La découverte du neptunium et du plutonium dans les années 40 a ouvert la voie à la chimie des éléments transuraniens et des actinides. Mais cette chimie est difficile d’accès à cause de la radioactivité et de la forte toxicité de ces éléments. Des équipements et des installations spécifiques extrêmement couteuses sont alors nécessaires. Malgré ces barrières, la chimie en solution des actinides est d’un intérêt stratégique et se révèle être d’une grande richesse. Ces éléments peuvent atteindre plusieurs degrés d’oxydation en solution, ils peuvent varier de +III à +VII. Certains degrés d’oxydation peuvent se dismuter et plusieurs valences peuvent coexister en solution. A cette richesse du comportement redox, s’ajoute la complexité de la sphère de coordination, avec un nombre de coordination qui varie de 6 jusqu’à 12 autour des actinides (IV). Comme pour tous les cations métalliques durs, les cations actinides peuvent s’hydrolyser. Les actinides tétravalents An(IV), en particulier Pu(IV), ont la particularité d’être des acides de Lewis durs et sont prédisposés à l’hydrolyse. Ces réactions peuvent conduire à la condensation des cations aquo Pu4+ et à la formation de colloïdes, comparables à des polymères. Toutefois, ces réactions peuvent être régulées, et des espèces intermédiaires, entre les complexes « classiques » monomériques et le colloïde, peuvent être formés : les complexes polynucléaires et les clusters.
Les complexes polynucléaires et les clusters d’actinide (IV) sont composés de plusieurs centres métalliques (le cœur) reliés entre eux bien souvent en solution aqueuse par des groupes oxo et/ou hydroxo. Les clusters sont de plus stabilisés par des ligands organiques (carboxylate) ou inorganiques (chlorure, sulfate, …) en surface du cœur. Jusqu’au début des années 80, la formation de complexes polynucléaires d’actinides était peu renseignée et une seule structure d’un cluster de U(IV) était connue. Depuis une vingtaine d’année seulement, le nombre de publication relatif à l’étude des clusters a considérablement augmenté, en particulier à l’état solide. Mais ces structures solides ne sont pas nécessairement représentatives des espèces en solution.
HYDRATATION, HYDROLYSE ET CONDENSATION DES ACTINIDES (IV)
HYDRATATION ET HYDROLYSE
Le ions actinides IV sont des acides durs au sens de Pearson et des acides de Lewis. Lorsque ces ions sont en milieu aqueux, le caractère base de Lewis des molécules d’eau permet la formation des cations aquo [M(H2O)x]4+. Ce phénomène est appelé l’hydratation.
Comme la liaison M-OH2 induit une donation électronique de la molécule d’eau vers le cation métallique, la liaison O-H de l’eau est affaiblie et le proton devient plus acide. Le pouvoir polarisant du cation renforce cette acidité. La molécule d’eau liée est plus acide que la molécule libre. Ainsi, les cations aquo se comportent comme des acides de Brønsted et peuvent être engagés dans des équilibres acido-basiques.
COMPLEXES POLYNUCLEAIRES, CLUSTERS ET COLLOÏDES
Ces réactions d’olation et d’oxolation se poursuivent jusqu’à ce qu’une réaction de terminaison ait lieu. La terminaison correspond, par exemple, à la complexation des cations métalliques par des ligands (organique ou inorganique). Si la terminaison a lieu, une espèce avec une nucléarité définie est formée. Il peut s’agir d’un complexe polynucléaire, composé uniquement d’un cœur, ou d’un cluster, composé d’un cœur et d’une surface. Ces notions sont décrites au paragraphe 2 de ce chapitre. Toutefois, si la complexation du cation An4+ avec les ligands est prédominante, les réactions d’olation et d’oxolation ne s’engagent pas et un complexe « classique » monomérique est formé.
Si la terminaison n’a pas lieu, les réactions de condensation se poursuivent, formant une espèce chimique comparable à un polymère . Ces molécules forment des réseaux continus dans les trois directions de l’espace où les atomes métalliques sont reliés entre eux par des ponts oxo ou hydroxo. Ainsi, le fragment M-O- ou M-OH- est assimilé à un monomère. Ces polymères forment une suspension colloïdale, avec pour milieu continu le solvant. Ils sont alors décrits comme des colloïdes d’actinide (IV).
Ainsi la condensation des espèces hydrolysées de Pu(IV) aboutit à un colloïde hydrolytique en l’absence d’un ligand stabilisateur. La formation d’une telle espèce en solution a des signaux en spectroscopie Vis-NIR différents de ceux du cation aquo Pu4+ avec un maximum d’absorbance à 615 nm et une large déviation de la ligne de base en dessous de 500 nm. La structure des colloïdes est inhérente à leur mode de synthèse et aux conditions chimiques en solution. La caractérisation de ces espèces sort du cadre de cette étude mais leur formation éventuelle sera surveillée.
LES CLUSTERS D’ACTINIDE (IV)
GENERALITES
Les clusters peuvent se décomposer en deux constituants : le cœur et la surface. Le cœur est constitué d’atomes d’actinide reliés entre eux par des ponts oxo et/ou hydroxo issus des réactions d’olation et d’oxolation. Il existe dans la littérature d’autres clusters dont le cœur n’est pas constitué de pont oxo et hydroxo. Dans le cadre de cette thèse, ces clusters n’ont pas été abordés. Les espèces formées possèdent toutes une formule commune de type [Ann(O)x(OH)y] parfois abrégée en [Ann].
La surface est l’ensemble des ligands organiques et/ou inorganiques qui viennent complexer et compléter la sphère de coordination des cations métalliques, situés en surface, et stopper la réaction de condensation pour conduire à des entités finies.
COMPORTEMENT EN SOLUTION DES CLUSTERS CARBOXYLATE DE AN(IV)
Une étude bibliographique a permis d’observer que les travaux actuels sur le comportement en solution des clusters d’actinides (IV) concernent majoritairement les hexamères octaédriques complexés par des ligands à fonction carboxylate.
COMPORTEMENT DES CLUSTERS CARBOXYLATE DE TH(IV)
A notre connaissance, il n’existe qu’une seule étude sur le comportement en solution d’un cluster hexanucléaire de Th(IV) en solution en présence du ligand glycine. Les auteurs ont suivi la formation du cluster par spectroscopie EXAFS en solution en fonction du pH (entre 0,5 et 3,2).
La contribution EXAFS des complexes monomériques de thorium est isolée par déconvolution, mais les auteurs ne font aucun ajustement de données. Il est cependant indiqué que ces complexes monomériques peuvent être des complexes de stœchiométrie Th(HGly)(OH)x (3-x)+ ou des espèces aquo hydroxylées. Aucune donnée thermodynamique n’est renseignée.
COMPORTEMENT DES CLUSTERS CARBOXYLATE DE U(IV)
La première étude rapportée concerne l’uranium (IV) en présence du ligand formiate avec [U]=50 mM et [HCOOH]tot=1 M. La solution est suivie par spectroscopie EXAFS en fonction du pH entre 0,57 et 3,25. La formation du cluster hexamérique [U6O4(OH)4(HCOO)12(H2O)6] est confirmée en solution en comparant les spectres EXAFS des échantillons avec celui de la structure isolée à l’état solide . La fraction en solution du cluster hexamérique est obtenue en faisant le ratio entre le nombre d’atomes d’uranium adjacent NU-adj, déterminé par ajustement des spectres EXAFS, et celui attendu pour l’espèce pure NUadj=4 . Toutefois, il faut préciser que l’EXAFS donne généralement qu’une valeur moyenne, et pas une valeur absolue. De plus, l’interaction U-U ajustée en EXAFS n’est pas uniquement représentative de la couche de diffusion UUadj et peut contenir celle en opposition U-Uopp. Le nombre attendu d’uranium NU est alors potentiellement de NU=5. Cependant, ces résultats semblent pouvoir être confirmés par spectroscopie Vis-NIR où la fraction de chacune des espèces est obtenue par méthode PCA. Les auteurs indiquent que deux composantes Vis-NIR peuvent être isolées : une première correspondant à un mélange de complexes monomériques d’uranium (IV) complexés au ligand formiate et une seconde au cluster hexanucléaire, respectivement indiqués C1 et C2 sur la Figure I-10. Les auteurs ont déconvolué les spectres Vis-NIR, mais pas les oscillations EXAFS. Il est indiqué que le mélange de complexes monomériques peut correspondre à un mélange entre le cation aquo U4+ et des complexes monomériques avec le ligand formiate U(HCOO)x (4-x)+ .
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Table des matières
INTRODUCTION
1. Hydratation, hydrolyse et condensation des actinides (IV)
1.1. Hydratation et hydrolyse
1.2. Condensation
1.2.1. L’olation
1.2.2. L’oxolation
1.3. Complexes polynucléaires, clusters et colloïdes
2. Les clusters d’actinide (IV)
2.1. Généralités
2.2. Structure des clusters à l’état solide
2.2.1. Stœchiométries et géométries du cœur des clusters
2.2.2. Ligands et sphère de coordination
3. Comportement en solution des clusters carboxylate de An(IV)
3.1. Comportement des clusters carboxylate de Th(IV)
3.2. Comportement des clusters carboxylate de U(IV)
3.3. Comportement des clusters carboxylate de Np(IV)
3.4. Comportement des clusters carboxylate de Pu(IV)
3.5. Bilan
4. Complexation des actinides (IV) par les fonctions carboxylates
4.1. Propriétés du ligand acétate
4.2. Complexes monomériques de thorium (IV) par les fonctions carboxylates
4.3. Complexes monomériques d’uranium (IV) par les fonctions carboxylates
4.4. Complexes monomériques de neptunium (IV) par les fonctions carboxylates
4.5. Complexes monomériques de plutonium (IV) par les fonctions carboxylates
5. Méthodes de caractérisation des clusters en solution
5.1. Caractérisation à partir d’une structure solide
5.1.1. Identification par comparaison directe
5.1.2. Identification par comparaison indirecte
5.2. Caractérisation sans structure solide
5.2.1. Caractérisation par structure analogue
5.2.2. Caractérisation par couplage multi technique
6. Chimie quantique appliquée aux clusters d’actinide (IV)
6.1.1. Méthodes de calculs
6.1.2. Optimisation de la géométrie des clusters
6.1.3. Propriétés calculées
7. Conclusion
CONCLUSION