Au XVIIème siècle, Antonie Van Leeuwenhoek fut le premier à observer au microscope des micro-organismes issus d’un biofilm prélevé sur la surface de ses dents. Il les nomma « animalcules ». Plus tard, en 1940, Heukelekian et Heller développèrent la notion « d’effet de bouteille », résultant de la constatation que la présence d’un substrat solide comme une bouteille en verre, permettait aux micro organismes de se fixer dessus puis d’augmenter leur croissance et leur activité métabolique (Heukelekian et Heller, 1940). Trois ans plus tard, Zobell observa en milieu marin que la quantité de bactéries fixées sur un substrat solide était supérieure à la quantité de bactéries libres dans le milieu liquide (Zobell, 1943). En 1969, Jones mit en évidence la présence d’une matrice saccharidique en colorant au rouge de ruthénium et au tétroxyde d’osmium des filtres de stations d’épuration (Jones et al., 1969). C’est dans les années 1970, sous l’impulsion de Characklis puis de Costerton, que l’étude des biofilms a réellement pris son essor. En 1973, Characklis démontra que la matrice d’exopolymères donne aux biofilms une résistance aux désinfectants puis, en 1978, Costerton développa la notion de biofilm (Costerton et al., 1978). Depuis, les études sur les biofilms ne cessent de se développer, que ce soit dans le domaine médical ou industriel.
La compréhension de la formation et du développement d’un biofilm présente un intérêt considérable car, dans l’environnement naturel, la majorité des bactéries est organisée en biofilm (Costerton et al., 1995 ; Hall-Stoodley et al., 2004 ; Haras, 2005 ; Flemming et Wingender, 2010). On parle d’état sessile lorsque les bactéries adhérent à une surface et/ou entre elles et d’état planctonique lorsque les bactéries sont sous forme libre. Ce mode de vie communautaire repose sur la présence d’une matrice extracellulaire entourant les microorganismes et donnant une intégrité structurelle et fonctionnelle à l’ensemble du biofilm (Wingender et al., 1999). Il représente un mode de vie très ancien qui semble être apparu il y a γ,β5 milliards d’années sous forme de stromatolites (Figure 1) (Hall-Stoodley et al., 2004). On retrouve des biofilms bactériens sur diverses surfaces biotiques ou abiotiques (appareils médicaux, plaque dentaire, racine de plante …).
Schématiquement, les biofilms peuvent être décrits comme des systèmes microbiens dynamiques et structurés en forme de piliers séparés par des pores dans lesquels l’eau transporte les nutriments et peut ainsi atteindre le cœur du biofilm (Figure β) (Costerton et al., 1995). L’architecture peut varier et s’éloigner de cette représentation car plusieurs facteurs ont une influence sur l’architecture du biofilm comme les conditions hydrodynamiques, les contraintes de cisaillement, la concentration en nutriments, le type de micro-organisme, leur mobilité, la communication intercellulaire mais aussi la composition de la matrice (Flemming et Wingender, 2010).
Biofilm en environnement marin et communauté microbienne
Biofilm : Mécanisme de formation
Mise en place d’un biofilm
La formation d’un biofilm a été plusieurs fois décrite dans la littérature mais le déroulement garde encore des zones d’incertitudes (Filloux et Vallet, 2003 ; Hall-Stoodley et al., 2004). Il est admis que la formation d’un biofilm peut être décomposée en 6 étapes .
Film primaire
Tout commence, dans le cas d’une surface immergée, par l’absorption de macromolécules sur cette surface. Il se forme ainsi un film conditionnant composé de protéines (Compère et al., 2001), de sucres, de lipides (Loeb et Neihof, 1975) mais aussi de matière minérale (Vu et al., 2009). Ce phénomène est rapide. Pour le quantifier, Loeb et Neihof ont mesuré 0,8 mg/m² de matière organique sur de l’acier inoxydable après 15 minutes d’immersion dans l’eau de mer (Loeb et Neihof, 1975). Les molécules adsorbées représentent une source de nutriments non négligeable pour les bactéries favorisant ainsi leur chimiotactisme.
Transport et mobilité des bactéries
L’étape suivante correspond au transport des bactéries vers une surface. Celle-ci dépend de plusieurs facteurs, dont les caractéristiques des bactéries, la nature du milieu (viscosité, force ionique … (Bunt et al., 1995 ; Pelletier et al., 1997 ; Briandet et al., 1999)) et le mouvement du milieu (flux, mouvement brownien). Certaines bactéries sont pourvues d’appendices (pili et flagelles) leur permettant de se déplacer. Les flagelles sont longs (15 à β0 μm), minces et composés de trois parties; le filament qui est la partie visible et qui a une forme cylindrique creuse composée de flagelline, le crochet où se fixe le filament et enfin le corpuscule basal qui ancre la structure dans la paroi cellulaire et la membrane plasmique. Certaines espèces bactériennes (Vibrio parahaemolyticus ou Rhodospirillum centenum) expriment en plus de leurs flagelles polaires, des flagelles secondaires latéraux dont l’expression est induite seulement à proximité d’une surface (Merino et al., 2006). Les pili sont généralement présents chez les bactéries à Gram négatif. Cet appendice est filiforme, plus court, plus droit et plus mince que les flagelles. Il est également formé d’une machinerie protéique complexe traversant les 2 membranes bactériennes, permettant la polymérisation de la sous-unité protéique principale pour l’assemblage du pilus, la piline. Les pili permettent aux bactéries de se fixer à une surface et dans certains cas, de se mouvoir à proximité de la surface.
Adhésion
Les étapes suivantes successives impliquent l’adhésion dite « réversible » puis «irréversible ». Le film conditionnant modifiant la nature physico-chimique de la surface, facilite l’adhésion de bactéries à la surface via des liaisons faibles. De plus, ce film peut être une source de nutriments pour les bactéries nouvellement attachées. A cette étape, l’adhésion est réversible, de faibles forces mécaniques pouvant détacher les bactéries. Les interactions entre les bactéries et le substrat se font pour des distances globalement inférieures à 50 nm. La théorie DLVO (issue de la physique des colloïdes) décrit l’équilibre entre les forces de Van der Waals, les forces électrostatiques, le caractère donneur/accepteur d’électrons des bactéries et le mouvement brownien. L’adhésion est dépendante du pH et des forces ioniques du milieu.
La caractérisation physico-chimique de la surface des bactéries peut donner des informations pour comprendre les interactions entre la surface et les bactéries lors de l’adhésion initiale. Plusieurs techniques de caractérisation de la surface de matériaux ont été adaptées à l’étude des bactéries. Ainsi le test d’adhésion microbienne aux solvants (MATS) permet de déterminer le caractère hydrophobe/hydrophile et le caractère acido-basique des souches bactériennes. Cette méthode a été mise au point par Bellon-Fontaine et al. en 1996 puis modifiée par Grasland et al. en 2003 (Bellon-Fontaine et al., 1996 ; Grasland et al., 2003). Elle repose sur l’affinité des bactéries pour des solvants polaires (généralement le chloroforme et l’acétate d’éthyle) et apolaires (le décane et l’hexadécane, 2 solvants couramment choisis).
Maturation du biofilm
Lors de la maturation du biofilm, les bactéries continuent de produire de la matrice extracellulaire qui va devenir leur environnement dynamique. La croissance en biofilm est différente d’une croissance planctonique. En fonction de leur localisation dans le biofilm, les bactéries présentent des caractères phénotypiques hétérogènes, en particulier par rapport à leur physiologie. Ainsi, il a été montré que la croissance en biofilm provoque l’émergence de sous-populations bactériennes présentant une croissance très lente ou un état métabolique qualifié de dormant. Les bactéries se regroupent en micro- puis macro-colonies qui grossissent. A un certain stade de développement, le biofilm devient visible sous la forme d’un film recouvrant la surface sur laquelle il s’est formé.
Détachement
La dernière étape de ce cycle de développement du biofilm peut s’effectuer passivement (via l’action du flux ou des forces de cisaillement) ou activement. La libération active des bactéries d’un biofilm est induite par un stress dû à des changements environnementaux (variation de la concentration en aliments, modification du pH ou limitation en oxygène, etc…(Gjermansen et al., 2005). Certaines bactéries vont détruire la matrice qui les entoure pour se séparer du biofilm et se retrouver ainsi libérées dans le milieu, repassant à l’état planctonique (réinduction flagellaire, changement des propriétés de surface, etc…) et pouvant ainsi coloniser de nouvelles surfaces. Les enzymes dégradant les EPS (comme l’alginate lyase de P. aeruginosa) contribuent elles aussi au détachement des bactéries de la matrice (Kostakioti et al., 2013). L’essaimage du biofilm nécessite donc une transformation morphologique des bactéries impliquant la formation de flagelles leur permettant de coloniser rapidement de nouvelles surfaces.
Physiologie des bactéries et régulation du biofilm
Les bactéries présentent des états physiologiques différents selon qu’elles sont encore en phase planctonique ou dans les différentes phases de développement du biofilm décrites cidessus. Cela se traduit par une hétérogénéité dans la composition et l’architecture du biofilm. Les phases de croissance bactérienne en mode planctonique sont relativement bien connues. La caractérisation de ces phases, spéficiques à chaque espèce voire isolat bactérien est indispensable à la compréhension des différents phénotypes ou modifications métaboliques des bactéries, qui sont induits à chaque transition de phase.
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Table des matières
Introduction générale
1. Etude bibliographique
1.1. Biofilm en environnement marin et communauté microbienne
1.1.1. Biofilm : Mécanisme de formation
1.1.1.1. Mise en place d’un biofilm
1.1.1.2. Physiologie des bactéries et régulation du biofilm
1.1.2. Biofilm et biofouling en milieu marin
1.1.2.1. Formation du biofouling
1.1.2.2. Diversité des bactéries dans les biofilms marins
1.1.2.3. Bactéries isolées de biofilms marins
1.2. La matrice du biofilm
1.2.1. Composition de la matrice du biofilm
1.2.2. Les Substances Polymériques Extracellulaires (EPS)
1.2.2.1. Types d’EPS
1.2.2.2. Rôles des EPS et bénéfices de la vie en biofilm
1.2.2.3. Nature des EPS
1.2.3. Extraction et caractérisation des EPS
1.2.3.1. Screening des souches productrices d’EPS
1.2.3.2. Production des exopolysaccharides
1.2.3.3. Méthodes d’extraction des EPS
1.3. Stratégies antifouling
1.3.1. Moyens de lutte
1.3.1.1. Anciens moyens
1.3.1.2. Les nouvelles stratégies
1.3.1.2.1. Les surfaces ou les revêtements antibiofilm/antifouling
1.3.1.2.2. Les molécules antibiofilm/antifouling
1.3.1.2.2.1. Les molécules inhibitrices non toxiques ciblant les métabolites secondaires et les réseaux de communication entre organismes
1.3.1.2.2.2. Les molécules inhibitrices non toxiques anti-adhésives
1.3.1.3. Les polysaccharides, candidats potentiels ?
1.3.1.3.1. Intérêts des polysaccharides
1.3.1.3.2. Effets antibactériens de polysaccharides
1.3.1.3.3. Effets sur le macro-fouling de polysaccharides
1.3.2. Intérêts des bactéries du genre Pseudoalteromonas
1.4. Bactéries étudiées dans le cadre de la thèse
2. Matériels & méthodes
2.1. Culture des souches bactériennes marines
2.1.1. Souches bactériennes
2.1.2. Milieux de culture
2.1.3. Conservation des souches bactériennes
2.1.4. Conditions de culture
2.2. Caractérisation des souches bactériennes
2.2.1. Courbes de croissance et dénombrements des bactéries
2.2.2. Etats frais
2.2.3. Taxonomie
2.2.3.1. PCR
2.2.3.2. Hybridation ADN-ADN
2.2.4. Coloration de Gram
2.2.5. Mobilités
2.2.5.1. Swimming
2.2.5.2. Swarming
2.2.5.3. Twitching
2.2.6. Galeries API
2.2.7. Potentiel zêta
2.2.8. Test d’adhésion microbienne aux solvants (MATS)
2.2.9. Formation de biofilm : BioFilm Ring Test (BFRT )
β.β.10. Tests d’adhésion en microplaque au cristal violet
2.2.11. Microscopie Electronique à Balayage (MEB)
2.3. Extraction des exopolymères et isolement des polysaccharides des biofilms
β.γ.1. Cultures pour l’extraction d’EPS
2.3.1.1. Cultures en biofilm
2.3.1.2. Cultures planctoniques
β.γ.β. Protocole d’extraction des exopolymères : résine échangeuse de cations
β.γ.γ. Protocole d’extraction des exopolymères : solution NaOH 0,1 M
2.3.4. Isolement des exopolysaccharides
2.3.4.1. Partage chloroforme/méthanol/eau
β.γ.4.β. Précipitation à l’alcool éthylique des polymères
2.3.4.3. Digestion enzymatique des protéines
β.γ.5. Chromatographie échangeuse d’ions
2.4. Méthodes de caractérisation des exopolymères
2.4.1. Dosages colorimétriques
2.4.1.1. Dosage des sucres
2.4.1.2. Dosage des protéines
2.4.1.3. Dosage des acides uroniques
2.4.2. Dosage des acides nucléiques
2.4.3. Contrôle de la lyse cellulaire : dosage de l’ATP
2.4.4. Chromatographie liquide couplée à la spectrométrie de masse (LC-MS)
2.4.5. Chromatographie d’exclusion stérique haute performance (HPSEC)
2.4.6. Analyse des EPS pour leur composition en sucres simples par chromatographie en phase gazeuse couplée à la spectrométrie de masse (CPG-SM)
2.4.6.1. Hydrolyse acide des polysaccharides
2.4.6.2. Méthanolyse
2.4.6.3. Dérivatisation des monosaccharides pour analyse en CPG-SM
2.4.7. Infra-Rouge à Transformée de Fourrier (IR-TF)
2.4.8. Résonance Magnétique Nucléaire (RMN)
2.4.9. Microscopie à Force Atomique (AFM)
2.5. Test antibiofilm
3. Identification des souches bactériennes isolées de la mer Méditerranée
3.1. Introduction
3.2. Article
3.3. Données accessibles sur le site du journal
3.4. Résultats complémentaires
3.4.1. Croissance bactérienne
3.4.β. Capacité d’adhésion des souches bactériennes
3.5. Conclusion
4. Sélection de souches bactériennes productrices de substances polymériques extracellulaires (EPS)
4.1. Introduction
4.2. Mise au point d’un protocole de production de biofilm
4.β.1. Effet du temps d’incubation
4.2.2. Effet du milieu de culture
4.β.γ. Effet du temps d’incubation et du milieu de culture pour la souche TC5
4.3. Mise au point du protocole d’extraction des EPS solubles (EPS-sol) et des EPS faiblement liées aux bactéries (EPS-fl)
4.4. Etablissement d’un protocole d’extraction des EPS fortement liées aux bactéries (EPS-Fl)
4.4.1. Protocole avec résine échangeuse de cations (CER)
4.4.β. Protocole d’extraction à la soude
4.5. Première sélection des souches bactériennes
4.6. Etude des EPS des six souches sélectionnées
4.6.1. Masses d’EPS et rendement
4.6.2. Composition des EPS
4.6.3. Composition en monosaccharides
4.7. Deuxième sélection des souches bactériennes
4.8. Conclusion
Conclusion générale
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