Identifier et analyser les individus des milieux populaires au sein des archives de l’Épuration judiciaire

Le département du Rhône comme espace géographique situé dans un temps non délimité

Ces individus sont étudiés au sein d’un espace géographique qui est celui du département du Rhône . Un tel choix s’explique d’une part dans le morcellement de la France du nouveau régime qui voit apparaître des capitales régionales telles que Lyon. Cette dernière devient de ce fait un cadre territorial important. D’autre part, le Rhône présente des particularités i ntéressantes, comme sa diversité régionale. En effet, les grandes villes de Lyon, Villeurbanne, Vénissieux, Villefranche surSaône et les communes aux alentours forment un espace urbain. Quant à l’espace rural, il recouvre une partie des monts du Lyonnais et des monts du Beaujolais qui voient leur agriculture en berne . À la veille de la Seconde Guerre mondiale, le département du Rhône compte de nombreuses usines industrielles, de petits ateliers artisanaux dans les domaines de la soie, de la métallurgie, de la chimie, ainsi qu’une forte activité ferroviaire et observe une multiplication des services . Ainsi, Lyon et le Rhône sont des espaces économiques importants de la zone sud et représentent un intérêt particulier pour les dirigeants de Vichy et les Allemands.
De plus, le Rhône, qui est composé d’une forte proportion de catholiques, adhère rapidement à la figure du maréchal Pétain . Par exemple, entre 1940 et 1943, Lyon renomme une dizaine de rues au nom de « Pétain » et plus de quatre-vingts fêtes du Maréchal sont organisées.
Après l’invasion totale de la France, les nazis sont présents matériellement et physiquement dans les rues du département, notamment parce qu’ils installent leur quartier général à Lyon. La Gestapo rôde donc dans les rues, aidée par des forces de police française, afin de traquer les résistants.
Cette ambiance constitue une aubaine pour les collabos les plus violents, notamment la Milice et le Parti populaire français, deux organisations collaborationnistes bien implantées dans le Rhône.
L’essor de ces mouvements est favorisé par la présence depuis les années 1930 de quelques petites formations aux idéaux fascisants.
Par ailleurs, la Résistance est elle aussi très bien établie dans le département et en particulier à Lyon, qui en deviendra la « capitale » à la Libération d’après les mots du général de Gaulle . De plus, les journaux clandestins les plus connus ont été créés à Lyon, comme Libération, Franc-Tireur ou Combat. Ces derniers permettent de diffuser les appels à la Résistance et l’organisation d’attentats contre des nazis et des collaborateurs. C’est également dans la banlieue lyonnaise, à Caluire, qu’est arrêté Jean Moulin.
De plus, la mémoire de ces événements construite à Lyon a longtemps été entretenue en raison des grands procès de Klaus Barbie et de Paul Touvier qui se sont déroulés à la fin du XXe siècle.
Ainsi, les individus qui sont étudiés dans ce mémoire ont tous entrepris des activités de collaboration au sein du département du Rhône mais sans forcément y être originaires ou domiciliés.
Si le cadre chronologique se situe sous l’Occupation en raison des principaux événements rencontrés par les individus étudiés, il est possible de l’étendre au-delà en raison de la nature du sujet et des sources disponibles. En effet, il est difficile de déterminer à quel moment les individus commencent à vouloir collaborer avec les Allemands. L’étude de ce comportement s’inscrit dans une véritable histoire des mentalités, dont les historiens et les historiennes continuent à débattre en s’intéressant aux opinions des Français et des Françaises durant l’Occupation. Afin de pallier cette difficulté, la date du 16 juin 1940 peut être une première référence parce que c’est à ce moment-là que l’armistice est demandé par Philippe Pétain . D’autre part, il est légitime de se demander si la poignée de main entre Pétain et Hitler du 24 octobre 1940 a joué un rôle déterminant dans le déclenchement de la collaboration des individus. La fin temporelle de la période étudiée semble être également difficile à définir puisque les archives s’étendent de la période de la guerre jusqu’au début des années 1980 compte tenu des différentes affaires traitées. Ces dernières évoquent notamment des hommes ou des femmes ayant fui les tribunaux de l’épuration et se retrouvant devant la justice dixou vingt ans après la fin de la Libération.

La collaboration dans le Rhône : une historiographie similaire à part entière ?

En ce qui concerne l’écriture de l’histoire du département du Rhône, il faut attendre la rédaction du mémoire de Pierre Clément sur la Milice française et les miliciens dans le Rhône en 2010 pour en avoir une première synthèse . Les écrits sur la collaboration et l’épuration sont tout d’abord le fait d’amateurs et de professionnels de l’histoire ayant vécu les événements. Dans un second temps, des hommes et des femmes, ayant davantage de distance de la période en raison de leur non participation aux événements, contribuent également à l’historiographie rhodanienne.
Henri Amoretti publie en 1964 Lyon capitale : 1940-1944 dans lequel il énumère des faits mêlant histoire nationale et histoire de la région de Lyon. L’ouvrage se centre presque exclusivement sur les actions et persécutions de la Résistance lyonnaise. Les groupes collaborationnistes y sont mentionnés mais de manière marginale, via une liste de journaux ou au sein d’affaires relatives à des résistants. Le choix de l’énumération de ce type de faits a pour but de mettre en avant les actes héroïques de la Résistance au détriment d’une réflexion davantage scientifique. Par exemple, bien qu’Amoretti cite ses sources à la fin de l’ouvrage, leurs provenances ne sont pas mentionnées.
Dix ans après, l’historien Bernard Aulas est l’un des premiers à avoir travaillé sur la population lyonnaise. Ses travaux s’appuient sur diverses sources publiques, privées et étrangères analysées par l’application de méthodes statistiques. La démographie de la population lyonnaise est dans un premier temps étudié. Par la suite, l’auteur tente de comprendre la psychologie et la sociologie des Lyonnais face aux événements de 1939-1945. Cet ouvrage a le mérite de décloisonner les études sur la Seconde Guerre mondiale au seul prisme de la Résistance, en s’intéressant à la vie quotidienne des habitants et habitantes de l’agglomération lyonnaise. Cependant, quand les agents de la collaboration sont évoqués, ils le sont seulement pour raconter des attentats commis par des résistants.
En 1979, Marcel Ruby, agrégé de lettres, publie La Résistance à Lyon en tentant d’analyser le comportement de plusieurs classes sociales lyonnaises . D’après lui, les classes dirigeantes ont globalement collaboré tandis que les autres ont résisté. Malgré ces simplifications, le mérite de l’universitaire réside dans le fait qu’il essaie de comprendre la réaction des Lyonnais et des Lyonnaises en découpant ces derniers en classes sociales. De plus, l’analyse des condamnations des tribunaux de l’épuration lui permettent d’en tirer un bilan assez détaillé et de réaliser une analyse comparative de la profession, l’âge et le sexe des condamnés.
Des sources permettant de trouver des individus des milieux populaires ayant collaboré.
Le catalogue des sources est délibérément large en raison des objectifs de ce travail. En effet, les cotes identifiées ont été choisies dans le but de trou ver des individus des milieux populaires ayant collaboré, d’établir leur profil sociologique et d’appréhender au mieux leurs motivations. Pour cela, prenant en compte la non-précision des inventaires d’archives, il a été décidé de sélectionner des cartons comprenant des documents sur des hommes et des femmes qui ont eu affaire à la justice ou à la police pour fait de collaboration au sein du département du Rhône. Par la suite, un tri a été effectué pour extraire des individus appartenant aux milieux populaires.
La quasi-totalité des sources est conservée au sein des Archives départementales et métropolitaines du Rhône et du Centre d’Histoire de la Résistance et de la Déportation à Lyon.
Cependant, les Archives municipales des villes avoisinant le Rhône permettent également d’obtenir des éléments sur des individus ayant eu des activités de collaboration au sein du département mais nés en dehors de celui-ci. Enfin, des documents se situant aux Archives nationales sont parfois utilisés pour enrichir les sources concernant certaines affaires.
En premier lieu, de nombreuses sources publiques sont des documents judiciaires et administratifs qui ont été produits par différentes structures. Ils émanent tout d’abord des juridictions d’exception qui ont été mises en place dès la Libération de Lyon : ce sont la cour martiale, le tribunal de la magistrature et la cour de justice. Les arrêts rendus au sein de ces différents tribunaux sont des jugements d’individus ayant été emprisonnés pour suspicion de collaboration. Ils offrent ainsi des débuts de portraits grâce à la mention d’informations telles que l’état civil, le profil ou les motivations des individus.

Un état des lieux des individus des milieux populaires du département du Rhône ayant eu affaire à la justice à la Libération

Approche semi- quantitative

Ce premier chapitre tente de rendre compte du nombre de personnes issues des milieux populaires qui ont eu affaire à la justice pour faits de collaboration après la Libération. Pour cela, le cadre géographique du département du Rhône et les sources utilisées proviennent exclusivement des Archives départementales et métropolitaines du Rhône, plus précisément des cotes évoquant aussi bien des arrestations que des procès. Ne pouvant pas établir une analyse quantitative exhaustive, il a fallu par conséquence faire des choix chronologiques et se restreindre à seulement quelques car tons d’archives. Ainsi, l’année entre septembre 1944 et décembre 1945 semble être pertinent en raison d’une accélération de l’épuration. En effet, deux raisons principales permettent de l’expliquer : d’une part, la guerre n’est pas encore terminée et d’autre part les déportés reviennent des camps en avril 1945. Par conséquent, ces événements obligent les épurateurs à juger de plus en plus de personnes jusqu’à diminuer le rythme seulement à partir de 1946 . De plus, afin de simplifier le travail de dépouillement et par la présence de nombreux éléments intéressants, les documents analysés émanent seulement de sources provenant de l’ épuration judiciaire et des enquêtes sur des partis collaborationnistes.
Un tel choix se base aussi sur le début de l’épuration judiciaire à Lyon qui commence avec la création des trois commissions de criblage, le 7 septembre 1944 par Yves Farge, pour les prisons Montluc, Saint-Paul, Saint-Joseph et pour le fort de Vancia, qui ont pour objectif de trier les individus suspectés et arrêtés depuis la Libération. Peu de temps après, l’ouverture de la cour de justice de Lyon, section du Rhône, le 29 septembre 1944 par arrêté ministériel, poursuit l’épuration par de véritables procès ressemblant à ceux des cours d’assises.
Afin de réaliser une telle analyse, la méthode utilisée est celle des statistiques par des tableaux du logiciel informatique Excel. Les données ont été construites en fonction des éléments trouvables dans les sources, à savoir le nom, les prénoms, le sexe, l’année de naissance, la nationalité, le lieu de naissance, la profession, le domicile, le suivi d’exécution de peine, si la personne a été amnistiée et diverses remarques. Ces catégories peuvent varier selon les informations accessibles.

La cour de justice de Lyon

La cour de justice de Lyon siège pour la première fois le 3 novembre 1944 jusqu’en février 1951 afin de poursuivre les individus pour faits de collaboration. Les Archives départementales et métropolitaines du Rhône conservent à la cote 394W143 tous les arrêts rendus pendant cette période.
Au vu de l’étendu des décisions de justice, il a été décidé de se concentrer sur la période de l’ouverture de la cour de justice jusqu’à décembre 1945. Les statistiques déjà connues qui ont été faites à la fin de la procédure judiciaire évoquent 2 050 noms d’hommes et de femmes jugés . Or, le bulletin du Comité d’histoire de la Deuxième Guerre mondiale, en 1970, renseigne sur 1 443 prévenus . D’après l’historienne Virginie Sansico, « sans des vérifications systématiques dans les dossiers de procédure conservés, il apparaît difficile de déterminer quelle source donne les résultats les plus proches de la réalité » . De plus, les statistiques officielles n’ont été entreprises qu’à partir du 8 décembre 1944 .C’est pourquoi, l’échantillon adopté se base sur une période d’un an allant d’octobre 1944 à décembre
1945, faisant ressortir 708 arrêts dont 10 manquants sur un total de 746 noms en raison de plusieurs noms par arrêt. Les catégories socioprofessionnelles choisies sont les mêmes que pour les commissions de criblage.
En reprenant les trois mêmes catégories socioprofessionnelles, c’est-à-dire les artisans, ouvriers et agriculteurs (1) ; employés du privé, des transports, des fonctionnaires, des soignants et des ménagères (2) ; petits commerçants et restaurateurs (3), il est possible d’y apercevoir des tendances générales. Tout d’abord, sur un total de 746 personnes, dont 601 hommes et 145 femmes, que compte donc cet échantillon, 172 personnes ont une profession de la première catégorie, 165 personnes pour la deuxième et 69 pour la troisième, soit un total de 406 personnes issus d’un milieu populaire. En pourcentage, cela équivaut à 54,42 % du total de l’échantillon. Au sein de ces trois catégories, 42,36 % ont un emploi comme artisan, ouvrier ou agriculteur, 40,64 % sont des employés du privé, des transports, assimilés fonctionnaires, soignants ou ménagères et enfin 17 % sont des petits commerçants et des restaurateurs. L’histogramme suivant montre d’un point de vue global les différentes catégories socioprofessionnelles pour ce qui concerne les individus ayant eu un procès devant la cour de justice de Lyon.

Les collaborateurs et collaboratrices des milieux populaires du département du Rhône ayant eu affaire à la justice à la Libération : une petite collaboration ?

Analyse qualitative

Après avoir aperçu de manière partiellement quantitative qu’un certain nombre de collaborateurs et collaboratrices du département du Rhône sont issus des milieux populaires , tout en apercevant les limites à l’exercice, il est par conséquent utile de focaliser l’attention sur différentes études de cas relativement courtes. Pour cela, ce chapitre expose des « petites affaires », c’est-à-dire celles dont les sources n’évoquent pas beaucoup d’éléments mais avec lesquelles il est quand même possible d’en tirer des analyses. Elles proviennent majoritairement des arrêts de la cour de justice de Lyon,section du Rhône et de quelques dossiers de la cour martiale en raison de leur richesse concernant les auditions des accusés et des témoins de chaque affaire.
Quant au corpus traité, il s’agit d’une vingtaine de noms qui ont été choisis après le précédent travail de statistiques qui a permis facilement d’extraire des profils d’hommes et de femmes travaillant au sein des trois catégories socioprofessionnelles mentionnées au premier chapitre. Ce choix a été fait en essayant de respecter une certaine représentation en fonction du métier, de l’âge, du sexe ou encore des déclarations données par les accusés. Ainsi, il en ressort une majorité d’hommes qui sont pour la plupart des employés dans le public ou dans le privé, serveur, interprète pour les Allemands, retraité des chemins de fer, infirmier, charbonnier, chauffeur, débardeur, ouvrier,
dessinateur industriel, coiffeur ou chef de chantier, mais également des femmes ayant une profession de femme de ménage, d’employée ou de prostituée. L’intérêt de ce mémoire se portant sur la compréhension du phénomène de collaboration des milieux populaires, ce chapitre insiste donc sur les justifications des condamnés. Il rend compte de différents parcours de vie en se demandant s’il est possible d’affirmer que les milieux populaires peuvent majoritairement s’insérer au sein d’une catégorie appelée « petite collaboration » qui serait une collaboration moins violente que l’ultra-collaboration. En premier lieu, il apparaît que certains individus collaborent par idéologie ou par opportunisme en volant par exemple des biens à des Juifs ou en dénonçant des résistants voire un de leur proche. L’autre phénomène observable est celui d’un engagement dans la collaboration par « contrainte », soit financière ou dans l’optique de revoir un proche, soit à la suite d’une arrestation par la Gestapo qui propose à la personne arrêtée de collaborer en échange d’une remise en liberté.

Collaborer par choix : entre idéologie et opportunisme

Les raisons qui expliquent qu’un individu issu d’un milieu populaire entre dans la collaboration ne semblent pas avoir d’abord un aspect particulier quand il adhère à un parti collaborationniste ou dénonce quelqu’un. En effet, à l’intérieur de chaque catégorie socioprofessionnelle, nous retrouvons des hommes et des femmes membres d’un parti politique proAllemands ou participant à la politique de délation prônée par l’État français. Cependant, le fait de s’intéresser spécifiquement à des personnes populaires permet de nuancer certains éléments déjà bien connus.

Adhérer consciemment à un parti collaborationniste

Les individus repérés au sein des partis collaborationnistes sont tous des hommes et des femmes âgés entre vingt et soixante ans et membres soit du PPF, de la Milice ou de la LVF. Ainsi, le jeune Jean C., originaire de Haute-Garonne, cultivateur puis ouvrier-maçon adhère d’abord de son plein gré à la Légion des combattants puis au Service d’ordre légionnaire . Cette adhésion se poursuit au sein de la Milice dès sa création en janvier 1943 par l’intermédiaire de deux autres miliciens, qui ont l’air de l’avoir influencé en le menaçant de mort s’il quittait le mouvement . Ses activités commencent à Toulouse puis se prolongent contre le maquis de Haute-Savoie et celui d’Angoulême jusqu’à son affectation à Lyon. En parallèle, il colle des affiches de la Milice au sein du bar qu’il fréquente régulièrement. Son adhésion aux valeurs de la Milice sont rapportées d’un côté par un ancien résistant qu’il connaît pour l’avoir entendu dire que le mouvement collaborationniste est un « mouvement patriotique, anti-communiste et anti-allemand [ ?] ». D’autre part, son employé indique que Jean C. parlait de temps en temps de son attachement à la Milice . Par ailleurs, les auditions des témoins indiquent que l’accusé n’est pas quelqu’un de violent et n’a pas eu une enfance tumultueuse. De plus, les habitants de sa commune ont l’air partagé sur son adhésion à la Milice :certains la regrettent, comme ses parents et son frère et d’autres non en évoquant le fait qu’il y est allé volontairement . Enfin, Jean C. lui-même déclare être entré à la Milice en « croyant à l’époque faire [son] devoir de bon français ». Ainsi, la cour de justice de Lyon, le 7 décembre 1944, le condamne pour crime de trahison et à la peine de travaux à perpétuité et à l’indignité nationale, mais en lui trouvant des circonstances atténuantes.
Le cas d’Henriette R. est un peu différent dans la mesure où elle adhère à la Milice sans avoir de réelles convictions, mais parce qu’elle y trouve un intérêt financier et matériel important ainsi qu’un espace de sociabilité lui permettant d’entretenir plusieurs relations intimes avec des Allemands.
Cette jeune femme naît en 1921 d’une mère employée à la SNCF et fréquente l’école primaire puis le lycée la Martinière à Lyon durant quatre années au sein de la section industrielle.Par la suite, elle occupe différents petits emplois dont celui d’apprenti modiste ou d’employée de bureau. Après avoir tenté de travailler, elle s’arrête au moment où elle se marie avec un restaurateur. Au moment de l’Occupation, en compagnie d’une de ses amies, elle fait la demande d’entrer au sein de la Milice en ne « sachant pas ce qu’était cet organisme » et en croyant que « c’était une organisation propre ».
Ainsi, elle rencontre un des chefs lyonnais de la Milice, Joseph Lecussan, pour qui la nouvelle milicienne lui rapporte deux affaires de marché noir. La première est un trafic de café qui lui rapporte en contrepartie plusieurs dizaines de kilos de café dont elle les échange pour deux milles francs le kilo. Quant à la deuxième affaire, il s’agit d’un trafic de lait c ondensé pour lequel elle perçoit la somme de cinq cents francs. En parallèle, Henriette rencontre plusieurs Allemands, dont un militaire, avec qui elle devient amant. Ce dernier lui offre de temps en temps des produits de première nécessité tels que du sucre ou de la confiture. Ce t aspect fait apparemment beaucoup parler ses voisines qui sont « scandalisées » . De plus, les enquêteurs évoquent une tendance à dissimuler plusieurs faits de la part de l’accusée. Par ailleurs, elle ne semble pas avoir « conscience d’avoir véritablement trahi [son] pays » . De ce fait, la cour de justice de Lyon la condamne pour activité antinationale le 13 décembre 1944 à cinq ans d’emprisonnement, à une amende de cinq mille francs et à dix ans d’interdiction de séjour. L’après-guerre apparaît difficile pour elle en raison de son inactivité professionnelle et de son passé de collaboratrice. En effet, à sa libération, elle part vivre en Corse avec son nouveau mari qui l’aide à vivre grâce à sa pension d’ancien sergent .

Échapper à des poursuites judiciaires

Le recrutement des auxiliaires de la Gestapo ne se fait pas uniquement sur la base idéologique, mais aussi par le fait de chantage de la part des Allemands à l’égard d’individus arrêtés pour diverses raisons. C’est par exemple le cas d’Ahmed K., né probablement en 1889 en Algérie, chef d’équipe de profession, ne sachant ni lire ni écrire, engagé comme soldat au cours de la Première Guerre mondiale et condamné uniquement en 1932 ou 1933 pour outrage à agent . Au mois de juin 1944, en rentrant chez lui après sa journée de travail, il se fait arrêter par des miliciens dans les rues de Lyon parce que le couvre-feu est dépassé . Dès lors, les Allemands lui demandent s’il souhaite adhérer à la Milice en tant que franc-garde et être rémunéré. Ahmed accepte et devient garde du corps de certains miliciens dont un de leur chef. Il l’explique lui-même au moment de son arrestation par les résistants : « Vers le 20 juin [1944], comme je rentrais à mon domicile, après le couvre-feu, je fus arrêté par des miliciens, qui m’emmenèrent à leurs bureaux de la rue Ste Hélène. Ils m’ont fouillé et m’ont accusé de poser des bombes aux devantures de magasin, et quand ils se sont rendu compte qu’ils se trompaient, ils m’ont demandé si je connaissais quelqu’un qui détenait ou fabriquait ces bombes. Comme je ne connaissais personne, je leur ai répondu que non. Deux ou trois jours après mon arrivée à la rue Ste Hélène, le chef Paul et le chef André m’ont fait venir dans leur bureau, et m’ont demandé si je voulais rester avec eux comme milicien. J’ai accepté et suis devenu milicien franc-garde, au 2 ème service. Alors que dans mon emploi précédant je gagnais 4 000 francs par mois, je ne touchais plus à la Milice que 2 000 francs par mois. Quelques jours plus tard, le chef André m’a donné un révolver 7/65, que je portais à la ceinture lorsque je sortais.»
Le récit des événements paraît flou mais illustre bien cette contrainte que font subir les nazis aux personnes arrêtées. L’argument financier ne semble pas être motivé en raison du fait que son salaire d’ouvrier est le double de la somme perçue en tant que milicien. Cependant, les juges ne retiennent pas le motif de contrainte en affirmant qu’aucun acte de résistance n’a été observé et qu’il doit être « jugé avec toute la sévérité afférente à cet emploi » . De ce fait, ils ne prennent ni en compte sa non participation à des interrogatoires ou à des actes violents et encore moins les regrets qu’il déclare. Par conséquent, il est condamné pour intelligence avec l’ennemi, à dix ans de travaux forcés et à cinq ans d’indignité nationale ainsi qu’à une interdiction de séjour. Sa peine est commuée en cinq ans d’emprisonnement et il est libéré en 1949 puis amnistié le 21 janvier 1953.

Ses activités pendant la guerre

Quand la guerre éclate, Joseph n’a pas encore vingt ans. Il part donc faire son service militaire l’année suivante, le 8 juin 1940, en participant à plusieurs campagnes militaires . Son affectation et ses compétences de pilote l’amènent jusqu’au 25 août 1940 près de Clermont-Ferrand au sein de l’armée de l’air . Dès le lendemain, comme environ quatre cent mille jeunes hommes de plus de vingt ans qui habitent en zone non-occupée, il intègre les Chantiers de la jeunesse jusqu’au 31 janvier 1941 . Créés par le décret du 31 juillet 1940, ces stages en montagne, d’abord d’une durée de six mois puis de huit mois, propagent les discours antianglais, antijuifs, antigaullistes et anticommunistes du gouvernement de Vichy. D’autre part, des activités sportives virilistes et autoritaires sont organisées.En ce qui concerne le passage de Joseph Cortial au sein de ces chantiers, il n’y a aucun élément à disposition permettant de déterminer l’influence qu’ils ont pu avoir sur lui, mais il est possible d’imaginer unpotentiel impact sur sa vision du monde. À son retour, il se fait embaucher quelques mois en tant que courtier d’assurances sur la vie à Saint-Étienne auprès de la Compagnie Générale d’assurances . Il devient alors un commerçant travaillant comme intermédiaire pour des clients et l’entreprise d’assurances . Cet emploi semble changer radicalement avec ce qu’il a connu jusqu’à maintenant. C’est au cours de l’année 1943, aprèsavoir quitté son dernier travail sans que cela se passe mal avec son employeur, que le jeune homme se livre à des activités en marge de la légalité. En effet, il commence à faire du trafic de cigarettes au sein du marché noir. Ce dernier étant un marché parallèle dans lequel les objets et la nourriture sont vendus à des prix élevés. Les origines d’un tel trafic se trouvent dans les clauses sévères de l’armistice du 22 juin 1940 qui obligent la France d’exporter massivement sa production vers l’Allemagne. Par conséquent, la rareté des produits engendre l’instauration de marchés parallèles. De plus, des difficultés alimentaires se font sentir en raison de l’application des tickets de rationnemen . Sa pratique est fortement condamnée par le gouvernement de Vichy et les Allemands, mais ces derniers pratiquent dans les faits une politique de laisser faire. Joseph, se trouvant dans une situation financière compliquée, voit donc dans le marché noir l’opportunité d’assurer quelques revenus. Ce comportement est loin d’être minoritaire et ne signifie pas forcément que le trafiquant soit quelqu’un de malhonnête ou un escroc. Un processus de « démocratisation » débute à partir de l’automne 1941 puisqu’une part grandissante des individus des milieux populaires, faute d’avoir assez d’argent pour subvenir à leurs besoins, pratique le marché noir. En ce qui concerne Cortial, le détail de son trafic n’est pas connu mais d’après des études sur le sujet, les personnes qui se consacrent au commerce interlope de tabacs peuvent être catégorisés comme des petits trafiquants. De plus, ces derniers qui ne pratiquent ni la profession de producteur ou de commerçant sont majoritairement issus des milieux modestes. D’après l’historien Éric Godeau, le marché noir du tabac est un marché de « subsistance permettant d’améliorer le quotidien » . Selon lui, ce genre de trafic n’exige pas d’avoir beaucoup de ressources matérielles et est assez facile à entreprendre. Cependant, il semble aussi que Joseph Cortial en ait fait une activité à part entière en vendant également des tickets de rationnement , mais sans qu’il soit possible d’attester d’une quelconque organisation de grande envergure. Ceci constitue quand même une pratique davantage réprimandable et mal vue socialement.

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Table des matières

Introduction
Partie I. Identifier et analyser les individus des milieux populaires au sein des archives de l’Épuration judiciaire.
Chapitre 1. Un état des lieux des individus des milieux populaires du département du Rhône ayant eu affaire à la justice à la Libération. Analyse semi-quantitative.
Chapitre 2. Les collaborateurs et collaboratrices des milieux populaires du département du Rhône ayant eu affaire à la justice à la Libération : une petite collaboration ? Analyse qualitative.
Partie II. Étudier un cas à travers le prisme de la justice. L’exemple de l’affaire Joseph Cortial.
Chapitre 3. À la Libération : déclenchement de l’affaire. Les premiers éléments pour appréhender les motivations de Joseph Cortial.
Chapitre 4. Vingt-ans après : le retour de l’affaire. Comprendre la personnalité de Joseph Cortial et apercevoir le traitement judiciaire et médiatique.
Conclusion
Catalogue des sources
Annexes
Bibliographie
Table des illustrations
Table des matières

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