Historique, législation et pratique du congé paternité
Évolution de la place du père
La création du congé paternité a répondu à de nouvelles attentes des pères. En effet, l’évolution de leur place au sein de la société et de la famille a engendré le désir de disposer de temps personnel afin d’accompagner leur enfant, soutenir leur compagne et partager ces premiers moments d’émotions. Mais cette nouvelle place du père, ses souhaits ou même ses revendications ne peuvent être compris qu’au regard du passé. Les mutations sociologiques, politiques et religieuses de la société permettent souvent de mieux appréhender les situations contemporaines.
De l’antiquité au XIXème siècle : la puissance paternelle
Figure archaïque héritée de la lointaine mythologie grecque, le père de la Rome Antique, bénéficiait d’un pouvoir absolu. Appelé « pater familias », il possédait tous les droits sur les enfants du foyer : les faire adopter, les vendre ou même leur donner la mort. Aucune législation ni même représentation relative à la filiation n’existait, seule sa volonté le faisait père. Au Moyen-Âge, l’influence de l’Église sur les normes sociales et les représentations collectives est déterminante, elles deviennent plus dogmatiques : les enfants naturels n’étaient reconnus que si les parents étaient mariés. Cette notion institutionnalisée de la paternité engendre l’idée de filiation en liant l’organique au conjugal, donnant ainsi au père un rôle nourricier et éducateur. Didier Lett, maître de conférences en histoire médiéval et spécialiste de l’enfance définit le père du MoyenÂge : « Être père, c’est se référer à des modèles, avoir un certain pouvoir, aimer et éduquer un enfant, donner son nom, infuser sa culture, produire des ressemblances. » .
Il faudra attendre la Renaissance, et la pensée des Humanistes pour concevoir une autre image du père marquée de manière décisive par l’expression des sentiments. Les pères s’intéressent à leurs enfants et se chargent d’une mission d’éducation. Ce devoir va s’associer à des droits de garde et de correction dans cette nouvelle ère où les hommes revendiquent leur droit à la sensibilité.
Exemple en est avec François Rabelais qui, faisant tomber le masque de la grossièreté fait du géant Gargantua, un père attendri, attentif et sensible à une éducation consciencieuse de son « très cher fils », Pantagruel : « Et quand tu connaîtras que tu auras tout le savoir de par-delà acquis, retourne vers moi, afin que je te voie et donne ma bénédiction devant que mourir » .
Pourtant, au XVIème siècle, la pudeur prime toujours sur les sentiments, le rôle de père n’était pas de pouponner mais de nourrir ses enfants. C’est seulement à la fin du XVIIème que l’on peut qualifier « l’âge d’or » de la paternité, il était incontesté : il nourrissait, éduquait, engendrait la vie. Mais la Révolution marque la déchéance de cette toute puissance par le parricide symbolique du roi et, selon la formule de Balzac : « En coupant la tête de Louis XVI, la République a coupé la tête de tous les pères de famille » [6]. En effet, l’exécution de Louis XVI guillotiné le 21 janvier 1793 marque une rébellion contre l’autorité suprême sous toutes ses formes : le père de famille ne fait pas exception. Enfin, en 1804 sous Napoléon, le Code Civil restaure la puissance paternelle abolie par les lois révolutionnaires : le père est à nouveau seul à détenir l’autorité. Puis en 1889, l’État contrôle la puissance paternelle par une loi sur « la déchéance des pères indignes » jugeant les pères abusant de leur suprématie. Enfin l’école, rendue obligatoire, déplace le rôle éducatif qui n’est plus dévolu strictement au père.
Industrialisation et guerres mondiales
Le travail des femmes au XXème siècle
La fin du XIXème siècle marque le début des mutations les plus essentielles. L’industrialisation sollicite les femmes en tant qu’ouvrières dans les usines de textile notamment. Mais ce travail n’était pas continu, il suivait le cycle de la vie familiale. Ainsi, les jeunes filles travaillaient à plein temps et la majorité d’entre elles cessaient leur activité après la naissance de leurs enfants. Elles ne la reprenaient que par intermittence, lorsque leur mari était malade, absent ou quand elles se retrouvaient seules.
Pour préserver la moralité des jeunes filles et avoir le contrôle de leur conduite, le « syndicat de l’aiguille » fut créé en 1892 par le père Du Lac, jésuite. Il créa des maisons et restaurants réservés aux femmes pour « les protéger de la promiscuité d’éventuels séducteurs » et « les préserver des liaisons dangereuses » [7]. Les métiers étaient séparés selon le genre, c’est-à-dire que certains travaux étaient destinés aux femmes où l’habileté y était requise. Elle n’était pas reconnue comme une qualification, mais comme liée aux qualités féminines innées. Aucun mérite ne leur était donc reconnu. Certains hommes craignaient que les machines aident les femmes à les remplacer à leur propre poste.
Le congé maternité n’a été instauré en France qu’en 1913, demandé par les médecins et autorités religieuses qui expliquaient que l’absence de congé mettait la nation en péril. Il comprenait quatre semaines indemnisées après l’accouchement. Au début du XXème siècle, la première guerre mondiale opère un bouleversement de la place des femmes dans la société. L’État les mobilise dans les entreprises de métallurgie par exemple. Mais cette période fut brève. En effet, dès la fin de la guerre, leurs rôles traditionnels d’épouses et de mères se sont à nouveau renforcés à cause des licenciements massifs marqués sur les postes de direction aux profits des hommes et du pic de natalité les obligeant à être présentes au domicile.
En 1940 sous le gouvernement de Vichy, un projet réglementant le travail des femmes « la vocation reproductrice des femmes et des restrictions législatives du travail féminin » est créé. Il interdit l’embauche des femmes mariées, licencie les mères de plus de trois enfants dont le mari travaille, et impose la retraite aux femmes de 50 ans. De même, il engendra une répression accrue de l’avortement, du divorce et une pénalisation de l’abandon. Dès la libération, le secteur tertiaire offrait de nombreux débouchés mais les postes de cadre restaient insignifiants. Malgré tout, dans les années 50 et 60, on constate une augmentation de nombre de mères sur le marché du travail. La fin du XXème siècle revendique une égalité entre les genres dans le domaine de l’emploi. Le travail discontinu des femmes se fait rare et les filles sont scolarisées, leur diplôme leur permet enfin un meilleur accès aux professions supérieures. À force de volonté d’égalité, les différenciations de métiers entre hommes et femmes ont fini par diminuer même si la rémunération connaît toujours un déséquilibre regrettable.
Si les femmes ont investi massivement le domaine professionnel, et redéfini leur place au sein de la société, cette mutation socio-politique profonde a aussi éveillé le désir des hommes de participer davantage et autrement à la cellule familiale et par là même leur souhait de redéfinir également leur place au sein de ce noyau de la société. A tel point que « nul ne songerait plus aujourd’hui prétendre que les pères n’ont aucun rôle à jouer dans l’éducation et la vie affective des enfants. » (Danièle Alexandre Bidon, historienne).
L’autorité parentale
De ce point de vue, le XXème siècle marque un tournant considérable pour la structure familiale. En effet, les conséquences de l’industrialisation : éloignement du lieu de travail, exode rurale et urbanisation obligent les pères à s’absenter davantage du domicile. Ceci fut accentué par leur départ au front lors des deux guerres mondiales. L’État promulgua donc des lois pour aider les mères face à ce changement. Ainsi, en juillet 1942, l’article 373 du Code Civil indique que l’autorité est un droit appartenant aux deux parents mais elle doit être exercée par le chef de famille : le père. Ce qui, à l’évidence est aberrant dans les faits et contradictoire dans son application. Ce n’est qu’après la révolte de 1968 contre l’autorité, mais surtout avec les mouvements d’émancipation féminine, qu’en 1970 la puissance paternelle est abolie au profit de l’autorité parentale, définie par l’article 371-1 du Code Civil : « l’autorité appartient au père et à la mère pour protéger l’enfant dans sa santé, sa sécurité et sa moralité » [9]. Mais en l’absence de mariage, selon la loi sur la filiation du 3 janvier 1972, l’exercice parental est conféré à la mère même si le père a reconnu l’enfant. Cette loi ne sera discréditée qu’en 1987, par la loi Malhuret, qui autorise deux parents non mariés à déposer une demande conjointe d’autorité parentale auprès du juge des tutelles [2]. En 1993 une loi ajuste celle de 1970 en proposant la condition de vie commune pour exercer conjointement l’autorité parentale. Puis, la loi du 4 mars 2002 a permis de réintroduire l’égalité des parents en harmonisant les conditions d’exercice de l’autorité parentale quelle que soit leur situation matrimoniale.
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Table des matières
INTRODUCTION
PREMIÈRE PARTIE : Historique, législation et pratique du congé paternité
I – Évolution de la place du père
1.1. De l’antiquité au XIXème siècle : la puissance paternelle
1.2. Industrialisation et guerres mondiales
1.2.1. Le travail des femmes au XXème siècle
1.2.2. L’autorité parentale
1.3. Une nouvelle fonction paternelle
1.3.1. Présence des pères en salle de naissance
1.3.2. Les pères participent à la grossesse
1.3.3. La présence des pères après la naissance : leur volonté et la nécessité de leur investissement
II – Législation
2.1. Textes législatifs
2.1.1. Les trois jours du congé de naissance
2.1.2. Création de la loi
2.2. Modalités
2.2.1. Durée du congé paternité
2.2.2. Délai
2.2.3. Situations particulières
2.3. Bénéficiaires
2.3.1. Un congé accessible
2.3.2. Pères actifs
2.3.3. Conditions particulières
2.4. Modalité d’octroi
2.4.1. Information à l’employeur
2.4.2. Justifier la filiation
2.5. Effets sur contrat de travail
2.5.1. Suspension de contrat
2.5.2. Licenciement exclu
2.6. Indemnisations
2.6.1. Conditions d’ouverture de droits
2.6.2. Montant de l’indemnité journalière
2.6.3. Le cumul d’indemnités est impossible
2.7. Dans les autres pays européens
2.7.1. Aucun congé paternité
2.7.2. Un congé réglementé dans les autres pays
2.8. Divers projets de loi
2.8.1. Augmentation de la durée
2.8.2. Un congé obligatoire
2.8.3. Modification en faveur d’un congé de coparentalité
III – Le congé paternité en pratique
3.1. Résultats de diverses enquêtes
3.2. Le congé paternité dans le contexte actuel
DEUXIÈME PARTIE : Résultats de l’étude prospective menée en Basse- Normandie
I – Présentation de l’étude
1.1. Problématique
1.2. Objectifs de l’étude
1.3. Hypothèses
1.4. Méthodologie
1.4.1. Type d’étude
1.4.2. Terrain et durée de l’étude
1.4.3. Population concernée
1.4.4. Outils
II – Les résultats
2.1. Description de l’échantillon
2.1.1. Âge des pères
2.1.2. Profession
2.1.3. Nombre d’enfants et type de grossesse
2.1.4. Lieu, voie d’accouchement et durée d’hospitalisation
2.1.5. Ville du domicile
2.1.6. Durée du congé maternité et congé parental
2.1.7. Informations relatives aux congés de naissance
2.1.8. Décision
2.2. Congé paternité et généralités
2.2.1. Fréquence générale
2.2.2. Taux de recours aux 3 jours du congé de naissance
2.2.3. Âge des pères
2.2.4. Profession
2.2.5. Nombre d’enfants et type de grossesse
2.2.6. Durée d’hospitalisation et mode d’accouchement
2.2.7. Ville du domicile
2.2.8. Congé parental maternel
2.2.9. Information reçue relative au congé paternité et décision
2.3. Choix concernant le congé paternité
2.3.1. Période propice pour bénéficier du congé paternité
2.3.2. Congé paternité et employeur
2.3.3. Indemnités
2.3.4. Motivations
2.3.5. Raisons
2.3.6. Arrangements
2.4. Vécu et représentation lors des précédents congés paternités
2.4.1. Date des précédentes naissances
2.4.2. Prise du congé paternité
2.4.3. Bénéficiaires
2.4.4. Congé et emploi
2.4.5. Raisons de non prise
2.5. Attentes des pères concernant un changement de loi possible
TROISIÈME PARTIE : Analyse et discussion
I – Critique de l’étude
1.1. Points forts
1.1.1. Lieux de déroulement de l’étude
1.1.2. Taux de participation des pères
1.1.3. « Parité »
1.2. Point faible : Longueur du questionnaire
1.3. Limites
1.3.1. Répartition de l’échantillon
1.3.2. Période de réalisation de l’étude
II – Analyse et discussion
2.1. Présentation des diverses enquêtes
2.2. Modalités
2.2.1. Taux de recours
2.2.2. Durée
2.2.3. Période
2.2.4. Décision
2.3. Motivations
2.4. Différents déterminants
2.4.1. L’accès à l’information
2.4.2. Âge des pères
2.4.3. Nombre d’enfants à charge
2.4.4. Taille de l’agglomération
2.5. Une non-prise du congé marquée par la catégorie socio-professionnelle
2.5.1. Contraintes financières et indemnisation
2.5.2. Charge de travail
2.5.3. Degré d’investissement
2.5.4. Stabilité de l’emploi
2.5.5. Arrangements et solutions
2.6. Vécu de ce congé au sein de l’emploi
2.6.1. Réaction de l’employeur
2.6.2. Retour en entreprise
2.6.3. Vision des employeurs et collègues
2.7. Vécu et représentation lors des précédents congés paternité : aide à la mère et soins du nouveau-né
2.8. Nouvelles lois
III – Propositions
3.1. Présence du père lors du retour de la maternité
3.2. Rôle de la sage-femme
CONCLUSION