Iconicité de la séquence temporelle en chinois mandarin contemporain

Pourquoi l’iconicité ?
L’iconicité en linguistique, particulièrement l’iconicité de la syntaxe, a été un sujet à la mode, a déclenché d’interminables polémiques, a fait couler beaucoup d’encre. On voyait de l’iconicité partout. Comme tout effet de mode, il n’a eu qu’un temps. Mais le phénomène lui-même n’a pas cessé d’exister pour autant. En a-t-on exagéré l’importance ? Cette thèse veut relever un défit : essayer de ‘faire marcher’ la notion jusqu’au bout, la pousser dans ses derniers retranchements.

Iconicité et langage
Depuis l’Antiquité et sans doute avant, des penseurs ont discuté du caractère naturel ou, au contraire, arbitraire de la relation entre forme et contenu. Dès le Cratyle de Platon, la question est posée de savoir si l’association entre les mots et leur sens est naturelle ou conventionnelle. Chez les grammairiens de l’Antiquité, la querelle entre les tenants de l’analogie et les partisans de l’anomalie en est une suite. Il faut attendre Saussure, le fondateur de la science moderne du langage, pour dégager la spécificité du signe linguistique où la relation entre le signifiant et le signifié est arbitraire, delà est née le structuralisme et la linguistique moderne. En même temps que l’arbitraire du signe, Saussure propose aussi la motivation.

De la naissance de la notion d’iconicité chez Peirce (1931), à la première implantation de l’iconicité en linguistique par Jakobson (1965), les penseurs modernes de différents domaines remettent à l’ordre du jour les discussions de l’Antiquité sur les rapports entre la forme et le contenu. Il faut remarquer que l’arbitraire du signe n’est pas remis en cause dans la plupart des recherches actuelles sur l’iconicité. Jakobson (1965), Bolinger (1977), Greenberg (1976), Givon (1979) sont les auteurs de contributions majeures au progrès de la recherche sur la ‘motivation d’iconicité’ en linguistique dans leur effort pour dégager des universaux linguistiques.

Depuis les travaux de Haiman (1985), l’iconicité de la syntaxe est un sujet à la mode. Ce sujet s’impose particulièrement dans le cas des langues isolantes, à morphologie réduite, où l’ordre des mots est le marqueur principal des structures syntaxiques et se trouve, par là, au centre de la grammaire. L’ordre des mots dans une phrase mime-t-il l’ordre des événements dont on parle ou reflète-t-il l’ordre même du discours, ou est-il arbitraire ? Dans ces langues, où les mots sont pratiquement tous lexicaux et non des marques grammaticales, on constate que certains d’entre eux évoluent vers de telles marques : marques de temps, aspect, marques de subordination, équivalents de prépositions, etc. Ces phénomènes de grammaticalisation, par le figement qu’ils impliquent, peuvent entrer en conflit avec l’iconicité et la transparence qui accompagne celle-ci.

La problématique de l’iconicité de la syntaxe permettra de poser les problèmes suivants : dans quelle mesure le principe d’iconicité s’applique-t-il plus particulièrement aux langues isolantes du type chinois où peu de moyens morphologiques sont reconnus ? dans quelle mesure la sémantique de la grammaire peut-elle expliquer le rapport entre forme et sens des énoncés ? Les représentations linguistiques reflètent-elles les phénomènes cognitifs et connaissent-elles des modèles universels ? Au niveau des mécanismes linguistiques, le problème est de déterminer les stratégies de catégorisation et d’analyse nécessaires pour représenter linguistiquement les situations complexes du réel. Nous nous appuierons sur la dimension diachronique pour observer la grammaticalisation de certains mots : comment ont-ils évoluent petit à petit de mots à sens plein en marques segmentales dites ‘vides’ ? Comment ces motsoutils, ou plutôt ces mots à double appartenance (dans le cas où la grammaticalisation n’en est pas achevée), contribuent-ils à l’expression des paquets de relations (‘packaging’ chez Givon, 1984, 1991, Lemaréchal, 1997) en jeu dans tout événement du réel, même si les relations grammaticales et sémantiques ne sont pas toutes explicitement exprimées au niveau de la morphosyntaxe. Si l’on a l’impression que, dans les langues isolantes, dont fait partie le chinois, l’interprétation linguistique s’appuie grandement sur l’ordre iconique des mots, les changements d’ordre des mots s’expliquent-ils par une perturbation dû à la hiérarchie de l’information ou bien cela fait-il intervenir des règles plus abstraites et moins motivées ?

La notion d’iconicité
Qu’entend-on par ‘iconicité’ ? Certains phénomènes linguistiques miment manifestement le référent qu’ils sont censés évoquer. En linguistique, on parle d’’iconicité’ dans tous les cas où le signifiant calque le signifié. Le phénomène existe dans tous les domaines : de la phonétique à l’organisation du discours. L’onomatopée boum est censée calquer le bruit produit par exemple par la chute d’un objet lourd, poum un bruit d’explosion ; mais boum et poum sont des mots de la langue, d’une langue particulière. Un autre exemple est fourni par le procédé rhétorique et poétique appelé harmonie imitative, telle qu’elle est mise en œuvre, par exemple, par Racine dans son célèbre vers « Pour qui sont ces serpents qui sifflent sur vos têtes » où le son [s] est censé évoquer le sifflement des serpents. Un autre exemple bien connu se situe au niveau de l’organisation du discours : c’est celui de la narration dite « iconique » où l’ordre des propositions calque l’ordre des événements rapportés. Quel que soit le système linguistique, la succession des certains éléments du discours sera interprétée comme reflétant la suite des événements, moyennant l’emploi des bonnes formes verbales par exemple (prétérit en anglais, ou passé simple en français écrit ‘soutenu’, etc.), moyennant aussi la bonne intonation à l’oral ou la bonne ponctuation dans le code écrit ; il va sans dire qu’en chinois s’y ajoute l’impression qu’on a une suite de lexèmes sans grammaire .

Le phénomène a été identifié depuis longtemps ; ce qui a en partie assuré son succès, c’est qu’on y a vu une objection à l’‘arbitraire du signe’ saussurien. L’existence de phénomènes relevant de l’iconicité contredit-elle l’arbitraire du signe ? La réponse est non. Même une onomatopée comme ouah ouah censée mimer l’aboiement du chien est totalement arbitraire. Le chien ne fait pas un [wawa] composé des phomènes /w/ et /a/. Le choix de la forme est totalement arbitraire, puisque dans une autre langue, le chien dit ‘kuangkuang’.

L’iconicité renverrait-elle directement à la cognition, en nous faisant faire l’économie de la grammaire ? La réponse est non. L’iconicité n’est pas non plus au principe de la grammaire, elle peut au plus renvoyer à l’étiologie de certains phénomènes et à un certain type de motivations des faits du langage, cela ne permet pas de faire l’économie de la description d’une langue. Tout au plus elle est un élément de cette description. En linguistique, à l’époque où l’iconicité était à la mode, on a eu tendance à voir de l’iconicité partout, à reconvertir en termes d’iconicité les théories de la hiérarchie de l’information, voire à y faire entrer, sous d’autres appellations, des pans entiers de la grammaire.

Les théories de l’iconicité
La notion d’iconicité remonte au philosophe Peirce (1931). Dans sa théorie de la ‘triade’ distinguant entre icône, index et symbole, il traite de l’icône (ou hypoicône) à travers une  distinction en trichotomie entre image, diagramme et métaphore. Le concept d’iconicité, d’origine sémiotique, doit son implantation en linguistique à Jakobson, dont l’article « A la recherche de l’essence du langage » de 1965, sert de point d’ancrage aux travaux contemporains sur la question. En syntaxe, une construction est dite iconique si elle correspond à la situation du monde physique extérieur ou à la réalité conceptuelle de ce monde extérieur. Dans les recherches linguistiques, on opère classiquement une répartition des phénomènes d’iconicité en iconicité d’image et en iconicité de diagramme. L’‘iconicité d’image’ s’applique au signe isolé et manifeste un type concret de similarité entre le signe et l’objet, au sens où ces derniers possèdent des traits inhérents communs, comme dans le cas de l’onomatopée, du portrait, ou des écritures idéographiques. L’‘iconicité diagrammatique’ concerne des ensembles de signes et son caractère abstrait provient de la nature relationnelle de la similarité qu’elle manifeste. Ainsi, dans le fameux exemple issu de Jakobson (1965), les événements exprimés par chacun des verbes dans lat. veni, vidi, vici (César) se succèdent dans le monde de référence dans l’ordre où les mots se succèdent dans la phrase. Dans l’iconicité diagrammatique, d’ordre résolument grammatical, c’est l’arrangement structural des signes qui se trouve motivé.

Plusieurs études sur l’iconicité ont été données par des linguistes de l’école fonctionnelle (Chafe 1970, Bolinger 1977, Haiman 1980, 1985, Hopper & Thompson 1980, 1984, Slobin 1985, Givon 1979, 1989,1990).

Haiman (1980) propose une autre répartition des phénomènes d’iconicité grammaticale : entre iconicité d’isomorphisme et iconicité de motivation. La première répond à la relation univoque : une forme – un sens ; la seconde est l’équivalente, sur le plan grammatical, de l’iconicité de diagramme : « The second type of iconicity (…) is that in which a grammatical structure, like an onomatopeic word, reflects its meaning directly. The clearest example of such iconicity is that of sequence. Other things being equal, the order of statements in a narrative description corresponds to the order of the events they describe. This I will term the iconicity of motivation » (Haiman, 1980, p. 516).

Le principe d’iconicité peut également expliquer les phénomènes d’ordre des mots relevant de la hiérarchie de l’information : l’ordre des éléments de la phrase mimerait l’ordre du discours : ce qui est avant dans le discours, ce qui est du déjà connu, serait reflété par ce qui est avant dans la phrase, le thème, etc. Les phénomènes de topicalisation, focalisation, cadratif, mise en relief sont des domaines où ce type d’iconicité se manifeste de manière particulièrement visible : « moi, ma concierge, elle a dit que demain il allait pleuvoir » ; ainsi que de la place des compléments dit « cadratifs » : « Question fruits, je préfère les pêches ».

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Table des matières

Introduction
CHAPITRE I. L’iconicité temporelle dans les constructions verbales sérielles en mandarin contemporain
1. Les études précédentes
1.1. Les études de CVS en Chine
1.2. Les études de CVS en dehors de la Chine
2. Des définitions et critères de délimitation très restrictifs
2.1. Définition
2.2. Critères de délimitation
2.3. Une définition maximaliste des CVS
3. Les sous-catégories de CVS
3.1. CVS de succession (S1=S2)
3.2. CVS de concomitance (S1=S2)
3.3. CVS à̀ objet commun (S1=S2, O1=O2)
3.4. Les CVS de but (S1=S2)
3.4.1. Les CVS de but marquées par l’ordre des constituants
3.4.2. Les CVS de but marquées par lái/qù
3.4.3. Les CVS à valeur consécutive dont le V2 est marqué en polatité (négation) ou en mode
3.5. Constructions à pivot larges et étroites (O1=S2)
3.5.1. Définition des constructions à pivot
3.5.2. Les constructions à pivot large relevant du niveau “core-layer”
3.5.3. Constructions à pivot étroites (O1=S2 exclues du compactage) relevant du “nuclear layer”
3.5.4. Comment un second verbe résultatif modifie l’Aktionsart du verbe
3.5.5. Le problème de la transparence à la valeur de vérité
4. Les caractéristiques des CVS
4.1. Des paquets de relations : la remise en cause de l’“événement unique”
4.2. Décomposition et intégration des relations : une expression sélective des relations
4.3. L’iconicité entre tendance cognitive et moyen grammatical
4.3.1. Fonction et motivation des CVS et constructions à pivot
4.3.2. L’iconicité temporelle comme tendance cognitive
4.3.3. L’iconicité temporelle comme moyen grammatical
Conclusion
CHAPITRE II. L’iconicité temporelle dans les expressions de position, de mouvement et de déplacement
1. Les noms de portions d’espace inaliénables (‘localizers’)
1.1. Du nom commun à l’expression du lieu
1.2. Les noms de portions d’espace inaliénables comme facteur de télicité
2. Les huit verbes directionnels
2.1. Les études précédentes
2.2. Valence et Aktionsart des verbes directionnels
2.2.1. ‘Verbe directionnel’(x,y)
2.2.2 L’Aktionsart
2.2.3. L’expression ablative et les verbes directionnels orientés vers la phase initiale
2.3. Le problème du statut de dào
2.4. L’emploi transitif des verbes directionnels
3. Les constructions bivalentes de position
3.1. L’ordre des constituants verbaux iconique
3.2. La position préverbale des compléments de lieu de position
3.3. Les phrases impersonnelles
Conclusion

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