Identité en sciences humaines

Identité en sciences humaines

Constructions identitaires et changements sociétaux

Mucchielli (2015) explique que les individus sont influencés par les contextes dans lesquels ils se situent. Par différentes interactions, ces contextes de références changent continuellement ; c’est pourquoi l’identité de chacun est en constante évolution. « Soumis à des déterminations multiples, les processus de construction identitaire ont varié considérablement selon les sociétés et les contextes historiques. » (Gaulejac, 2002, p.177) À l’exemple de Gaulejac, Christian Verrier (2003), chercheur, met en lumière que notre société évolue et se modifie, sans doute davantage que les sociétés du passé. Les principes intégrateurs d’autrefois ont disparu, de même que le type de récit de soi qui les accompagnait. Les systèmes de l’école, de la famille, de l’entreprise, du monde du travail, des partis politiques, des églises rassemblaient les individus et engendraient les récits qu’ils faisaient d’eux-mêmes. Selon Fromm (1942, cité par Gaulejac, 2002), chaque personne se trouvait désignée à une place dans un monde social, compris comme un ordre naturel qui définissait l’existence de chacun. Ces systèmes, qui définissaient les individus, ont perdu leur influence ; ils ont été contournés sans être véritablement remplacés.

Une individualisation s’est établie confrontant chacun à lui-même. (Verrier, 2003) Désormais, l’individu doit lui-même construire sa cohérence dans un monde rempli de contradictions. Il doit donner un sens à son existence. (Gaulejac, 2002) Dans la société industrielle, l’organisation sociale se structurait autour d’une reproduction des classes sociales. Ce modèle a fonctionné pendant un certain temps jusqu’à ce qu’il soit remis en question. L’éclatement des classes sociales et les mutations du monde du travail ont transformé la société. À la lutte des classes succède la lutte des places. L’individu a la contrainte de se démener pour avoir une existence sociale. Les jeunes sont confrontés à une contraction entre l’idéologie de la réalisation de soi et une société en manque d’emplois. La réussite sociale s’accomplissant à travers la carrière professionnelle, les jeunes sont alors dans l’incapacité de réaliser cette ambition d’autonomie. Sans cesse, ils sont confrontés à des situations paradoxales. Ils sont soumis à différentes recommandations afin de s’assurer une vie autonome et réussie. Cependant, même s’ils les respectent, il n’y a pas de place pour eux.

En conséquence, ils doivent affronter une pression grandissante et une dégradation de leurs conditions de travail. (Gaulejac, 2003) La sociologue française, Jacqueline Palmade (1990, cité par Gossart, 2003), met en évidence un aspect important de l’évolution de la société. L’évolution des sociétés traditionnelles en sociétés modernes ainsi que les transformations économiques et sociales qui en résultent, entrainent l’apparition de l’individualisme, à savoir la place centrale occupée par le sujet individuel en tant qu’acteur économique et social. Selon elle, de cet individualisme résulte une perte de repères essentiels à la constitution du lien social, un sentiment d’anxiété existentielle et une diminution de la cohérence identitaire.

Afin de se créer une identité et une image de lui-même, l’individu doit désormais employer l’autoréférence. Régine Gossart (2003), psychothérapeute, s’interroge sur la nouvelle place des individus dans une société moderne complètement transformée. L’individu est peu à peu réduit à l’état d’objet ; il se voit livré à sa seule individualité. Il est souvent insécurisé et dérouté par des repères flous. Avec interdiction implicite d’exprimer son ressenti, de le partager avec d’autres, chaque personne est renvoyée à son champ de bataille interne. Cependant, le risque de ne trouver ni lieu, ni temps, ni représentation, ni élaboration de ce conflit est omniprésent. Selon Gossart (2003, p.136), « […] pouvoir tolérer le manque, la frustration, l’angoisse, prendre le temps de les ressentir, de les digérer et de leur trouver des réponses ou des substituts symboliques implique qu’on se trouve dans un contexte suffisamment sécurisant, tant au niveau interne qu’externe, et que ce contexte supporte, à son tour, ces zones et ces temps d’indécision. »

Toutefois, l’environnement social n’offre plus cet espace de sécurité, d’étayage et de temps de transition. Au contraire, il accentue la pression sur l’individu qui se voit obligé d’imposer le silence à ses incertitudes et à sa vulnérabilité et de fermer toutes les failles. Les personnes vivant ce genre d’expériences ont tendance à chercher un substitut dans la possession d’objets. Ces attitudes se traduisent par une réponse immédiate afin de combler le manque, avec comme risque que ce « manque-creuset créateur » (Gossart, 2003, p.137) se transforme en « gouffre béant à oblitérer coûte que coûte » (Gossart, 2003, p.137). À la place d’un mécanisme d’élaboration créateur, un balancement entre recherche de l’excitation et décharge de la tension apparaît.

L’individu devient un être humain insatisfait, en quête constante d’autre chose. Les personnes tentent de répondre au(x) manque(s) par le biais de la nourriture, des médicaments, de la consommation d’objets matériels et d’autres substituts. Néanmoins, ces réponses sont plutôt des manières de nier le manque et non pas un processus pour dépasser la perte, comme le serait la symbolisation. Le sentiment de frustration se trouve momentanément éloigné mais il revient constamment. Au lieu de voir ses besoins se déployer en quête de satisfaction acceptable, l’individu se retrouve perpétuellement insatisfait. (Gossart, 2003) Régine Gossart (2003) considère la période de l’adolescence comme la plus touchée par ces modes de fonctionnement. D’une part, les adolescents sont davantage vulnérables en raison des menaces de débordements pubertaires. D’autre part, ils se retrouvent immergés dans le système de consommation et de recours à l’objet concret. Sans espaces sociétaux d’élaboration, ils sont plus facilement tentés par le passage à l’acte afin de se libérer d’une pulsionnalité débordante.

Concept de soi Le concept de soi se définit comme l’étude sur la manière dont le sujet décrit sa propre identité. Au fil de la recherche théorique, j’ai réalisé que le concept de soi permettait de se centrer sur ce que la personne raconte de son identité. En amont, j’expliquais que la construction identitaire évolue en fonction des changements sociétaux. De nouvelles formes identitaires émergentes, réflexives et narratives sont apparues. L’identité narrative avantage l’existence subjective, le changement personnel et l’autonomie. (Dubar, 2000, cité par Gaulejac, 2001) Dorénavant, l’individu doit prendre appui sur luimême ; il devient un être réflexif qui doit découvrir le sens de son existence. (Gaulejac, 2008) Il doit construire sa propre identité. Les paragraphes suivants se basent essentiellement sur les travaux de René L’Ecuyer (1990, 1997), docteur en psychologie et professeur au Département de psychologie de l’Université de Sherbrooke. En 1965, il fonde le Laboratoire de recherche sur le concept de soi dans le but d’étudier le développement des perceptions de soi de l’enfance à la vieillesse.

L’un de ses ouvrages (L’Ecuyer, 1997) constitue l’étude détaillée des résultats obtenus sur le développement du concept de soi durant trente ans de recherche. Un autre volume (L’Ecuyer, 1990) a comme dessein d’expliquer la manière de réaliser une analyse de contenu et d’appliquer la méthode d’exploration du concept de soi : la méthode Genèse des Perceptions de Soi (GPS). À travers ce chapitre, la définition du concept de soi est approfondie en considérant les différentes notions qui spécifient son sens. Le développement du concept de soi est présenté en distinguant ses stades et en développant davantage les caractéristiques de la tranche d’âge qui concerne cette recherche. Finalement, une description de la classification de ses dimensions est réalisée, à savoir ses référents identitaires séparés en structures, sous-structures et catégories. Dans le cadre de cette recherche, les dimensions du concept de soi permettront d’organiser et structurer les propos des participants durant les ateliers. Je m’appuierai sur cette classification lors de l’élaboration de l’analyse. Les différents stades du concept de soi m’apportent des indications sur ce qui influence le développement de l’identité. De plus, ils permettent de comprendre les transformations physiques et psychiques que traversent les participants.

La différenciation du soi (entre 10-12 ans et 15-16 ans)

Les adolescents réalisent un travail complexe de différenciation des perceptions et des impressions qu’ils possèdent à leur sujet. Ils sont amenés à choisir le niveau d’importance de leurs propres perceptions. Par conséquent, ils doivent en discriminer certaines, les nuancer, établir des liens, les comparer, tenter de les expliquer, etc. Leur objectif est de différencier l’ensemble de leur concept de soi afin de développer et comprendre sa structure. À titre d’exemple, l’addition de nouvelles dimensions implique un effort supplémentaire de discrimination à l’âge de 12 ans. Le concept de soi a tendance à se réorganiser autour de seulement trois structures prioritaires : le Soi Personnel (aspects internes ou psychiques énoncées par la personne), le Soi Adaptatif (actes posés par la personne d’après ses propres perceptions) et le Soi Social (lorsque la personne entre en interaction avec autrui et s’ouvre aux autres). (L’Ecuyer, 1997) Les participants à l’atelier de création se trouve justement dans le stade de différenciation du soi. Cette étape nécessite une réorganisation des perceptions de soi. L’individu est amené à les discriminer, les nuancer, les relier, les comparer, les expliquer, etc. En d’autres termes, il doit mettre du sens sur sa manière de se définir. Ces informations confortent l’organisation d’ateliers de création basé sur le récit de vie. Poser indirectement la question « Qui es-tu ? » conduit la personne à choisir quelles perceptions mettre en avant, à s’interroger sur ces dernières et les expliquer.

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Table des matières

Remerciements
Notes
Résumé
Mots clés
Tables des Matières
Table des illustrations
Liste des abréviations
1. Présentation de la recherche
1.1 Motivations
1.2 Problématique et question de recherche
1.3 Objectifs
1.3.1 Objectifs principaux
1.3.2 Objectifs théoriques
1.3.3 Objectifs de terrain
2. Cadre théorique
2.1 Concept d’identité
2.1.1 Identité en sciences humaines
2.2 Concept de soi
2.2.1 Définitions du concept de soi
2.2.2 Notions du concept de soi
2.2.3 Stades du développement du concept de soi
2.2.4 Dimensions du concept de soi
2.3 Concept de créativité
2.3.1 Créativité comme expression de soi
2.3.2 Créativité comme recherche de soi et découverte de l’autre
2.3.3 Créativité comme aptitude à renouveler le sens
2.3.4 Créativité comme construction d’une identité de Sujet
2.3.5 Créativité à l’adolescence
3. Cadre méthodologique
3.1 Méthode du récit de vie
3.1.1 Individu hypermoderne
3.1.2 Un peu d’histoire
3.1.3 Description de la méthode
3.1.4 Identité narrative
3.1.5 Individualisme et lien social
3.1.6 Expérience subjective, individuelle et sociale
3.2 Méthodologie de l’analyse de contenu
3.2.1 Définitions
3.2.2 Modèle général des étapes
3.3 Animation de groupe
3.3.1 Conditions afin d’assurer la sécurité globale au sein du groupe
3.3.2 Trois étapes essentielles pour préparer une animation
3.3.3 Rôle de l’animateur
3.3.4 Organisation des ateliers
3.4 Photo-langage
4. Contexte de la recherche
4.1.1 Accueil socio-éducatif de jour : La Villa Saint Martin
4.1.2 Mission
4.1.3 Prestations
4.1.4 Mandants et les partenaires
4.1.5 Contexte éducatif
4.1.6 Population accueillie
5. Présentation de l’atelier d’histoire de vie
5.1 Présentation au directeur de la Fondation
5.2 Présentation aux futurs participants
6. Déroulement des ateliers
6.1 Atelier n° 1
6.2 Atelier n° 2
6.3 Atelier n° 3
6.4 Moments de création artistique
7. Analyse
7.1 Dynamique de groupe
7.1.2 Expérience de groupe
7.1.3 Expression de soi 9
7.1.4 Angoisses
7.1.5 Réactions de défense
7.2 Figures d’attachement
7.2.1 Théorie de l’attachement
7.2.2 Situations familiales
7.2.3 Parler de soi
7.2.4 Silence à l’adolescence
7.2.5 Gestion des émotions
7.3 Concept de soi
7.3.1 Période de l’adolescence
7.3.2 Résultats
7.3.3 Conscience d’être et d’exister
7.4 Ethique des relations
7.4.1 Don de soi réciproque
7.4.2 Importance de parler de soi
7.4.3 Considérer son propre récit
7.4.4 Authenticité
8 Conclusion
8.1 Synthèse
8.2 Pistes d’action
8.2.1 Pistes d’action pour les professionnels du travail social
8.2.2 Pistes d’action destinées aux participants aux ateliers
8.3 Limites de la recherche
8.3.1 Groupe réduit et particulier
8.3.2 Réalité du terrain
8.3.3 Approche auto-descriptive
8.4 Difficultés rencontrées et apprentissages réalisés
9 Sources bibliographiques
9.1 Ouvrages
9.2 Articles
9.3 Ressources électroniques
9.3.1 Site internet
9.3.2 Articles électroniques
9.3.3 Livres en format électronique
10 Annexes
10.1 Classification du matériel récolté
10.2 Présentation de l’atelier de création au directeur de la fondation

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