Hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAPs)
Structure chimique et propriétés physico-chimiques
Les HAPs sont des hydrocarbures formés de cycles benzéniques condensés sous forme linéaire ou angulaire. Deux catégories de HAPs ont été différenciées à savoir les HAPs lourds et les HAPs légers, se distinguant essentiellement par le nombre de cycles qui les composent. Ces différences ont un impact conséquent sur les propriétés physico-chimiques et toxicologiques des HAPs. Cependant, de manière générale, les HAPs sont des composés non polaires, hydrophobes et donc peu solubles. En raison de leur faible hydrosolubilité et de leur hydrophobie, les HAPs tendent à s’adsorber aux particules solides des milieux aquatiques (Neff, 1979 ; CNRC, 1983 ; Eisler, 1987 ; Sloof et al, 1989). Le degré d’association des HAPs aux phases solides est fonction de la masse moléculaire et du coefficient de partage octanol/eau de chaque composé. Les HAPs peuvent également être localisés dans la colonne d’eau sous forme associée aux matières organiques (Sloof et al, 1989). Par ailleurs, la dégradation des HAPs – principalement par voie microbienne – est lente, d’autant plus s’ils sont composés d’un nombre important de cycles (Haritash & Kaushik, 2009). Ce sont donc des composés rémanents dans l’environnement et qualifiés de Polluants Organiques Persistants (POPs). Les HAPs sont des composés biodisponibles pour les êtres vivants. Ce risque de bioconcentration, important chez les organismes aquatiques (phytoplanctons, zooplanctons, bivalves et gastéropodes), est moindre chez les vertébrés (poissons, mammifères) du fait de la dégradation des HAPs par le système enzymatique des mono-oxygénases à cytochrome P450 lors des différentes phases de métabolisation. La toxicité des HAPs est depuis longtemps reconnue et ces substances sont même classées Cancérigènes, Mutagènes et Reprotoxiques (CMR). Ces substances figurent sur les listes prioritaires de la Commission européenne (DCE, tableau 2), de l’Agence de protection de l’environnement des Etats-Unis (US EPA ; 16 HAPs, tableau 3) et de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS ; 9 HAPs, tableau 4). En ce qui concerne les eaux destinées à la consommation humaine, le décret n° 2001-1220 du 20 décembre 2001 (à l’exception des eaux minérales naturelles) indique que la somme des concentrations en benzo(b)fluoranthène (BbF), benzo(k)fluoranthène (BkF), benzo(a)pyrène (BaP), benzo(ghi)pérylène (BghiP) et indénopyrène(IcdP) ne doit pas excéder 0,1 μg.L-1 . De plus, la concentration en benzo(a)pyrène ne doit pas dépasser la valeur de 0,01 μg.L-1 . Pour l’OMS, le seuil limite en fluoranthène dans les eaux destinées à la consommation humaine (EDCH) est fixé à 5 μg.L-1 , et à 0,7 μg.L-1 pour le benzo(a)pyrène. En France, dans le cadre de la mise en place des Seuils d’Evaluation de la Qualité physicochimique des eaux (SEQ-eau), les concentrations en HAPs (parmi d’autres contaminants) sont prises en compte pour le classement des cours d’eau suivant leur capacité à maintenir un équilibre biologique. Pour les milieux de très bonne qualité, les concentrations en HAPs de plus de 3 cycles doivent être inférieures à 25 ng.L-1 et inférieures à 0,03 ng.L-1 pour le BaP (Agence de l’eau, 1999). De plus, en terme d’évaluation des risques environnementaux dûs aux HAPs, deux seuils sont fixés pour les sédiments marins et estuariens (pour la somme des HAPs définie selon Long et al, 1995), un ERL (Effect Range Low) et un ERM (Effect Range Median) respectivement de 4022 ng.g-1 et de 44 792 ng.g-1 de masse sèche.
Les HAPs sont issus de trois sources distinctes i.e. stationnaires industrielles, domestiques et mobiles , et ont trois origines :
– pyrolytique, la plus importante, combustion incomplète de matériel organique par les industries, transports, incinérateurs, incendies (Neff, 1979 ; McElroy et al, 1989),
– pétrogénique, issus de produits pétroliers et dérivés,
– et diagénique, la moins importante, formation naturelle du pétrole (Neff, 1979 ; McElroy et al, 1989) .
Les apports de HAPs en estuaire de Seine proviennent essentiellement de l’amont, même si les apports internes ne sont pas pour autant à négliger. En effet, les ruissellements urbains transportent dans la Seine les HAPs issus des retombées atmosphériques émises par le chauffage domestique et le trafic automobile. La surveillance en estuaire de Seine se concentre sur deux compartiments pertinents à savoir le sédiment et le biotope. Les plus fortes concentrations en HAPs ont été mesurées à Poses et à Oissel, le HAP majoritairement retrouvé dans les matières en suspension (MES) étant le fluoranthène (32 % ; Lachambre & Fisson, 2007a ; figure 2).
La baie de Seine est la plus contaminée du littoral français par les HAPs, selon le Réseau National d’Observation (RNO, 2006). Un flux annuel de HAPs au niveau du barrage de Poses (apport amont à l’estuaire) de 880 kg.an-1 est à l’origine de cette contamination. A l’embouchure de l’estuaire, dans la zone du bouchon vaseux, zone de turbidité maximale où se concentrent les particules fines et les contaminants associés en période d’étiage, les concentrations en HAPs oscillent entre 0,15 et 0,4 µg.L-1 , sans que la source de contamination soit toutefois identifiée .
Contamination des organismes vivants et des réseaux trophiques
L’accumulation de composés hydrophobes tels que les HAPs varie selon leur coefficient de partage octanol/eau et leur masse moléculaire. L’accumulation des HAPs est également gouvernée par la position des organismes dans la colonne d’eau. Les organismes au contact du sédiment ont tendance à accumuler des HAPs de masse moléculaire élevée. Les processus de biotransformation jouent également un rôle primordial dans l’accumulation de ces composés. Il apparaît notamment que les moules accumulent des composés de haute masse moléculaire contrairement aux poissons qui possèdent des capacités de biotransformation bien supérieures. Enfin, la position des espèces dans la chaîne trophique joue également un rôle non négligeable. En effet, des études ont démontré que le crabe accumule des HAPs de masses molaires plus faibles que les mysides ou encore les euphausiides (Baumard et al, 1998).
Effets toxiques chez les organismes aquatiques
La toxicité des HAPs en milieu aquatique dépend de leur biodisponibilité et de leur facteur de bioaccumulation ou de bioconcentration au sein des organismes. Les effets biologiques des HAPs peuvent également varier selon l’isomère considéré.
Toxicité aiguë
La toxicité aiguë des HAPs est principalement due à leur effet narcotique. Les HAPs sont parmi les contaminants les plus toxiques dans l’environnement aquatique, notamment par leurs propriétés mutagènes et carcinogènes (Shaw & Connell, 1994).
Chez les vertébrés, des CL50 de 0,241 et 0,071 mg.L-1 ont été enregistrées chez le poisson de lait Chanos chanos lors d’exposition respectivement à l’anthracène et au benzo(a)pyrène (Palanikumar et al, 2012). Chez les invertébrés, des CL50, 48 heures ont été obtenues chez les Daphnies, Daphnia magna et Daphnia pulex. Dans le cadre d’exposition de Daphnia magna à l’acénaphtène, une CL50, 48 heures de 41000 µg.L-1 a été enregistrée (Leblanc, 1980). Des CL50, 48 heures de 4100, 2160, 3400 et 4663 µg.L-1 ont été également obtenues lors d’exposition de Daphnia pulex au naphtalène (Crider et al, 1983 ; Milleman et al, 1984 ; Geiger & Buikema, 1981 ; Smith et al, 1988). En parallèle, une CL50, 48 heures de 10 µg.L-1 a été observée dans le cadre d’une exposition de Daphnia pulex au naphtalène (Trucco et al, 1983). Enfin, des expérimentations ont égalementportées sur les copépodes. Notamment, des CL50, 48 heures de 0,422 et 0,89 mg.L-1 ont été obtenues respectivement pour Acartia tonsa et Robertsiona propinqua lors d’exposition au phénanthrène (Bellas & Thor, 2007 ; Stringer et al, 2012) et à 25,3 µg.L-1 pour Eurytemora affinis lors d’une exposition au B(a)P (ForgetLeray et al, 2013).
Toxicité chronique
La toxicité chronique dépend essentiellement de la structure du composé et de sa métabolisation. Deux voies de métabolisation des HAPs ont été mises en évidence chez les vertébrés i.e. la mono-oxygénation et l’oxydation mono-électronique via des mono-oxygénases à cytochrome P450. Les capacités de biotransformation des HAPs par les invertébrés sont, quant à elles, très variables d’un taxon à l’autre, et d’une espèce à l’autre, de faibles pour les mollusques à élevées pour certains crustacés (Jorgensen, 2010). Le potentiel immunotoxique et génotoxique (via la formation d’adduits à l’ADN) des HAPs a été identifié à la fois chez les poissons et chez les mollusques (Reynaud & Deschaux, 2006 ; Wootton et al, 2003). Les HAPs sont également connus pour induire des effets sur la reproduction, notamment, démontré chez les poissons comme le choquemort Fundulus heteroclitus (Wassenberg et al, 2002). De nombreux effets sub-létaux des HAPs sur divers organismes ont été mis en évidence. Chez les poissons, notamment chez la perche de mer Sebastes Schlegeli (Hilgendorf) et le bar Lateolabrax japonicus, le BaP induit un effet sur la durée de développement (Jifa et al, 2006 ; Kim et al, 2008).
Chez les crustacés, les HAPs induisent des effets sur le temps de développement. L’exposition au BaP induit un retard de développement respectivement chez la crevette Paleomonetes pugio, et chez les copépodes E. affinis et T. japonicus (Oberdöster et al, 2000 ; Forget-leray et al, 2005 ; Bang et al, 2009). Un retard dans le développement est également observé chez le crabe américain Rhithropanopeus harrisii et la Daphnie Daphnia pulex après une exposition au phénanthrène (Laughlin & Neff, 1979 ; Geiger & Buikema 1992). Bellas & Thor (2007) et Lotufo & Fleeger (1997) ont montré également des effets sur la reproduction avec une diminution du nombre d’œufs produits par femelle chez le copépode Acartia tonsa à 1245 nM lors d’exposition au phénanthrène et chez les copépodes femelles N. lacustri et S. knabeni entre 22 et 90 µg.g.-1 . Enfin, des effets sur le sex-ratio ont également été rapportés lors d’exposition de T. japonicus au BaP (Bang et al, 2009).
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Table des matières
INTRODUCTION
SYNTHESE BIBLIOGRAPHIQUE
1. Contexte réglementaire
1.1. Réglementation REACH
1.2. Directive Cadre sur l’Eau (DCE ; 2000/60/CE)
2. Contexte écologique : l’estuaire de Seine
3. Contaminants organiques et biologiques étudiés
3.1. Hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAPs)
3.1.1. Structure chimique et propriétés physico-chimiques
3.1.2. Sources de pollution et dispersion dans l’environnement
3.1.3. Contamination des organismes vivants et des réseaux trophiques
3.1.4. Effets toxiques chez les organismes aquatiques
3.2. Polychlorobiphényles (PCBs)
3.2.1. Structure chimique et propriétés physico-chimiques
3.2.2. Sources de pollution et dispersion dans l’environnement
3.2.3. Contamination des organismes vivants et réseaux trophiques
3.2.4. Effets toxiques chez les organismes aquatiques
3.3. Alkylphénols (APs)
3.3.1. Structure chimique et propriétés physico-chimiques
3.2.2. Sources de pollution et dispersion dans l’environnement
3.3.3. Contamination des organismes vivants et réseaux trophiques
3.3.4. Effets toxiques chez les invertébrés
3.4. Contaminations microbiologiques
4. Copépode Eurytemora affinis
4.1. Zooplancton
4.2. Systématique des copépodes
4.3. Répartition géographique et écologie du copépode Eurytemora affinis
4.3.1. Généralités
4.3.2. L’estuaire de Seine
4.4. Morphologie et clefs de détermination des calanoïdes
4.5. Reproduction et développement des calanoïdes
4.5.1. Reproduction
4.5.2. Cycle de vie
5. Utilisation des copépodes comme espèces modèles en écotoxicologie
5.1. Tests de toxicité aiguë
5.2. Tests de toxicité chronique
6. Principaux outils en écotoxicologie
6.1. Bio-essais
6.2. Biomarqueurs
6.2.1. Généralités
6.2.2. Chitobiase
MATERIEL ET METHODES
1. Sites de prélèvement / Stratégie d’échantillonnage
1.1. Prélèvement du copépode Eurytemora affinis
1.2. Prélèvement de l’eau pour les analyses microbiologiques et la détermination des paramètres physicochimiques (température, salinité)
1.3. Collecte des sédiments
2. Maintien au laboratoire des copépodes
2.1. Culture des copépodes
2.1.1. Acclimatation-stabulation
2.1.2. Production de nouvelles générations de copépodes
2.2 Culture d’Algues
3. Enrobage et caractérisation chimique des sédiments
3.1. Enrobage du sédiment de référence par des composés chimiques modèles
3.2. Caractérisation chimique des sédiments
3.2.1. Sédiments de référence dopés
3.2.2. Sédiments naturels
3.2.2.1 Extraction des composés hydrophobes
3.2.2.2. Analyse par chromatographie en phase gazeuse couplée à la spectrophotométrie de masse
4. Expérimentations
4.1. Le bio-essai « BASIC » (6 jours)
4.1.1. Choix des concentrations en contaminants et des sédiments
4.1.1.1. Voie d’exposition particulaire (sédiments de référence dopés et sédiments naturels)
4.1.1.2. Voie d’exposition dissoute (eau contaminée)
4.1.1.3. Expérience de colonisation
4.1.2. Principe et mise au point
4.1.2.1. Voie d’exposition particulaire (sédiments de référence dopés)
4.1.2.2. Voie d’exposition particulaire (sédiments naturels)
4.1.2.3. Voie d’exposition dissoute (eau contaminée et suspension bactérienne)
4.2. Bio-essai multigénérationnel
4.2.1. Choix des concentrations
4.2.2. Principe du bio-essai multigénérationnel (2 mois)
4.3. Marqueurs biologiques- Bio-essai BASIC
4.3.1. Survie
4.3.2. Croissance
4.3.3. Chitobiase
4.3.3.1. Principe du dosage de l’activité chitobiase (sédiments de référence dopés et naturel)
4.3.3.2. Principe de l’activité chitobiase (par voie dissoute)
4.4. Marqueurs biologiques- Bio-essai multigénérationnel
4.4.1. Taille des individus
4.4.2. Stade de développement
4.4.3. Sex-ratio
4.4.4. Fécondité
4.5. Bactéries associées aux copépodes E. affinis en estuaire de Seine
4.5.1. Isolement des copépodes de l’estuaire de Seine
4.5.2. Dissociation des microorganismes des copépodes
4.5.2.1. Microbiote total
4.5.2.2. Microbiote externe et microbiote interne
4.5.3. Dénombrement des Vibrio sp cultivables
RESULTATS
CONCLUSION