Les lésions traumatiques multiples et sévères sont un problème majeur de santé publique, principale cause de morbidité et de mortalité dans la population pédiatrique. Aux États-Unis, les accidents de la voie publique représentent 20 % de l’ensemble des décès chez les enfants et les adolescents (1). Bien que les relations entre mécanisme traumatique, types de lésions et éventuelles lésions manquées aient été décrites chez les adultes, ayant permis d’établir des recommandations standardisées (2–4), la littérature reste limitée en ce qui concerne la pédiatrie. Pourtant, enfants et adultes présentent des profils lésionnels distincts (5). Des études antérieures ont montré que la moitié des décès d’enfants sur les lieux d’un accident étaient dus à un traumatisme neurologique central ou cardiovasculaire majeur (6–8). De plus, le rapport tête-corps est d’autant plus important que l’enfant est jeune: l’étage céphalique est un point d’impact préférentiel chez les plus petits, avec une augmentation des lésions cérébrales et faciales par rapport aux enfants plus âgés (9). La plasticité thoracique élevée chez l’enfant implique des lésions pariétales limitées avec de rares lésions médiastinales, en revanche les atteintes parenchymateuses sont fréquentes et graves. Enfin, la mobilité des organes intraabdominaux associée à la faiblesse de la paroi abdominale peut entraîner des traumatismes rénaux, spléniques et hépatiques plus facilement que chez les adultes.
Par conséquent, la stratégie d’imagerie diagnostique en pédiatrie n’est pas encore uniformisée (10,11). Jusqu’à présent, le bilan de première intention associait souvent des radiographies standard du thorax et une échographie-Doppler abdominale (12), et l’utilisation systématique des bodyscanners (BS) est débattue en raison du manque de données cohérentes disponibles chez les enfants polytraumatisés (12,13). La plupart tendent d’ailleurs à démontrer que les BS réalisés sont principalement normaux (13–16).
Sélection des patients
Le comité national d’éthique radiologique a approuvé cette étude rétrospective observationnelle multicentrique (IRB: CRM-2101-126). Nous avons inclus tous les BS consécutifs réalisés entre février 2011 et février 2020 dans les services d’urgence de 63 hôpitaux partenaires d’Imadis Téléradiologie pendant les heures de garde (c’est-à-dire de 18h à 8h30 en semaine et 24 heures sur 24 le week-end). Les critères d’inclusion étaient l’âge < 18 ans et un contexte de polytraumatisme justifiant la réalisation d’un BS avec injection de produit de contraste.
Protocoles d’acquisition
Une fois le patient cliniquement stabilisé et préparé, l’examen a été réalisé à l’aide d’un scanner multi-détecteur à 16 ou 64 barrettes selon un protocole standardisé et adapté à l’enfant . Dans un premier temps, le protocole comprenait une acquisition en coupes sans contraste de 1 à 1,25 mm d’épaisseur couvrant le crâne et le rachis cervical, en décubitus dorsal les bras le long du corps, qui a été reconstruite en 1 mm d’épaisseur. Ensuite, une injection intraveineuse d’un produit de contraste non ionique tri-iodé iso- ou hyperosmolaire a été effectuée à l’aide d’un injecteur automatique, si disponible, à un débit de 1,5 cc/s (concentration : 300 – 350 mg/mL). Le volume injecté était de 2 cc/kg pour les enfants pesant moins de 5 kg, et de 1,5 cc/kg pour les enfants pesant plus de 5 kg. Les bras ont été levés au-dessus de la tête à la fin de l’injection et une acquisition thoraco-abdomino-pelvienne a été réalisée à la phase artérielle (coupes de 1 à 1,25 mm, systématiquement reconstruites en 1 mm), suivie d’une acquisition abdominale pelvienne à la phase portale (coupes de 2 à 2,5 mm, systématiquement reconstruites en 2 mm). Une phase tardive de 5 à 10 minutes était ajoutée si une lésion des voies urinaires était suspectée par le clinicien ou par le téléradiologue (TR) sur les phases artérielle et portale. Une série osseuse de l’acquisition thoraco-abdomino-pelvienne a été reconstruite à partir des sections natives. Les produits de contraste utilisés dans l’étude étaient Omnipaque 350 (GE Healthcare, Princeton, New Jersey) ; Iomeron 400 (Bracco Diagnostics, Milan, Italie) et Ultravist 370 (Bayer Healthcare, Berlin, Allemagne).
Interprétation des examens
Le protocole d’interprétation était conforme aux recommandations actuelles du Conseil professionnel de la radiologie médicale français et du Syndicat national de l’industrie des technologies médicales pour la pratique de la téléradiologie (20). Dans notre organisation, tous les TR travaillent dans des centres dédiés avec des conditions ergonomiques de haute qualité. Les demandes d’examens standardisés, avec des informations cliniques et biologiques de chaque hôpital partenaire ont été reçues via le logiciel ITIS (ITIS ; Deeplink Medical, Lyon, France). Chacun d’entre eux est validé médicalement par un des TR de garde appelé le régulateur. Les examens ont ensuite été effectués sur place et les images ont été transférées en toute sécurité via un serveur privé (ou virtual private network, VPN) vers un système local d’archivage et de transfert d’images (Carestream Health 11.0, Rochester, NY). Les BS ont été interprétés par un TR dans l’un des deux centres d’interprétation (Bordeaux et Lyon). Les principales conclusions ont été communiquées dans le délai le plus court possible par téléphone au médecin urgentiste, puis les comptes-rendus écrits ont été transmis aux centres de référence par le biais du logiciel ITIS.
Le panel de TR était composé de 57 seniors (c’est-à-dire ayant au moins 5 ans d’expérience en imagerie d’urgence dans un centre de traumatologie de niveau 1 [moyenne : 7 ans]), et 37 juniors (ou internes, c’est-à-dire ayant 3-5 ans d’expérience en imagerie d’urgence dans un centre de niveau 1 [moyenne : 4 ans]). Le nombre de TR par période de garde varie de 2 à 8.
Une deuxième lecture de l’examen a eu lieu 12 à 48 heures après la première et a été évaluée par un autre TR qui n’était pas de garde. Toutes les divergences ont été décrites dans un nouveau rapport qui a été envoyé à l’hôpital requérant et, si elles pouvaient conduire à une prise en charge complémentaire, le médecin urgentiste référant a été appelé.
Les données épidémiologiques d’autres séries de patients pédiatriques concordent avec nos résultats concernant la répartition des types de mécanismes d’accident (les AVP étaient les plus fréquents), les lésions les plus fréquentes (les contusions pulmonaires et les fractures des côtes étaient les deux plus fréquentes) et les étages lésés impliqués (l’os et le thorax étaient les deux plus fréquents) (10,23). Dans notre étude, les lésions osseuses et thoraciques étaient les plus fréquentes dans les AVP motorisés (23 et 19,3 %), les lésions osseuses et vertébrales en cas de chute (23,5 et 17,9%), les lésions cérébrales et osseuses en cas d’accident non motorisé (26 et 21,2%) et le massif facial en cas d’agression (51,5%). Nous avons également constaté que les régions corporelles les plus fréquemment atteintes diffèrent chez les enfants de 0-8 et 8-18 ans (c’est-à-dire respectivement tête et cou versus os). Les lésions cérébrales sont plus fréquentes dès lors que l’âge est plus jeune, d’une part du fait que la région céphalique est un point d’impact préférentiel et d’autre part que les espaces sous-arachnoïdiens élargis expliquent les lésions dues aux secousses et la possibilité de contusions controlatérales (24). Ici, la contusion pulmonaire (165/1982 lésions [8%]) était la lésion la plus représentée ; elle pourrait s’expliquer par la plasticité de la cage thoracique (24).
Par ailleurs, dans notre série l’incidence des lésions manquées (7,6 % par lésion, 8,2% par patient) était comparable à celle de la littérature : par exemple, Banaste et al. ont trouvé 8,8 % de lésions manquées dans une population mixte d’enfants et d’adultes (Banaste et al.), et Giannakopoulos et al. ont trouvé 8,2 % de lésions manquées dans une cohorte de 1124 patients traumatisés de niveau 1 tous âges confondus (25). L’interprétation d’un BS en urgence pendant les périodes de garde contribue à un nombre non négligeable de lésions manquées et encourage une double lecture systématique (17,19).
L’âge < 4 ans semble être un facteur prédictif indépendant des lésions manquées. La proportion plus élevée de lésions manquées dans cette population pourrait s’expliquer par la spécificité de l’imagerie pédiatrique à un très jeune âge : les spécificités pédiatriques et les variations de la normale rendent l’interprétation plus complexe pour le radiologue généraliste. La deuxième lecture par un radiologue pédiatrique pourrait être un point pratique intéressant.
La présence d’au moins deux étages lésionnels impliqués (OR = 2,5, 95%CI = 1,2 – 5, p < 0,001) et un total d’au moins trois lésions (OR = 3,7, 95%CI = 1,9 – 7,6, p < 0,001) ont été associées à davantage de lésions manquées lors de la première lecture. La plupart du temps, il existe une combinaison de facteurs conduisant à des lésions manquées, tels que la fatigue, l’expérience, et des biais cognitifs. Nos résultats mettent en évidence le rôle principal de l’effet de satisfaction de la recherche, lorsque l’attention du radiologue pouvait être retenue par une zone traumatisée ou concentrée sur une lésion, négligeant ainsi d’autres régions corporelles et lésions localisées à distance (26). Une approche impliquant une interprétation systématique, avec un rapport structuré et standardisé, pourrait être utile pour minimiser les biais cognitifs.
Notre étude avait également des limites. Tout d’abord, notre série s’est concentrée sur les BS pédiatriques dans le cadre d’un polytraumatisme, alors que le recours au BS dans cette population est débattu. Bien que de nombreuses études aient recommandé l’utilisation systématique du BS, en particulier pour les enfants gravement blessés (27,28), d’autres ne soutiennent pas son application, car sans différence significative de mortalité (29). Notre dosimétrie moyenne était de 1983,5 ± 1051,1 mGy.cm. L’optimisation de l’exposition aux rayonnements selon le principe ALARA (As Low As Reasonably Achievable) est obligatoire (27,30,31). La disponibilité des équipements et des opérateurs pouvant varier d’un centre hospitalier à l’autre, cela explique que peu de publications européennes aient recueilli des données de tomodensitométrie pédiatrique. La plupart proposent des niveaux de référence diagnostiques nationaux (32). L’American College of Radiology propose des recommandations en fonction de la morphologie des patients (33), mais la nécessité du BS doit toujours être justifiée par le rapport bénéfice/risque individuel. Les auteurs ont examiné l’intérêt d’utiliser d’autres modalités telles que l’association de radiographies standards, d’échographie et/ou de scanner ciblé (34). La faisabilité prenant une part importante dans la stratégie d’imagerie des patients pédiatriques, des inquiétudes ont été soulevées quant aux échographies avec produit de contraste qui pourraient être utilisées dans le cadre de traumatismes mineurs. En outre, dans notre série, nous observons une proportion importante de BS normaux (42 %), ce qui est conforme avec la littérature (13-16). Ainsi, la place du scanner ciblé reste discutée pour les traumatismes isolés à grande vitesse, sauf si le patient est dans un état clinique instable et/ou critique. Des études supplémentaires devraient être menées pour déterminer si une telle approche sélective permet une nette réduction de l’exposition aux rayons X, sans augmenter le nombre de lésions manquées et la réalisation de scanners complémentaires par la suite.
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Table des matières
1. Introduction
2. Matériel et méthodes
2.1. Sélection des patients
2.2. Protocoles d’acquisition
2.3. Interprétation des examens
2.4. Recueil des données
2.5. Analyse statistique
3. Résultats
3.1. Population d’étude et examens
3.2. Répartition des lésions traumatiques
3.3. Lésions manquées
4. Discussion
5. Conclusion
Tableaux et figures
Références
Annexes
Abréviations
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