Les techniques d’imagerie optique se développent depuis bientôt une vingtaine d’années en proposant une alternative aux techniques d’imagerie du vivant conventionnelles, grâce à l’utilisation du rayonnement de la gamme de longueurs d’onde visible, allant du bleu au proche infrarouge. Les motivations dans ce domaine de recherche sont multiples : i) les techniques optiques utilisent un rayonnement non ionisant, donc inoffensif pour le patient ; ii) elles permettent une « biopsie » non invasive des tissus; iii) et ceci avec un matériel bas-coût et facilement implantable dans toute unité préclinique ou clinique (contrairement aux techniques d’IRM (Imagerie par Résonance Magnétique) ou TEP (Tomographie par Emission de Positons) qui nécessitent un service d’imagerie spécifique).
L’imagerie optique du vivant se décline globalement selon deux familles :
– la microscopie haute résolution : elle vise le sondage de l’infiniment petit, l’imagerie de la cellule et idéalement de la molécule in vivo, avec l’objectif de repousser les limites de l’optique géométrique pour favoriser la compréhension des mécanismes biologiques;
– l’imagerie dans les tissus épais : il s’agit de sonder des organes humains, tels que le sein ou le cerveau, ou bien de faire de l’imagerie préclinique, sur petits animaux (souris de laboratoire) par exemple. Le défi est ici d’imager des objets peu contrastés, tels que des tumeurs, à travers plusieurs centimètres de tissus fortement absorbants et diffusants, avec une résolution suffisante.
Dans le premier cas, on peut se servir des propriétés de cohérence de la lumière pour repousser les limites de résolution, et ainsi faire appel à une instrumentation optique astucieuse pour s’affranchir des phénomènes parasites et augmenter le rapport signal sur bruit; dans le second, la propagation se fait de manière incohérente, la marge de manœuvre est plus limitée au niveau de l’instrumentation, et il faut faire intervenir des modèles physiques de plus en plus sophistiqués pour comprendre et mieux rendre compte de la propagation dans ces milieux aléatoires.
La technique que nous nous proposons de développer dans cette thèse permet d’explorer une échelle intermédiaire, l’échelle dite « mésoscopique », allant de la dizaine de microns à quelques millimètres, dans le but d’offrir une technologie pour l’examen des tissus biologiques superficiels (ou relativement transparents) à la fois simple (examen en champ large, sans contact) et hautement résolue.
Apport de l’optique pour l’examen des tissus biologiques
L’utilisation de la lumière pour l’étude des tissus biologiques est connue depuis environ 200 ans. En 1831 Richard Bright examine la tête d’un patient hydrocéphale en transillumination, à l’aide d’une simple bougie (Bright 1831). Une centaines d’années après, en 1929, Max Cutler réalise des expériences pour l’examen du sein grâce à une source lumineuse (Cutler 1929). La compréhension des phénomènes physiques progresse avec les années grâce aux recherches de Born et Wolf, Chandrasekhar et Ishimaru pour les plus cités (Born and Wolf 1964; Chandrasekhar 1960; Ishimaru 1977). Cependant, jusque dans les années 80, l’application de la lumière pour le diagnostique de tissus épais était toujours limitée car des techniques alternatives, comme les rayons X, s’avéraient plus efficaces (Sickles 1984). En 1991, Anderson présente les avantages de l’utilisation de la polarisation de la lumière dans une étude réalisée sur trente patients ayant une pathologie cancéreuse de la peau grâce à la polarisation (Anderson 1991). L’utilisation de la lumière pour les applications médicales est à présent largement répandue, principalement du fait de la souplesse d’utilisation, de l’innocuité du rayonnement utilisé, du grand nombre de fonctions biologiques pouvant être étudiées grâce aux contrastes optiques, et du faible coût d’instrumentation. Aujourd’hui, les techniques d’imagerie optiques sont nombreuses et sont basées sur différentes propriétés de la lumière (cohérence, temps, phase et polarisation).
Techniques existantes pour l’imagerie médicale
La technique d’imagerie de référence est la radiographie décrite pour la première fois il y a plus de cent ans à Würzburg par Wilhelm C. Röntgen (Röntgen 1898). L’Allemand a reçu en 1901 le premier Prix Nobel de physique suite à la découverte des rayons X. La longueur d’onde de ce rayonnement électromagnétique se place entre un picomètre et dix nanomètres.
Cette technique a connu un grand et rapide succès dans le domaine médical. Dans les années 1970, le Britannique Hounsfield et l’Américain Cormack développent une technique permettant d’obtenir des images tri-dimensionnelles. Il s’agit de la tomographie par rayons X (Prix Nobel de médicine (Hounsfield 1973), plus connue sous le nom de « scanner » (« Computerized Tomography » en Anglais). Aujourd’hui l’utilisation des rayons X est toujours très répandue grâce à l’excellente résolution de la technique. Un inconvénient des rayons X est le danger, à forte dose, de déclencher la mutation du tissu biologique. L’utilisation des ultrasons, dont le développement s’est accéléré du fait de motivations militaires, pour l’application à la mammographie, date des années 50 (Wild and Reid 1952). L’avantage de cette technique totalement inoffensive est sa sensibilité à la densité et à l’élasticité des tissus.
Une technique basée sur le champ magnétique, l’imagerie par résonance magnétique (IRM, ou Magnetic Resonance Imaging MRI en Anglais), est introduite dans les années 1970 suite aux travaux de Lauterbur et Mansfield (Lauterbur 1973; Mansfield and Maudsley 1977). Elle s’applique aux tissus contenant de l’eau et l’examen ne pose pas de danger au patient. L’utilisation de marqueurs spécifiques permet également de faire une analyse fonctionnelle des tissus et un suivi longitudinal mais l’instrumentation est cependant assez lourde et coûteuse.
L’imagerie nucléaire est également développée dans les années 1970. Un traceur radioactif est injecté dans le patient. Ce traceur ne permet pas une imagerie morphologique, mais fonctionnelle. On distingue deux méthodes, dont la première s’appelle « Tomographie par Emission de Photon Unique » (en anglais connue sous le nom SPECT pour « Single Photon Emission Computerized Tomography »). Ici, le traceur injecté produit l’émission gamma qui est détectée. La deuxième méthode s’appelle « Tomographie par Emission de Positons » (en Anglais « Positron Emission Tomography »). Cette méthode utilise des traceurs émettant des positrons. L’interaction du positron avec un électron génère deux photons gamma qui se propagent dans des directions opposées. Ce rayonnement gamma est détecté par l’instrument. La résolution de ce type de méthode est intrinsèquement limitée au mm et nécessite une infrastructure coûteuse pour la génération des traceurs radioactifs.
Cahier des charges
Avant d’approfondir la discussion autour du choix de la technique pour notre étude, il est important de mentionner un aspect qui sera traité plus en détail dans le paragraphe I.3. Les tissus biologiques sont composés majoritairement d’eau et d’hémoglobine, avec une forte absorption dans le visible sauf entre 600nm et 900nm où l’absorption des tissus est minimale, mais avec cependant une très forte diffusion qui va limiter fortement la résolution accessible par nos instruments. L’objectif est de développer un système biophysique capable de sonder avec précision de grandes surfaces (échelle du mm au cm) à faible profondeur (échelle du µm au mm). Le système vise l’exploration des tissus biologiques en surface et subsurface. Comme mentionné, les applications potentiellement visées sont les cancers de peau, de l’utérus, de l’œsophage mais aussi les applications à l’imagerie du cortex cérébrale et des vaisseaux sanguins. Nous présentons ci-après le cahier des charges permettant d’orienter le choix de la technique. Le prix du système doit être bas, son utilisation doit se faire sans contact et dans la mesure du possible sans agent de contraste.
Techniques optiques pour l’imagerie biomédicale
Les techniques optiques exploitent différentes propriétés de la lumière, notamment l’information spatiale, la cohérence temporelle et la polarisation. Ci-après, nous présentons les techniques, les plus utilisées pour l’examen des tissus biologiques. Elles sont basées sur l’exploitation de différentes propriétés physiques de la lumière. La technique la plus utilisée exploite l’information spatiale. Il s’agit de la microscopie confocale, brevetée par Minsky déjà en 1957. Depuis, la microscopie confocale est largement utilisée pour l’imagerie des tissus biologiques car cette technique permet d’obtenir une résolution latérale très haute (~0.3µm) selon la longueur d’onde de la source d’illumination et l’ouverture numérique (« numerical aperture » en Anglais, notée ici NA) de l’optique utilisée (résolution − xy = 62.0 ⋅λ NA ). Cette technique permet de produire une image tri-dimensionnelle par une détection point par point et est beaucoup utilisée aujourd’hui dans l’étude de la fluorescence endogène ou exogène (Wilson 1990). Dans les tissus biologiques, la microscopie confocale permet une profondeur d’interrogation inférieure à 200-300 µm, puisque la focalisation du faisceau d’illumination est limitée par la diffusion des tissus. Elle s’applique toutefois aux tissus faiblement diffusants ayant une petite épaisseur ou à l’examen surfacique. La détection s’effectue point par point, ce qui fait que la technique se prête davantage à l’observation de petites régions d’intérêt (ROI pour Region of Interest). Son prix et sa fonctionnalité sont très compétitifs comparés aux techniques existantes non optiques, ce qui explique sa popularité dans le domaine de l’imagerie des tissus biologiques. Cependant, du fait de la perte de focalisation et de sa limitation à l’examen de petites surfaces, cette technique n’est pas adaptée à notre étude. Cette technique a connu des sophistications grâce au développement de la microscopie bi-photon, qui exploite le signal émis par des marqueurs fluorescents in vivo ou ex vivo. Elle permet de visualiser différentes cellules de tissus avec une résolution tridimensionnelle micrométrique (Pena 2006). Cette technique a cependant un coût très prohibitif (> 300k Euro), dépassant même certaines techniques non-optique dans le prix de l’instrument. Elle est réservée à l’étude de la compréhension des mécanismes cellulaires. Pour aller plus loin, il existe divers systèmes d’imagerie macroscopique, toujours basés sur une mesure de contraste optique macroscopique (coefficients d’absorption, de diffusion), mais utilisant des détecteurs matriciels tels que les caméras CCD. Ce type d’instrument est très pratique car il permet de faire des examens rapides et des suivis longitudinaux. Pour améliorer le rapport signal à bruit, deux approches peuvent être exploitées:
o l’exaltation de contraste avec l’utilisation de marqueurs absorbants ou fluorescents,
o le filtrage du signal lumineux pour s’affranchir de la diffusion : filtrage spatial, temporel, interférentiel ou par polarisation.
La tomographie optique de cohérence (Optical Coherence Tomography (OCT) en Anglais) est une technique d’imagerie qui considère l’information temporelle. Elle a été proposée pour la première fois en 1991 par Huang et al. (Huang et al. 1991). L’OCT permet une imagerie tri-dimensionnelle des tissus biologiques jusqu’à plusieurs millimètres de profondeur selon le tissu. Elle est basée sur une détection point par point en rétrodiffusion. Le développement de l’OCT plein champ (Beaurepaire et al. 1999) a permis de pallier cela. Le système interférométrique produit une image de haute résolution (1-20µm) en fonction de la cohérence de la source utilisée. Le faible coût de la technique la rend très accessible. Cependant, la longueur d’onde utilisée est typiquement supérieure à 1000 nm, ce qui offre peu d’accès à l’étude de métabolites comme l’hémoglobine (Maheswari et al. 2003; Fukuda et al. 2005; Chen et al. 2009).
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Table des matières
Introduction
I. Imagerie polarimétrique des tissus biologiques
I.1 Introduction
I.2 Apport de l’optique pour l’examen des tissus biologiques
I.2.1 Techniques existantes pour l’imagerie médicale
I.2.2 Cahier de charges
I.2.3 Techniques optiques pour l’imagerie biomédicale
I.2.4 Imagerie biomédicale par filtrage polarimétrique
I.3 Interaction lumière-tissus
I.3.1 Propriétés optiques des tissus biologiques
I.3.2 Propriétés de la lumière polarisée
I.4 Techniques d’imagerie polarimétriques des tissus biologiques
I.4.1 Notion de « mémoire » de polarisation
I.4.2 Techniques d’imagerie polarimétriques
I.5 Principe du filtrage polarimétrique pour le sondage en profondeur des tissus biologiques
I.5.1 Principe d’extraction de la lumière polarisée
I.5.2 Résultats des travaux de référence de Morgan et Stockford
I.6 Conclusion
II. Modélisation de la Propagation de la Lumière Polarisée en Milieux Diffusants: Développement d’un Outil de Simulation Basé sur la Méthode Monte Carlo
II.1 Introduction
II.2 Modélisation de la propagation de la lumière polarisée en milieu diffusant : Equation de transfert radiatif vectorielle
II.2.1 Formulation pour la lumière non-polarisée
II.2.2 Formulation pour la lumière polarisée
II.3 Méthodes de résolution de l’Equation du Transfert Radiatif
II.3.1 Méthodes analytiques
II.3.2 Méthodes numériques
II.3.3 Méthodes statistiques
II.4 Modélisation de la chaîne de mesure par la méthode Monte Carlo
II.4.1 Différents Codes Monte Carlo
II.4.2 Description du code Monte Carlo choisi
II.4.3 Description des modifications apportées au code Monte Carlo
II.5 Validations
II.5.1 Validations en lumière non-polarisée
II.5.2 Validation de la prise en compte de la polarisation
II.6 Conclusion
III. Introduction de la polarisation elliptique pour une résolution en profondeur
III.1 Introduction
III.2 Rappel sur l’état de l’art
III.3 Principe et formulation de la méthode
III.3.1 Définition des canaux de mesure elliptiques
III.3.2 Formulation de l’intensité rétrodiffusée
III.4 Mise en oeuvre de la méthode de sondage polarimétrique sur données synthétiques
III.4.1 Définition et calcul de la profondeur sondée
III.4.2 Description des simulations
III.4.3 Evolution de la profondeur sondée en fonction des propriétés optiques
III.4.4 Choix des descripteurs
III.4.5 Evolution de la profondeur sondée en fonction des propriétés optiques
III.4.6 Lien entre le descripteur en profondeur et le descripteur en surface
III.4.7 Evolution des descripteurs en fonction de l’ellipticité de polarisation
III.5 Bilan, discussions, et conclusion
III.5.1 Discussion sur le degré de polarisation dans les milieux de Mie et de Rayleigh
III.5.2 Précisions sur la méthode pour une réalisation expérimentale
III.5.3 Application à l’examen des tissus biologiques : sensibilité de la technique
IV. Sondage polarimétrique en trois dimensions en milieu diffusant
IV.1 Introduction
IV.2 Sondage polarimétrique tridimensionnel grâce à une mesure en rétrodiffusion
IV.2.1 Mise en relation entre la mesure rétrodiffusée et la propagation dans le milieu
IV.2.2 Discussion sur le descripteur du volume sondé
IV.2.3 Evolution du volume sondé selon la polarisation
IV.3 Vers une imagerie 3D : application à la Tomographie de Projection Optique
IV.3.1 Réflexion sur l’application du Sondage Polarimétrique à la Tomographie de Projection Optique
IV.3.2 Réflexion sur l’application de la polarimétrie pour la reconstruction des propriétés optiques
IV.3.3 Imagerie polarimétrique résolue en 3D en rétrodiffusion
IV.4 Conclusion et perspectives
Conclusion