Hypothèses sur l’apprentissage bâties à partir de théories psychologiques

Cadre théorique

« Il y a ma vérité, il y a ta vérité et il y a la vérité. » (proverbe du Burkina Faso) .

La perspective de cette étude est de connaître le rôle d’un enseignement sur l’apprentissage des élèves. Pour rendre compte de ce rôle, cette recherche nécessite de prendre comme objet d’étude les relations entre les situations d’enseignement, le comportement des élèves et leurs acquisitions. Le cadre théorique que nous allons développer, va conditionner notre méthodologie pour analyser l’interaction de l’élève et de son environnement dans le cas d’un enseignement de physique sur les gaz. Nous proposons, dans un premier temps, de présenter les hypothèses sur l’apprentissage, que nous adoptons dans le cadre de cette étude. Dans un second temps, nous nous positionnerons par rapport aux principaux travaux sur les théories didactiques du changement conceptuel et nous étudierons les différents types de modélisations proposés afin de déterminer la plus adaptée pour mener à bien notre étude. Enfin, dans un troisième temps, nous présentons notre modèle des idées, en spécifiant notamment ce qu’est une idée, ainsi que comment elle évolue. Nous finissons en présentant comment l’utilisation de la notion de milieu issue de la théorique des situations didactiques de Brousseau (1998) permet d’étudier les facteurs responsables de l’évolution des idées.

Hypothèses sur l’apprentissage

Cette partie présente notre point de vue sur l’apprentissage. Pour cela, nous précisons les hypothèses sur l’apprentissage que nous adoptons à partir des théories issues de la psychologie. Puis, nous présentons des hypothèses sur l’apprentissage liées aux spécificités du fonctionnement du savoir en physique. Pour finir, nous utiliserons les résultats de travaux en didactique pour bâtir des hypothèses sur les raisonnements des élèves.

Hypothèses sur l’apprentissage bâties à partir de théories psychologiques

Le but de cette partie est de faire un rapide tour d’horizon des différentes théories psychologiques sur l’apprentissage, afin de définir les hypothèses de base que nous adoptons. La plupart des approches didactiques sur l’apprentissage se basent sur les travaux des psychologues. C’est pourquoi, nous pensons que ce rapide tour d’horizon, devrait nous permettre de situer notre approche didactique par rapport à ces différents courants.

Rapide aperçu des principaux courants théoriques de la psychologie 

Depuis la naissance de la psychologie dans les années 1880 jusqu’à nos jours, de nombreuses théories ont été élaborées, leurs buts étaient de fournir des représentations permettant de comprendre les conduites humaines. Parmi les courants émergeant de l’entre deux guerres, on trouve le béhaviorisme. Pour ce courant, l’apprentissage consiste en une modification du comportement ; l’enjeu est alors d’étudier les modifications des conduites (directement observables) en relation avec des modifications de l’environnement. Ces études se centrent sur la caractérisation des entrées (stimuli) et des sorties (réponses) sans se préoccuper du fonctionnement interne de l’individu. À la même période se développe le courant du gestaltisme connu aussi sous le nom de psychologie de la forme. Ce courant, radicalement opposé au béhaviorisme, « développe l’idée que le tout n’est pas la somme des parties ; » car « ce qu’il y a en plus dans le tout, ce sont les relations entre les parties » (Sorsana 1999, p.17). De plus, il envisage que les activités « intelligentes » consistent seulement en l’appréhension des relations. Le cognitivisme arrivera plus tard, dans les années 1950. Il « se caractérise par une focalisation sur l’intérieur du système cognitif, sa structure et son fonctionnement. Le postulat majeur d’une telle approche est que si on connaît le système, on pourra dire ce qu’il peut faire et pourquoi il le fait » (Weil-Barais 1993, p. 41). À l’intérieur de ce courant, on peut distinguer deux approches par leur représentation du système cognitif : le cognitivisme computationnel (représentant le système cognitif par des connaissances calculables et des règles de calcul) et le cognitivisme structural (représentant le système cognitif par des structures et des mécanismes de fonctionnement de ces structures). Le cognitivisme computationnel se centre sur la représentation du flux informationnel qui entre dans le système cognitif et sur le traitement de celle-ci. L’esprit humain est modélisé sous la forme d’un système de traitement de l’information. Ce courant théorique, en adoptant le postulat de base que penser c’est transformer l’information, donnera lieu au développement d’une psychologie dite du « traitement de l’information ». Très vite, ce courant fera appel à l’informatique pour modéliser le traitement de l’information, faisant ainsi émerger le courant travaillant sur l’intelligence artificielle (I.A.). Le cognitivisme structural sera porté par les travaux de Piaget, notamment sur l’épistémologie génétique, dont naîtra le courant du « constructivisme », qui défend l’idée que les connaissances ne sont pas acquises à la naissance, mais construites par l’individu au cours de sa vie. De plus, le structuralisme piagétien repose sur une idée fondamentale : le système cognitif est un système auto-organisé, c’est-à-dire que, étant donné ses caractéristiques initiales, il évolue nécessairement vers des états d’équilibre du fait même qu’il fonctionne. Il s’agit donc de décrire les caractéristiques initiales du système, les mécanismes de fonctionnement et les états d’équilibre. Vingt ans après naîtra le courant du connexionisme. Il utilise les sciences du cerveau comme modèle de description de l’émergence des compétences cognitives. Le postulat essentiel du connexionisme pose que les états mentaux ne seraient pas descriptibles en termes de connaissances, d’intentions, de buts ou de croyances comme le fait la psychologie cognitive, mais que l’esprit humain pourrait être modélisé par un système constitué de grands réseaux d’entités très simples (appelés « processeurs », « neurones », ou encore « nœuds ») interconnectées et opérant en parallèle. Il faut remonter au début du 20ème siècle avec, notamment les travaux de Vygotski pour voir émerger une définition sociale de la cognition. Ces travaux seront à la base du développement du courant de la psychologie socioculturelle. L’idée centrale de cette approche est que le fonctionnement et le développement des fonctions psychologiques supérieures de l’individu (dont évidemment le maniement des connaissances conceptuelles scientifiques) dérivent des interactions sociales. De ce courant émergera dans les années 1980 la cognition située. Cette approche considère l’apprentissage comme une modification des pratiques sociales, apprendre revient à s’intégrer socialement dans les pratiques d’un milieu professionnel, ce qui nécessite de s’approprier l’héritage culturel, et d’être capable de tenir un discours avec ses pairs.

À la suite de une étude plus détaillée sur les théories psychologiques de l’apprentissage, Weil-Barais (1993, p. 483) précise qu’à « l’heure actuelle, il semble impossible de pouvoir rendre compte par une seule théorie de la multitude de données dont on dispose sur les différentes formes d’apprentissage ». C’est pourquoi, nous faisons le choix de sélectionner parmi les différentes théories, les hypothèses sur l’apprentissage qui nous semblent les mieux adaptées pour mener à bien notre étude.

Nos hypothèses de base sur l’apprentissage 

Cette partie propose de nous situer par rapport aux travaux de Piaget, de Vygotski, et ceux de la cognition située, en précisant les hypothèses de base que nous adoptons de ces différentes théories.

Hypothèses de base issues des travaux de Jean Piaget (1861-1980) 

Les travaux de Piaget (1970) s’intéressent à l’épistémologie génétique, dont le but est « de chercher à dégager les racines des diverses variétés de connaissances dès leurs formes les plus élémentaires et de suivre leur développement  » (p. 6). On trouve dans ces travaux, notamment l’idée que les connaissances sont construites par l’individu en s’adaptant à son milieu. Cette adaptation nécessite la modification de certains schèmes, définis comme des invariants au niveau des actions. Piaget décrit cette modification à l’aide de deux mécanismes : l’assimilation et l’accommodation. Pour Piaget, l’adaptation intellectuelle est « une mise en équilibre progressive entre un mécanisme assimilateur et une accommodation complémentaire » et « l’adaptation n’est achevée que lorsqu’elle aboutit à un système stable, c’est-à-dire lorsqu’il y a équilibre entre l’assimilation et l’accommodation » (Piaget 1963, p.13). Sans reprendre la notion de schème, ni les mécanismes d’adaptation, nous adoptons l’hypothèse que l’individu construit ces connaissances en s’adaptant à son milieu et plus particulièrement en interagissant avec les objets du monde matériel.

De plus, Piaget (1972) distingue dans le développement des structures de l’intelligence des individus, quatre stades : sensori-moteur, symbolique, concret et formel. Pour lui, les stades ont un caractère intégratif, ce qui signifie que les structures construites à un niveau donné sont intégrées dans les structures du niveau suivant. Nous adoptons l’hypothèse que les nouvelles connaissances se construisent à partir des connaissances préalables de l’individu, sans pour autant adopter la structuration du développement de l’intelligence en termes de stades. On reproche notamment à la théorie de Piaget d’être trop centrée sur l’action et de ne pas prendre assez en compte le rôle du langage et des interactions sociales. C’est pourquoi, nous allons adopter d’autres hypothèses issues du courant du socio-constructivisme.

Hypothèses de bases issues de Vygotski (1896-1934) 

L’idée centrale de la psychologie socioculturelle est que le fonctionnement et le développement des fonctions psychologiques supérieures de l’individu dérivent des interactions sociales. Ce paradigme considère que l’apprentissage des concepts scientifiques passe par une internalisation au plan intrapsychique par le sujet, d’un discours partagé par d’autres personnes, se situant au plan interpsychique. Nous adoptons cette hypothèse que nous reformulons par une connaissance avant d’être « internalisée » par un individu est externe et partagée par plusieurs personnes. Pour que cette internalisation ait lieu, l’individu doit être aidé. Selon la vigoureuse formule de Bruner (1985, p. 32) « il n’y a aucune façon, aucune, pour qu’un être humain puisse maîtriser ce monde sans l’aide et l’assistance des autres, parce qu’en fait ce monde c’est les autres ». Pour nous, l’internalisation d’une nouvelle connaissance passe forcément par le langage et plus généralement la médiation. Toutefois à cette médiation s’ajoute une autre condition : celui qui aide doit se situer dans une zone où un développement est à la fois possible avec une assistance et impossible sans cette assistance, la Zone Proximale de Développement. Pour nous, la construction de nouvelles connaissances par un individu nécessite qu’elles ne soient pas trop éloignées de ses connaissances initiales. Dans son travail Vygotski différencie les concepts spontanés, des concepts scientifiques. En effet, pour lui « le développement des concepts scientifiques doit immanquablement prendre appui sur un certain niveau de maturation des concepts spontanés » (Vygotski 1998, p.289-290). Nous adoptons l’hypothèse que l’individu construit ses connaissances scientifiques à partir de ses connaissances quotidiennes. Cependant, nous n’adhérons pas à l’idée, selon laquelle « les concepts scientifiques ne se développent pas du tout comme les concepts quotidiens » (Vygotski 1998, p.276), ni à une hiérarchisation entre les concepts scientifiques qui seraient supérieurs aux concepts spontanés. Nous partons de l’hypothèse qu’il n’y a pas de différence fondamentale dans le développement de ces concepts. C’est pourquoi, dans le cadre de notre travail, nous ne cherchons pas à établir de hiérarchisation entre les concepts.

Pour étudier la relation qu’entretient la pensée avec le langage, Vygotski va choisir comme unité de base le mot, car pour lui « la pensée ne s’exprime pas dans le mot, mais s’y réalise » (Vygotski 1998, p. 493). Pour lui, la signification sert à faire le lien entre la pensée et l’expression verbale. À ce propos, nous adoptons, pour la suite de notre travail, la distinction faite entre sens et signification : le sens « représente l’ensemble de tous les faits psychologiques que ce mot fait apparaître dans notre conscience. Le sens d’un mot est ainsi une formation toujours dynamique, fluctuante, complexe, qui comporte plusieurs zones de stabilité différente. La signification n’est qu’une des zones du sens que le mot acquiert dans un certain contexte verbal, mais c’est la zone la plus stable, la plus unifiée, et la plus précise… » (Vygotski 1998, p. 480). En résumé, Vygotski place le langage au cœur de l’apprentissage et considère que l’étude de la pensée passe par l’analyse de la signification des mots.

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Table des matières

Introduction générale
Chapitre 1. Cadre théorique
Introduction
1. Hypothèses sur l’apprentissage
Introduction
1.1 Hypothèses sur l’apprentissage bâties à partir de théories psychologiques
1.2 Éléments sur le fonctionnement du savoir en physique et dans l’enseignement
1.3 Hypothèses sur les raisonnements des élèves
Conclusion
2. Les courants du changement conceptuel
Introduction
2.1 Présentation des courants du changement conceptuel
2.2 Les types de modélisation de la connaissance
3. Les idées
Introduction
3.1 Qu’est-ce qu’une idée ?
3.2 Comment les idées évoluent-elles ?
3.3. Les facteurs de l’évolution des idées
Conclusion sur le modèle des idées
Conclusion sur notre cadre théorique
Chapitre 2. Problématique
Introduction
Questions de recherche
1. Comment évoluent les idées des élèves de seconde au cours d’une séquence d’enseignement sur les gaz ?
2. Quels rôles jouent les connaissances préalables dans l’évolution des idées ?
3. Quels rôles jouent les situations d’enseignement dans l’évolution des idées ?
Conclusion
Chapitre 3. Méthodologie
Introduction
1. Justification de l’expérimentation retenue
1.1. Choix d’une étude à plusieurs niveaux
1.2. Nécessité d’une étude de cas en continue sur une longue durée
1.3. Une étude dans une classe réelle sans intervention de l’observateur
1.4. Nécessité de construire une séquence d’enseignement
1.5. Abandonner l’idée d’une étude comparative
2. Organisation du recueil des données
2.1. Type de données utilisées
2.2. Choix des échantillons
2.3. Condition de recueil des données
3. Analyse des données
3.1. Choix des données analysées
3.2. Traitement des données de l’étude « globale »
3.3. Traitement des données de l’étude « fine »
Conclusion
Chapitre 4. Analyse des connaissances préalables et de la séquence d’enseignement
Introduction
1. Analyse des connaissances préalables des élèves en fonction du programme de Seconde
1.1.Connaissance sur le sens de certains mots issus du programme de Seconde
1.2. Aspects particulaires des gaz
1.3. Présence des gaz
1.4. Répartition des gaz
1.5. Action des gaz
1.6. Lourdeur
1.7. Propriétés des gaz
2. Analyse de la séquence d’enseignement sur les gaz
Introduction
2.1. Présentation du groupe « outils »
2.2 Élaboration des textes des modèles à partir du programme
2.3. L’analyse de la séquence d’enseignement sur les gaz
Conclusion
Chapitre 5. Analyse de l’évolution des élèves sur plusieurs classes
Introduction
1. Mise au point du questionnaire
2. Recueil des données
3. Analyses et Résultats
Introduction
3.1 Aspect particulaire des gaz
3.2 Répartition des gaz
3.3 Action du gaz
3.4 Masse d’un gaz
Conclusion
Conclusion générale

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