Hydrogène et accélération laser-plasma

Le Département des Systèmes Basses Températures (SBT, membre de l’IRIG, au CEA) a conçu en 2015 un cryostat, appelé ELISE, permettant de produire par extrusion des rubans d’hydrogène solide d’un millimètre de large et d’une centaine de micromètres d’épaisseur. Ces rubans sont ensuite utilisés comme cible dans les expériences d’accélération laser-plasma dans des centres dédiés. L’un des objectifs de la fabrication de ces cibles est de réduire autant que possible leur épaisseur ; avec les lasers actuels, l’épaisseur demandée par les physiciens est 10 micromètres ou moins. Malgré de nombreuses tentatives, aucun ruban aussi fin n’a pu être produit avec ELISE. Or, ce cryostat est un prototype très expérimental, son exploitation et son développement se basent donc sur des procédés très empiriques. Il est par conséquent très délicat d’expliquer pourquoi ELISE ne parvient à extruder des épaisseurs aussi faibles, ou même de prédire les conditions expérimentales qui le permettraient.

L’hydrogène

Généralités

L’hydrogène (symbole chimique « H ») est l’élément le plus léger et le plus abondant dans l’univers : il en représente 75 % en masse et 92 % en nombre d’atomes. Il est essentiellement présent sous forme H+ dans les nuages de plasma interstellaires ; sur Terre en revanche, on le trouve majoritairement sous sa forme H2, appelée dihydrogène. L’atome d’hydrogène possède cinq isotopes :
1. L’hydrogène léger, également appelé protium, dont le noyau est constitué d’un unique proton et qui représente 99,99 % des atomes d’hydrogène sur Terre.
2. Le deutérium, dont le noyau est composé d’un proton et d’un neutron et représente environ 0,01 % de l’isotope sur Terre.
3. Le tritium, qui est instable et dont le noyau possède un proton et deux neutrons; sa demi-vie est de 12,32 ans.
4. Le quadrium, instable lui aussi avec un proton et trois neutrons ; sa demi-vie est de l’ordre de 10⁻²² secondes.
5. L’hydrogène 7, avec un proton et six neutrons, et une demi-vie de l’ordre de 10⁻²¹ secondes. L’appellation « hydrogène » est un abus de langage qui sera utilisé tout au long de cet ouvrage pour mentionner la molécule de diprotium H2, sauf mention contraire explicite. Dans les conditions normales de pression et température (TPN), l’hydrogène est un gaz incolore, inodore et extrêmement volatile. L’hydrogène pur est ininflammable, mais il devient explosif dans les proportions [4 % – 76 %] avec l’air.

Ortho- et para-hydrogène

Selon l’orientation des spins des atomes d’hydrogène, les propriétés de la molécule peuvent varier drastiquement. Lorsque les spins sont orientés dans le même sens, on parle d’orthohydrogène ; dans le sens opposé, de para hydrogène. Tout volume d’hydrogène est caractérisé par le ratio d’ortho- et de para-hydrogène qui le compose, ratio qui dépend – à l’équilibre – uniquement de la température. À la température ambiante, un volume d’hydrogène est composé de 25 % de para-hydrogène et de 75 % d’ortho-hydrogène ; ce rapport augmente en faveur du para-hydrogène lorsque la température diminue. L’auto-conversion de l’ortho hydrogène en parahydrogène est exothermique et extrêmement lente : pour avoir un ordre de grandeur temporel, le demi-temps de conversion à 77 K est supérieur à un an [1]. De fait, cette conversion n’impacte pas l’expérience d’extrusion de l’hydrogène solide présentée dans ce manuscrit, même pendant des extrusions de plusieurs heures et on considérera que l’hydrogène utilisé est en composition normale.

Structure cristalline

Les études de déformation menées dans cet ouvrage ne s’attachent qu’aux propriétés phénoménologiques de l’hydrogène solide, la structure microscopique n’est donc pas d’une importance principale. On peut néanmoins préciser que l’hydrogène peut cristalliser selon une structure hexagonale compacte (hcp) ou bien cubique-faces-centrées (fcc) selon la température et son procédé de formation, depuis une phase liquide ou gazeuse. La nature du cristal et des transitions qui s’y opèrent a pendant longtemps été un sujet de désaccord parmi les spécialistes ; à des températures proches du point de fusion (l’intervalle concerné par ce manuscrit), il est reconnu que c’est la structure hcp qui est de mise [2].

Propriétés thermodynamiques

Le point triple de l’hydrogène se situe à 13,8 kelvins et 70 millibars, c’est pourquoi il est nécessaire d’atteindre des températures cryogéniques pour pouvoir stocker de l’hydrogène sous forme condensée. On peut ainsi augmenter sa densité d’un facteur 1000 par rapport aux conditions TPN, ce qui présente un grand avantage dans son utilisation comme cible pour l’interaction laser-matière.

Généralités sur l’accélération laser-plasma

L’augmentation drastique de la puissance des lasers depuis les années 80 (grâce à la technique du « Chirped Pulse Amplification » développée par Gérard Mouroux et Donna Strickland, codétenteurs du prix Nobel de physique 2018) a ouvert un nouveau champ d’études : l’accélération laser-plasma, qui permet entre autres d’accélérer des ions avec une énergie très importante [3]. L’idée consiste à tirer avec un laser sur une cible d’épaisseur micronique pour l’ioniser et générer un faisceau de particules (électrons, protons, neutrons, ions lourds, …) accompagné d’un rayonnement X et/ou gamma.

Dans un accélérateur de particules classique, des ondes radio-fréquences sont produites par des cavités pour accélérer des particules chargées, mais les phénomènes de claquage au sein des cavités limitent le champ d’accélération à quelques dizaines de mégavolts par mètre. Dans un milieu ionisé comme les plasmas, ces phénomènes de claquage n’existent pas et il est donc possible de créer des champs d’accélérations de plusieurs centaines de gigavolts par mètre. L’encombrement est grandement diminué et un accélérateur classique de quelques kilomètres de long peut être remplacé par une machine de la taille d’une pièce de laboratoire [5, 6]. L’énergie maximum de ces particules est directement liée à l’énergie du laser incident générant ce plasma. Actuellement, les lasers ne permettent pas d’accélérer de particules à des niveaux aussi énergétiques que ceux obtenus dans les grands accélérateurs classiques, mais cela pourrait changer d’ici quelques années tant les progrès dans ce domaine sont rapides. Plusieurs phénomènes d’accélération sont envisageables selon la géométrie des cibles et les caractéristiques des lasers. [4] et [7] proposent des revues de ces mécanismes, parmi lesquels on mentionnera particulièrement la TNSA (Target Normal Sheath Acceleration) et la RPA (Radiative Pressure Acceleration). La TNSA est le phénomène principalement étudié dans les campagnes expérimentales menées avec ELISE. Cependant, avec les rubans de 100 et 75 micromètres produits, on peut également observer un effet de la RPA.

La TNSA

La TNSA permet d’expliquer l’accélération des particules à partir de la face arrière de la cible. L’ionisation due au laser éjecte un nuage d’électrons derrière la cible ; la présence de ce nuage fortement chargé négativement face à la surface de la cible chargée positivement crée un champ électrique intense qui arrache les ions de la cibles à la suite des électrons.

La RPA
La RPA est un mécanisme se produisant sur la face avant de la cible. La pression radiative intense du laser incident pousse la matière de la cible en avant, augmentant drastiquement la densité du matériau et courbant la géométrie de la cible. Ce phénomène est généralement appelé « hole boring », bien que des appellations différentes telles que « sweeping acceleration » ou « laser piston » aient été employées. Les ions de la zone de haute densité vont alors pousser les ions du plasma et leur transmettre leur accélération. Si la cible est suffisamment fine pour que l’ensemble des ions soit accéléré durant l’impulsion du laser, on passe dans un autre régime appelé « light sail » [4, 7]. Dans ce régime, le laser continue d’accélérer les ions durant toute la durée de son impulsion. La notion de « finesse » de la cible dépend donc de la durée de l’impulsion du laser (généralement de l’ordre de la pico- ou femtoseconde).

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Table des matières

Introduction
1 Hydrogène et accélération laser-plasma
1.1 L’hydrogène
1.1.1 Généralités
1.1.2 Ortho- et para-hydrogène
1.1.3 Structure cristalline
1.1.4 Propriétés thermodynamiques
1.2 Généralités sur l’accélération laser-plasma
1.2.1 La TNSA
1.2.2 La RPA
1.2.3 Les applications de l’accélération laser-plasma
1.3 Les cibles d’hydrogène solide
1.3.1 Les cibles du LMJ
1.3.2 Les cibles du GANIL
1.3.3 Les cibles de CHYMENE
1.3.4 Les cibles du SLAC
1.3.5 Les cibles d’ELISE
2 Extrusion de cibles d’hydrogène solide
2.1 Description du cryostat ELISE
2.1.1 L’extrusion
2.1.2 Le principe d’ELISE
2.2 Les campagnes expérimentales
2.2.1 Bilan des campagnes expérimentales
2.3 Méthodes de caractérisation des cibles
2.3.1 Mesure de l’épaisseur et de la stabilité des rubans
2.3.2 Mesure de la vitesse d’extrusion
2.4 Description des types de ruban réalisables
2.4.1 Les rubans « bons »
2.4.2 Les rubans « lents »
2.4.3 Les rubans « rapides »
2.5 Résultats de la caractérisation des cibles
2.5.1 Résultats de la caractérisation en épaisseur et en stabilité
2.5.2 Résultats de la caractérisation en vitesse
3 APRYL : un rhéomètre pour l’hydrogène solide
3.1 Introduction à la rhéologie
3.1.1 Contexte de l’étude
3.1.2 Les déformations élémentaires théoriques
3.1.3 La rhéologie phénoménologique
3.1.4 La rhéologie en pratique
3.2 Conception du rhéomètre
3.2.1 Dimensionnement du cryostat
3.2.2 Thermalisation de l’hydrogène solide dans la cellule
3.2.3 Description de l’installation
3.3 Caractérisation du système
3.3.1 Caractérisation des capteurs
3.3.2 Caractérisation de l’axe de transmission
3.3.3 Vérification du fonctionnement thermique du cryostat
4 Étude des déformations de l’hydrogène solide
4.1 Protocole et les premières observations
4.1.1 Procédé expérimental
4.1.2 Premiers résultats
4.2 Étude des petites déformations
4.2.1 Expérience à couple constant
4.2.2 Expérience à angle oscillant
4.3 Étude de l’écoulement
4.3.1 Expérience à vitesse constante
4.3.2 La loi d’écoulement de l’hydrogène solide
4.3.3 Modélisation élémentaire de l’écoulement
4.3.4 Intervalles d’applicabilité des résultats
4.3.5 Comparaison avec la littérature scientifique
4.4 Étude numérique de l’écoulement
4.4.1 Implémentation de la viscosité
4.4.2 Validation du modèle CFD pour l’hydrogène solide
4.4.3 Modélisation d’une extrusion cylindrique
4.4.4 Observation sur les résultats numériques
4.5 Bilan de l’étude rhéologique
4.5.1 Modélisation finale de l’hydrogène solide
4.5.2 Approche CFD pour la modélisation de l’extrusion des rubans
4.5.3 Extrapolation à l’extrusion de ruban de 10 micromètres
Conclusion

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