HUMOUR FRANÇAIS ET MEDIATISATION DES HUMORISTES : UNE HISTOIRE CO-ECRITE

Télécharger le fichier pdf d’un mémoire de fin d’études

Ce que les comedy clubs et le stand-up apportent aux médias

Il convient d’abord de montrer en quoi la vie scénique et artistique des comedy clubs nourrit la vie médiatique. Nous dégagerons deux raisons principales à cet apport.
D’une part, les comedy clubs représentent un vivier, une pépinière de nouveaux talents, dans lequel les grands médias viennent directement piocher pour recruter leurs futurs chroniqueurs. En témoignent par exemple les mots de Yann Chouquet, directeur de la programmation de France Inter. Dans un article du Monde, on peut ainsi lire : « Pour recruter la vingtaine de chroniqueurs humoristiques qui officient tout au long de la semaine sur l’antenne du service public, il [Yann Chouquet] a, depuis cinq ans, surtout fréquenté les cafés-théâtres. ‘Maintenant, j’ai moins besoin d’y aller car ce sont les producteurs qui viennent à moi’, dit celui qui a repéré ces dernières années Nora Hamzawi, Alex Vizorek, Guillaume Meurice, Marina Rollman, entre autres.36 »
Le comedy club, en tant que lieu rassemblant un grand nombre de stand-uppers, constitue donc un lieu privilégié de la découverte de futurs chroniqueurs pour les médias.
Mais l’univers scénique des comedy clubs apporte à l’univers médiatique également car la présence de chroniqueurs-stand-uppers peut permettre de séduire les jeunes publics. En effet, la notoriété d’un comedy club se construit majoritairement sur les réseaux sociaux. C’est ce dont témoigne Karim Kachour, directeur du Paname Art Café : « On est nés de Facebook, Tweeter et Instagram »37. En effet, le Paname, comme de nombreux comedy clubs, utilise massivement les réseaux sociaux pour communiquer autour de leurs évènements et promouvoir leurs plateaux38. Le public fréquentant les comedy clubs est donc un public relativement jeune. Or, du fait de ce parcours allant du comedy club aux médias, parcours effectué par les chroniqueurs-stand-uppers, une continuité se crée entre les deux univers. S’il existe une continuité dans les artistes, on peut supposer que le public de ces artistes suive la même continuité. En d’autres termes, le fait que des stand-uppers, issus des comedy clubs, ayant un public majoritairement jeune, intègrent certains médias peut conduire leur public à devenir des auditeurs et téléspectateurs de ces mêmes médias. En effet, comme l’écrit Sandrine Blanchard, la présence de chroniqueurs-stand-uppers sur France Inter, par exemple, a « participé à rajeunir l’audience »39.

Ce que les médias apportent à l’univers du stand-up

A l’inverse, l’univers médiatique apporte à la carrière scénique des stand-uppers, et ce d’un point de vue plus pragmatique puisque, comme l’exprime Agnès Hurstel, un passage dans les médias « ça remplit les salles »40. En effet, la visibilité qu’offrent les médias est un atout considérable pour la carrière scénique des stand-uppers puisque cela leur permet de gagner en notoriété et, ainsi, d’élargir leur public. Cela est notamment favorisé par des moments de promotion que certaines rédactions autorisent à la fin des chroniques. Agnès Hurstel précise que, pour La Bande originale, ces promotions sont faites « à chaque fois qu’[elle] le demande »41. Ainsi, à la fin de sa chronique du 27 novembre 2018, Agnès Hurstel voit Leïla Kaddour-Boudadi, co-animatrice de l’émission, énoncer : « Agnès on te retrouve à partir de ce vendredi au [théâtre du] Rond-Point et ce sera ta première », en brandissant le flyer face à la caméra42.
Ainsi, univers scénique des comedy clubs et univers médiatique interagissent, et ces interactions ont des intérêts réciproques. D’une part, les comedy clubs permettent aux médias d’y recruter directement leurs futurs chroniqueurs, mais également de séduire un public plus jeune. D’autre part, la visibilité offerte par les médias nourrit économiquement l’univers scénique, puisque cela permet de « remplir les salles »43.
Cependant, si Kader Aoun reconnaît en effet que les chroniques de stand-up sont un bon moyen de promouvoir les artistes, il précise que « s’il pouvait le leur éviter, il le ferait »44. Ce dernier a un point de vue très sceptique sur les apparitions de stand-uppers à la télévision ou à la radio.

au chroniqueur-stand-upper ?

La posture du chroniqueur-stand-upper, comme celle de beaucoup d’humoristes, est inévitablement héritière de celle du bouffon. On retrouve donc quelques similitudes entre ces deux figures, et principalement du côté du rythme. En effet, un rythme rapide est un ressort classique du rire. C’est cette « mécanique » qu’évoque Henri Bergson dans Le Rire48, et c’est cette « mécanique » qui peut être commune au bouffon et au chroniqueur-stand-upper.
Néanmoins, il s’agit pour le bouffon d’une mécanique physique (comme les « pantomimes »49), tandis que le chroniqueur-stand-upper use d’une mécanique verbale. En effet, le genre de la chronique de stand-up se caractérise par un rythme soutenu, les vannes s’enchaînant le plus rapidement possible afin de déclencher le plus de rires possibles en un temps restreint.
Ce phénomène est par exemple marqué dans la chronique de Fary dans On n’est pas couché le 11 février 201750. Voici un extrait retranscrit : Puisque maintenant on sait que c’est la fin des blancs dominants, on peut avoir une autre lecture et se dire que Donald Trump c’est le dernier sursaut de la suprématie blanche, juste avant de mourir. Donald Trump, c’est quand on a perdu et qu’on ne veut pas lâcher. Quand on tombe du tire-fesse mais qu’on ne veut pas lâcher le tire-fesse, c’est comme si aujourd’hui Ophélie Winter gagnait The Voice. Ça changerait rien du tout ! Comme si François Fillon était pris en flagrant délit de fraude, mais qu’il maintenait sa candidature… François Fillon qui soutient qu’il n’a rien fait … Mais qui s’excuse de ce qu’il a fait. C’est plus de la politique c’est de l’art contemporain .
On constate que Fary a ici recours à un rythme humoristique très rapide, pouvant s’apparenter à ce que beaucoup appellent le « vanne sur vanne ». Agnès Hurstel décrit ce type d’écriture, caractéristique de la chronique de stand-up, en ces termes : « des gens comme Fary ou Hakim Jemili ont un rythme, avec un rire qui tombe toutes les dix secondes »51.
Ainsi, il existe bien un parallèle entre les rouages comiques des figures du bouffon et du chroniqueur-stand-upper : celui du rythme rapide. En revanche, il s’agit d’un rythme verbal chez le chroniqueur-stand-upper, tandis qu’il est physique pour le bouffon.

En rire plutôt qu’en pleurer : l’injonction du chroniqueur-stand-upper

Le chroniqueur-stand-upper intervient dans le cadre d’une émission à caractère journalistique et, bien souvent, on attend de lui qu’il remplisse une fonction divertissante. Cependant, cette attente peut se transformer en poids dans la mesure où cette posture du tiers amuseur peut être dégradante.

Divertir pour pondérer le caractère (trop) sérieux d’une émission

Fort de cet héritage historique (la figure du bouffon), le chroniqueur-stand-upper a une fonction assez claire : divertir. Les spectateurs ou auditeurs, les rédacteurs, les autres intervenants de l’émission attendent du chroniqueur-stand-upper qu’il fasse rire.
Mais en outre, on attend bien souvent du chroniqueur-stand-upper que, par le divertissement qu’il offre, il nous extirpe d’une réalité trop dure ou trop austère, qu’il pondère le caractère trop sérieux ou trop lourd du reste de l’émission, de l’actualité sur laquelle elle porte.
C’est notamment ce qu’exprime Jean-Marc Moura dans son article « Humour et littérature par temps de comique médiatique » lorsqu’il écrit : « on attend du comique qu’il distraie au sens de ‘détacher » et de ‘divertir’ »52. C’est ici le terme « détacher » qui nous intéresse le plus. Le chroniqueur-stand-upper aurait donc pour fonction d’extraire, le temps de sa chronique, les auditeurs ou les spectateurs de la lourde réalité du monde à laquelle ils sont confrontés dans le reste de l’émission. C’est en tout cas ce que semble souligner Daniel Morin dans sa chronique du lundi 16 novembre 201553. Trois jours après les attentats, il fait part aux auditeurs de sa difficulté à se positionner : doit-il être plaisantin comme à son habitude, ou bien adopter un ton plus sérieux ? Voici ses mots :
Je vais rester dans le recueillement, la retenue, au grand dam de ceux qui attendaient de moi, et avec raison, de la légèreté, et une légèreté nécessaire pour chasser le sordide.
« On attendait de moi de la légèreté, une légèreté nécessaire pour chasser le sordide ». Voici donc résumée la fonction du chroniqueur-stand-upper au sein d’une émission à l’actualité plus sérieuse, plus grave : apporter de la légèreté. C’est également ce dont semble témoigner Yann Chouquet, directeur des programmes de France Inter, lorsqu’il énonce que le rire est « indispensable pour relâcher la pression au milieu d’informations anxiogènes »54. Jean-Marc Moura ira même plus loin en affirmant : Le rire c’est se dégager de la réalité, planer au-dessus d’elle comme l’enfant répond à l’appel du jeu. […] Ce détachement du réel fait du rire la clef d’un domaine où le sérieux et la raison […] sont mis à l’écart et mis en question.
Ainsi, l’attente d’une permanente dérision de la part du chroniqueur-stand-upper résiderait en une caractéristique intrinsèque au rire : celle d’écarter « le sérieux et la raison ». La nécessité que la chronique de stand-up fasse rire semble d’autant plus forte que l’on pourrait placer le reste du contenu d’une émission classique dans la catégorie du « sérieux et de la raison ». Le chroniqueur-stand-upper doit donc faire rire, et ce par opposition au reste des informations diffusées dans l’émission, ce contenu « sérieux ».
Une chronique semble rendre compte de cette fonction distrayante du chroniqueur-stand-upper : celle de Florence Foresti dans On a tout essayé55. Avant l’analyse, il convient de prendre quelques précautions. Les chroniques de Florence Foresti ne correspondent pas complètement à notre corpus puisque l’humoriste y interprète des personnages, il ne s’agit donc pas de chroniques de stand-up classique. En revanche, ses chroniques s’intègrent à l’émission On n’est pas couché de la même façon que des chroniques de stand-up le feraient, et il se trouve que Florence Foresti est une stand-uppeuse (MotherFucker, Madame Foresti, Epilogue sont quelques-uns de ses spectacles, et en témoignent). Nous avons donc choisi d’élargir exceptionnellement notre corpus pour pouvoir y intégrer cette chronique56 car elle dévoile, par le jeu de la parodie, la fonction divertissante attendue du chroniqueur-stand-upper. En effet, lors de cette émission, Laurent Ruquier recevait un invité qu’il décrit comme « sérieux », en brandissant le livre dudit invité. Florence Foresti fait irruption sur le plateau, déguisée en Catherine Barma, la productrice de l’émission, et parodie son propos : On est obligés de couper Laurent, c’est trop chiant. Appelez-moi Foresti, qu’elle mette une perruque et qu’elle vienne faire une blague ! Il faut que les gens rigolent Laurent, tu comprends ?

Le double tranchant du divertissement : l’infotainment

Le risque pour la chronique de stand-up est de tomber dans l’infotainment. D’après Demers (2005), l’infotainment serait « un programme ou un contenu médiatique fondé sur l’information qui inclut des éléments du divertissement avec pour objectif de devenir populaire auprès du public et des consommateurs, et ainsi faire de l’audience »57. Rien qui ne paraisse blâmable en soi, mais de nombreuses critiques ont été adressées à ce type de contenu médiatique. En témoigne par exemple l’article de l’Observatoire Influencia intitulé « L’infotainment, le meilleur ennemi de l’information »58. L’auteure y expose le risque de « désinformation » causé par la recherche de « sensation ». De nombreux reproches de ce type ont été adressés à l’émission Le Petit Journal, nourrie de multiples chroniques de stand-up. C’est par exemple ce que fait Laure Daussy en 2012 lorsque, via le site web Arrêt sur images, elle dénonce la divulgation de fausses informations concernant un meeting de Nicolas Dupont-Aignan.59.
La chronique de stand-up revêt donc un risque propre à toute production s’apparentant à de l’infotainment : celui de mésinformer. Cela peut s’expliquer par le genre même de la chronique de stand-up. Christine Berrou la définit en effet comme pouvant traiter de « toutes les informations », « du moment que c’est fascinant ». Elle ajoute que la chronique soit s’apparenter à un « mini-spectacle » qui « suscite l’émotion »60. On retrouve donc bien ici les caractéristiques qui alimentent le risque de tomber dans l’infotainment et son corollaire : la mésinformation.

Des interventions réduites et réductrices

Certains chroniqueurs-stand-uppers sont évidemment invités à s’assoir à la table de l’émission, sans pour autant être systématiquement exemptés d’une posture de « satellite[s] »67. Prenons pour exemple l’émission de la Bande Originale du 28 février sur France Inter68. La Bande Originale est une émission de promotion, un long entretien avec un ou plusieurs invités, mené par Nagui et, secondairement, Leïla Kaddour Boudadi, et entrecoupé de chroniques humoristiques. Le ton est léger, l’atmosphère détendue. Nous allons analyser la chronique de Marina Rollman69, et plus particulièrement la façon dont elle s’intègre à l’émission. Celle-ci dure 1h15 et la chronique de Marina Rollman commence à 1h10. Sa chronique est, certes, située en fin d’émission, mais on remarque l’humoriste n’est pas présente sur le plateau durant la première heure, et il en est de même pour ses homologues : ils ne rejoignent le plateau que pour effectuer leurs chroniques et s’en vont aussitôt. Leur participation à l’émission se résume donc à la chronique de stand-up, à ce moment où ils divertissent. En effet, une fois sa chronique terminée, Marina Rollman n’est pas entendue de nouveau, bien qu’elle soit cette fois-ci présente sur le plateau. En outre, lors de la présentation par Nagui de « la bande du jour » (les chroniqueurs, journalistes et animateurs participant à l’émission), Marina Rollman n’est même pas citée. Il nous a semblé frappant que les chroniqueurs interviennent si peu au cours de l’émission, et nous avons donc demandé à Agnès Hurstel (également chroniqueuse dans La Bande Originale) quelles étaient les directives de la rédaction concernant les interventions des chroniqueurs-stand-uppers.
On m’encourage à participer à l’émission. Mais on préférerait que je sois « snipper » et que je fasse des blagues, or je ne sais pas le faire. Sur une heure et demie d’émission tu ne nous entends pas trop [les chroniqueurs-stand-uppers]. Après c’est moi qui me suis mise dedans. Ils adoreraient que je sois là que je fasse des blagues au milieu de l’émission, mais je ne sais pas le faire. Soit tu arrives à caser une bonne blague, soit tu ne participes pas trop.70
Ainsi, les rédacteurs en chef de La Bande Originale souhaitent que les interventions de leurs chroniqueurs-stand-uppers soient humoristiques, ou ne soient pas. En témoigne par exemple une remarque de Tanguy Pastureau qui, lui, semble maîtriser cette participation « snipper » et drôle qu’évoquait Agnès Hurstel. En effet, l’émission du 28 février 202071 se clôt par un tour de table : chacun doit énoncer un mot caractérisant l’invité (Bartabas). Les mots donnés sont tous plus poétiques et élogieux les uns que les autres (« magnifique », « fusion », « prince »), mais Tanguy Pastureau propose « avoine », provoquant ainsi l’hilarité générale. Cela peut illustrer le fait que chroniqueur-stand-upper peut puisse être vu comme un tiers divertissant du fait de sa posture au sein de l’émission, sinon comme un « satellite »72.

Analyse de la transition du reste de l’émission à la chronique de stand-up : le jingle comme « cache-misère »

Un dernier élément reste à analyser pour justifier cette posture importune du chroniqueur-stand-upper, pouvant parfois donner l’impression « d’interrompre une discussion »73: le jingle introduisant la chronique. En effet, une musique brève et entraînante précède souvent les chroniques de stand-up. Elle semble jouer le rôle de liant entre le propos de l’émission et celui, souvent bien éloigné, du chroniqueur-stand-upper. Si nous reprenons l’exemple de l’émission La Bande Originale, chaque chronique est introduite de la même façon : Nagui interrompt son propos pour déclarer « Et voici … [nom du chroniqueur-stand-upper] ! » avec entrain. S’ensuit une mélodie de trompettes et cymbales, pouvant presque faire penser aux accompagnements musicaux d’un passage de spectacle de clown. Cependant, souvent, le propos de la chronique n’a rien à voir avec le propos de l’émission, renforçant cette impression de « cheveu sur la soupe »74. Ainsi, lors de l’émission du
transition entre un débat sur Aubervilliers et la chronique de Marina Rollman sur la série Netflix Love is blind 76. Retranscrivant l’émission, on peut lire :
Bartabas (invité) : Le quartier d’Aubervilliers est à l’abandon total. Sur l’avenue Jean Jaurès avant il y avait une auto-école, deux librairies ; maintenant il n’y a que des pizzas qui servent au trafic de drogues.
Nagui (animateur) : Ah bon ? Pourtant porte d’Aubervilliers il y a des constructions partout.
Bartabas : Oui, mais elles ne viennent pas jusqu’à chez nous !
Nagui : (distraitement) Ah ouais ? (Plus fort) Et voici Marina Rollman ! Jingle. Bonjour Marina !
Ici l’absence totale d’une forme de transition, permettant de lier le propos de l’émission avec celui de la chronique de stand-up, semble se dévoiler. Le présentateur, Nagui, échange avec l’invité sur le quartier dans lequel est installé son théâtre77, sur les changements socio-urbains qui y ont eu lieu puis, comme s’il venait de consulter sa montrer et de constater qu’il était l’heure de la chronique de Marina Rollman, annonce sa venue. Cela peut donner l’impression que la chronique de stand-up ne s’inscrit pas vraiment dans la cohérence du contenu de l’émission, mais vient plutôt la ponctuer à intervalles réguliers. Agnès Hurstel emploie le terme de « respirations »78 pour désigner les nombreuses chroniques de stand-up de La Bande Originale, pouvant également illustrer cette idée qu’il existe une discontinuité, une forme de rupture entre le propos, sérieux, d’une émission et ses rendez-vous divertissants : les chroniques de stand-up. Ici, le jingle peut être interprété comme un substitut de liant entre ces deux contenus a priori discontinus. La musique entraînante et joyeuse masquerait ainsi la rupture de propos qu’opère la chronique de stand-up, rupture qui, si elle était ouvertement dévoilée, pourrait s’avérer gênante et nuire au plaisir d’écoute de l’émission, fondé, lui, sur une sensation de fluidité. Ce jingle, cet entrain de l’animateur ainsi qu’une certaine expéditivité se dégageant de l’échange ci-dessus auraient le rôle de « cache-misère » de la posture interruptive et de la fonction divertissante du chroniqueur-stand-upper.

Le chroniqueur-stand-upper : une posture ambivalente au milieu de journalistes

D’un point de vue plus général, il convient d’analyser la posture du chroniqueur-stand-upper en tant qu’intervenant aux côtés de journalistes, dans des émissions à caractère journalistique. Peut-on parler de posture de journaliste pour autant ? Le chroniqueur-stand-upper livre-t-il des faits, des informations objectives ?

La chronique de stand-up c’est le « personal telling »

Une des caractéristiques principales de la chronique de stand-up est qu’elle s’appuie sur le « personal telling » : le fait de parler de soi, ou du moins du monde à travers ses yeux. Comme l’écrit Claude Chabrol dans son article « Humour et médias », « le chroniqueur instaure un contrat de prise de position appréciative personnelle sur la réalité »79.
On remarque à ce propos que de nombreuses chroniques de stand-up commencent par le pronom personnel « je ». Roman Frayssinet sur Clique, par exemple, commence même ses chroniques par faire part à Mouloud Achour, et par son intermédiaire aux spectateurs, de ses états d’âme. « Aujourd’hui je n’ai pas le temps80 », « Moi je suis dans une situation particulière là »81, « Bonjour, j’espère que vous allez bien, moi j’ai hâte de rencontrer des extraterrestres »82, « Aujourd’hui j’ai réussi à ne pas me faire renverser par une trottinette donc je suis plutôt satisfait »83, en sont quelques exemples.
Entamant ses chroniques de stand-up ainsi, Roman Frayssinet les place sous le signe de sa subjectivité. En tant que spectateur, nous savons que les informations qui vont nous être livrées au cours des prochaines minutes seront des informations vues par les yeux du chroniqueur-stand-upper.

Chroniqueur-stand-upper et journaliste : postures amalgamées mais déontologies opposées

Cependant, plusieurs éléments sèment la confusion chez le spectateur ou l’auditeur, pouvant l’amener à accorder au chroniqueur-stand-upper, et donc aux informations qu’il livre, la même crédibilité qu’à un journaliste et aux faits qu’il transmet.
Tout d’abord, le point de départ de la chronique, voire le thème général de celle-ci, est souvent un point d’actualité. Par exemple, la chronique de Marina Rollman du 28 février 202084 traite de la sortie d’une nouvelle série Netflix (Love is blind). Le fait de traiter de l’actualité, au même titre que d’autres journalistes intervenant au cours de l’émission, peut créer un parallèle dans la crédibilité qu’on leur accorde.
Ensuite, le chroniqueur-stand-upper peut intervenir au cours d’une émission dont le reste des contenus est purement journalistique. Prenons l’exemple des chroniques de Charline Vanhoenacker. Elle intervient sur France Inter au cours du 7/9 pour une chronique quotidienne. Voici les interventions qui précèdent et qui suivent la chronique de la jeune belge dans le déroulé de l’émission :
7H30 : Le Journal de 7H30 présenté par Sébastien Laugénie.
7H43 : L’Édito Politique de Thomas Legrand.
7H46 : L’Édito Éco de Dominique Seux.
7H48 : L’Invité de 7H50 présenté par Léa Salamé (lun-jeu) et Ali Baddou (ven).
7H58 : Le Billet de Charline Vanhoenacker (lun-jeu).
8H00 : Le Journal de 8H présenté par Florence Paracuellos.
8H18 : Géopolitique présenté par Pierre Haski.
8H20 : Le Grand Entretien de France Inter présenté par Nicolas Demorand, avec Léa Salamé et les auditeurs au standard.

La visibilité médiatique : crédibilité et autorité

Le champ lexical de la vision est à la fois associé aux médias (on parle de « visibilité médiatique ») et à la place d’un groupe dans la société. En effet, Antoine Albertini, journaliste au Monde, a intitulé son ouvrage sur les minorités maghrébines en Corse Les Invisibles112. Il semble donc qu’il existe un lien entre la visibilité sociale (la prégnance d’un groupe ou d’une minorité au sein de la société) et la visibilité médiatique.
C’est du moins ce dont témoigne l’ouvrage d’Adeline Wrona et Emeline Seignobos intitulé La Fabrique de l’autorité. En effet, bien que leur réflexion s’applique plus à des personnalités politiques qu’à des chroniqueurs-stand-uppers, les auteures y affirment que le fait de « prendre position dans le champ médiatique » participe de la fabrique d’une autorité, dont « légitimité et crédibilité sont les piliers majeurs »113.
Et en effet, il semble que la visibilité médiatique permette l’empowerment, tout d’abord du chroniqueur-stand-upper lui-même. Un des meilleurs moyens d’observer cela est par le fait que la visibilité médiatique gonfle la carrière scénique des humoristes comme nous l’avons déjà évoqué114. Il semble y avoir un « avant » et un « après » passage à la télévision ou à la radio, et ce d’abord d’un point de vue pragmatico-économique dans la vie artistique du chroniqueur-stand-upper.
D’un point de vue social, la visibilité médiatique offerte par la chronique de stand-up permet l’empowerment des minorités auxquelles appartiennent les chroniqueurs-stand-uppers. C’est ce dont témoigne Laurent Béru lorsqu’il affirme que « l’humour métissé, jeune et populaire des émissions de Canal + rompt indéniablement avec l’humour traditionnel français, notamment symbolisé par des comiques comme Pierre Palmade ou Muriel Robin »115. De même, dans le podcast Stand-up, bande de rigolos !116, Shirley Souagnon évoque ses nombreuses activités médiatiques en ces termes : On m’a beaucoup vue. Et après ça a été… un enchaînement de plein de choses.
On peut éventuellement entendre derrière ce silence, cette hésitation et cette approximation (« un enchaînement de plein de choses ») toute la puissance que confère une visibilité médiatique. Puissance qui a de toute évidence porté la jeune femme, qui se définit elle-même comme venant de groupes subalternes (« je suis une femme, noire, homosexuelle117 »). On peut supposer que le passage de Shirley Souagnon par les médias eût de telles implications que l’humoriste s’en tienne à cette formule minimisante. Qu’elle soit présentée de façon euphémistique ou non, il semble bien que la visibilité médiatique des chroniqueurs-stand-uppers soit avérée et participe de l’empowerment des groupes subalternes auxquels certains d’entre eux appartiennent.

Le rapport de stage ou le pfe est un document d’analyse, de synthèse et d’évaluation de votre apprentissage, c’est pour cela chatpfe.com propose le téléchargement des modèles complet de projet de fin d’étude, rapport de stage, mémoire, pfe, thèse, pour connaître la méthodologie à avoir et savoir comment construire les parties d’un projet de fin d’étude.

Table des matières

I. DU COMEDY CLUB AUX MEDIAS AUDIOVISUELS : LE PARCOURS-TYPE DU CHRONIQUEUR-STAND-UPPER A DES INTERETS MULTIPLES
A. HUMOUR FRANÇAIS ET MEDIATISATION DES HUMORISTES : UNE HISTOIRE CO-ECRITE
1. Des cafés-théâtres aux talk-show télévisés : humour et médias des années 1960 à 2000
2. Milieu des années 2000 : l’émergence du stand-up en France
B. CE QUE LES COMEDY CLUBS ET LE STAND-UP APPORTENT AUX MEDIAS
C. CE QUE LES MEDIAS APPORTENT A L’UNIVERS DU STAND-UP
II. ANALYSE DE LA POSTURE DU CHRONIQUEUR-STAND-UPPER : UN JOURNALISTE BOUFFONESQUE ?
A. LE CHRONIQUEUR-STAND-UPPER, HERITIER DE LA FIGURE DU BOUFFON
1. Du bouffon du roi
2. … au chroniqueur-stand-upper ?
B. EN RIRE PLUTOT QU’EN PLEURER : L’INJONCTION DU CHRONIQUEUR-STAND-UPPER
1. Divertir pour pondérer le caractère (trop) sérieux d’une émission
2. Le double tranchant du divertissement : l’infotainment
C. LE CHRONIQUEUR-STAND-UPPER : UN TIERS IMPORTUN ?
1. Du dispositif scénique : le chroniqueur-stand-upper adopte physiquement la posture de l’importun
2. Des interventions réduites et réductrices
3. Analyse de la transition du reste de l’émission à la chronique de stand-up : le jingle comme « cachemisère »
D. LE CHRONIQUEUR-STAND-UPPER : UNE POSTURE AMBIVALENTE AU MILIEU DE JOURNALISTES
1. La chronique de stand-up c’est le « personal telling »
2. Chroniqueur-stand-upper et journaliste : postures amalgamées mais déontologies opposées
III. DE LA PERFORMATIVITE DE LA CHRONIQUE DE STAND-UP : L’EMPOWERMENT DES GROUPES SUBALTERNES PAR LE LANGAGE ET LA VISIBILITE MEDIATIQUE
A. LE LANGAGE
1. Le « personal telling »
2. Des chroniqueurs-stand-uppers issus de minorités
3. « Dire c’est faire »
B. LA VISIBILITE MEDIATIQUE : CREDIBILITE ET AUTORITE
IV. BIBLIOGRAPHIE
V. ANNEXES

Télécharger le rapport complet

Télécharger aussi :

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *