L‘excitation ultrasonore d‘une bulle, poche de gaz dans une matrice liquide ou viscoélastique, est appelée de manière générale cavitation acoustique. L‘initiation de la cavitation peut être obtenue acoustiquement par activation de nucléi gazeux et l‘on nomme alors cet évènement : nucléation acoustique de bulle. Dans un milieu, l‘initiation de la cavitation se traduit par à l‘apparition d‘une ou plusieurs inclusions gazeuses de taille micrométrique, qui sont autant de nouvelles sources acoustiques. Chaque évènement de cavitation se traduit en effet par un mouvement des parois de la bulle, et conduit à l‘émission d‘une onde acoustique rayonnée dans le milieu.
Les bulles sont des objets singuliers en acoustique ultrasonore. La grande compressibilité de leur contenu leur permet en effet d‘osciller avec de grandes amplitudes, et façon non linéaire lorsqu’elles sont soumises à de fortes excitations acoustiques [1]. Ces objets possèdent par ailleurs la particularité de pouvoir évoluer en taille, parfois violemment, sous l‘impulsion d‘ondes ultrasonores -par échange de matière ou fragmentation-, et de changer ainsi leur comportement d‘oscillateur. Ils peuvent d‘autre part se multiplier sous l‘action d‘excitations successives et former des nuages de bulles. Les évènements de cavitation peuvent en outre impacter fortement sur leur environnement local [2]-[3] à la fois physiquement (par pression de radiation et microstreaming, et en cas d‘implosion : onde de choc et microjet) et chimiquement (production de radicaux libres lors de leur implosion). Lorsque des bulles sont excitées dans un tissu biologique, l‘impact sur les cellules peut être important. Il est généralement évité en acoustique médicale pour les applications de diagnostique (imagerie échographique), mais peut-être recherché pour certaines modalités de thérapie acoustique (histotripsie, lithotripsie, cavitation-enhanced heating, drug delivery, ouverture de la barrière hémato-encéphalique …).
Les bulles sont ainsi des sources acoustiques singulières pouvant être générées et excitées acoustiquement dans un milieu, et ayant un impact sur leur environnement proche. Nous nous intéressons particulièrement dans les travaux présentés dans ce manuscrit à la nucléation de bulle sous l‘effet d‘insonifications courtes et de fortes amplitudes, et utilisons des réseaux de transducteurs piézo-électriques pour enregistrer les émissions ultrasonores résultantes. Ces transducteurs permettent l‘enregistrement de signaux radiofréquences (RF) comportant les informations d‘amplitude et de phase des ondes ultrasonores les impactant. Les acquisitions réalisées ici sont de plus ultrarapides car elles sont simultanées sur l‘ensemble des capteurs du réseau et peuvent être réalisées à haute cadence (limitée uniquement par le temps de propagation des ultrasons). Ce type d‘acquisition est rendu possible par l‘utilisation de systèmes électroniques multicanaux programmable en réception, et contenant des mémoires internes suffisantes pour stocker les données RF brutes avant leur transfert à l‘utilisateur.
Nucléation de bulles par ultrasons
Milieux d‘intérêt
Les travaux présentés par la suite visant à générer des bulles dans des milieux biologiques, nous nous restreindrons ici aux milieux hétérogènes, aqueux et viscoélastiques, et plus particulièrement les gels aqueux tels que ceux d‘agar et de gélatine utilisés couramment en ultrasons comme fantômes de tissus biologiques, ainsi que les tissus biologiques eux-mêmes. Le caractère hétérogène de ces milieux s‘entend ici au sens qu‘ils comportent des impuretés et ne sont en aucun cas des substances pures, en opposition à l‘eau pure par exemple [I-1]. La présence de ces impuretés conduit à envisager la présence potentielle de nucléi gazeux stabilisés, lesquels servent de noyaux pour la formation de bulles. Le caractère viscoélastique de ces milieux a des conséquences sur la mobilité des bulles une fois formées. Ces dernières ne vont pas remonter par poussée d‘Archimède jusqu‘à une quelconque surface mais vont rester piégées dans le milieu. De nombreuses théories et expériences ont été élaborées pour la nucléation de bulles dans l‘eau « impure ». Les milieux étudiés étant aqueux, nous nous y référerons.
Mécanismes de formation des nucléi gazeux
La formation spontanée d‘une inclusion gazeuse dans un milieu aqueux est expliquée par deux mécanismes différents : la nucléation homogène et la nucléation hétérogène. La nucléation homogène est la création d‘une inclusion de vapeur au sein d‘un liquide du fait des fluctuations d‘énergie thermique entre les molécules. C‘est un phénomène aléatoire qui se déroule lorsque ces fluctuations font apparaître un groupe de molécules ayant une énergie plus importante que les autres de manière localisée, et que cela conduit à une énergie locale moyenne suffisante pour que ce groupe soit de façon transitoire en phase gazeuse au sein du liquide. L‘inclusion gazeuse ainsi créée est instable et, en l‘absence de phénomène extérieur pouvant la stabiliser ou la faire grossir, elle disparaît rapidement. Cependant, les fluctuations d‘énergie thermique étant constantes dans le milieu, des inclusions gazeuses se forment et disparaissent en permanence. Le rayon des nucléi générés a été estimé par Church [I-2] de l‘ordre du nanomètre. La nucléation hétérogène est liée à l‘apport d‘énergie par une source extérieure telle qu‘une radiation ou une impureté [I-3]-[I-4]. Une radiation ionisante peut former une paire d‘ions, dont le mouvement excite les molécules environnantes. Un pic thermique (« thermal spike ») se forme alors, générant une inclusion de vapeur. Des inclusions gazeuses peuvent aussi se former autour d‘impuretés. Ces impuretés peuvent être des molécules ou des particules solides poussière, défaut de surface …). Ce type de nucléation est favorisé dans les milieux que l‘on considère ici. Quelque soit le mécanisme, les nucléi générés sont instables et tendent à disparaître. Ils peuvent servir eux-mêmes de noyau de formation de bulle. Cependant, le caractère aléatoire de leur formation et la très petite taille des inclusions créées ont conduit à considérer des mécanismes permettant de les stabiliser, notamment sous la forme d‘inclusions sousmicrométriques.
Mécanismes de stabilisation des nucléi
Deux modèles principaux sont avancés pour expliquer la stabilisation des nucléi : stabilisation par une peau perméable et stabilisation par une crevasse [I-3]-[I-4].
Modèle de peau à perméabilité variable
Le modèle de peau élastique à perméabilité variable a été proposé par Yount [I-5]-[I-6]. Il est basé sur la présence d‘impuretés organiques et de tensioactifs dans le milieu. Ces composants s‘arrangent autour de l‘inclusion gazeuse pour former une peau perméable aux gaz en conditions favorables au grossissement de l‘inclusion (flux de gaz du milieu extérieur vers la bulle), ou à sa dissolution (flux de gaz vers le milieu extérieur) tant que sa taille ne décroît pas en deçà d‘une valeur limite (dépendant de la peau, et correspondant à une concentration critique des molécules la formant). La peau devient imperméable dès que la bulle est trop petite, ce qui assure à cette dernière une stabilisation contre la dissolution. Les impuretés organiques peuvent être des acides gras ou des protéines.
Modèle de la crevasse
Ce modèle proposé par Harvey et al. [I-7] requiert la présence d‘une interface solide-liquide présentant des défauts de surface ou des cavités à angle aigu telles que celle de type cône inversé (Figure I-1). Dans les milieux considérés une telle interface peut être obtenue au niveau d‘une paroi solide (paroi d‘un vaisseau sanguin…) ou sur la surface d‘une particule solide (poussière…). Une poche de gaz piégée dans une crevasse a la possibilité d‘ajuster sa pression interne en adaptant le signe (concave ou convexe) et le rayon de la courbure de son ménisque, et de ce fait se stabilise contre la dissolution.
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Table des matières
INTRODUCTION
CHAPITRE I. ETAT DE L’ART
I.1 NUCLEATION DE BULLES PAR ULTRASONS
I.1.1 Milieux d’intérêt
I.1.2 Mécanismes de formation des nucléi gazeux
I.1.3 Mécanismes de stabilisation des nucléi
I.1.4 Déstabilisation des nucléi et formation de bulles
I.1.5 Evolution post-déstabilisation
I.2 REGIMES DE CAVITATION D‘UNE BULLE DANS UN CHAMP ULTRASONORE
I.2.1 Les différents régimes
I.2.2 Régime de cavitation inertiel
I.2.3 Régime de cavitation stable
I.3 DETECTION ACOUSTIQUE DE BULLES
I.3.1 Détection passive
I.3.2 Détection active
I.3.3 Autres méthodes de détection
I.4 CONCLUSION DU CHAPITRE I
I.5 BIBLIOGRAPHIE DU CHAPITRE I
CHAPITRE II. SOURCE ACOUSTIQUE POUR LA FOCALISATION ADAPTATIVE TRANSCRANIENNE
II.1 INTRODUCTION : FOCALISATION ULTRASONORE TRANSCRANIENNE
II.1.1 Thérapie thermique ultrasonore
II.1.2 Focalisation adaptative
II.2 BULLE COMME SOURCE ACOUSTIQUE POUR LA FOCALISATION TRANSCRANIENNE
II.2.1 Potentialité de la génération de bulles
II.2.2 Utilisation pour la thérapie thermique ultrasonore
II.3 EXPERIMENTATION IN VITRO SUR DEMI CRANE HUMAIN
II.3.1 Montage expérimental
II.3.2 Signature d’une bulle
II.3.3 Comparaison avec les autres méthodes de focalisation
II.3.4 Conclusion
II.4 ELARGISSEMENT DE LA ZONE DE TRAITEMENT
II.4.1 Introduction
II.4.2 Principe de l’angulation électronique
II.4.3 Influence de positions de référence multiples
II.4.4 Acquisition d’une constellation de références
II.4.5 Conclusion
II.5 CONCLUSION DU CHAPITRE II
II.6 BIBLIOGRAPHIE DU CHAPITRE II
CHAPITRE III. DETECTION D’EVENEMENTS UNIQUES DE CAVITATION IN VITRO
III.1 INTRODUCTION : AMELIORATION DE LA SENSIBILITE DES TECHNIQUES DE DETECTION ACOUSTIQUE
III.1.1 Rappel : état de l’art
III.1.2 Apport de la localisation
III.1.3 Apport de la détection simultanée multiélément
III.1.4 Amélioration du niveau de détection actif
III.1.5 Apport de la combinaison de détections
III.1.6 Bilan
III.2 SYSTEMES EXPERIMENTAUX ET METHODES
III.2.1 Matériel
III.2.2 Calibration des éléments de thérapie
III.2.3 Imagerie active ultrarapide
III.2.4 Imagerie passive
III.2.5 Séquence type
III.3 EXPERIMENTATION IN VITRO : GEL DE GELATINE
III.3.1 Préparation du gel de gélatine
III.3.2 Observations expérimentales
III.3.3 Premier exemple typique : analyse approfondie des signaux de détection passive
III.3.4 Second exemple typique : évolution variable après chaque tir
III.3.5 Bilan des tests dans la gélatine
III.4 EXPERIMENTATION IN VITRO : MUSCLE
III.4.1 Préparation des échantillons
III.4.2 Exemples avec le Système 2
III.4.3 Exemple avec le Système 1 : localisation dans la tâche focale
III.4.4 Bilan
III.4.5 Seuil de nucléation suivant la fraîcheur de la viande
III.5 CONCLUSION DU CHAPITRE III
III.6 BIBLIOGRAPHIE DU CHAPITRE III
CHAPITRE IV. SEUIL DE NUCLEATION DE BULLES : SANG IN VITRO ET TISSUS CEREBRAUX IN VIVO
IV.1 SEUIL DE NUCLEATION DE BULLES DANS LE SANG IN VITRO
IV.1.1 Composition du sang
IV.1.2 Préparation des échantillons
IV.1.3 Protocole expérimental
IV.1.4 Résultats
IV.1.5 Discussion
IV.1.6 Conclusion
IV.2 SEUIL DE NUCLEATION DANS DES TISSUS CEREBRAUX IN VIVO
IV.2.1 Modèle animal
IV.2.2 Dispositif expérimental
IV.2.3 Eléments des séquences de génération – détection
IV.2.4 Résultats : système 1
IV.2.5 Résultats : système 2
IV.2.6 Conclusion
IV.3 CONCLUSION DU CHAPITRE IV
IV.4 BIBLIOGRAPHIE DU CHAPITRE IV
CHAPITRE V. CONCLUSION GENERALE
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