Le siège social est un dispositif de communication permettant à l’entreprise d’interagir avec son environnement. Par dispositif nous entendons le réseau de productions écrites, orales, visuelles qui permet à la CMA CGM d’imposer sa pensée, son plan, son organisation. Comme nous allons l’aborder, selon l’angle d’étude que nous prenons pour observer le siège social il est à la fois un bâtiment, un lieu de travail, un lieu de pouvoir, mais aussi un lieu de vie, un lieu à vivre, un lieu d’échanges et de rencontres et c’est ce dispositif qui permet à la marque d’organiser ces échanges, de soumettre ces règles de vie mais aussi de normer les pratiques de travail de ses collaborateurs avec des espaces aménagés selon les comportements attendus ; et aux collaborateurs de répondre favorablement à ces attentes. Cette adaptation des comportements qui pourtant ne se base sur aucune forme d’apprentissage du monde du travail ou de vie ne s’arrête pas aux collaborateurs, mais s’applique également à tous les visiteurs du siège social, et encore plus largement à tous les promeneurs passant à proximité du bâtiment. Pourtant cette catégorie d’individus n’est pas confrontée à l’aménagement intérieur, la modification tiendrait alors uniquement du fait que le siège social est un système de signes qui attirent l’attention du promeneur. Mais il n’est pas n’importe quel dispositif, c’est un dispositif de communication permettant à l’entreprise de diffuser l’image de la marque à travers lui. A travers lui, l’entreprise s’adresse à toutes ses cibles et même au-delà (clients, collaborateurs, concurrents, collectivités locales, passants, habitants du quartier, …), tout en les liants dans une relation unique à elle-même, une relation de pouvoir. Cette communauté construite par l’entreprise à travers son siège social est tenue à l’entreprise, orientée par l’ensemble des discours qui y sont transmis, qui y sont mis en circulation. Il est une combinaison qui permet à l’entreprise d’être vue et entendue.
Comme nous l’avons vu en introduction, la CMA CGM ne considère pas son siège social comme une simple adresse et a fait appel à la starchitecte Zaha Hadid pour sa construction. Cette démarche nous rappelle « l’ethos de consommation « ostentatoire » » dont Jean Baudrillard nous parle à propos des objets quotidiens, c’est-à-dire qu’au-delà de son aspect fonctionnel, cet objet du quotidien aurait également un rôle de preuve de la caste à laquelle l’entreprise appartient, une double fonction de l’objet : usage et témoignage. Jean Baudrillard, nous précise également que cette fonction d’usage est « régie par une morale sociale qui veut qu’aujourd’hui l’objet, […] ne soit oisif ». Donc, l’entreprise, après avoir construit son siège social, se sentirait obligée de le faire « travailler ». La marque serait le moyen choisi par la CMA CGM pour fabriquer « l’alibi » du bâtiment. Le siège social de l’entreprise serait donc, par son marquage, un lieu dédié à la marque, son totem, son lieu de culte, au sens qu’il donne la possibilité à la CMA CGM d’entretenir un lien avec ses publics et de le faire croitre.
Cet objet permet à la marque de prendre la parole dans l’espace public via un support à son image, une construction sur-mesure. Mais contrairement à un film, une plaquette ou un site Internet, cette prise de parole se suffit à elle-même, elle est complète puisque sur plusieurs plans. Le siège social ne participe pas à la construction de l’image de la marque, il est l’image de la marque. Il permet à la marque d’apporter une preuve de sa puissance, de son appartenance à la caste des grandes marques de son secteur. Il devient le témoin de la consécration de la marque, de son accession à la classe supérieure. Ainsi la CMA CGM par la construction de son siège social se conformerait aux coutumes liées à son rang de cinquième armateur sur le plan mondial. Mais comme nous venons de le voir, en tant qu’objet, le siège social se doit aussi de travailler, par conséquent la CMA CGM en a fait son propre média, lui a donné une fonction en plus de sa raison fondamentale d’être.
IMAGE DE MARQUE
M. A. Denner, lors d’une conférence aux journées de la motivation tenues à Bruxelles en 1959, définit l’image de marque comme étant : « l’ensemble organisé des attributs implicites ou explicites, mais surtout implicites, qui définissent la personnalité d’un produit ou d’une marque. Et par personnalité d’un produit ou d’une marque, j’entends le mode d’existence de ce produit ou de cette marque dans la subjectivité des gens.» et David Victoroff, dans Préliminaires de l’image de marque, comme étant « l’ensemble d’attitudes, de représentations, de sentiments associés de façon relativement stable dans l’esprit du public à une marque commerciale ». De plus en nous appuyant sur Pierre Savignac nous pouvons dire qu’une image de marque pour être lisible doit être « cohérente, non pas faite de pièces et de morceaux disparates». Mais il ne faut pas chercher ici à rapprocher les signes physiques de la marque de ceux du siège social, mais bien des « signes sociaux ayant leur vie propre relativement indépendante de celle des objets qu’ils connotent ».
A l’occasion de ses quarante ans, la marque CMA CGM a créé un logotype à ses couleurs : bleu et rouge, pour célébrer cet anniversaire. Il est composé des ingrédients commerciaux forts de l’entreprise : sa présence à international avec l’évocation de plusieurs pays, soit par de la typographie, soit par de la photographie, son expertise avec les photographies d’un porte-conteneurs et d’une manœuvre de conteneur. Nous pouvons également y retrouver des éléments corporate symboliques, comme le premier logo de l’entreprise, le logo actuel et une photographie du siège social de la CMA CGM. Nous pouvons donc considérer, qu’au même titre que le logotype, ce bâtiment est un élément qui symbolise la marque.
Image de croissance et de pérennité
Dans le texte « 2011 : La tour CMA CGM à Marseille » et dans son communiqué de presse du 4 avril 2016 rendant hommage à la starchitecte du siège social , tous deux présents sur le site Internet corporate de la CMA CGM, la marque motive la construction de ce bâtiment par l’accompagnement de la croissance de CMA CGM et nous parle du tournant opéré par l’entreprise devenue en 2004 le cinquième armateur mondial, année où Jacques Saadé, Président Fondateur de la CMA CGM, décide de la construction d’un nouvel immeuble à Marseille. La construction de ce bâtiment, qui participe à une image forte de la CMA CGM vis-à-vis de ses publics et des habitants de la ville de Marseille, avait donc pour objectif de devenir le symbole de la nouvelle marque CMA CGM, l’emblème de sa nouvelle puissance économique. Il devait physiquement concrétiser la marque, défendant, représentant ainsi « le prestige, la renommée, la confiance de la marque, autrement dit son image ». Pour Paul Soisson « signification semble bien être le maître-mot lorsqu’on étudie la nature de l’image de marque » et ce bâtiment envoie, encore aujourd’hui, tous les signaux d’un désormais grand groupe avec lequel le marché du transport maritime en conteneurs doit compter. Le siège social n’est de ce fait pour la CMA CGM « qu’un prétexte, qu’un lieu d’investissement des valeurs, un ailleurs qui médiatise le rapport du sujet à lui-même ».
Malgré son implantation : exposé aux intempéries, face à la mer, il défie cet élément hostile, voire dangereux et qui par fort mistral se déchaine, le siège social de la CMA CGM, construit pour résister à des vents de plus de deux cents kilomètres heure, renvoie une image « résistante » par le choix de ses matériaux : le béton, l’acier, le verre, et son architecture : un bâtiment peu élancé, avec une base solide et mille cent soixante-douze poteaux en béton pour le supporter. Telle est la volonté de la CMA CGM, qui nous explique sur son site Internet corporate que son siège social est fait pour durer avec notamment sa construction dans le strict respect des normes de construction anti-tremblement de terre afin d’anticiper de futures régulations. La CMA CGM nous parle également de son attachement à son histoire, en utilisant le mot ancrage qui est immédiatement contredit par les mots dans son époque. C’est cette architecture moderne, c’est-à-dire d’après Michel Ragon, de « fer et verre inscrits dans une forme géométrique stricte, angles transparents par la surpression des poteaux d’angles, murs non porteurs avec des revêtements de façade annonçant les murs rideaux » qui permet à la CMA CGM de rester dans son époque et le choix d’une starchitecte qui en signe le design et qui renforce ainsi cette résistance. Cette fois il s’agit d’une résistance au temps, et non plus aux éléments naturels, qui permet au bâtiment de « jouir du renom de la survie au temps ». Ce bâtiment contribue à l’image résistante avec son architecture cosmopolite signée par une star ce qui lui permettra de passer les époques.
Mais au-delà des éléments naturels, des modes, du temps qui passe, le bâtiment doit aussi pouvoir défier les tempêtes économiques, politiques ou sociales auxquelles la marque pourrait être confrontée et qui pourraient en altérer sa solidité, sa pérennité.
Pierre Savignac nous dit que l’image de produit « est celle qui évoque un produit en général, […]. Ce sont les images génériques. [Les produits] n’impliquent aucune distinction quant à la firme qui les a fabriqués. L’image de produit serait en somme comme le fond flou sur lequel se détacheraient les images de marque ». Cette phrase nous interpelle puisqu’avec ce bâtiment nous ne sommes vraisemblablement pas face à un siège social lambda, il s’agit bien du siège social de la CMA CGM signé par Zaha Hadid. Il nous faut alors comprendre quels sont les ingrédients qui en font son unicité. Mais cette unicité ne suffit pas à construire une image de marque, il faut également que le bâtiment réponde aux critères de « représentations collectives au sens Durkheimien du terme » d’un siège social d’une grande marque.
Image cosmopolite et personnelle
Fait de béton, d’acier et de verre, le siège social de la CMA CGM compte soixante-quatre mille mètres carrés de surface sur trente-trois étages, avec de prestigieux aménagements intérieurs : une salle du conseil grandiose, un auditorium de cent quatre-vingt-dix places, un restaurant d’entreprise de huit-cents places, une crèche inter-entreprises, trois salles de sport, treize ascenseurs, un parking de cinq étages, … le tout décoré d’œuvres d’art. Cette architecture, ces aménagements impressionnants accueillant chaque jour des milliers de personnes, ne sont pas sans nous rappeler les sièges sociaux des grandes entreprises à travers le monde.
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Table des matières
INTRODUCTION
LE SIÈGE SOCIAL, TOTEM DE LA MARQUE
I. IMAGE DE MARQUE
A) IMAGE DE CROISSANCE ET DE PERENNITE
B) IMAGE COSMOPOLITE ET PERSONNELLE
II. PUISSANCE DE MARQUE
A) DISCRIMINANT
B) AUTORITE
III. MEDIA DE MARQUE
A) NOTORIETE DE LA MARQUE
B) FEDERER AUTOUR DE LA MARQUE
IV. SYNTHESE
LE SIÈGE SOCIAL, UNE ŒUVRE D’ART
I. EXPLORATION
A) L’EXTERIEUR : MILLE ET UNE FACETTES
B) L’INTERIEUR : UNE AUTRE TEMPORALITE
II. RAPPORTS A SON ENVIRONNEMENT
A) DANS SON ESPACE
B) LA SKYLINE POUR TERRITOIRE
III. OBJET UNIQUE
A) LA SIGNATURE D’UNE ARTISTE
B) L’AURA
IV. SYNTHESE
LE SIEGE SOCIAL, URBANISME AU SENS POLITIQUE DU TERME
I. UNE PRÉSENCE ARCHITECTURALE ET COMMUNICATIONNELLE
A) UN COLOSSE POUR GARDER LA VILLE
B) LE MEDIATEUR DE LA VILLE
II. TERRITOIRE
A) PATRIMONIALISATION
B) MIXITE
III. UN JEU DE POUVOIR
A) EMPRISE VIA LA DEMONSTRATION
B) EMPRISE VIA LA POLITIQUE ECONOMIQUE : EUROMEDITERRANEE
IV. SYNTHESE
CONCLUSIONS
BIBLIOGRAPHIE
A) PHILOSOPHIE & SIC
B) ARTICLES
C) ARCHITECTURE
ANNEXES