Historique du diagnostic de la schizophrénie : précautions et enjeux

La psychiatrie en tant que spécialité médicale naît au début du XIXe siècle, lorsqu’un médecin français, Philippe Pinel, publie en 1801 le « Traité médico-philosophique sur l’aliénation mentale ou la manie », qui pour la première fois présente les pensionnaires des asiles psychiatriques, – alors appelés « aliénés »- comme une population de patients à part entière. Dès lors, les médecins des asiles de France, d’Allemagne et de Grande-Bretagne en majorité, commencent à décrire les symptômes et syndromes que leurs patients présentent : il s’agit des premières descriptions de sémiologie psychiatrique, dans ce qu’elle a de plus proche de celle que l’on connaît aujourd’hui. Ces médecins s’organisent, échangent entre eux, et commencent à s’appeler mutuellement « psychiatres ». Les premières descriptions de sémiologie psychiatrique amènent progressivement à comprendre l’organisation de certains symptômes en syndromes. Les psychiatres cherchent également à comprendre l’étiopathogénie des troubles qu’ils observent chez leurs patients. Nous verrons que la psychiatrie d’aujourd’hui, malgré la découverte et les progrès remarquables de la psychopharmacologie, de la biologie, de la neuro-imagerie fonctionnelle et de la génétique notamment, est aux prises avec le même type de problématiques que celles qui occupaient les tout premiers psychiatres, notamment en ce qui concerne l’étiopathogénie des maladies mentales, et en particulier de la schizophrénie. C’est d’ailleurs la schizophrénie qui semble être l’exemple de maladie psychiatrique le plus approprié pour comprendre les enjeux complexes du diagnostic en psychiatrie, de la fin du XIXe siècle à nos jours.

LE XIXE SIECLE : LES PREMIERES DESCRIPTIONS DE SEMIOLOGIE PSYCHIATRIQUE ET LE CONCEPT DE SCHIZOPHRENIE

L’avancée majeure à retenir du XIXe siècle se situe en 1883, lorsqu’un psychiatre allemand, Emil Kraepelin, publie une description clinique qui réunit l’hébéphrénie, la catatonie et le délire paranoïde dans un syndrome qu’il appelle dementia praecox, et qui sera renommé par Bleuler en 1911, schizophrénie. Kraepelin est un psychiatre dont l’approche est très médicale, en ce sens qu’elle décrit de la façon la plus objective possible les signes cliniques présents, leur évolution et le processus pathologique supposé sous-jacent. Ses descriptions cliniques se fondent sur le modèle « étiologie-symptôme-pronostic/évolution-traitement », description qui, en médecine, permet d’établir un diagnostic. Au contraire de ses contemporains, il ne pensait pas qu’un signe psychiatrique soit caractéristique d’une maladie psychiatrique. Pour lui, il n’y avait qu’une combinaison spécifique de symptômes, mis en relation avec l’évolution du trouble observé, qui permettait d’établir le diagnostic d’une maladie psychiatrique . C’est cette façon d’appréhender les troubles psychiatriques qui a permis à Kraepelin de décrire le concept de dementia praecox, appelée aujourd’hui schizophrénie. A cet égard, il faut préciser plusieurs choses. Tout d’abord, il nomme ainsi cette maladie car pour lui, elle est caractérisée en grande partie par son évolution : elle se déclare à un âge jeune, d’où le terme de praecox, et conduit immanquablement, dans son évolution à une dégénérescence des fonctions cognitives du sujet, d’où le rapprochement qu’il en fait d’un processus démentiel. Kraepelin développe ses descriptions cliniques et postule que la dementia praecox et le trouble bipolaire, alors appelé « folie maniaque-dépressive», sont deux maladies psychiatriques distinctes, la première menant à une dégradation irréversible des fonctions cognitives, quand la seconde est résolutive et permet, une fois passée la crise délirante maniaque, une restitution ad integrum des capacités cognitives du patient. Malgré des nuances à apporter à cette théorie, Kraepelin pose donc avec elle à la fois les fondements de la sémiologie et de la nosologie psychiatrique, qui sont encore en vigueur aujourd’hui, et introduit une démarche catégorielle en psychiatrie qui s’accompagne d’une remarquable rigueur médicale basée sur les signes objectivables des maladies psychiatriques. Il pose également l’hypothèse d’une origine endogène de la dementia praecox, qu’il suppose reliée à un probable processus toxique ou à une anomalie anatomique. De façon plus générale, Kraepelin est l’un des pionniers des théories organicistes des troubles psychiques, qui donneront plus tard naissance à différents courants, la psychiatrie biologique n’étant qu’un aspect de cet héritage, qui a surtout beaucoup influencé la recherche clinique en psychiatrie.

Kraepelin a également créé une des premières classifications des troubles psychiques. En effet, dans la cinquième édition de son manuel de psychiatrie, Kraepelin a établi une classification des troubles mentaux basée sur le modèle catégoriel, où il développe des critères d’inclusion et d’exclusion pour le diagnostic de la dementia praecox et de la folie maniaquedépressive .

L’approche kraepelinienne des troubles psychiatriques est encore influente de nos jours, nous le verrons par la suite.

En 1911, Eugen Bleuler reprend le concept de dementia praecox, mais le nuance. Il se focalise davantage sur certains de ses symptômes, qu’il considère comme « fondamentaux » ou « primaires », que sur les processus évolutifs de la maladie pour en poser le diagnostic. Il avance que pour lui ce syndrome n’a rien d’une démence, malgré l’absence de restitution ad integrum des processus de pensée et leur aspect évolutif, mais qu’il est pour lui plutôt à considérer comme la conséquence d’un signe clinique qu’il considère comme majeur : le trouble des associations, ou dissociation (Spaltung). Bleuler décrit la dissociation comme la perte des associations dans les processus de pensée des patients atteints.

DEBUT DU XXE SIECLE : PSYCHANALYSE ET RELATIVISATION DES DIAGNOSTICS EN PSYCHIATRIE

Au cours de la première moitié du XXe siècle, la pratique de la psychiatrie est dominée par le courant psychodynamique. Celui-ci, fortement inspiré des travaux de Sigmund Freud sur la Psychanalyse, a entraîné un progressif glissement de la psychiatrie vers des pratiques moins descriptives et classificatrices, laissant une part grandissante à la relation thérapeutique, supposée infléchir de manière significative le pronostic des maladies mentales. Il était alors communément admis qu’il ne fallait pas formuler à un patient de diagnostic fiable et définitif, sous peine de gêner le processus psychothérapeutique. De plus, ce mouvement suppose que les facteurs environnementaux ont un rôle prépondérant dans l’émergence d’une maladie psychiatrique. Celles-ci étaient volontiers vues comme un défaut d’adaptation à une série d’événements extérieurs négatifs, une « réaction » pathologique. La maladie psychique n’est plus identifiée comme une entité clinique en ellemême comme dans les descriptions de Kraepelin, mais elle est davantage considérée comme un point sur un axe virtuel qui représenterait un continuum entre santé mentale et maladie, reflet d’un phénomène dynamique, qui serait potentialisé par une intervention de psychothérapie psychodynamique, ou d’inspiration analytique, visant la guérison complète du trouble. Ces pratiques, et notamment la raréfaction des diagnostics en psychiatrie, ont pu avoir pour effet collatéral de rendre plus difficile la recherche clinique en psychiatrie pendant plusieurs années, notamment dans les domaines de l’épidémiologie et de la recherche thérapeutique, puisqu’il n’y avait alors pas de diagnostics psychiatriques fiables et valides sur lesquels s’appuyer pour développer les études cliniques . La théorie psychodynamique, nettement inspirée des travaux de Sigmund Freud en Europe, et de Meyer aux Etats-Unis, décrit largement les désordres psychiques « légers » qui sont qualifiés de « névroses ». Les techniques de psychothérapie qui se proposent de traiter ces désordres psychiques mineurs ont peu à peu pour conséquence qu’une partie de la communauté internationale des psychiatres se détourne de la patientèle psychiatrique classique, c’est-à-dire aux troubles les plus sévères et invalidants, et se met à soigner majoritairement des troubles discrets du comportement et des émotions qui se retrouvent chez la majorité des personnes bien-portantes qui composent la société occidentale de l’époque. A la fin des années 1940, la théorie psychodynamique avait acquis une telle notoriété dans la communauté des psychiatres, à la fois en Europe et aux Etats-Unis, qu’elle fut reconnue comme école de pensée majoritaire en 1946 par l’American Board of Psychiatry and Neurology .

Le rapport de stage ou le pfe est un document d’analyse, de synthèse et d’évaluation de votre apprentissage, c’est pour cela chatpfe.com propose le téléchargement des modèles complet de projet de fin d’étude, rapport de stage, mémoire, pfe, thèse, pour connaître la méthodologie à avoir et savoir comment construire les parties d’un projet de fin d’étude.

Table des matières

Introduction
Historique du diagnostic de la schizophrénie : précautions et enjeux
1) Le XIXe siècle : les premières descriptions de sémiologie psychiatrique et le concept de schizophrénie
2) Début du XXe siècle : psychanalyse et relativisation des diagnostics en psychiatrie
3) Les années 1950 et la formalisation de la recherche en psychiatrie : le DSM-I
4) Les années 1960 à 1980 : deux mouvements distincts dans la psychiatrie internationale
4.1) L’effort d’unification des classifications internationales: le DSM-II et la CIM-8
4.2) L’évaluation des pratiques en psychiatrie : le US/UK Diagnostic Project
4.3) L’année 1980 : retour à l’approche catégorielle, le DSM-III
4.4) La période post-DSM-III : d’importantes questions subsistent
Le praecox Gefühl et la place de la subjectivité du psychiatre dans le diagnostic de la schizophrénie
1) Historique du contexte de praecox Gefühl
2) Le diagnostic de la schizophrénie selon Rümke : description du praecox Gefühl
2.1) Praecox Gefühl et terminologie
2.2) La rencontre ordinaire
2.3) La spécificité de la rencontre avec le patient schizophrène et le praecox Gefühl
2.4) Praecox Gefühl, comportement moteur et diagnostic rapide
2.5) Conceptions de Rümke sur l’étiopathogénie de la schizophrénie
2.6) Limites du concept de praecox Gefühl chez Rümke
2.7) Résumé des caractéristiques du praecox Gefühl
3) Le praecox Gefühl dans la pensée des psychiatres contemporains de Rümke ou ultérieurs
4) Actualité du concept de praecox Gefühl : une revue de la littérature
5) Le processus de typification : un lien entre le praecox Gefühl et les classifications internationales
Rencontre avec le patient atteint de schizophrénie : le cas de Pierre, 19 ans
1) Contexte clinique
2) Récit du cas
3) Discussion du cas clinique
La place du praecox Gefühl dans le diagnostic de la schizophrénie: une étude qualitative multicentrique menée auprès de psychiatres hospitaliers et libéraux
1) Présentation de l’étude
2) Matériel et méthodes
3) Résultats
3.1) Caractéristiques de la population
3.2) Résultats sur les critères de jugement principaux
3.3) Résultats sur les critères de jugement secondaires
3.4) Analyse statistique des résultats
3.5) Comparaison avec les autres études publiées (Irle 1962 / Sagi & Schwartz 1989)
4) Discussion
Conclusion
Bibliographie
Annexe
Résumé

Lire le rapport complet

Télécharger aussi :

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *