Identification des propriétés mécaniques de matériaux composites par analyse vibratoire

Qu’il s’agisse d’améliorer la cohésion entre charge et matrice des matériaux composites (formulation-procédé) ou d’évaluer la dégradation d’un matériau soumis à des conditions environnementales sévères (hygrométrie, thermique, mécanique, chimique,…), la science des matériaux, dans son ensemble, nécessite des moyens d’analyse et de suivi de l’évolution des comportements mécaniques endommageables. L’identification du comportement mécanique global d’un matériau composite par des techniques d’analyse vibratoire est un enjeu majeur compte tenu du caractère non destructif de ce type d’essais. Généralement, ces méthodes expérimentales rendent compte à la fois de la rigidité de la structure et du comportement amortissant du matériau, caractérisant ainsi son comportement viscoélastique. Plus spécifiquement, le comportement amortissant global des matériaux composites traduit les dissipations internes se produisant à différentes échelles qui dépendent des propriétés viscoélastiques des différents constituants et des phénomènes de friction aux interfaces charges/matrice. La nature, la répartition, la géométrie et le traitement de surface des charges sont autant de paramètres susceptibles de modifier le comportement dynamique global du matériau. Les performances mécaniques des matériaux composites dépendent non seulement des caractéristiques mécaniques des charges et de la matrice utilisées, mais aussi de la qualité de l’interface entre ces deux constituants. Ainsi, une mauvaise adhésion interfaciale entraîne généralement une modification du comportement du composite, qui peut être assimilée à un endommagement global pour le matériau.

Généralités sur les composites

Caractéristiques générales

Dans de nombreux domaines tels que l’aéronautique, l’armement, l’automobile, le génie civil, les transports, le médical, etc …, l’utilisation des matériaux composites est en constante progression. Cet engouement n’est pas un hasard mais un développement judicieux soutenu par des intérêts techniques et économiques. Les matériaux composites sont des assemblages de deux ou plusieurs produits élémentaires non miscibles de natures différentes. La complémentarité des différents constituants permet d’aboutir à un matériau dont les performances sont généralement un compromis de celles des constituants (pris séparément). Ces matériaux peuvent se présenter sous différentes formes généralement dépendantes de la géométrie du renfort (particules, fibres longues ou courtes introduites dans les tissus…). Les composites qui nous préoccupent ici, font partie de la famille des composites dits particulaires. Pour ces derniers, la matrice conserve la disposition géométrique des renforts et leur transmet les sollicitations auxquelles elle est soumise. Ces matériaux sont hétérogènes à l’échelle microscopique mais sont considérés macroscopiquement comme homogènes ([6], [16], [29]). Les matériaux composites sont développés et choisis pour leurs caractéristiques mécaniques, thermiques, chimiques, etc… Les propriétés obtenues sont généralement meilleures que celles de la matrice seule. Bien évidemment, il est impossible de réunir l’ensemble de ces propriétés dans un même composite ([55]) mais, par rapport aux caractéristiques recherchées, on peut trouver des solutions optimales. La progression des connaissances sur les différents matériaux constitutifs permet un contrôle permanent des différents paramètres de conception, ce qui a pour effet d’améliorer considérablement les propriétés des matériaux composites résultants. Les matériaux ainsi obtenus sont de plus en plus performants dans les différents domaines d’application. Dans leur utilisation, les matériaux composites sont soumis à différents phénomènes de dégradation, qu’ils soient d’ordre mécanique, chimique ou bien physique. Depuis de nombreuses années, on s’intéresse à l’analyse de leurs propriétés thermomécaniques et à la modélisation de leur comportement. Les différentes études expérimentales utilisant des méthodes d’analyses non destructives permettent de suivre le comportement évolutif de matériaux composites soumis à des dégradations.

Dans notre étude, nous nous intéresserons au cas de matériaux composites dans lesquels les charges particulaires (ou renforts) sont directement intégrées dans une matrice polymère (figure 1.1). Les propriétés du composite résultent directement de celles de ses constituants ; de la distribution des charges dans la matrice et de l’interaction entre les constituants, etc … Pour décrire le matériau composite, il sera nécessaire de spécifier la nature des constituants et leurs propriétés, la géométrie et la distribution des charges, la nature de l’interface charge-matrice. Les composites peuvent être formés d’un nombre relativement important de constituants, ce qui complexifie considérablement leur étude. Dans le cadre de notre travail, nous nous concentrerons sur l’étude des matériaux composites à deux phases (charge d’une seule nature et matrice). La fraction de charges dans la matrice est un des paramètres déterminants des propriétés du matériau composite, car elle fait intervenir un volume de renfort et une surface de contact (interface charges-matrice). Pour une concentration donnée, la répartition des charges dans la matrice constitue également un paramètre aussi important. Une répartition uniforme des charges assurera, à l’échelle macroscopique, une certaine « homogénéité » du matériau. Cette hypothèse simplifie considérablement les problèmes de modélisation du matériau composite. Les mauvaises répartitions spatiales (ou dispersions) des charges dans la matrice (constitution d’agrégats, zone dépourvue de charge, zone dite de gomme occluse), présentées par [52] (figure 1.2), affecteront directement les propriétés mécaniques, favorisant des zones pauvres en renfort et diminuant nettement la résistance du composite. Les renforts se présentent généralement sous deux formes différentes, les fibres plus ou moins longues et les charges particulaires (sphériques). Les propriétés du composite résultant diffèrent en fonction de la géométrie des charges caractérisées par leur forme, leur taille et leur orientation notamment pour les fibres. Si l’ensemble de ces paramètres concourent à déterminer les propriétés du composite, les modélisations descriptives ne tiennent compte que de certains paramètres de formes, de tailles et d’orientation des fibres. La modélisation des renforts est schématiquement approchée soit par des sphères pour les particules, soit par des cylindres pour les fibres. La concentration de charge est habituellement mesurée par une fraction volumique ou une fraction massique.

Problématique des matériaux composites

Interface et interphase 

Le rôle essentiel des zones interfaciales est d’assurer un transfert de charge entre la matrice et le renfort. L’interface se formant au cours du procédé même de l’élaboration du composite, le contrôle de ce procédé est d’importance majeure : contamination des surfaces, phénomènes de diffusion, gradients thermiques… sont autant de paramètres qui influent sur la constitution de l’interface [25]. Cette interface est souvent considérée comme la surface de contact entre la charge et la matrice. La mécanique de la matrice n’est en réalité connue que très imparfaitement à proximité des particules ou des fibres [25]. Près de l’interface et sur une faible distance, la structure de la matrice peut être différente du coeur. Cette zone, appelée par Bikerman weak boundary layers [7], peut être le lieu où se concentrent les défauts : porosité et humidité, couches de réactions chimiques, gradients de composition, modification de texture cristalline. Par conséquent, l’interface peut être considérée comme une zone d’interaction, dénommée interphase, et non pas une simple surface de contact [2]. Généralement, les charges sont associées à des agents de couplage (ou traitement de surface) pour améliorer la cohésion à l’interface. L’interphase est la zone où s’effectue précisément le transfert de charge de la matrice vers le renfort. On retrouve dans la littérature de nombreux travaux relatifs au transfert de charge matrice/renfort, par une modélisation de Cox ou de Kelly. Que ces travaux soient de nature expérimentale ou théorique, ils portent sur un grand nombre de paramètres, tels que la géométrie des renforts, le facteur de forme, le traitement de surface, la fraction volumique de renfort,… Nous pouvons nous appuyer sur les travaux de Goodier [31] qui a étudié la répartition des contraintes autour d’une particule sphérique rigide noyée dans une matrice infinie soumise à un chargement en traction uniforme. Une modélisation micromécanique montre qu’il y a concentration de contraintes aux pôles (figure 1.3). La concentration des contraintes est maximale à proximité de la particule et diminue progressivement si on s’éloigne de celle-ci. Une grande partie des modèles utilisés dans l’étude des comportements mécaniques des matériaux composites, ne considère pas la notion de décohésion entre la matrice et la charge. Il s’agit de modèles cohésifs garantissant une continuité des déplacements d’un constituant à l’autre.

Traitement de surface

Afin d’améliorer la cohésion entre les différents constituants du matériau composite, les fabricants font appel à des agents de couplage. Mais nous pouvons retrouver dans le domaine du Génie Civil, notamment sur les bétons, l’utilisation d’agent de couplage permettant d’améliorer la cohésion entre les granulats et la matrice cimentaire. Dans le cas de charges minérales (fibres ou microbilles de verre), ces agents de couplage sont de type silane. Les silanes sont des molécules bifonctionnelles organosilicées dont le but est de former un pont de liaisons chimiques insensibles à l’eau entre les charges et la matrice. Ces agents de couplages se composent généralement :

– d’un groupe organofonctionnel R compatible avec la matrice utilisée,
– d’une fonction hydrolysable alcooxy (-OR’), capable de conduire des liaisons chimiques avec la charge par le biais de la formation de réseaux siloxanes (-SI-O-SI-),
– d’une chaîne hydrocarbonnée stable de longueur variable.

Viscoélasticité des matrices polymères

Mécanismes microscopiques de déformation

L’étude et la connaissance des mécanismes microstructuraux sont très importantes pour comprendre le comportement thermomécanique des polymères. Elles font l’objet de nombreux ouvrages, tels que ceux de C. G’sell [32] et P. Combette [18]. Pour cette raison, nous attacherons une attention particulière à présenter ces mécanismes microstructuraux qui sont à l’origine de phénomènes moléculaires engendrant un comportement viscoélastique. L’analyse de ces phénomènes permet de caractériser le comportement des matériaux polymères, mais peut s’étendre aux matériaux composites à matrice polymère. Les forces qui retiennent les atomes les uns aux autres, agissent comme des ressorts liants un atome à ses voisins, dans l’état solide. Ces forces sont les conséquences des liaisons atomiques qui assurent la cohésion du solide. Les propriétés d’un matériau vont donc dépendre de la force de ces liaisons :
– les liaisons fortes (ioniques, covalentes ou métalliques)
– les liaisons faibles (Van der Waals ou hydrogène)

Les polymères possèdent des liaisons fortes covalentes qui unissent entre eux les atomes d’une même molécule et des liaisons de faible intensité qui relient entre elles, les macromolécules voisines. Compte tenu du caractère sinueux des molécules (pelotes), les liaisons faibles existent non seulement entre les atomes de deux molécules voisines mais aussi entre deux atomes d’une même chaîne rendue voisine à cause du repliement des molécules. Dans le cas des macromolécules qui contiennent plusieurs milliers d’atomes (et donc de chaînes d’atomes très longues), il existe un grand nombre de ces liaisons de faible intensité. On verra que dans beaucoup de cas les propriétés mécaniques d’un polymère sont gouvernées par les liaisons faibles entre molécules, puisque ce sont elles qui constituent la cohésion intermoléculaire. Les molécules sont constituées de longues chaînes d’atomes, généralement de carbone, formant le squelette de la molécule sur lequel sont fixés d’autres atomes de H, O, N, Cl, S… ou de groupements d’atomes appelés groupements latéraux. Les polymères sont légers et généralement ductiles ; ils résistent mal aux hautes températures contrairement aux céramiques. Leurs propriétés mécaniques dépendent de l’architecture des chaînes atomiques. On distingue les polymères thermoplastiques dont la plasticité croît avec la température, les polymères thermodurcissables, rigides, utilisés notamment dans les matériaux composites, et enfin les élastomères ayants des propriétés hyperélastiques remarquables.

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Table des matières

Introduction
1 Polymères et matériaux composites
1.1 Généralités sur les composites
1.1.1 Caractéristiques générales
1.1.2 Problématique des matériaux composites
1.1.2.1 Interface et interphase
1.1.2.2 Traitement de surface
1.1.3 Conclusion et objectifs
1.2 Viscoélasticité des matrices polymères
1.2.1 Mécanismes microscopiques de déformation
1.2.2 Structure et propriétés des polymères
1.2.2.1 Organisation d’une macromolécule
1.2.2.2 Etat des polymères
1.2.2.3 Structure des polymères amorphes
1.2.3 Comportement thermomécanique des polymères
1.2.3.1 Spectrométrie mécanique
1.2.3.2 Influence de la température
1.2.3.3 Principe d’équivalence Temps-Température
1.2.4 Comportement mécanique macroscopique
1.2.4.1 Viscoélasticité linéaire
1.2.4.2 Comportement viscoélastique
1.3 Caractérisation des matériaux composites
1.3.1 Caractérisation thermomécanique des composites
1.3.1.1 Sensibilité des paramètres de formulation sur le comportement thermomécanique
1.3.1.2 Adhésion renforts-matrice
1.3.1.3 Conclusion
1.3.2 Etude des propriétés viscoélastiques par analyse vibratoire
1.3.3 Caractérisation d’un endommagement
1.4 Modélisation du comportement des matériaux composites
1.4.1 Généralités sur les modèles d’homogénéisation
1.4.1.1 Procédures d’homogénéisation
1.4.1.2 Approximations de Voigt et de Reuss
1.4.1.3 Modèle d’Hashin et Shtrikman
1.4.2 Modèles dérivés du problème d’Eshelby en élasticité
1.4.2.1 Problème général de l’inclusion d’Eshelby
1.4.2.2 Modèle autocohérent [37], [43],
1.4.2.3 Modèle de Mori-Tanaka
1.4.3 Modélisation des propriétés viscoélastiques
1.5 Matériaux composites modèles
1.5.1 Description
1.5.1.1 Matrice polymère
1.5.1.2 Présentation des renforts
1.5.1.3 Conception des matériaux composites modèles
1.5.2 Mise en forme des composites
1.5.2.1 Conditions de mise en oeuvre des échantillons
1.5.2.2 Défauts visibles à l’issue de la fabrication des éprouvettes
1.6 Conclusion
2 Techniques expérimentales utilisées
2.1 Introduction
2.2 Essais de caractérisation à chargement monotone
2.2.1 Essai de traction normalisé
2.2.1.1 Présentation de l’essai
2.2.2 Essai de fluage
2.2.2.1 Principe de l’essai de lâcher
2.2.2.2 Protocole d’essai
2.3 Analyse Mécanique Dynamique
2.3.1 Sollicitation en flexion
2.3.1.1 Dispositif expérimental
2.3.1.2 Modélisation de l’essai de visco-analyse
2.3.1.3 Estimation de la raideur complexe et du déphasage d’un échantillon
2.3.1.4 Extraction du module complexe E∗
2.3.1.5 Domaine de validité du modèle analytique
2.3.1.6 Phase de calibration
2.3.2 Sollicitation en torsion
2.3.2.1 Dispositif expérimental
2.3.2.2 Principe théorique
2.3.2.3 Phase de calibration
2.4 Analyse modale expérimentale
2.4.1 Introduction
2.4.2 Notion de base
2.4.2.1 Définition
2.4.2.2 L’amortissement
2.4.3 Aspect expérimental
2.4.3.1 Dispositif expérimental
2.4.3.2 Mode d’excitation
2.4.4 Détermination des paramètres mécaniques dynamiques
2.4.4.1 Extraction des paramètres modaux expérimentaux
2.4.4.2 Identification du module élastique
2.4.4.3 Calibration des essais utilisés en analyse modale
2.5 Analyse par ultrasons
2.5.1 Principe de la méthode
2.5.2 Dispositif expérimental
2.5.2.1 Banc d’essais à transmission
2.5.2.2 Calibration
2.6 Classification des géométries d’éprouvettes en fonction du type d’essai
2.7 Conclusion
3 Etude mécanique de la matrice polymère utilisée
3.1 Caractérisation de la matrice polymère utilisée
3.1.1 Analyse moléculaire du PMMA
3.1.2 Spectres isochrones
3.1.3 Identification des propriétés mécaniques quasi-statiques
3.1.4 Complaisance de fluage en cisaillement par essais de lâcher
3.1.4.1 Interprétation des résultats
3.1.4.2 Analyse du phénomène oscillatoire
3.1.4.3 Analyse des résultats
3.1.4.4 Comportement dynamique du PMMA (modèle rhéologique de Zener)
3.1.5 Etude du PMMA utilisé par analyses vibratoires
3.1.5.1 Analyse harmonique (AMD)
3.1.5.2 Analyse modale expérimentale
3.1.5.3 Analyse par ultrasons
3.1.6 Comparaison entre les différentes méthodes d’analyse
3.2 Etude de plaques de PMMA fissurées
3.2.1 Principe et mise en oeuvre
3.2.2 Analyse modale d’une plaque fissurée
3.3 Conclusion
4 Caractérisation mécanique des matériaux composites modèles
4.1 Introduction
4.2 Caractérisation des matériaux modèles
4.2.1 Contrainte locale et mise en forme
4.2.2 Vérification des formulations de composites
4.2.3 Etude statique des composites
4.2.3.1 Module élastique et comportement à rupture
4.2.3.2 Modèle d’homogénéisation simple
4.2.4 Analyse des faciès de rupture au MEB
4.2.4.1 Etude des billes de diamètre moyen 20 µm
4.2.4.2 Etude des billes de diamètre moyen 60 µm
4.3 Réponse dynamique des matériaux modèles
4.3.1 Etude du comportement mécanique dynamique
4.3.1.1 Modélisation des propriétés viscoélastiques
4.3.1.2 Comparaison avec les résultats expérimentaux
4.3.2 Analyse du comportement élastique des composites
4.3.3 Analyse du comportement dissipatif des composites
4.3.3.1 Effet de la fraction volumique
4.3.3.2 Effet de la surface de contact aux interfaces
4.3.3.3 Etude thermomécanique des traitements de surface pour la formulation 2820TX
4.4 Conclusion
Conclusion générale

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