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Les chiffres du tabagisme en France
Le tabac est un problème majeur de santé publique. C’est la première cause de mortalité évitable (1) en France, responsable de 78 000 morts par an. Environ 50% des fumeurs décèdent prématurément à cause d’une pathologie liée au tabac. Ces maladies sont nombreuses :
-‐ Les cancers du poumon : 40 000 nouveaux cas par an et 30 000 décès par an en 2017 selon l’InCa, avec une survie standardisée à 5 ans à 17 % et 10% à 10 ans. (2)
-‐ Les maladies cardio-vasculaires : 18 000 décès par an selon la Fédération française de cardiologie.
-‐ Les pathologies respiratoires dont BPCO : 1,7 millions de Français seraient concernés soit 4% de la population française, 145 000 patients sous oxygène longue durée et 16 000 décès en 2013 selon l’INSERM.
Les risques liés au tabagisme passif ne sont pas négligeables : augmentation de 25 % du risque de cancer bronchique et du risque de maladies cardiovasculaires (3). Le tabagisme est la première cause identifiée de mort subite du nourrisson.
En France, selon les données du baromètre santé 2017 (4), 31,9% des personnes âgées de 18-75 ans déclarent fumer (35,2% des hommes et 28,7% des femmes). La proportion de fumeurs quotidiens s’élève à 26,9% parmi les 18-75 ans (29,8% parmi les hommes et 24,2% parmi les femmes). Parmi ces fumeurs quotidiens, 26,3% avaient fait une tentative d’arrêt d’au moins une semaine dans l’année. 56,7% des fumeurs quotidiens déclaraient avoir envie d’arrêter de fumer : 10,3% dans le mois à venir; 14,5% dans les six prochains mois; 5,1% dans l’année à venir et 26,9% dans un avenir non déterminé.
Sevrage tabagique
Les médecins généralistes sont souvent le premier recours des patients qui souhaitent une aide lors de leurs tentatives de sevrage tabagique. D’autant plus que les patients sont souvent satisfaits de la prise en charge du sevrage tabagique par leur médecin généraliste (5). Il existe plusieurs freins à la réalisation de consultations dédiées à cette demande. Le manque de temps avec la désertification médicale, le manque de reconnaissance et de rémunération, le manque de connaissances et de formation en tabacologie sont une partie des raisons qui font que les médecins généralistes ne s’impliquent pas assez dans ce domaine (6). Les médecins spécialistes sont eux aussi dans cette même réticence à mettre en œuvre ces prises en charge chronophages. Certains auteurs proposent donc de faire intervenir d’autres professionnels de santé (7).
Dans de nombreux pays, d’autres professionnels de santé sont formés pour fournir une aide au sevrage aux patients qui le demandent notamment des IDE et des sages-femmes. Dans une étude randomisée de patients souhaitant un sevrage (8), on retrouve une abstinence identique dans le groupe suivi par un infirmier par rapport au groupe suivi par un médecin lorsque les patients sont traités par varenicline (OR= 0.71; IC 95%: = 0,44 ; 1,16).
La revue de la littérature Cochrane (9) démontre que l’intervention des IDE est positive et complète les conseils des autres intervenants (médecins, …) avec un bénéfice quantitatif : l’intervention par l’IDE en plus du médecin augmente, par rapport à l’intervention du médecin seul, la probabilité d’arrêter de fumer RR 1.29 (IC 95% : 1,21 à 1,38).
Dispositif ASALEE
Le dispositif ASALEE a été créé en 2004 (10) pour améliorer la prise en charge des maladies chroniques en médecine libérale par des IDE en collaboration avec les médecins généralistes. Des protocoles de collaboration permettent de déléguer des activités de dépistage ou de suivi de maladies chroniques. Ces IDE sont formés à l’éducation thérapeutique et sont rattachées à un ou plusieurs médecins généralistes qui leur adressent des patients pour différents suivis et / ou dépistages. Les médecins et IDE se rencontrent à échéance donnée pour discuter des patients qu’ils ont en commun et orienter ou adapter la prise en charge si nécessaire.
Les IDE ASALEE travaillent dans plusieurs domaines :
– dépistage de troubles cognitifs
– dépistage de BPCO
– suivi et aide au sevrage tabagique
– suivi et éducation des patients diabétiques
– suivi et éducation des patients vasculaires
Ces domaines de compétences s’élargissent au fur et à mesure et en fonction des formations des IDE avec notamment le suivi d’enfants en surpoids, les évaluations de développement psychomoteur.
De nombreuses évaluations ont déjà été réalisées pour le protocole de suivi des patients diabétiques, un des premiers mis en place lors de la création du dispositif. Les études retrouvent une meilleure réalisation des examens recommandés par l’HAS (11) notamment HbA1c, microalbuminurie, test au monofilament et fond d’œil (p<0,001) et un meilleur équilibre glycémique (12). La probabilité d’avoir une valeur d’HbA1c inférieure ou égale 8 % sur un an est 1,8 fois plus importante pour les patients dans le groupe ASALEE que pour ceux du groupe témoin (OR=1,8 pour un p<0,05).
A la fin de l’année 2017, on comptait 533 IDE (267 équivalents temps plein) dans 753 cabinets et travaillant en collaboration avec 1959 médecins.
IDE ASALEE et protocole de sevrage tabagique
Lors du premier entretien par l’infirmier ASALEE avec un patient dans le cadre du dépistage de BPCO ou d’une demande d’aide au sevrage du tabac, l’IDE a la possibilité de réaliser différents tests :
– évaluation de la dépendance au tabac par le test de Fagerström (annexe 1)
– évaluation de la motivation sur une échelle numérique (de 0 à 10)
– évaluation des situations liées au tabac par le test de Horn (annexe 2)
– spirométrie : examen réalisé au cabinet pour mesurer les volumes pulmonaires et les débits expiratoires. C’est un examen de débrouillage utilisé notamment dans le cadre de l’asthme et de la BPCO. Lorsque des anomalies sont retrouvées, le patient est adressé à un pneumologue pour des épreuves respiratoires plus poussées.
– mesure du taux de monoxyde de carbone (CO) dans l’air expiré. Les patients soufflent dans un appareil qui donne un chiffre de CO en parties par million (ppm). Les résultats sont répartis en 3 groupes : faible (< ou = à 6 ppm), moyen (7 à 10 ppm), élevé (> ou = à 11 ppm) (13).
Ces tests peuvent être réalisés au début de la prise en charge mais aussi au fil des rendez-vous pour suivre l’évolution.
Les patients sont soit recontactés par téléphone au début de leur sevrage soit directement en consultation au bout d’un temps de sevrage déterminé. Le suivi se fait ensuite à la demande. L’IDE propose au patient de le revoir s’il le souhaite qu’il soit en sevrage ou non.
Les IDE ASALEE ont aussi une délégation de prescriptions pour certains produits pharmaceutiques, c’est notamment le cas de tous les substituts nicotiniques. La prescription de ces substituts fait partie du panel d’options qu’elles peuvent proposer dans le cadre du sevrage du tabac.
L’objectif de cette étude est donc d’évaluer le point de vue des patients en demande de sevrage tabagique suivis, dans le cadre du dispositif ASALEE, par une IDE formée en éducation thérapeutique.
Matériel et méthode
Type d’étude
Il s’agit d’une étude qualitative par entretiens individuels semi-dirigés. La méthode qualitative a été choisie car elle est adaptée à la recherche en soins primaires et pour permettre aux patients de s’exprimer librement (14).
Le guide d’entretien a été rédigé avant la réalisation des premiers entretiens. Il est composé de questions ouvertes dont l’ordre et la formulation ont varié en fonction du patient. Le guide d’entretien a été testé sur un premier patient puis a évolué au fil des entretiens (guide d’entretien final : annexe 3).
Population étudiée
Les participants sont des patients majeurs qui sont ou étaient suivis par deux IDE ASALEE de Haute Normandie, une dans l’Eure et une en Seine Maritime.
La taille de l’échantillon n’était pas déterminée en début de travail car les entretiens ont été réalisés jusqu’à saturation des données.
Au bout de 11 entretiens, une saturation des données a été atteinte. 35 patients avaient été contactés parmi les patients qui étaient suivis par les deux IDE ASALEE. Sur les 24 autres patients qui n’ont pas permis la réalisation d’entretiens, 4 ont pris rendez vous mais ne sont pas venus, 8 ont refusé directement, 12 n’ont pas rappelé malgré un message vocal et une ou deux relances téléphoniques.
Les entretiens ont été réalisés au cabinet médical ou au domicile des patients en fonction des préférences de ceux-ci. Les entretiens ont été enregistrés à l’aide d’un dictaphone (PHILIPS Voice Tracer®) après information orale et accord oral des patients. Ils ont ensuite été retranscrits mot à mot sur Microsoft® Word 2008 et les pistes audio ont été supprimées dès la retranscription effectuée. Les noms propres qui auraient pu permettre l’identification de patients et / ou de médecins ont été remplacés par des données générales (ex : médecin traitant, IDE).
Le codage des verbatim a été effectué sur le logiciel Microsoft® Excel 2008.
Un double codage a été effectué sur trois entretiens avec triangulation des données. Devant une concordance importante sur ces trois entretiens tirés au hasard, il a été décidé de façon arbitraire de ne pas le réaliser pour les huit autres.
Cadre légal
Il n’y a pas de conflit d’intérêt à déclarer pour ce travail de thèse.
Une déclaration auprès de la CNIL a été effectuée. Ce travail de recherche est inscrit au registre des activités de traitement de l’Université de Rouen en date du 1er mars 2019 sous la référence « 2019.006 – THESE – Sevrage tabagique »
Avant le premier rendez-vous
Orientation vers IDE ASALEE
Tous les patients sont adressés à l’IDE ASALEE par la voie classique, c’est-à-dire via leur médecin traitant. Si les patients ne prennent pas contact avec l’IDE celle-ci les appelle une fois et leur propose un rendez vous s’ils le souhaitent. Certains pensent que c’est leur médecin qui va effectuer le suivi du sevrage (E11). Ils ne pensent pas être suivis par un autre professionnel de santé.
Les patients sont adressés à l’IDE dans différents contextes : sur proposition du médecin généraliste « à chaque fois il me parlait d’arrêter de fumer » (E9), sur demande d’aide au sevrage « parce que je voulais arrêter » (E6). Souvent les patients ont fait des tentatives auparavant pas forcément avec l’accompagnement d’un professionnel de santé et devant l’échec de cette tentative, ils en parlent à leur médecin qui les adresse à l’IDE ASALEE.
Les motivations sont diverses mais les raisons de santé reviennent souvent « je toussais » (E3), « j’avais mal à la gorge » (E4), « pour ma grossesse » (E1), « j’enchainais les bronchites » (E8). La peur est un argument qui revient souvent après un problème de santé personnel ou familial (AVC, coronaropathie…) . Les autres motivations étaient « montrer l’exemple » (E3), « pour mes petits enfants » (E3) ou simplement une consultation pour information, pour une éventuelle tentative de sevrage tabagique (E4).
Certains n’ont pas envie d’aller en consultation avec l’IDE mais l’ont accepté quand même « mais comme mon médecin m’en a parlé j’y suis allée » (E2).
A quoi s’attendre?
La plupart des patients ne connaissent pas le dispositif et ne savent donc pas à quoi s’attendre. Ils se lancent sur les conseils de leur médecin traitant et « parce que ça ne pouvait pas être néfaste » (E4). Ils s’attendent le plus souvent à « des conseils » (E3), « quelque chose pour arrêter de fumer » (E2).
Certains connaissent le dispositif mais ne savent pas qu’il y en a dans le cabinet de leur médecin traitant (E5) ou connaissent mais « pour le suivi du diabète et des maladies cardiovasculaires et pas pour une aide au sevrage tabagique » (E11).
Le médecin traitant leur explique parfois ce qui les attend : « il m’a dit c’est une personne pour vous aider » (E5 et E8).
Première consultation
Déroulement
La première consultation est souvent la plus longue, elle permet que l’IDE et le patient fassent connaissance. Elle permet à l’IDE de proposer différentes options de sevrage : substituts nicotiniques (patch, gommes…) ou non, hypnose, huiles essentielles…. « L’IDE m’a dit « j’ai d’autres cordes à mon arc si ça ne marche pas » »(E11). Elle donne plein de « conseils sur les habitudes » (E3).
L’IDE réalise aussi une évaluation de la consommation « des questions sur ce que je fumais et à quelle fréquence » (E2)
Au cours de la consultation, « elle m’a expliqué tout ce qui était possible » (E5) « elle m’a tout expliqué » (E6). L’IDE vante aussi « les bienfaits de l’arrêt du tabac » (E7) le tout de façon mesurée « je ne suis pas sortie frustrée et elle ne m’a pas non plus fait peur » (E5). L’IDE donne des informations et propose un suivi au patient. « Le fait qu’on vous dise les choses même que vous savez déjà c’est important » (E4).
Pour quelques patients, la première consultation a été vécue de façon négative « la première fois j’y suis allée parce que mon médecin m’a demandé mais ça m’a embêté » (E10), voire même « une perte de temps, elle parle c’est tout « (E2).
Une patiente est venue à la consultation avec son fils « c’était de l’éducation en même temps » (E9).
Spirométrie et taux de monoxyde de carbone
Ces évaluations sont réalisées par l’IDE quand elle le juge nécessaire et/ou sur demande du médecin qui l’adresse à sa consultation, soit à la première consultation soit un peu plus tard dans la prise en charge. Les patients reçoivent soit un âge pulmonaire (à partir du résultats de la spirométrie, le logiciel attribue au patient un « âge pulmonaire » par comparaison avec un profil spirométrique de référence,) en fonction de leur capacité respiratoire soit les courbes avec les normes et les explications de l’IDE. On retrouve plusieurs types de réaction face aux résultats de ces tests.
Pour certains ces résultats ont été une motivation supplémentaire à l’arrêt du tabac : « j’étais dans le rouge ça fait prendre conscience » (E1), « ça m’a encore plus motivé » (E6); « j’avais des poumons de 30 ans de plus que mon âge » (E5).
Pour d’autres patients, cette évaluation respiratoire est un constat auquel ils s’attendaient « je ne m’attendais pas à avoir des poumons de jeune » (E5).
D’autres sont restés indifférents « je ne me souviens pas des résultats » (E2). Suite à ces examens, un patient a été adressé par son médecin traitant à un
pneumologue devant des anomalies majeures de la spirométrie.
Suivi
Relation avec l’IDE
Globalement les patients ont un point de vue positif sur le plan relationnel. Les points qui reviennent au fil des entretiens sont : la confiance, l’écoute, l’absence de jugement.
Les patients se sont sentis à l’aise avec l’IDE et souvent une relation de confiance s’installait. « Elle mettait à l’aise » (E1), « accueillante » (E9). Le fait qu’elle n’émette pas de jugement est fréquemment noté par les patients « pas de jugement par rapport au tabac » (E1). Elle ne brusque pas les patients « elle ne m’a pas forcé c’est appréciable » (E10). Elle fait aussi « un peu de psychologie » (E11) et dans le sevrage tabagique c’est important.
La moitié des patients en sevrage estime que le travail de l’IDE est un travail d’aide et d’accompagnement « je l’appelais ma coach » (E8), « le fait de savoir qu’on a quelqu’un » (E6).
Les patients découvrent le dispositif au fur et à mesure de la prise en charge « je ne savais pas qu’il y aurait un suivi » (E1). Le fait d’avoir un suivi est vécu de façon positive « ça permet de résoudre les problèmes au fur et à mesure » (E4). C’est cela qui « pousse à ne pas reprendre » (E1), « on se fait un challenge » (E4). Les patients se sentent entourés et encadrés par l’IDE mais aussi par le médecin et « soutenue par les deux » (E11).
Le tabac mais pas que…
Les patients apprécient de parler du tabac « en parler c’est important » (E4) « et pas que du tabac » (E3). Par exemple lors de prise de poids liée au sevrage, l’IDE est apte à donner des conseils nutritionnels. Cinq patients en ont parlé spontanément « elle a commencé à me suivre pour le poids « (E11) et en sont ravis.
Différence avec le médecin
Certains trouvent cette relation du même type que celle qu’ils ont avec leur médecin traitant : « aucune différence » (E3).
Pour la plupart des patients, cette relation diffère. L’IDE est plus disponible « je ne dis pas forcément tout au médecin par manque de temps » (E4). La consultation est dédiée au problème du tabac : « là c’est le tabac »(E4) » « le médecin est plus centré sur la maladie, la guérison et les médicaments » (E6). Les patients apprécient que l’IDE ait une formation spéciale et sont plus enclins à lui poser des questions plus précises : « c’est plus technique avec l’IDE » (E7).
Le médecin semble être plus craint que l’IDE : « J’avais peur que mon médecin me dispute, avec l’IDE je savais que ca allait mieux se passer » (E10), « peur de se faire souffler dans les bronches par le médecin » (E6).
Les patients sont conscients que ce dispositif libère du temps à leur médecin traitant « ça soulage mon médecin » (E11).
Relation médecin / IDE
Les patients trouvent positif le fait que le médecin et l’IDE discutent de leurs dossiers ensemble : « elle lui rend des comptes » (E11), « elle bascule les résultats à mon médecin » (E2), « mon médecin m’a félicité quand je l’ai revu » (E10).
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Table des matières
REMERCIEMENTS
ABREVIATIONS
INTRODUCTION
Les chiffres du tabagisme en France
Sevrage tabagique
Dispositif ASALEE
IDE ASALEE et protocole de sevrage tabagique
MATERIEL ET METHODE
Type d’étude
Population étudiée
Cadre légal
RESULTATS
Caractéristiques des participants aux entretiens
Avant le premier rendez-vous
Orientation vers IDE ASALEE
A quoi s’attendre?
Première consultation
Déroulement
Spirométrie et taux de monoxyde de carbone
Suivi
Relation avec l’IDE
Le tabac mais pas que
Différence avec le médecin
Relation médecin / IDE
Fin de prise en charge
Points positifs et négatifs
Ce qui leur a manqué
Comparaison avec d’autres tentatives de sevrage
Satisfaction des patients
Coût de la prise en charge
DISCUSSION
Principaux résultats
Forces et faiblesses de l’étude
Forces 3
Limites
ASALEE
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
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