Identité et revendication face à la bio-politique

L’identité au cœur du bio-pouvoir

    Avant de s’intéresser au problème spécifique de l’identité au sein de la biopolitique et par extension dans la sphère du bio-pouvoir, il est nécessaire de préciser les modalités d’exercice du bio-pouvoir. Pour cela, une lecture du chapitre V de La volonté de savoir intitulé « Droit de mort et pouvoir sur la vie » croisée avec le cours du 17 mars 1976 de « Il faut défendre la société » s’avère éclairante. Pour éviter le bien connu, nous allons rapidement préciser quelques généralités. Généalogiquement le pouvoir souverain, modèle de pouvoir dans la société médiévale occidentale, se trouverait pour origine dans la patria potestas romaine, qui donnait au pater familias le droit de vie et de mort sur ses enfants et esclaves. Un pouvoir paternel violent se caractérisant précisément par le droit de faire mourir ou de laisser vivre, le monarque dans la société médiévale dispose de ce même pouvoir sur ses sujets. Néanmoins, Foucault constate que vers le XVIIe et XVIIIe siècle ce pouvoir évolue « On pourrait dire qu’au vieux droit de faire mourir ou de laisser vivre s’est substitué un pouvoir de faire vivre ou de rejeter dans la mort ». C’est donc un renversement de l’ordre du pouvoir, le pouvoir souverain se présentant comme une puissance négatrice, ce nouveau pouvoir se présente sous un versant positif qui est celui de la vie. Deux techniques de pouvoir expliquent ce changement de forme de pouvoir. Tout d’abord, le XVIIe et XVIIIe siècle assistent au développement des disciplines : dressage des corps, extorsion et optimisation des forces humaines, docilisation des corps, mis en place de système de contrôle et d’évaluation, tout ceci se rattache à une « anatomo-politique du corps humain ». De plus, le milieu du XVIIIe siècle voit l’émergence d’une nouvelle technique de pouvoir, s’intéressant à l’homme comme être vivant et non plus simplement comme machine. Celle-ci s’adresse à l’homme comme une masse « globale, affectée de processus d’ensemble qui sont propres à la vie, et qui sont des processus comme la naissance, la mort, la production, la maladie, etc » ; c’est la naissance d’une « bio-politique de la population ». Développement de la mesure statistique, politique de natalité, développement de l’hygiène et médicalisation, mécanismes assurantiels et prise en compte des relations entre la population et son milieu constituent les champs principaux de la bio-politique. Cette nouvelle technique de pouvoir, à travers différents mécanismes, va « prendre en compte la vie, les processus biologiques de l’hommeespèce, et assurer sur eux non pas une discipline, mais une régularisation. ». La puissance d’un État se définira maintenant par sa population, engageant donc l’État à intervenir et à réguler celle-ci à travers divers appareils, dont la police ; en Allemagne, ce sera le développement d’une médecine sociale la Medizinischepolizei et plus généralement d’une science des politiques publiques avec la Polizeiwissenschaft « c’est-à-dire la théorie et c’est le moment où naît un art du corps humain, qui ne vise pas seulement la croissance de ses habiletés, ni non plus l’alourdissement de sa sujétion, mais la formation d’un rapport qui dans le même mécanisme le rend d’autant plus obéissant qu’il est plus utile, et inversement ». Les disciplines permettent une rationalisation du corps humain devenu malléable, le corps devient une machine dont les disciplines permettent le réglage en détail de cette nouvelle machine. Nous pouvons directement voir le lien entre les disciplines et le développement du taylorisme fin XIXe siècle : Le corps humain devenu machine au service des machines de production. Charlie Chaplin dans Les Temps Modernes (1936) est l’exemple même du corps indiscipliné, ne pouvant suivre la cadence, ne respectant pas les règles de l’usine, etc. Karel Reisz dans Saturday Night and Sunday Morning (1960) représente à travers le jeune Arthur le modèle parfait de l’ouvrier discipliné au sein de son travail à la chaîne même si Arthur est empreint d’une liberté vacillant dans la violence gratuite. La troisième partie de Surveiller et Punir et l’analyse de tout « ce qui tend à affirmer et à augmenter la puissance de l’État, à faire bon emploi de ses forces, à procurer le bonheur de ses sujets » et principalement « le maintien de l’ordre et de la discipline, les règlements qui tendent à leur rendre la vie commode et à leur procurer les choses dont ils [les sujets] ont besoin pour subsister » ». L’anatomo-politique du corps humain, c’est-à-dire les disciplines, comme microphysique du pouvoir individuant l’homme, le rendant docile, malléable, utile, ainsi que la bio-politique de la population comme macropolitique ne s’intéressant pas à l’individu, mais régularisant cette masse de corps docile qui n’est autre que la population, permettent l’administration des corps et la gestion de la vie : c’est le bio-pouvoir.

Résistance face à la bio-politique et subjectivation

   Si la libération totale en dehors du pouvoir est impossible chez Foucault, les relations de pouvoir laissent place à des pratiques de liberté et donc à des résistances. En effet, « il n’y a pas de relation de pouvoir sans résistance, sans échappatoire ou fuite, sans retournement éventuel ; toute relation de pouvoir implique donc, au moins de façon virtuelle, une stratégie de lutte ». Des stratégies de luttes s’affrontent en permanence contre les rapports de pouvoir, tentant de prendre l’avantage et devenir stratégie gagnante. Dans le cadre du biopouvoir et notamment de la bio-politique, nous pouvons observer des stratégies refusant une gestion généralisée de la vie par les institutions étatiques et surtout par le droit. Le droit se présentant comme application juridique du bio-pouvoir, élément le justifiant et l’appliquant. Nous pourrions alors dégager trois grands types de stratégies. Tout d’abord, la plus radicale consisterait en un dégagement hors du champ bio-politique et du bio-pouvoir. Le problème étant qu’il n’existe pas de dehors du pouvoir chez Foucault, car le pouvoir se compose de relations multiples s’échangeant entre partenaires. Effectivement, nous en tant que sujet sommes produits par le pouvoir et traversés par celui-ci, un dehors du pouvoir c’est-à-dire un espace sans pouvoir est inconcevable. De plus, le dégagement ne serait pas une lutte contre les relations de pouvoir, mais plutôt une fuite. La fuite absolue résiderait dans la mort du sujet. La mort est la limite du bio-pouvoir, le moment dans lequel la vie de l’individu lui échappe. Mais nous imaginons peu le suicide de l’humanité comme réponse idéale. En effet, la mort se présente comme une fuite quand la vie se présente comme une résistance. C’est à l’homme singulier de promouvoir sa vie comme contre-pouvoir. La résistance à la bio-politique ne peut se faire qu’uniquement dans les marges des possibilités laissées par le bio-pouvoir et donc au sein de la vie. Une deuxième forme de stratégie résiderait dans l’auto-exclusion du sujet. Le sujet dans son entreprise de désassujettissement du bio-politique et du bio-pouvoir s’exclurait de la vie afin d’échapper à cette gestion du vivant. Mais cette auto-exclusion serait synonyme d’effondrement du sujet, devenant une sorte d’entité fantasmagorique entre mort et vie puisque le sujet n’existe qu’uniquement dans les relations de pouvoir. S’auto exclure de cette bio-politique serait se déclarer non vivant ou à minima comme ne faisant pas partie de cette vie captée par la bio-politique. Mais il est possible d’observer dans certains cas une exclusion non voulue de la part du sujet. C’est le cas avec deux exemples différents, mais frappants, tout d’abord la figure du « musulman » utilisée par Agamben dans Auschwitz, l’archive et le témoin. Dans les camps d’extermination durant la Seconde Guerre Mondiale, une minorité de prisonniers était considérée comme des « musulmans » c’est-à-dire des prisonniers écrasés par le poids de l’atrocité des camps au point de sombrer dans un état végétatif à la limite du vivant. Les autres prisonniers et le SS refusaient pour certains de les considérer comme vivants, voire humains, la figure du « musulman » marque la limite entre le vivant et le nonvivant. Mais dans le cas du « musulman » celui-ci se trouvait dans un état d’exception qui est celui du camp de concentration/extermination, un état d’exception où même la politique de gestion des prisonniers mise en place peut gérer l’humain sombrant de le non-humain. Un deuxième exemple, peut-être celui de la cryptobiose. Un être vivant humain pourrait ne pas posséder les comportements, habitudes légitimes et adaptées à son environnement, au monde qui l’entoure. Sans ces acquis, cet être humain ne pourrait domestiquer son monde. Or, si cet individu ne peut se mettre en relation avec le monde qui l’entoure, cet individuévitera l’exposition à ce monde en réduisant au minimum l’ouverture à celui-ci. Semyon Tanguy-André parle alors de cryptobiose dans la mesure où cette vie cachée, couverte (du préfixe crypto venant du grec kruptos) « essaie le plus possible de se transformer en ce qu’elle n’est pas (une totale indifférence au milieu est synonyme de mort), tout en se conservant comme possibilité d’être ». En effet, cette vie tente de s’adapter, de se perpétuer dans ce monde inhospitalier tout en restreignant l’ouverture à ce monde. Pour Semyon Tanguy-André,cet état de cryptobiose est une forme d’état de vie suspendue nécessitant une intervention afin de retisser une relation de domestication du monde avec l’individu. Cette vie suspendue ne trouve nulle part où attester de son existence malgré le fait que cette vie humaine existe. La stratégie d’auto-exclusion ou d’exclusion non volontaire serait tout d’abord difficilement applicable puisque le bio-pouvoir tend toujours plus à repousser la notion de vie afin d’étendre son emprise. La cryptobiose n’échappe pas à la gestion bio-politique même si cette vie tend à se cacher. Cet individu limitant son rapport au monde est identifié, assigné identitairement, individualisé. Les mécanismes de savoir-pouvoir sur lesquels repose le biopouvoir se nourrissent mutuellement et progressent dans la gestion du vivant. Le droit se base sur la médecine afin de délimiter son champ l’application dans la sphère du vivant. Si la médecine élargit sa définition du vivant, le droit devra s’accaparer de ces nouvelles formes de vie. Cette stratégie devra définir le seuil entre vie et mort et proposer, paradoxalement, une forme de vie spécifique à celui-ci. Nous imaginons alors la difficulté inhérente à l’exclusion et à l’auto-exclusion. De plus, même là où les frontières entre vie et mort semblent poreuses, l’individu se retrouve assujetti, car toujours considéré comme faisant partie de la sphère du vivant. Une solution à cette auto-exclusion, quoiqu’absurde, est illustrée par le genre littéraire de la robinsonnade. L’individu oublié par l’humanité est considéré comme mort ou disparu. Il ne se retrouve plus assujetti à un État et jouit d’une liberté totale, mais très restreinte. La robinsonnade décrit toujours un homme (rarement une femme) isolé contre son plein gré et survivant sur une île hostile – le cas typique est évidemment celui du livre de Daniel Defoe. La notion de survie vient fragiliser cette vie quasiment libre dans la mesure où cette liberté sera justement restreinte par la survie. La notion de survie n’est pas intrinsèquement négative, ni infrapolitique, car qu’est-ce que la survie ? si ce n’est le fait de rester en vie dans un environnement mortifère ? ou tout simplement de maintenir ses fonctions vitales ? Le problème est que la survie dénote une lutte constante de l’organisme dans le but de se maintenir en vie, une lutte qui réduit la possibilité de liberté qu’offre la vie. En ce sens, la survie par la restriction de liberté qu’elle inflige à l’individu peut être perçue comme négative ; dans le cas de la robinsonnade, la survie est perçue négativement.

Deleuze : une émancipation asubjective mais une résistance aporétique

   Le lien entre Deleuze et Foucault n’est pas à démontrer et passer de Foucault à Deleuze dans le cadre de ce mémoire semble logique tant Deleuze va s’efforcer entre 1984 et 1995 de reprendre Foucault. Si l’œuvre de Deleuze est totalement différente de celle de Foucault, les questions d’identité et de singularités sont bien présentes. Un exemple frappant réside dans la notion de « mode de vie » chez Foucault qui devient « style de vie » chez Deleuze, la coïncidence semble peu probable et leurs philosophies se nourrissent mutuellement. En quoi la reprise deleuzienne de Foucault permet-elle d’approfondir notre problématique de recherche à savoir se concentrer sur le problème de l’identité et de la singularité au sein du système bio-politique ? Est-il toujours possible de penser ces deux notions dans le système que propose Deleuze ? Face à l’aporie de Foucault, les lignes de fuite que l’homme au sein d’un dispositif peut tracer ne pourraient-elles pas permettre une resingularisation de l’homme ou à défaut, une mise en valeur de sa différence face à l’identique (l’opposition entre l’homme singulier et l’individu est ici mise en évidence) ? Malgré le fait que ces lignes de fuite se veulent comme des confrontations moins radicales face au système et à la politique, en quoi nous permettent-elles de penser une mise en avant des singularités et de l’identité de l’homme ? La philosophie deleuzienne (ou deleuzo-guattarienne) est-elle assez radicale pour présenter une réponse à notre recherche ? Dans un premier temps, nous nous intéresserons à la reprise par Deleuze de la subjectivation foucaldienne et sa spécificité. De même, nous confronterons la pensée de l’émancipation chez Deleuze avec la résistance chez Foucault. Dans un second temps, nous nous focaliserons sur l’aporie de la résistance et notamment de son lien avec la question identitaire et des singularités à partir de quelques éléments de la philosophie deleuzo-guattarienne.

Devenir-mineur et machine de guerre

   Face à l’État et aux différents dispositifs qui le composent, Deleuze et Guattari proposent la subjectivation comme ligne de fuite s’émancipant du visible et de l’énonçable (le savoir) et permettant de retourner le pouvoir sur soi-même. L’État et les différents dispositifs fuient, permettant à l’individu de créer sa propre ligne de fuite par expérimentation, l’expérimentation-vie. Or, il ne s’agit pas de se laisser porter à grande vitesse vers un devenir, mais de gérer les différentes lignes, rapports, rythmes qui composent notre plan d’immanence. Tous les devenirs sont moléculaires c’est-à-dire imperceptibles mais bien réels. Mais qu’est-ce que devenir ? « Devenir, c’est, à partir des formes qu’on a, du sujet qu’on est, des organes qu’on possède ou des fonctions qu’on remplit, extraire des particules, entre lesquelles on instaure des rapports de mouvement et de repos, de vitesse et de lenteur, les plus proches de ce qu’on est en train de devenir, et par lesquels on devient. ». Pour rappel,l’heccéité comme individuation non personnelle est organisée sur un plan d’immanence composé de multiplicités ou particules. L’individu est déterminé par une longitude et une latitude, mais ces (voire ses) longitude et latitude sont mouvantes et peuvent donc passer d’un individu à un autre puisque « chaque individu est un collectif, chaque individu est une meute ». Si la longitude correspond à l’ensemble des mouvements et des repos, des vitesses et des lenteurs des particules, la latitude correspond aux « affects qui remplissent le degré de puissance ou le pouvoir d’être affecté des individus précédemment déterminés en fonction de leur longitude ». Or, nous l’avons vu précédemment la recherche éthique propre à la ligne de fuite se comprend chez Deleuze comme une recherche éthique spinoziste c’està-dire que cette expérimentation cherche à l’accroissement des puissances d’agir et de pâtir. Le devenir deleuzien consiste à extraire les particules qui composent notre heccéité afin qu’elles soient les plus proches de notre devenir actuel, nous pourrions voir ceci comme une synchronisation des particules d’une individuation non personnelle sur celle d’une autre individuation. Par conséquent, chaque individuation non personnelle est unique par son heccéité (c’est-à-dire la longitude et la latitude et ceci que ce soit un homme, un cheval ou un vent), mais en même temps interchangeable suivant les devenirs vers lesquels on se dirige. Le problème qui se dégage des devenirs est comment mesurer cette synchronisation des particules de l’heccéité pour suivre ce devenir. Deleuze et Guattari mettent en avant qu’on devient ce devenir, mais comment le savons-nous ? Par prise de conscience subjective ? Pourrions-nous mesurer la composition des vitesses et des particules d’une heccéité et gérer justement ces vitesses dans l’engagement vers le devenir ? Cette mesure permettrait à l’heccéité de s’engager vers un devenir d’une façon certaine, mais cela reviendrait paradoxalement à un avenir. Ces questions problématiques ne semblent pas répondues par Deleuze et Guattari. Dans l’exemple du devenir animal, Deleuze indique « Qu’est-ce que ça veut dire : devenir animal ? Ça ne veut pas dire imiter, encore qu’il faille imiter parce qu’il faut bien s’appuyer sur quelque chose. Devenir cheval ? Devenir chien ? Qu’est-ce que ça veut dire pour Kafka : devenir coléoptère ? Ce n’est pas au moment où on imite que ça marche. Est-ce que je peux, dans une certaine latitude et une certaine longitude d’un corps, donner à mes parties composantes un rapport de mouvement et de repos, de vitesse et de lenteur, qui corresponde à celui du cheval, et par voie de conséquence est-ce que les affects qui, alors viennent me remplir, sont ou non, des affects cheval ? », mais comment l’heccéité en devenir autre sait qu’elle devient ? Le devenir n’implique aucun arrêt à l’inverse de l’avenir, serait-ce alors un devenir infini tout au long de la vie de cette heccéité ? Dans le cas du devenir cheval, nous avons l’impression que Deleuze met en avant un ressenti de correspondance aux particules et affects cheval même s’il nie toute part de subjectivité là-dedans. En fait, nous pourrions comprendre ceci comme fusion d’heccéité par le devenir. Quelques lignes plus loin, il met en avant le cas du capitaine Achab dans Moby Dick d’Hermann Melville « Que son corps prenne une longitude et une latitude nouvelle, le capitaine Akab [Achab quelques fautes se sont immiscées dans cette retranscription de cours], et il se trouve qu’il meurt, lui aussi : son plan de consistance, son plan océanique, il meurt là-dessus » ; le plan de consistance/immanence du capitaine Achab fusionne avec le plan océanique pour devenir son plan océanique au travers de sa mort par Moby Dick. La solution proposée par Deleuze et Guattari est que les particules, composant l’heccéité, dans le devenir « prennent tels rapports de mouvement et de repos parce qu’elles entrent dans telle zone de voisinage ; ou, qui entrent dans cette zone parce qu’elles prennent ces rapports. Une heccéité n’est pas séparable du brouillard ou de la brume qui dépendent d’une zone moléculaire, d’un espace corpusculaire ». Par conséquent, la brume entourant l’heccéité ne nous permet pas de savoir vers quel devenir (devenir-animal, devenir-enfant, devenir-femme ?) nous nous engageons malgré le fait que nous devenons. La solution semble venir des affects et donc de la longitude. Le pouvoir d’être affecté nous engage vers tel devenir inconnu. François Zourabichvili présente le devenir de cette façon « On n’abandonne pas ce qu’on est pour devenir autre chose (imitation, identification), mais une autre façon de vivre et de sentir hante ou s’enveloppe dans la nôtre et la « fait fuir ». ». Nous revenons donc à une sensation subjective du devenir. Si l’individu est constitué de multiples devenirs qui l’habitent, c’est aussi le cas pour toute autre heccéités telle que la musique et la littérature. Ces devenirs tendent toujours vers des devenirs-mineurs ou minoritaires. Par exemple, écrire c’est tracer des lignes de fuite rejoignant des devenirs-mineurs ; « il y a un devenir-femme dans l’écriture ». L’écriture rencontre toujours une minorité qui n’écrit pas, mais qui l’entraîne dans sa ligne de fuite (devenir-animal, devenir-femme par exemple). Ces minorités se constituent sur des lignes de fuite. Face à cette minorité se trouve la majorité comprise comme un mètre-étalon par exemple un homme-blanc-adulte-européen. Cette majorité est l’opération d’un pouvoir qui code et hiérarchise, elle suppose un état de domination. Or chaque individu va dévier de ce mètre-étalon par ces devenirs moléculaires, devenirs-mineurs. La majorité « est travaillée par une minorité proliférante et non dénombrable qui risque de détruire la majorité dans son concept même ». Ces devenirs-mineurs sont des multiplicités de fuites ou de flux qui ne peuvent être définitivement inventoriées ou recensées.

Bio-politique et «vie»

   Reprendre totalement les différences que présente la conception du bio-pouvoir et de la bio-politique entre Foucault et Agamben ne semble pas pertinent. Néanmoins, nous devons mettre en avant quelques points essentiels afin de développer l’argumentaire qui va suivre. Tout d’abord, là où dans l’introduction nous parlions de bios afin de désigner la vie ou l’existence, Giorgio Agamben est beaucoup plus précis. En effet, il distingue le bios qui « signifiait la forme ou la manière de vivre propre à un individu ou à un groupe » de la zôè « qui exprimait le simple fait de vivre commun à tous les vivants (animaux, hommes ou dieux) ». Parmi ces diverses manières ou formes de vivre, Agamben se focalise surtout sur le bios politikos, la vie politique que nous retrouvons chez Aristote. Aujourd’hui, le mot « vie » ne laisse plus de place à ces deux conceptions issues du grec ancien. C’est dans ce flou linguistique qu’Agamben met en avant la possibilité que le mot « vie » désigne « dans sa nudité le présupposé commun qu’il est toujours possible d’isoler dans chacune des innombrables formes de vie.», ce présupposé commun serait la vie nue. Une vie coupée de sa forme de vie. C’est à partir de cette vie nue que se constitue l’acte de la souveraineté, Mathieu Potte-Bonneville donne une définition à la fois simple et éclairante de la bio-politique chez Agamben « chez Giorgio Agamben, [c’est] le geste par lequel la souveraineté se constitue en dépouillant les hommes de la manière dont ils donnent forme à leur existence pour les ramener à leur substrat biologique, la réduction de l’humanité à la « vie nue » se confondant avec l’histoire même du politique en Occident. ». La question qui nous vient à l’esprit est : qu’est-ce que donner forme à son existence ? Nous l’avons vu précédemment, Agamben se focalise sur le bios politikos, mais aussi fait référence au bios théoritikos (la vie contemplative) et au bios apolaustikos (vie qui a pour objet le plaisir), ce sont les formes de vie que nous retrouvons dans l’Éthique à Nicomaque. Mais il est fort probable que divers autres bios que ceux mis en avant par Aristote soient possibles, Agamben parle bien d’« innombrables formes de vie ». Dans cette définition, il faut aussi mettre en avant le terme de « manière » qui est un élément essentiel pour la notion de forme de vie puis de forme-de-vie comme nous le verrons plus tard. La manière correspond selon Agamben à une « manière de sourdre », de naître, de surgir dans l’acte même. C’est en cela qu’il peut parler d’une manière jaillissante « un être qui est son mode d’être […] continuellement engendré par sa propre manière.179 », une forme de vie continuellement engendrée par sa propre manière. Nous pouvons imaginer des formes de vie telles que celles passant par un processus de subjectivation, le souci de soi et des pratiques de liberté (par exemple, c’est le cas avec la singularisation éthico-esthétique dans L’usage de plaisirs). Ce pouvoir souverain dépouille l’homme de son bios politikos compris comme forme de vie politique pour le ramener à une vie nue. Cette vie nue trouve son illustration dans la figure de l’homo sacer. L’homme sacré, personnage du droit romain archaïque, qui ne peut pas être sacrifié, mais uniquement tué

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Table des matières

Introduction
I. Michel Foucault et l’impossible sortie de la bio-politique
A. Bio-pouvoir et libération
1. L’identité au cœur du bio-pouvoir
2. La libération et les pratiques de liberté
B. La création de subjectivité : une résistance temporaire créatrice d’identité 
1. Résistance face à la bio-politique et subjectivation
2. Une entreprise de création d’identité
II. Deleuze : une émancipation asubjective mais une résistance aporétique
A. Subjectivation et émancipation : une reprise de Foucault par Deleuze 
1. La subjectivation deleuzienne
2. Émancipation et résistance
B. Une résistance aporétique
1. Devenir-mineur et machine de guerre
2. Subjectivité, identité, singularité : une résistance ?
III. Agamben : la non-revendication identitaire
A. La bio-politique chez Agamben
1. Bio-politique et « vie »
2. Forme-de-vie et identité
B. La forme-de-vie de la singularité quelconque
1. L’être qui vient
2. La non-revendication identitaire comme résistance ultime ?
Conclusion
Bibliographie et webographie

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