L’hypospadias est une malformation urogénitale qui résulte d’une hypoplasie des tissus formant la face ventrale de la verge. Il associe à des degrés variables un abouchement ectopique du méat urétral à la face ventrale de la verge, une coudure de la verge et un prépuce en tablier de sapeur. C’est la deuxième malformation la plus fréquente dans le sexe masculin. Dans le monde, les prévalences sont très hétérogènes d’une région à une autre, d’une ethnie à une autre. On reporte une prévalence de 0,6/10 000 naissances en Asie (Malaisie), 464/10 000 en Europe du nord (Danemark). La prévalence nationale est difficile à apprécier du fait de l’absence de registre des pathologies congénitales. Cette pathologie est également prise en charge dans d’autres services de chirurgies urologiques et pédiatriques au Sénégal. Le diagnostic est essentiellement clinique. Plusieurs formes anatomiques existent en fonction de la localisation du méat ectopique. La prise en charge est pluridisciplinaire : chirurgicale et psychologique surtout. L’existence de nombreuses techniques chirurgicales témoigne de l’intérêt des auteurs à la recherche sans cesse de techniques efficaces avec la moindre morbidité possible. La tranche d’âge idéale pour la chirurgie des hypospadias est entre 12 et 24 mois avec un séjour hospitalier court, afin de réduire autant que possible l’impact psychologique. Plusieurs facteurs interviennent à la réussite d’une cure d’hypospadias l’expérience du chirurgien, la disponibilité d’un matériel adéquat, la technique utilisée, la gestion des pansements en post-opératoire, l’âge du patient. Les complications les plus fréquemment retrouvées sont la fistule urétrocutanée, la suppuration du site opératoire et la sténose du néo méat urétral En Afrique subsaharienne et particulièrement au Sénégal, la chirurgie de l’hypospadias reste un défi à cause de l’indisponibilité d’un matériel adéquat. Par ailleurs des études sur cette malformation y sont peu nombreuses.
Rappels historiques
« Hypospadias » est un mot grec signifiant une ouverture à la face inférieure de la verge. Etymologiquement, il est formé du préfix « hypo » (en dessous) et « spadon » (fente, espace, ouverture). Ce terme a été employé pour la première fois par Galien au IIe siècle. Il considérait l’hypospadias comme cause d’infertilité par mal position du méat et déviation de l’éjaculat et proposait, à l’époque, une section du frein comme traitement. Ensuite, Paul D’Egine, au VIIe siècle, définissait l’hypospadias comme une imperforation du gland et une ouverture de l’urètre sous le frein. Il proposait ainsi une amputation partielle du gland pour y remédier. Par contre, les grands principes de la chirurgie de la verge dans l’hypospadias ont été décrits au XIXe siècle par THIERSCH en Allemagne puis Duplay en France [4]. Ce n’est qu’à la fin du XXe siècle que la compréhension de l’anatomie de l’hypospadias a permis la description de techniques modernes mieux adaptées. En effet, la substitution de l’urètre manquant par l’utilisation de différents tissus au cours du XXe siècle, comme la peau du scrotum, les greffons libres de peau ou la muqueuse vésicale, s’est soldée par des résultats parfois peu satisfaisants. Les techniques en plusieurs temps comme la technique de LEUVEUF-PETITCENDRON ont connu leur heure de gloire dans les années 1970. Outre MATHIEU en 1932 qui a décrit une technique toujours utilisée de nos jours avec de bons résultats, ce sont essentiellement ASOPA, DUKKET, SNYDER, RANSLEY et MOLLARD qui, dans les années 1980, ont modernisé les principes décrits par THIERSCH et DUPLAY et le concept de gouttière urétrale qui représente la base de cette chirurgie. L’emploi de lambeaux de muqueuse préputiale vascularisée ou de muqueuse libre (buccale) amarrés sur la gouttière urétrale ont radicalement changé l’approche chirurgicale de l’hypospadias.
Rappels embryologiques
La période de différenciation de la verge s’étend de la 8ième à la 12ièmesemaine de développement. Au cours de la 3ième semaine de développement, des cellules mésenchymateuses, provenant de la ligne primitive, migrent autour de la membrane cloacale pour former de chaque côté un repli légèrement surélevé : le pli cloacal. Ce pli cloacal fusionne avec son homologue opposé en avant de la membrane cloacale pour constituer le tubercule génital ; Pendant la 6ième semaine, les plis cloacaux se divisent en plis génitaux ou urétraux en avant, et en plis anaux en arrière. Le développement ultérieur des organes génitaux externes est caractérisé par l’allongement rapide du tubercule génital, formant le pénis. Au cours de cet allongement, le pénis entraine avec lui les plis génitaux ou urétraux qui forment ainsi les berges de la profonde gouttière uro-génitale ou urétrale ; cette gouttière s’étend sur toute la longueur de la face caudale du pénis mais n’atteint pas l’extrémité distale du gland. Au fond de la gouttière, l’entoblaste s’épaissit et forme la lame urétrale. A la fin du 3ièmemois les deux plis urétraux fusionnent en face de la lame urétrale, formant le canal de l’urètre pénien. Bien que le phénomène de fusion ait longtemps été discuté [6], on admet actuellement que la formation de l’urètre pénien se fait par tub ulisation de la gouttière urétrale dans le sens proximal-distal via la fusion des replis urétraux au niveau de la ligne médiane. L’urètre balanique se forme au cours du 4ième mois par colonisation du gland par les cellules ectoblastiques qui vont y former un cordon épithélial plein prolongeant ainsi le canal urétral en avant, ce cordon donnera plus tard le méat urétral définitif.
Les organes génitaux externes se développent, donc, à partir de trois soulèvements chez le fœtus male: le tubercule génital, les plis urogénitaux, et les renflements labio-scrotaux. Le tubercule génital formera le pénis, les plis urogénitaux donnent l’urètre pénien et les renflements labio-scrotaux donnent le scrotum. À l’issue du développement génital, on retrouve des structures d’origines embryologiques distinctes, dérivant de l’un des trois feuillets : l’endoderme, l’ectoderme ou le mésoderme. Deux hypothèses ont été proposées pour expliquer l’origine embryologique de l’urètre balanique :
● Initialement, l’origine ectodermique de l’urètre balanique était avancée, par invagination épithéliale au sein du gland
● Actuellement l’hypothèse d’un urètre entier d’origine endodermique est reconnue avec une différenciation dans la portion glandulaire pour former un épithélium squameux.
L’urètre semble se former selon un mécanisme de double « zipp »: Un « zipp d’ouverture » facilite la canalisation de la plaque urétrale solide en gouttière urétrale. Un « zipp de fermeture » facilite la fusion des deux surfaces épithéliales de la gouttière urétrale, et permet l’extension distale de l’urètre pénien tubulaire .
Cette étape est hormonale. La différenciation des organes génitaux s’effectue via les androgènes. Ils sont synthétisés dans la cellule de Leydig et agissent au sein de tissus cibles. La balance entre androgènes et estrogènes est cruciale dans le développement génital. L’HCG (human chorionic gonadotrophin) produit par le placenta contrôle la croissance des cellules de Leydig et stimule la stéroidogenèse fœtale en attendant que l’axe glande pituitaire/gonade du fœtus soit établit.
Rappels étio-pathogéniques
Mécanismes
L’étiologie de cette malformation reste encore inconnue même si un certain nombre de travaux impliquent des désordres hormonaux, génétiques ou vasculaires.
Anomalies endocriniennes
Parmi les anomalies endocriniennes rapportées, certains auteurs soulignent des réponses insuffisantes à la testostérone plasmatique après stimulation par l’ »Human Chorionic Gonadotropin (HCG) » alors qu’une mutation au niveau des gènes codant pour les récepteurs aux androgènes semble rarement rencontrée en cas d’hypospadias isolé. Cette insuffisance de réponse à la testostérone peut être due à un(e):
– Elévation isolée de la luteinizing hormone (LH) plasmatique.
– Déficits enzymatiques au cours de la stéroidogenèse (3 bêtahydroxysteroïde déshydrogénase; 17, 20 lyase) chez les patients porteurs d’hypospadias sévères.
– Anomalie de la biosynthèse de la 5 alpha-réductase. D’autres auteurs rapportent une élévation isolée de la « Luteinizing Hormone (LH) » plasmatique .
Anomalies génétiques
Des progrès significatifs ont été réalisés quant à l’identification des gènes et des réseaux de régulation qui régissent la différenciation masculine. Ils interviennent au cours de cinq phases : le stade indifférencié, le développement précoce du phallus, la détermination testiculaire, la synthèse et l’action des androgènes. Le développement du phallus est orchestré par le gène SHH (sonic hedgehog) ; Le gène SRY (sex-determining region Y) induit la différenciation de la gonade en testicule ; Trois mutations du gène pour la biosynthèse de la 5 alpharéductase ont été décrites (A49T/1131, H231R, CXORF6). Le défaut d’action d’un des intervenants entrant en jeu dans cette cascade peut interférer dans le développement génital normal. Cela conduit à un hypospadias par défaut de fusion des deux surfaces épithéliales de la gouttière urétrale. Ces phénomènes de prolifération et de migration seraient perturbés par un dysfonctionnement dans leurs mécanismes moléculaires.
Facteurs vasculaires
Une vascularisation fœtale imparfaite chez les enfants de petit poids de naissance et chez certains jumeaux transfuseurs peuvent constituer un facteur favorisant la survenue d’hypospadias.
Facteurs environnementaux
Une exposition maternelle aux substances chimiques exogènes comme les dioxines; les pesticides ; organochlorés et les phyto-œstrogènes. Ces substances chimiques entrainent des perturbations endocriniennes Ce lien éventuel entre l’hypospadias et ces perturbateurs est en cours de recherche.
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Table des matières
INTRODUCTION
1.Rappels historiques
2.Rappels embryologiques
3. Rappels étio-pathogéniques
3.1. Mécanismes
3.1.1. Anomalies endocriniennes
3.1.2. Anomalies génétiques
3.1.3. Facteurs vasculaires
3.1.4. Facteurs environnementaux
3.2. Conséquences
4. RAPPELS ANATOMIQUES
4.1. Pénis
4.1.1. Situation
4.1.2. Forme et direction
4.1.3. Dimensions
4.1.4. Constitution
4.1.4.1. Organes érectiles
4.1.4.1.1. Corps caverneux
4.1.4.1.2. Corps spongieux
4.1.4.1.3. Gland du pénis
4.1.4.1.4. Structure des organes érectiles
4.1.4.2. Enveloppes de la verge
4.1.4.2.1. Peau
4.1.4.2.2. Dartos pénien
4.1.4.2.3. Couche celluleuse
4.1.4.2.4. Enveloppe fibro-élastique
4.1.4.3. Prépuce du pénis
4.1.4.4. Ligament suspenseur du pénis
4.1.5. Vaisseaux et nerfs
4.1.5.1. Artères
4.1.5.2. Veines
4.1.5.3. Lymphatiques
4.1.5.4. Nerfs
4.2. Anatomie de l’urètre
4.2.1. Situation
4.2.2. Dimensions de l’urètre masculin
4.2.2.1. Longueur
4.2.2.2. Calibre
4.2.2.3. Configuration interne de l’urètre masculin
4.2.3. Rapports de l’urètre masculin
4.2.4. Vascularisation
4.2.5. Innervation
5. FORMES ANATOMO-CLINIQUES
5.1. Classification anatomique
5.2. Classification de DUCKETT
6. DIAGNOSTIC DE L’HYPOSPADIAS
6.1. Circonstances de découverte
6.2. Examen clinique
6.3. Examens complémentaires
6.3.1. Biologie
6.3.2. Imagerie
6.3.2.1. Echographie abdomino- pelvienne
6.3.2.2. Exploration coeliocopique
7. TRAITEMENT
7.1. Buts
7.2. Moyens médicaux et méthodes chirurgicales
7.2.1. Moyens médicaux
7.2.2. Méthodes chirurgicales
7.2.2.1. Techniques chirurgicales
7.2.2.1.1. Redressement de la verge
7.2.2.1.2. Urétroplastie
7.2.2.1.2.1. Urétroplastie pour hypospadias Glandulaires
7.2.2.1.2.1.1. Méatoplastie d’agrandissement avec glanduloplastie ou MAGPI
7.2.2.1.2.1.2. Technique de MATHIEU
7.2.2.1.2.1.3. Technique de MUSTARDE
7.2.2.1.2.1.4. Technique de Thiersch-Duplay
7.2.2.1.2.1.5. Technique de SNODGRASS
7.2.2.1.2.1.6. Technique de KOFF
7.2.2.1.2.2. Urétroplastie pour hypospades avec division distale du corps spongieux
7.2.2.1.2.3. Urétroplastie pour hypospadias avec division proximale du corps spongieux
7.2.2.1.2.3.1. Technique de DUCKETT- ASOPA
7.2.2.1.2.3.2. Urétroplastie en INLAY
7.2.2.1.2.3.3. Urétroplastie en ONLAY ou Onlay Island flap de Duckett
7.2.2.1.2.3.4. Technique de KOYANAGI
7.2.2.1.2.4. Greffe libre de muqueuse buccale
7.2.2.1.2.6. Interventions en plusieurs temps
7.2.2.1.3. Couverture de la verge
7.2.2.2. Précautions techniques générales
7.2.2.2.1. Matériel
7.2.2.2.3. Hémostase
7.2.2.2.4. Sutures
7.2.2.2.5. Drainage de l’urine
7.2.2.2.6. Pansement
7.3. Indications opératoires
7.4. Complications du traitement
7.4.1. Mauvais résultats cosmétiques
7.4.2. Les fistules urètro-cutanées
7.4.7. Balanitis xerotica obliterans
7.4.8. La rétraction du méat ou la déhiscence glandulaire
7.4.9. La persistance de la coudure
7.4.10. Le désastre des hypospadias multi-opérés
7.4.11. Les complications psychologiques
CONCLUSION