Images et imaginaires scolaires de la littérature française du XVIe siècle

Après « dix ans d’étude donnés au Moyen-Âge, dix ans à la Révolution », Jules Michelet achève en 1855 le premier des deux volumes de son Histoire de France qui figure le trait d’union entre ces deux ensembles. Constituant le septième tome de l’entreprise immense de l’historien, le tome Renaissance, bientôt suivi par un huitième tome intitulé Réforme, détermine dès l’introduction le « sens et [la] portée de la Renaissance » :

L’aimable mot de Renaissance ne rappelle aux amis du beau que l’avènement d’un art nouveau et le libre essor de la fantaisie. Pour l’érudit, c’est la rénovation des études de l’antiquité ; pour les légistes, le jour qui commence à luire sur le discordant chaos de nos vieilles coutumes. […] Ces esprits trop prévenus ont seulement oublié deux choses, petites en effet, qui appartiennent à cet âge plus qu’à tous ses prédécesseurs : la découverte du monde, la découverte de l’homme.

Le seizième siècle, dans sa grande et légitime extension, va de Colomb à Copernic, de Copernic à Galilée, de la découverte de la terre à celle du ciel. L’homme s’y est retrouvé lui-même. Pendant que Vésale et Servet lui ont révélé la vie, par Luther et par Calvin, par Dumoulin et Cujas, par Rabelais, Montaigne, Shakespeare, Cervantès, il s’est pénétré dans son mystère moral. Il a sondé les bases profondes de sa nature. […] .

Profonde en effet est la base où s’appuie la nouvelle foi, quand l’antiquité retrouvée se reconnaît identique de cœur à l’âge moderne, lorsque l’Orient entrevu tend la main à notre Occident, et que, dans le lieu, dans le temps commence l’heureuse réconciliation des membres de la famille humaine. (p. 7-8) .

Indiquant plus loin les raisons de ce profond renouvellement qui découvre dans un même mouvement l’homme et le monde, Michelet propose une image éclatante pour établir le sens de cette Renaissance qui forme le sujet de la démonstration : Rare et singulier phénomène ! la France arriérée en tout (sauf un point, le matériel de la guerre), la France était moins avancée pour les arts de la paix qu’au quatorzième siècle. L’Italie, au contraire, profondément mûrie, par ses souffrances mêmes, ses factions, ses révolutions, était déjà en plein seizième siècle, même au-delà, par ses prophètes (Vinci et Michel-Ange). Cette barbarie étourdiment heurte un matin cette haute civilisation : c’est le choc de deux mondes, mais bien plus, de deux âges qui semblaient si loin l’un de l’autre ; le choc et l’étincelle ; et de cette étincelle, la colonne de feu qu’on appela la Renaissance. (p. 167) .

Cette « colonne de feu », que peint Michelet sous les yeux de son lecteur, ouvre au XVIe siècle « un coup de lumière, un rayon subit de soleil » (p. 298) qui balaie selon l’historien la fin d’un Moyen-Âge devenu stérile, retardant en France l’éclosion de toutes les forces vives qui depuis le XIVe siècle déjà paraient l’Italie des plus hautes formes d’art et de pensée. Cette vive lumière jetée sur ce siècle nouveau trouve sa source dans la redécouverte de l’antiquité où « l’Europe moderne revoyait sa mère […] et se jetait dans ses bras » : Combien cette grande mère, la noble, la sereine, l’héroïque antiquité, parut supérieure à tout ce qu’on connaissait, quand on revit, après tant de siècles, sa face vénérable et charmante ! […] Il y eut là, en effet, un mystère amer pour l’humanité. Le nouveau se trouva le vieux, le ridé, le caduc. L’antiquité parut jeune, et par son charme singulier et par un accord profond avec la science naissante. (p. 287) .

À travers ces images saisissantes qui dessinent un portrait du siècle empruntant aux discours mêmes des lettrés du XVIe siècle , Michelet tisse une série de représentations qui imposent non seulement le mot de Renaissance comme signe capital de la période, mais encore érigent ce signe comme notion historique. Ainsi que le fait remarquer en 1950 Lucien Febvre, Michelet à tout point de vue « invente la Renaissance » : en reprenant un terme qui depuis quelques décennies déjà servait à désigner le réveil des arts, des lettres ou de la science au XVIe siècle en France, en le dotant d’une majuscule, l’historien l’érige en réalité, une réalité qu’il oppose violemment au Moyen-Âge et qui marque dorénavant une rupture fondamentale dissociant l’époque médiévale des Temps Modernes. Alors que le terme n’entre réellement en usage dans la langue française qu’à partir de cette construction fracassante qu’en fait Michelet, en 1855, Lucien Febvre souligne qu’il s’impose directement comme une  « notion dont nous ne saurions plus nous passer»: en quelques décennies, la Renaissance s’est cristallisée en une «étiquette», fermement implantée dans la mémoire collective et indispensable au récit de l’histoire de France. Pour les contemporains et les successeurs de Michelet, les ondes de cette déflagration conceptuelle ne se limitent pas aux rivages de l’histoire nationale, mais s’étendent au-delà, dans des champs du savoir connexes et qui puisent dans le discours historique les ferments de leurs propres analyses.

Il en est ainsi de l’histoire littéraire, dont l’essor dans les dernières décennies du XIXe siècle prend appui sur les avancées de l’histoire. Gustave Lanson rappelle ainsi au moment d’étudier la littérature du XVIe siècle qu’il utilise les travaux de Michelet ou Burckhardt comme sources pour ces travaux, et invite ses lecteurs à consulter ces ouvrages  . Conséquemment, les manières d’aborder les évolutions du siècle se font chez Lanson en grande partie dans la continuité des vues de Michelet, notamment en ce qui concerne l’influence italienne sur la littérature française :

La Renaissance française est un prolongement et un effet de la Renaissance italienne : la chronologie seule suffirait à l’indiquer. La rencontre de la France et de l’Italie se fit dans les dernières années du XVe siècle […]. C’est l’armée de Charles VIII, toute la noblesse, toute la France qui se jette sur l’Italie ; après, c’est l’armée de Louis XII ; après, c’est l’armée de François Ier. Cinq ou six fois en une trentaine d’années, le flot de l’invasion française s’étale sur la terre italienne, et se retire sur le sol français : vers 1525, la pénétration de l’esprit, de la civilisation d’Italie dans notre esprit, dans notre civilisation, est chose faite […]. La secousse décisive était donnée: tous les germes qui dormaient épars dans la décomposition de l’ancienne France commencèrent d’évoluer. Il fallut une vingtaine d’années et, avec François Ier, l’avènement d’une génération nouvelle, pour que l’universelle transformation apparût. (Lanson, p. 170) .

Le rapport de stage ou le pfe est un document d’analyse, de synthèse et d’évaluation de votre apprentissage, c’est pour cela chatpfe.com propose le téléchargement des modèles complet de projet de fin d’étude, rapport de stage, mémoire, pfe, thèse, pour connaître la méthodologie à avoir et savoir comment construire les parties d’un projet de fin d’étude.

Table des matières

INTRODUCTION
PARTIE I ARCHITECTURE D’UN SIECLE LITTERAIRE : FONDATIONS ET TRANSMISSION D’UN CANON ET D’UNE IMAGE SCOLAIRES DE LA LITTERATURE DU XVIE SIECLE (1880-1970)
Chapitre I : Canon, classiques et histoire littéraire : les enjeux de la constitution et de la transmission d’une littérature nationale
Chapitre II : À l’ombre des classiques : la littérature du XVIe siècle dans l’Histoire de la littérature française de Gustave Lanson
Chapitre III. Des contemporains de Lanson au Lagarde et Michard, un canon stabilisé pour la littérature du XVIe siècle
PARTIE II CARTOGRAPHIE D’UN ESPACE CANONIQUE : IMAGES CLASSIQUES D’AUTEUR, IMAGES CANONIQUES DE LA LITTERATURE DU XVIE SIECLE (1980-2011)
Chapitre IV. Du centre aux périphéries : structure du corpus canonique de la littérature du XVIe siècle de 1981 à 2011
Chapitre V. Un espace canonique hiérarchisé (1) : Quatre noms au centre du siècle
Chapitre VI. Un espace canonique hiérarchisé (2) : Splendeurs et misères de la périphérie
Chapitre VII. « Une chambre à soi » dans les manuels scolaires : quelles places et quelles images canoniques pour les autrices de la renaissance ? (1880-2011)
PARTIE III USURES ET USAGES SCOLAIRES DE LA LITTERATURE DU XVIE SIECLE : QUELLES ACTUALITES POUR LES IMAGES CANONIQUES DE LA RENAISSANCE ? (1890-2010)
Chapitre VIII. Du « génie national » au modèle de l’humaniste cultivé, l’image scolaire du XVIe siècle au cœur des mutations du roman national (1890-2010)
Chapitre IX. L’image scolaire de la littérature du XVIe siècle, un miroir pour penser notre époque ? (2000-2011)
CONCLUSION

Rapport PFE, mémoire et thèse PDFTélécharger le rapport complet

Télécharger aussi :

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *