Identification des difficultés de décodage
La compréhension en lecture, un long processus d’apprentissage
L’enseignant fait parfois ce constat : cet élève lit, mais il ne comprend pas ce qu’il lit. Comment est-ce possible après plusieurs années de scolarité ? Pour découvrir comment aider un élève à progresser dans la compréhension d’un texte lu, il convient de considérer les différents éléments sur lesquels repose la compréhension en lecture. Celle-ci est l’aboutissement d’un long processus d’apprentissage qui s’étale sur plusieurs années. De plus, il est indispensable que tous les éléments constituant cet édifice soient solides pour que le lecteur comprenne. Le schéma du groupe SEDL3 (annexe 2) présente les différents éléments à partir desquels la compréhension en lecture se construit. Il pourrait être mis en mots ainsi : la compréhension écrite est basée d’une part sur la compréhension du langage (qui suppose des connaissances linguistiques et des connaissances du monde, mais aussi des habiletés phonologiques, syntaxiques et sémantiques), et d’autre part sur l’identification des mots (nécessitant la connaissance des règles du code, des connaissances lexicales regroupant la connaissance des lettres, le principe alphabétique, la conscience phonologique et d’avoir développé de bonnes conceptions de l’écrit). La lecture présuppose donc de mobiliser et développer des ressources cognitives nécessaires à l’identification des mots (déchiffrage, décodage) et à la compréhension que nous allons aborder successivement ci-après. 1.2 Qu’est-ce qu’apprendre à identifier des mots ?
Suite aux apprentissages réalisés en 1-2H, c’est en 3H que l’enfant apprend à reconnaitre les différentes lettres, puis à les combiner pour déchiffrer des syllabes. Au début, il se contente de déchiffrer, il comprend peu à peu que ces syllabes regroupées ont un sens. Ainsi, il décode des mots, puis des phrases qui ont du sens. « Déchiffrer l’écriture alphabétique demande d’orienter l’attention à l’intérieur des mots afin d’y repérer les briques élémentaires : les lettres. L’enfant doit comprendre que ces objets sont en tout petit nombre et que ce sont leurs combinaisons, dans un ordre bien précis et de gauche à droite, qui définissent le mot » (Dehaene, 2011, p. 41). Il convient de rappeler que l’apprentissage de la lecture en langue française comporte davantage de difficultés pour l’apprenti-lecteur que le même apprentissage en italien ou en allemand. En effet, dans certaines langues, chaque son est traduit par une lettre ou un groupe de lettres.
En français, 50% des mots environ peuvent être déchiffrés ainsi, de manière transparente, mais par ailleurs, certains sons se traduisent de plusieurs manières (o, au, eau) et certaines graphies se lisent différemment selon le mot dans lequel elles sont utilisées (ce, canard, tirer, attention…). Ces particularités de la langue écrite complexifient l’apprentissage de la lecture et la compréhension des mots puisque le lecteur doit faire de nombreuses hypothèses pour extraire le sens de ce qu’il lit. « La création d’un code visuel efficace de l’écriture demande une transformation profonde de la région que nous avons appelée la « boite aux lettres du cerveau ». Chez un bon lecteur, cette région code non seulement des lettres isolées, mais aussi des combinaisons de lettres qui correspondent à des graphèmes, à des syllabes et à des morphèmes. Former ce code neuronal n’est pas simple. Exposer l’enfant à des lettres ne suffit pas : ce qui transforme vraiment le circuit cortical de la lecture, c’est l’enseignement systématique des correspondances entre les lettres et les sons du langage » (Dehaene, 2011, p. 41-42). En résumé, on pourrait dire que les enfants font en quelques mois ce que l’humanité a fait en plusieurs milliers d’années, à savoir utiliser des signes écrits pour transcrire le langage oral et décoder des signes écrits pour accéder à ce qui a été dit par d’autres. Cette tâche est complexe, car il ne suffit pas d’identifier les mots écrits pour les comprendre (Giasson 2012). Il est nécessaire de réinvestir les habiletés acquises au cours des années précédentes, en manipulant le langage oral. La reconnaissance des mots, la compréhension du discours, l’inférence sont autant d’habiletés que l’enfant a développées et qui seront utiles à l’apprentissage de la lecture.
Identification des difficultés de décodage
Comme nous l’avons vu, l’apprentissage de la lecture est d’une grande exigence pour l’apprenti-lecteur. « Dans la première année d’école primaire, la lecture demande à l’enfant un immense effort d’attention. Déchiffrer les mots implique de passer en revue chacune des lettres dans le bon ordre, de la gauche vers la droite, sans en oublier une seule, tout en se souvenant de leurs correspondances avec les phonèmes et en les assemblant en mémoire pour former un mot. Chaque mot est une énigme, un puzzle que l’enfant ne reconstitue qu’au prix de grands efforts » (Dehaene, 2011, p. 48). Certains élèves franchissent aisément les différents obstacles et les nouveaux défis rencontrés. D’autres rencontrent davantage de difficultés. Il suffit parfois d’être patient et d’accorder davantage de temps pour parcourir ces étapes importantes.
Il arrive aussi que les difficultés soient plus conséquentes et se répercutent pendant plusieurs années sur le développement de l’enfant. Une observation fine et attentive de l’élève permettra d’identifier ces difficultés. De nombreux éléments sont à prendre en compte : ses compétences en compréhension du langage oral sont-elles suffisantes, sa reconnaissance des phonèmes est-elle bonne, sa connaissance des graphèmes complexes est-elle approfondie, son entrainement est-il suffisant pour permettre l’automatisation et l’accès à la voie d’adressage, est-il soutenu dans son apprentissage ? Autant de questions dont les réponses indiqueront les modalités de soutien possibles. Selon l’âge de l’enfant, l’interprétation de ces difficultés différera. Par exemple, la confusion de certains graphèmes en 3-4H est très courante, elle devient plus problématique à partir de la 5H. Lorsqu’un élève de 7H déchiffre syllabe après syllabe, cela a une plus grande incidence sur ses apprentissages que pour un élève en cours de 4H.
Un pont entre la théorie et la pratique
Lorsqu’un enseignant apprend à lire à des enfants, il se base d’abord sur ce qu’il a appris lors de sa formation initiale, mais aussi sur sa propre expérience d’apprenti-lecteur ou ce dont il croit se souvenir. Bien vite, les difficultés rencontrées par les élèves le poussent à trouver des alternatives, à chercher des compléments d’information. Les intuitions et le bon sens pédagogique sont souvent profitables à l’enseignement. Au fil des années, l’enseignant acquiert un solide bagage, mais le besoin de conforter ses pratiques par des éléments théoriques se fait parfois sentir. L’intérêt actuel pour les neurosciences, entre autres, reflète ce besoin d’en savoir davantage sur ce qui se passe dans le cerveau de l’enfant qui apprend. En effet, les premiers apprentissages scolaires et celui de la lecture en particulier paraissent anodins à de nombreux adultes, puisque qu’ils sont tellement automatisés et bien intégrés dans leur vie quotidienne.
Le lecteur expert n’est pas conscient que l’acte de lire recouvre pourtant de nombreuses habiletés, mais l’enseignant en contact quotidien avec des apprentis-lecteurs pressent que cet apprentissage renferme bien des mystères. En effet, lire sollicite le cerveau de manière massive, mais aucune de ses fonctions n’est dédiée cet acte-là, trop récent dans l’histoire de l’évolution humaine (Dehaene, 2011). Le cerveau doit donc solliciter des fonctions présentes telles que la reconnaissance des objets et des visages, la reconnaissance des sons, la combinaison de sons pour former un mot, l’accès à la signification de ce mot, la distinction entre un mot connu, un mot inconnu et un non-mot… Ces différentes fonctions, présentes mais inconscientes et implicites pour le jeune enfant, sont « recyclées » au profit de la lecture. Cela implique de nouvelles connexions neuronales et l’intensification de certains réseaux pour faciliter la collaboration entre les régions du cerveau concernées.
« Le principal changement qu’impose la lecture se situe dans l’hémisphère gauche, dans une région bien précise du cortex visuel qu’on appelle l’aire visuelle des mots. […] Lorsqu’on présente des suites de lettres, la réponse de cette région du cerveau s’accroit en proportion directe du score de lecture. […] Elle fait déjà partie des aires visuelles du cerveau qui servent à reconnaître les visages, les objets et les formes géométriques. Apprendre à lire consiste à recycler un morceau de ce cortex afin qu’une partie des neurones qui s’y trouvent réorientent leurs préférences vers la forme des lettres et leurs combinaisons » (Dehaene, 2011, p. 28-29). Les études spécifiques dédiées à la lecture, décrites et vulgarisées notamment par Dehaene (2011), éclairent le questionnement des enseignants à propos des processus d’apprentissage et des difficultés de certains élèves.
Des arguments significatifs peuvent étayer certains choix pédagogiques. Par exemple, ces recherches soulignent la nécessité d’enseigner explicitement la correspondance entre graphèmes et phonèmes. « Les enfants à qui l’on enseigne explicitement quelles lettres correspondent à quels sons apprennent plus vite à lire et comprennent mieux l’écrit que d’autres enfants à qui on laisse découvrir le principe de l’alphabet » (Dehaene, 2011, p. 42). Elles apportent aussi la confirmation que l’acte de lire ne consiste pas en une activité purement visuelle, mais qu’il nécessite l’implication de multiples processus pour que le texte soit lu et compris. La prise de conscience de la complexité de cet apprentissage entretient la curiosité de l’enseignant, explique la multiplicité des difficultés rencontrées et justifie l’importance de rechercher des pistes diverses pour les surmonter. Ces considérations relativement techniques ne doivent pas occulter le fait que le but premier de la lecture reste la compréhension.
Apprentissage de la compréhension
Une fois dépassé le stade d’apprentissage du décodage et de la compréhension des premières petites phrases, le lecteur débutant rencontre des textes toujours plus longs et complexes. S’il est vrai que la compréhension du texte écrit s’appuie sur les compétences acquises à l’oral, il n’en demeure pas moins que le texte écrit est souvent bien plus complexe que le texte oral. Le vocabulaire utilisé est plus étendu, la syntaxe plus variée, les thèmes abordés plus diversifiés, les inférences plus nombreuses (Bianco, 2015, p. 296). Autant de difficultés que le lecteur débutant franchit avec plus ou moins d’aisance. Certains élèves, dotés d’une bonne connaissance du vocabulaire, de la syntaxe et lisant abondamment, progressent facilement. Pour d’autres, il conviendrait d’enseigner les différentes habiletés nécessaires à la compréhension de l’écrit de manière explicite et soutenue pour favoriser leur apprentissage, à savoir les connaissances sémantiques et syntaxiques, le traitement de l’organisation textuelle, la saisie des idées principales, les mécanismes d’inférence, les habiletés de contrôle… (Ibid., p. 307).
En effet, si le bon sens suggère que « plus on lit, mieux on lit », les études montrent que l’imprégnation profite d’abord aux bons lecteurs. Les élèves qui lisent et comprennent bien, acquièrent toujours davantage de vocabulaire, découvrent de nouvelles tournures de phrases et ont du plaisir à lire des textes de plus en plus longs alors que les lecteurs faibles progressent très peu par eux-mêmes. La mise en place de séances de lecture libre en classe est donc une mesure qui renforce les inégalités plutôt que de permettre aux élèves en difficulté de progresser. C’est ce qu’on appelle « l’effet Matthieu », autrement dit « les riches s’enrichissent et les pauvres s’appauvrissent » (Ibid., p. 313). Bianco définit clairement les conditions auxquelles l’enseignement de la compréhension sera bénéfique pour les élèves les plus faibles. Plutôt que de laisser l’élève découvrir par lui-même, l’enseignant précise l’objectif à atteindre, il organise le travail, au besoin simplifie la tâche et fournit les aides nécessaires aux élèves. « L’entraînement doit être explicite, conçu autour d’exercices précis fournissant des outils pour travailler et renforcer chaque habileté, et il doit être conduit régulièrement et dans la durée » (Ibid., p. 317).
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Table des matières
Remerciements
Résumé
Liste des tableaux et des figures
Liste des annexes
INTRODUCTION
Contexte de la recherche et motivation personnelle
Premières expériences
Question de recherche et démarche envisagée
CHAPITRE 1 – PROBLÉMATIQUE
1.1 La compréhension en lecture, un long processus d’apprentissage
1.2 Qu’est-ce qu’apprendre à identifier des mots ?
1.2.1 Déchiffrage, décodage, éléments généraux
1.2.2 Assemblage et adressage
1.2.3 Identification des difficultés de décodage
1.2.4 Un pont entre la théorie et la pratique
1.3 Qu’est-ce que la compréhension ?
1.3.1 Définition
1.3.2 Compréhension de l’oral et de l’écrit
1.3.3 Le cerveau comprend
1.3.4 Apprentissage de la compréhension
1.3.5 Identification des difficultés en compréhension
1.4 La fluence
1.4.1 Définition
1.4.2 Importance du décodage automatisé
1.4.3 Des études qui mettent en lien fluence et compréhension
1.4.4 Comment entrainer la fluence
1.4.5 Une transition importante
1.4.6 Mise en perspective
1.5 Question de recherche
CHAPITRE 2 – MÉTHODOLOGIE
2.1 Introduction
2.2 Caractéristiques de cette recherche
2.2.1 Divers angles d’approche
2.2.2 Une recherche cyclique
2.2.3 Une recherche participative
2.2.4 Une recherche de type qualitatif
2.4 Participants et contexte
2.4.1 Elaboration des groupes d’entrainement
2.4.2 Groupe d’entrainement à la fluence (GF-6Ha)
2.4.3 Groupe d’entrainement à la fluence et à la compréhension (GFC-6Hb)
2.4.4 Contexte
2.4.5 Groupe témoin
2.5 Détail des trois étapes de la recherche
2.5.1 Prétest écrit
2.5.2 Entretien individuel (prétest)
2.5.3 Période d’entrainement à la fluence et à la compréhension
2.5.4 Posttest écrit et entretiens individuels
2.6 Techniques de recueil et d’analyse des données
2.6.1 Questionnaires
2.6.2 Entretien semi-directif
2.6.3 Journal de bord
2.6.4 Enregistrements
2.6.5 Auto-évaluation des élèves
2.6.7 Remarque concernant l’analyse des données
CHAPITRE 3 – RÉSULTATS ET ANALYSE
3.1 Prétests et posttest
3.1.1 Questionnaires écrits de compréhension
3.1.3 Entretiens individuels
3.1.4 Résultats de la lecture à haute voix
3.1.5 Résultats de la restitution du contenu
3.1.6 Analyse de l’évolution des représentations des élèves
3.2 Description de la phase d’entrainement à la fluence (groupe GF-6Ha)
3.2.1 Déroulement
3.2.2 Réactions des élèves et aménagements
3.2.3 Autoévaluation du plaisir, de l’effort et du progrès
3.2.4 Ce qui a été adapté
3.2.5 Évolution du nombre de MCLM (groupe GF-6Ha)
3.3 Description de la phase d’entrainement à la fluence et à la compréhension (groupe GFC-6Hb)
3.3.1 Déroulement
3.3.2 Description des ateliers de compréhension
3.3.3 Ce qui a été adapté
3.3.4 Réactions des élèves et aménagements
3.3.5 Autoévaluation du plaisir, de l’effort et du progrès
3.3.6 Évolution du nombre de MCLM (groupe GFC-6Hb)
3.4 Analyse qualitative de l’ensemble du dispositif
3.4.1 Mise en perspective
3.4.2 Portrait des élèves participant au groupe d’entrainement à la fluence (GF-6Ha)
3.4.3 Portrait des élèves du groupe d’entrainement à la fluence et à la compréhension (GFC-6Hb)
3.4 Discussion
3.5 Comparaison des démarches proposées
CONCLUSION
Propositions
Pour conclure
BIBLIOGRAPHIE
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