Identifier des légumineuses à graines productives en Europe par synthèses quantitatives de données à large échelle

Les légumineuses à graines, une diversité d’espèces cultivées à intérêts alimentaire et agroenvironnemental

Une diversité d’espèces sous-exploitée

Les légumineuses sont des espèces végétales appartenant à la famille des Fabaceae (Leguminosae). Cette famille de plantes comprend près de 800 genres et de 20000 espèces, inféodées à une large diversité de conditions climatiques et de types de sols (Smýkal et al., 2015 ;Yahara et al., 2013). Ces espèces peuvent être cultivées selon des modalités variées (Graham et Vance, 2003 ; Sinclair et Vadez, 2012), en peuplement monospécifique ou plurispécifique, et récoltées pour la production de graines ou de fourrages. Certaines espèces de légumineuses peuvent être cultivées sans être récoltées, en tant que couverts ou cultures intermédiaires. Bien qu’il existe plusieurs modalités de culture des légumineuses à l’échelle mondiale, la thèse ne concerne que des espèces à cycle de croissance et de développement annuel, en peuplement monospécifique, et récoltées pour l’utilisation de leurs graines à maturité physiologique. La production mondiale des légumineuses à graines est limitée par rapport à celles des céréales. En 2014, leur production mondiale ne représentait que 17% de celle du blé (Triticum aestivum), du maïs (Zea mays), et du riz (Oryza sativa), contre 14% en 1961 (FAOSTAT, 2016). La production mondiale des légumineuses à graines représente un faible nombre d’espèces d’intérêt économique significatif (Akibode et Maredia, 2011 ; Foyer et al., 2016). En 2014, la production mondiale de soja (Glycine max) représentait 73% de la production totale de légumineuses à graines, contre 31% en 1961 (FAOSTAT, 2016). Entre 1961 et 2014, le soja (Glycine max) représentait, en moyenne annuelle, 75% et 90% des surfaces de légumineuses à graines en Amérique du Sud et du Nord, respectivement (FAOSTAT, 2016). Durant la même période, 70%, 76%, 76% et 78% des surfaces des légumineuses à graines étaient récoltées, en moyenne annuelle, pour trois ou quatre espèces en Europe, Océanie, Asie, et Afrique, respectivement (FAOSTAT, 2016).

Des cultures à intérêt alimentaire

Les graines des légumineuses sont une source d’acides aminés indispensables (e.g., la lysine) et d’énergie en alimentation animale (Duranti, 2006 ; Vaz Patto et al., 2015). Chez les monogastriques (e.g., porcs et volailles), les graines de céréales constituent la principale source d’énergie de la ration alimentaire (Jezierny et al., 2010 ; Martens et al., 2012). Mais, du fait de leur faible teneur protéique, elles doivent être complétées par une source riche en protéines telles que celles issues des graines de légumineuses (Jezierny et al., 2010 ; Martens et al., 2012). Chez les ruminants, les fourrages constituent la base de la ration alimentaire. Cependant, la complémentation par une source de protéines – par exemple, issues des graines de légumineuses – est nécessaire, particulièrement dans les rations à base d’ensilage de maïs (Doyle et al., 2005). Chez les poissons, les légumineuses à graines peuvent également représenter des sources de protéines intéressantes d’origine végétale, en tant que substitut partiel aux farines d’origine animale (Gatlin et al., 2007).

La contribution des légumineuses à graines à la sécurité alimentaire des pays du Sud est significative (Akibode et Maredia, 2011 ; Foyer et al., 2016 ; Nedumaran et al., 2013). En effet, les graines des légumineuses contiennent – pour la majorité des espèces – des protéines de qualité pour l’alimentation humaine. Elles présentent une faible teneur en matière grasses, une richesse en fibres, et un faible indice glycémique (Duranti, 2006 ; Tharanathan et Mahadevamma, 2003 ; Vaz Patto et al., 2015). Parce qu’elles sont pauvres en acides aminés soufrés et en tryptophane, les graines des légumineuses sont souvent utilisées en complément de celles des céréales (Temba et al., 2016). Les graines des légumineuses ont des propriétés nutritionnelles qui varient en fonction de l’espèce (Duranti, 2006 ; Koivunen et al., 2016 ; Tharanathan et Mahadevamma, 2003). Elles peuvent partiellement se substituer aux protéines d’origine animale dans les régimes alimentaires (Bassett et al., 2010 ; Davis et al., 2010 ; Multari et al., 2015). De récentes études cliniques soulignent les effets favorables d’une consommation régulière de légumineuses à graines sur la santé (Bassett et al., 2010 ; Mudryj et al., 2014). L’industrie agroalimentaire peut utiliser les graines des légumineuses comme des ingrédients technofonctionnels (Asif et al., 2013). Bien que certains facteurs nutritionnels indésirables dans les graines diminuent la digestibilité des protéines des légumineuses, des traitements technologiques peuvent les inactiver (Gilani et al., 2005). Plusieurs produits dérivés de graines de légumineuses sont actuellement utilisés sous forme de farines incorporées dans des pâtes alimentaires ou de concentras et d’isolats dans des boissons (Asif et al., 2013 ; Laleg et al., 2016), alternatives aux boissons lactées ou produits carnés.

Des cultures à intérêt agroenvironnemental

A l’exception de quelques sous-familles botaniques proches, les légumineuses sont les seules espèces capables de fixer symbiotiquement l’azote atmosphérique (N2) (Graham et Vance, 2003 ; Sinclair et Vadez, 2012). La fixation de N2 est réalisée par une symbiose des bactéries Rhizobium ou Bradyrhizobium dans des nodosités différenciées sur le système racinaire de la plante. L’efficacité de la fixation symbiotique varie en fonction de l’espèce de légumineuses (Hardarson et Atkins, 2003). L’azote fixé peut bénéficier non seulement à la légumineuse, mais également à la culture qui la suit dans la séquence culturale (Chalk, 1998). En effet, une culture de légumineuses requiert peu ou pas de fertilisation azotée (Peoples et al., 2009). Plusieurs expérimentations agronomiques ont montré que les rendements des céréales et des oléagineux cultivés après des légumineuses étaient, en général, supérieurs à ceux des céréales cultivées après des céréales ou à ceux des oléagineux cultivés après des oléagineux (Armstrong et al., 1997 ; Badaruddin et Meyer, 1994 ; Jensen et al., 2004 ; Williams et al., 2014). Il existe plusieurs facteurs expliquant cet effet des légumineuses sur les rendements des cultures suivantes. Ces facteurs peuvent être endogènes ou exogènes au cycle de l’azote. Certains auteurs suggèrent que les légumineuses augmentent les concentrations en azote minéral du sol disponibles pour les cultures suivantes, en raison de la minéralisation de leurs résidus de culture ; aussi, les légumineuses absorberaient de moindres quantités d’azote du sol comparées à celles absorbées par des céréales et des oléagineux (Angus et al., 2015 ; Kirkegaard et al., 2008 ; Preissel et al., 2015 ; Seymour et al., 2012). L’effet des légumineuses sur les rendement des cultures suivantes peut également s’expliquer par des facteurs autres que ceux endogènes au cycle de l’azote : l’introduction des cultures de légumineuses permettrait la rupture des cycles des bioagresseurs spécifiques des céréales et des oléagineux ; l’insertion d’une famille botanique différente, le changement des caractéristiques de leurs rhizosphères spécifiques, le décalage des dates de semis, résultant des cultures de légumineuses, faciliteraient la gestion des adventices les plus fréquentes, et limiterait ainsi le recours aux produits phytosanitaires à l’échelle de la séquence culturale (Bennett et al., 2012 ; Crotty et al., 2015 ; Schneider et al., 2015). Cependant, l’effet a priori positif des légumineuses en tant que cultures précédentes semblerait dépendre de la dose de fertilisation d’azote minéral appliquée sur les cultures suivantes (Badaruddin et Meyer, 1994 ; Cheruiyot et al., 2003 ; Dakora et al., 1987 ; Ghosh et Singh, 1996 ; Jensen et al., 2004). Par ailleurs, cet effet n’a pas que des aspects positifs ; la minéralisation de la matière organique et d’autres processus libèrent de l’azote sous des formes labiles lors de la dégradation des résidus de culture de légumineuses. Ces phénomènes peuvent favoriser un risque de fuite d’azote vers l’environnement, en particulier la lixiviation de nitrate (NO3- ) (Peoples et al., 2009). En termes de fuites gazeuses, les cultures de légumineuses émettent moins de protoxyde d’azote (N2O) que les cultures de non-légumineuses fertilisées, et peuvent avoir un effet positif sur les bilans des émissions de gaz à effet de serre (Jeuffroy et al., 2013 ; Schmeer et al., 2014).

Regards croisés sur les légumineuses à graines en Europe, Amérique du Nord et Océanie 

Des niveaux faibles de surface et de production en Europe

Les légumineuses à graines sont actuellement peu récoltées en Europe. En 2014, la surface de légumineuses à graines représentait 2% de la surface européenne récoltée (FAOSTAT, 2016). Les surfaces ont souvent évolué sporadiquement en fonction des mesures de la Politique Agricole Commune et d’autres facteurs connexes (Bues et al., 2013 ; Voisin et al., 2014 ; Zander et al., 2016). Des auteurs ont fait l’hypothèse que la variabilité interannuelle des rendements des légumineuses à graines pourrait être un frein à leur introduction dans les systèmes de culture européens (Bues et al., 2013 ; Reckling et al., 2016 ; Voisin et al., 2014 ; Zander et al., 2016). Les pertes de production issues de la variabilité du rendement en grains d’une année à l’autre rendraient les cultures de légumineuses moins compétitives à l’échelle du cycle cultural, particulièrement en termes de retours économiques escomptés (LMC International, 2009a, 2009b). Cette forte variabilité interannuelle du rendement en grains pourrait en conséquence amener les agriculteurs européens à privilégier des cultures de nonlégumineuses (Bues et al., 2013 ; Voisin et al., 2014 ; Zander et al., 2016). Les légumineuses à graines sont également peu produites en Europe, représentant actuellement moins de 2% de leur production mondiale (Schneider et al., 2015). Entre 2008 et 2012, la France produisait, en moyenne annuelle, toutes espèces confondues, 29% de la production européenne de légumineuses à graines, devant l’Italie (17%), le Royaume-Uni (15%) et l’Espagne (8%) (Schneider et al., 2015). La production domestique de légumineuses à graines en Europe est principalement destinée aux productions animales (Bues et al., 2013 ; Martin, 2014 ; Schneider et al., 2015 ; Voisin et al., 2014). Récemment, les exportations et certains segments de marché de faibles volumes mais à forte valeur ajoutée se développent à destination de l’alimentation humaine, particulièrement sous forme d’appellations (Magrini et al., 2016 ; Schneider et al., 2015 ; Voisin et al., 2014 ; Zander et al., 2016). Cependant, la consommation de légumineuses à graines en alimentation humaine reste faible en Europe. Actuellement, 12 et 13% de la production européenne de fèverole (Vicia faba) et de pois protéagineux (Pisum sativum) sont destinées à l’alimentation humaine en Europe (Bues et al., 2013).

Plusieurs espèces de légumineuses à graines peuvent être cultivées en Europe (Figure 1). Entre 1961 et 2014, le pois protéagineux (Pisum sativum) était, en moyenne, la légumineuse à graine européenne la plus récoltée (FAOSTAT, 2016). Plus récemment, les surfaces de soja (Glycine max) ont fortement augmenté dans l’Est de l’Europe, en particulier au pourtour du Danube (Krön et Bittner, 2015). En 2014, la surface de soja (Glycine max) représentait 56% de la surface européenne de légumineuses à graines (FAOSTAT, 2016). Si le pois protéagineux (Pisum sativum) et le soja (Glycine max) totalisaient 76% de la surface de légumineuses à graines en Europe en 2014 (FAOSTAT, 2016), les autres espèces de légumineuses à graines étaient caractérisées par des proportions de surface récoltée plus faibles. En 2014, seulement 14% de la surface européenne de légumineuses à graines étaient récoltées en pois chiche (Cicer arietinum), lentille (Lens culinaris), lupins (Lupinus spp.), haricots (Phaseolus spp. et Vigna spp.), fèverole (Vicia faba), et vesce commune (Vicia sativa) (FAOSTAT, 2016). Ce déséquilibre entre les surfaces des différentes espèces de légumineuses à graines pourrait être la conséquence de deux phénomènes concomitants. Le premier serait qu’un faible nombre de légumineuses à graines – dont le pois protéagineux (Pisum sativum) en France – sont utilisées comme espèces modèles dans la recherche (Gepts et al., 2005 ; Magrini et al., 2016 ; Murphy-Bokern et al., 2014 ; Voisin et al., 2014). Le second phénomène serait que la sélection variétale des légumineuses à graines en Europe est effectuée par un faible nombre d’entreprises privées, travaillant sur un nombre d’espèces restreint (LMC International, 2009a, 2009b ; Murphy-Bokern et al., 2014 ; Schläfke et al., 2014 ; Wiggering et al., 2012).

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Table des matières

Introduction
Chapitre 1
Chapitre 2
Chapitre 3
Chapitre 4
Discussion
Conclusion
Références
Annexes

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