Quand on entend frapper ร  la porte, on distingue si cโ€™est un Chrรฉtien ou un Maure, le Chrรฉtien frappe ร  la mode du paรฏs, mais le Maure frappe trente fois de suite et avec une prรฉcipitation extraordinaire [โ€ฆ].Ce nโ€™est pas que les Maures nโ€™ayant naturellement beaucoup dโ€™esprit, mais il est mal cultivรฉ, et ils ne sโ€™en servent que pour ramasser de lโ€™argent quโ€™ils enterrent, dans lโ€™espรฉrance que la loy de Mahomet leur donne quโ€™ils en jouiront aprรจs leur mortโ€ฆยป2. Le regard du Pรจre Nolasque devient, toutefois dรฉconcertant lorsque lโ€™on passe de ยซlโ€™impolitesse des Mauresยป ร  un jugement favorable portรฉ sur la croyance de ces mรชmes gens. En effet ces hommes dont le Prophรจte estยซ un faux prophรจte ยป et Dieu ยซune fausse divinitรฉยป sont de fervents de ce quโ€™ils jugent vรฉnรฉrable et sacrรฉ. ยซCe quโ€™ils ont de bon, cโ€™est un grand respect pour le nom de Dieu. Le sieur Flabron mโ€™en fit faire un jour une expรฉrience qui me- surprit. Il dรฉchira en petits morceaux un papier รฉcrit des deux cรดtรฉs et les jeta dans la rue. Il me fit attendre quelques temps et le premier Maure qui passa eut la patience de les ramener, sans en laisser un, et, ensuite, les mit tous dans un trou de muraille, et cela dans la crainte quโ€™il nโ€™y ait sur ces morceaux de papier des lettres qui puissent exprimer le nom de Dieu et que ce Saint nom ne fรปt profanรฉ par les passants. Bel exemple pour les Chrรฉtiens qui renient si souvent un nom si terrible ! Aussi, dans la langue arabe, il nโ€™y a point dโ€™expressions qui blessent tant soit peu le respect pour le Nom de Dieu [โ€ฆ] On sait le respect que les Mahomรฉtans ont pour leurs temples et je dirai ร  ce sujet que cโ€™est un crime puni de mort que de faire de lโ€™eau auprรจs des murs en dehorsยป. En valorisant les Mahomรฉtans, le Pรจre, de par son statut, vise ร  รฉdifier une conscience qui sโ€™รฉloigne un peu de Dieu. Il sโ€™รฉtonne, en effet, que les Musulmans, ces hommes ยซqui nโ€™ont que la figure dโ€™hommesยป puissent vรฉnรฉrer Dieu, respecter leur temples alors que les Chrรฉtiens ยซnations policรฉesยป sโ€™รฉgarent de Dieu et de ses รฉglises. La petite caravane constituรฉe prit la route de Meknรจs le 16 novembre quโ€™elle atteignit le 19 novembre aprรจs trois bonnes journรฉes de chemin. Au cours du voyage, les Pรจres dรฉcouvrent et font dรฉcouvrir le bled (cโ€™est-ร -dire, tout ce qui nโ€™est pas ville) : le bled apparait avec ses pistes sablonneuses ou rocailleuses, qui sโ€™รฉlargissent ou se rรฉtrรฉcissent, suivant la nature du sol ; ses riviรจres, quโ€™on franchit ร  guรฉ, plus souvent quโ€™ร  lโ€™aide de bacs ; ses villages, ou douars, formรฉs de tentes groupรฉes en rond la plupart du temps, entourรฉs de haies ; les troupeaux, quโ€™on fait rentrer le soir dans les ยซ azibsยป de peur des lions et des tigres. En traversant ces espaces, Busnot promรจne son regard et sโ€™offre lโ€™occasion de juger terre et gens

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Table des matiรจres

Introduction
Premiรจre partie : Image(s) franรงaise(s) du Maroc sous le rรจgne de Moulay Ismaรฏl
Chapitre I : Images du Maroc barbaresque
Chapitre II : La captivitรฉ chrรฉtienne sous le rรจgne de Moulay Ismaรฏl
Chapitre III: Le regard dโ€™un captif, Germain Mouรซtte
Chapitre IV: Saint-Olon, de lโ€™ambassade ร  la description de lโ€™รฉtat des lieux de ยซ La maison Maroc ยป
Chapitre V: La rรฉdemption, un complรฉment narratif dans lโ€™aventure Barbaresque
Chapitre VI : Moulay Ismaรฏl ou le mythe du despote oriental
Deuxiรจme partie : La quรชte dโ€™un Orient marocain
Chapitre I : Louis Chรฉnier du consulat ร  lโ€™orientalisme
Chapitre II : Le Maroc de Delacroix
Chapitre III : Gabriel Charmes ou le temps/Ton du mรฉpris
Chapitre IV : Le Maroc de Pierre Loti
Chapitre V : Le Maroc funรจbre dโ€™Andrรฉ Chevrillon
Troisiรจme partie : De lโ€™enquรชte ร  la conquรชte
Chapitre I : Charles de Foucauld ou la reconnaissance utile
Chapitre II : Le Maroc inconnu dโ€™Auguste Mouliรจras
Chapitre III : Linarรจs ou le regard du mรฉdecin
Chapitre IV : Vers le Protectorat
Conclusion
Chronologie des รฉcrits franรงais sur le Maroc avant le Protectorat
Glossaire
Bibliographie

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