HISTORIQUE DES DEFINITIONS DU DELIRE 

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HISTORIQUE DES DEFINITIONS DU DELIRE

Au sens étymologique, ce terme vient du latin delirare qui signifie proprement « sortir du sillon », « extravaguer », alors que lirare signifiait « tracer des sillons ». Il est introduit en français au XVIe siècle mais il ne prend un sens technique qu’au XIXe siècle. Donner une définition du délire a en effet, semble-t-il, toujours été assez problématique. En 1839, Falret avait écrit « qu’il est souvent plus aisé de reconnaître le délire que de le définir » [27].
Si le phénomène du délire intéresse la psychiatrie et la psychanalyse, si les tentatives de compréhension, d’explication, de conceptualisation varient selon les époques et les courants de pensée, la définition du délire comme tel se heurte depuis toujours à des difficultés majeures. Comme le disaient également Ritti et Ball : « La question du délire constitue un des chapitres les plus difficiles et les plus compliqués de la pathologie générale. Donner une bonne définition du délire n’est pas chose aisée. Bien des auteurs s’y sont essayés ; aucun ne peut avoir la prétention d’avoir réussi »[8].
De nos jours plusieurs définitions du délire sont utilisées. A seuls titres d’exemples, le délire serait « une psychose liée à une organisation psychopathologique de la personnalité et de son rapport à la réalité, généralement durable, se manifestant par des troubles de la perception et la production d’idées délirantes »[58]. On voit, selon cette définition, que le délire est une psychose, que cette psychose est liée à la personnalité du malade et à son rapport à la réalité, et que ce sujet présente des troubles de la perception.
Autre définition contemporaine : « Chaque fois qu’il y a erreur dans les perceptions ou déviations dans le jugement, l’esprit peut émettre des idées fausses. L’idée fausse devient idée délirante quand elle est en opposition avec la réalité ou choque l’évidence. Une idée délirante qui se maintient et se poursuit constitue le délire »[57].
La plupart des travaux – notamment au cours du XIXe siècle – se sont concentrés sur la reconnaissance et la description des différentes formes de délires (de grandeur, de persécution, de jalousie, hypocondriaque, mystique, systématisé, etc.) sans pour autant s’essayer à dire ce qu’est le délire.
De Pinel à la fin du XIXe siècle :
Pinel [56] en 1809, distinguait quatre grandes espèces d’aliénation : la manie ou « délire général », la mélancolie ou « délire exclusif », la démence ou « abolition de la pensée », et l’idiotisme ou « oblitération des facultés intellectuelles et affectives ».
Esquirol est l’un des premiers à tenter de préciser l’acception du délire. Il en donne la définition suivante : « Un homme est dans le délire lorsque ses sensations ne sont pas en rapport avec les objets extérieurs, lorsque ses idées ne sont pas en rapport avec ses sensations, lorsque ses jugements et ses déterminations ne sont pas en rapport avec ses idées, lorsque ses idées, ses jugements, ses déterminations, sont indépendants de sa volonté. De fausses sensations, sans altération sensible des organes des sensations, par conséquent dépendantes d’une cause interne, présentant à l’esprit des objets qui n’existent réellement pas, produisent nécessairement le délire »[24]. Dès lors, il se trouve conduit à insister sur l’aspect négatif de ce mécanisme auquel il dénie tout aspect créateur. Quelques années plus tard, Falret complète les thèses d’Esquirol en soulignant que l’absence de conscience de son état de la part du malade constitue un caractère essentiel de la définition du délire[27]. En 1877, Ritti, présente
« des délires basés sur des faits vrais ou vraisemblables »[60]. Il critique la notion « d’idée délirante », du moins pour l’aide qu’elle serait susceptible d’apporter au diagnostic. En effet, il souligne pertinemment qu’il « existe des cas nombreux dans lesquels un fait vrai ou vraisemblable est le point de départ des idées délirantes », et que « dans d’autres circonstances, ce sont des faits vraisemblables qui constituent le point de départ du délire ». En 1895, dans sa onzième leçon consacrée au délire dans la mélancolie, Séglas formule que « le délire est, le plus souvent, une tentative d’interprétation de l’état d’anéantissement profond, de douleur morale ou des causes qui l’ont produit, dont le patient cherche la raison ou envisage les conséquences » ; c’est, ajoute-t-il, une « tentative d’explication des phénomènes douloureux » [64].
Première moitié du XXe siècle
En 1911, avec Freud, l’avènement de la psychanalyse, la découverte de l’inconscient, l’étude consacrée au Président Schreber[36], plus rien ne sera jamais comme avant dans la conception, la compréhension et la définition des psychoses et des délires. Après des décennies de description et de classification du délire, nous passons en effet avec Freud à la question du sens du délire, aux éléments signifiants du délire et à la part de vérité inhérente au délire. Selon Freud, le délire est une construction, une reconstruction qui fait suite à une « catastrophe intérieure ». La même année, Bleuler souligne qu’il ne faut pas oublier que, selon lui, « tout délire possède sa faille logique, et que les exigences des observateurs sont fort diverses sous ce rapport » [12]. Pour De Clérambault, en 1920, le délire est une « superstructure », il n’est à proprement parler « que la réaction obligatoire d’un intellect raisonnant et souvent intact aux phénomènes qui sortent de son subconscient »[21]. En 1923, Régis considère que « l’idée délirante est très difficile à définir », et qu’à l’évidence, dans certains cas l’idée délirante est absurde et impossible. Pour cet auteur, « les délires ne sont jamais que des symptômes et n’appartiennent exclusivement à aucune psychose déterminée »
De 1950 à nos jours.
Henri Ey définit le délire en 1958 comme « Une altération de la réalité qui exprime une altération de l’état psychique, une déstructuration de la conscience ou une désorganisation de la personnalité. Le délire est l’altération de la réalité vécue ou pensée comme effet d’un bouleversement structural de l’être psychique »[26].
En 1969, Castets définit le délire comme : « Une marque de la rupture avec l’ordre symbolique de la réalité. Il masque, pallie toujours, et plus ou moins bien, un manque de la personne, une faille ; il est signe d’une atteinte profonde de l’être psychologique comme le pansement peut être signe d’une blessure. Mais, comme le pansement, le délire est aussi remède, insuffisant, insatisfaisant, mais immédiatement nécessaire. Le délire est en somme une sorte de dernier recours de l’être menacé de destruction ; il ne vise pas à créer mais à protéger. Il renvoie toujours, et de façon la plus directe, aux éléments les plus archaïques de la personne » [15].
Soler, quant à elle, le caractérise comme : « Un procès de signification, aussi réduit soit-il, par lequel le sujet parvient à élaborer et à fixer une forme de jouissance acceptable pour lui. » [66].

LES FONCTIONS DU DELIRE SELON FREUD

La conception freudienne du délire dans son œuvre « Le président Schreber » a constitué une révolution pour les psychiatres et la psychanalyse. Freud accorde de l’importance au sens du délire, à ses éléments signifiants : dans son déclenchement, dans son mécanisme, son élaboration, sa logique et sa fonction, et à la part de vérité inhérente au délire. Sur ce dernier point il disait : « Si l’introduction du père dans le délire de Schreber doit nous paraître justifiée, elle doit être porteuse d’utilité et nous aider à éclairer des détails incompréhensibles de son délire »[36]. Déjà en 1907, dans son essai de psychanalyse appliquée à la Gradiva de Jensen [35], il tentait de donner les caractéristiques du délire : « Le délire est caractérisé par ceci : les fantasmes sont devenus maîtres souverains, c’est-à-dire ont trouvé créance et actionnent de ce fait la conduite du sujet». Les fantasmes, ici, en tant « qu’avant-coureurs du délire », selon les termes de Freud, sont conçus comme les « succédanés, les dérivés des souvenirs refoulés qu’une résistance empêche de se présenter à la conscience sous leurs traits véritables, mais qui y parviennent cependant au prix des modifications et des déformations que leur imprime la résistance de la censure ».
Se démarquant radicalement des aliénistes et psychiatres de son époque, Freud découvre la part de vérité présente dans tout délire : « Si le malade croit si fermement à son délire, cela ne tient pas à un renversement de ses facultés de jugement et ne dérive pas de ce qui, dans son délire, est erroné. Mais tout délire recèle aussi un grain de vérité, quelque chose en lui mérite réellement créance, et là est la source de la conviction du malade (. . .) ».
Selon Freud, le délire est une construction, une reconstruction qui fait suite à une « catastrophe intérieure ». Le délirant élabore alors une « autre réalité»,il doit reconstruire le monde, et le sujet « le rebâtit, certes pas plus splendide, mais au moins de telle sorte qu’il puisse de nouveau y vivre. Il le reconstruit par le travail de son délire. Ce que nous considérons comme la production de la maladie, la formation du délire, est en réalité la tentative de guérison, la reconstruction » [36].

APPORT DES AUTRES AUTEURS

Dans une perspective lacanienne, le sujet délire pour tenter de cerner, de circonscrire la jouissance débridée, délocalisée, puisque non bordée par le signifiant. Le délire permettrait de réintroduire la dialectique du discours, de retrouver ainsi une forme de lien social. Il travaille ainsi à trouver de nouvelles significations, lesquelles significations ont déserté le monde ébranlé du sujet. Ces nouvelles significations sont des réponses aux phénomènes énigmatiques, menaçants parfois, angoissants toujours, qui ont surgi plus ou moins brutalement dans la vie du sujet. Aux prises avec ce réel énigmatique, le délire se situe comme une défense devant un impossible à supporter, il vient boucher, colmater le trou de la non-inscription symbolique, et comme tel, il acquiert pour le sujet le statut de « pare-errance », ou de « guide » dans l’existence [15] .
Nacht et Racamier [50], reprennent les thèses freudiennes et développent une tripartition dynamique de l’activité délirante s’établissant autour de la différenciation « Soi/ non-Soi ». Selon ces auteurs, les formations délirantes procèdent d’une phase initiale appelée « états primordiaux du délire », qui s’origine d’un conflit psychique intolérable avec les objets du monde extérieur. Cette situation anxiogène est telle qu’elle induit chez le jeune sujet une impression de fin de monde l’amenant à effectuer un désinvestissement de la réalité. Dans ces conditions, les limites entre le Soi et le non-Soi viennent à s’estomper, au point de ramener régressivement le sujet à un « état pré-objectal » au sein duquel monde extérieur et monde intérieur ne se trouvent pas clairement différenciés. A ces états primordiaux de l’activité délirante succèdent ensuite le « moment narcissique du délire » qui résulte du transfert des investissements pulsionnels autrefois dirigés vers le monde extérieur sur le « Moi » de la personne délirante. Toutefois, en raison de l’angoisse hypocondriaque que cette focalisation pulsionnelle induit sur le corps, survient « l’épanouissement du délire ». Cette troisième phase préside à un réinvestissement du monde extérieur par lequel il devient possible au sujet de rencontrer de nouveaux objets tant « réels » qu’imaginairement construits. Aussi, le redéploiement objectal du délire consiste avant tout en l’aménagement d’une relation entre le sujet et des objets substitutifs de nature imaginaire.
Les travaux de Flémal ont beaucoup contribué à cette considération du délire et à sa prise en charge. Flémal [30] considère le délire moins comme une façon anormale de percevoir le monde que comme une tentative de solution face à la résurgence d’un traumatisme primaire impensé. L’auteur met en évidence trois principales fonctions auxquelles peut procéder le délire dans son essai de résolution auto-thérapeutique. La première, conceptualisée sous le terme de « fonction contenante », préside à la mise en forme et à la transformation signifiante de ce qui ne peut être symbolisé de l’expérience traumatique. La deuxième, nommée « fonction localisante », tente de situer en dehors du sujet le débordement pulsionnel inhérent au traumatisme primaire. La troisième, appelée « fonction identifiante », permet à la personne délirante de s’attribuer un énoncé identificatoire qui, de manière auto-crée, supplée à l’énigme de son histoire insensée. Ces trois fonctions de l’activité délirante ne se réalisent pas de façon aléatoire mais s’articulent selon une logique particulière.
Il apparaît ainsi qu’à partir de sa triple opération, le délire tend à se déployer en un « processus délirant » par lequel le sujet peut rendre pensable et supportable le vécu traumatique qu’il a éprouvé au cours de son histoire. Enfin, l’auteur propose de reconsidérer les enjeux du dispositif clinique avec les patients délirants. Moins de chercher à supprimer le délire, il s’agirait notamment d’accompagner le sujet dans l’aménagement des potentialités résolutives que le processus délirant tend à produire.

COMMENTAIRES N°1

La dynamique familiale de M.B est perturbée par des situations d’abandon et d’instabilité. Son environnement familial a été instable et marqué par la séparation de ses parents, de nombreux confiages et de maltraitance physique. M.B a donc vécu dans un cadre de vie chaotique avec une enfance et une adolescence instables. La présence d’un cadre sécurisant à son développement aurait donc fait défaut.
La mère de M.B présenterait un défaut de contenance qui serait une porte d’entrée à de traumas multiples. La défaillance de la fonction de mère a engendré de multiples séparations ayant pour conséquence l’absence de figure maternelle stable. Dans ce sens, Anzieu [6] insiste sur cette contenance physique et psychique qui aboutirait selon lui à une sorte de « moi peau » comparable à une enveloppe sécurisante. Nous pourrions alors penser que l’absence de cette enveloppe sécurisante serait traumatisante et rendrait M.B vulnérable à d’autres traumas.
Chez M.B, les premières expériences de vie au sein de la famille, l’organisation de celle-ci, les évènements de vie négatifs, les expériences problématiques de scolarité et le défaut d’apprentissage des règles sociales, auraient également un poids significatif sur la construction de sa personnalité et sur le développement d’une pathologie psychiatrique. Une vaste bibliographie a été consacrée à l’impact des évènements de vie négatifs sur le développement ultérieur de troubles psychologiques. La manière de faire face au stress qui découle de ces événements de vie négatifs est déterminante dans le développement du sujet.
Des travaux de recherche portant sur l’adolescence montrent que l’existence de tels évènements peut entraîner divers problèmes d’ajustement psychologique tels que la consommation de substances psychoactives [16]. Ces traumas multiples et ce stress conduiraient notre patient à utiliser comme mécanisme de défense le niveau d’agir. A l’âge de 10 ans, il est question d’une consommation précoce de tabac et à 13 ans, une consommation de cannabis. De plus, cette faille au niveau de l’enveloppe sécurisante entrainerait une rupture de l’équilibre psychique-soma. Une prévalence du Moi corporel devient alors le réceptacle.
Selon Kahn [42], l’accumulation de ces traumas montre les limites de cette enveloppe corporelle obligeant l’individu à avoir recours à des conduites addictives pour évacuer le surplus de tensions. Nous pensons alors que ces conduites addictives font partie des moyens que M.B a trouvé pour se soulager et pour lutter contre un sentiment d’angoisse. Dans ce sens, une approche psychodynamique de la consommation de cannabis postule que l’origine de la dépendance à une substance est liée à l’angoisse ressentie lors de processus de séparation mal résolus [39]. Le sentiment d’angoisse serait à l’origine du recours à l’utilisation d’un produit externe. Ainsi la consommation de cannabis aurait joué le rôle d’un anesthésiant permettant à M.B de contenir cette angoisse de séparation et de soulager un état de tension et d’anxiété provoqué par une crise interne et par une incapacité à gérer les situations anxiogènes externes.
Cette angoisse de séparation présente chez M.B et les différents éléments de son enfance nous renvoient à sa structure borderline. Pour la plupart des auteurs, les traumatismes de la petite enfance sont responsables de ces états limites et auront pour conséquence des menaces contre l’intégrité narcissique [9 ; 10 ; 19 ; 41]. La biographie de M.B met en évidence des frustrations précoces telles que le divorce de ses parents et le défaut de maternage. Vers l’âge de 2 ans où le Moi se renforce avec la mise en place d’un Moi idéal, une autre séparation se produit, celle avec sa mère. Cette rupture pourrait avoir perturbé son développement libidinal, favorisant une fixation à ce stade. Bergeret [10 ; 51], rappelle que le traumatisme psychique à l’origine de l’état limite, se situerait aux alentours de cet âge. C’est à dire dans une zone située après le stade anal I et avant le stade œdipien. M.B aurait donc un fonctionnement de type borderline.
Les conduites addictives chez le borderline traduiraient une dépendance à l’objet [19 ; 43]. Dans ce type de relation anaclitique, l’autre est nécessaire car il permet au sujet limite de pallier un narcissisme défaillant. L’autre peut être une personne ou une substance. Ainsi, le cannabis jouerait ce rôle chez M.B. En ce sens, l’acte ne serait pas uniquement une simple décharge pulsionnelle mais pourrait être considéré aussi comme un acte de parole permettant une meilleure communication. Le passage à l’acte ne serait pas révélateur d’une faille dans la mentalisation mais représenterait « un message à entendre » : « Help, I need help… » [14].
Par ailleurs, le mode de fonctionnement de la mère interpelle. Elle est instable dans ses relations affectives et dans celle avec son fils, d’abord distante puis se rapproche de lui. L’attitude de la mère fait également penser à un fonctionnement borderline. Ne serait-ce pas ce qui justifierait le défaut de maternage ? Nous n’avons cependant pas été tentés de vérifier cette hypothèse, préférant nous concentrer sur M.B.
Le projet de voyage de M.B aurait joué le rôle du traumatisme désorganisateur tardif qui aurait réactivé le traumatisme de séparation de M.B entrainant ainsi sa décompensation sous le mode psychotique. Pour notre patient, l’épisode psychotique serait une échappatoire du réel. Le délire chez M.B serait plutôt une tentative de solution face à la résurgence d’un traumatisme primaire impensé, un essai de résolution auto-thérapeutique. Pour preuve, on cite le rôle joué par le détachement émotionnel quand M.B nous parlait de ses traumas infantiles.
A travers ce délire, M.B tenterait de situer en dehors de lui le débordement pulsionnel inhérent aux différents traumatismes primaires. La nature des thèmes délirants : grandeur, messianique, faire régner l’amour, la paix, assainir les mœurs, renforcer les règles morales, conforte ces hypothèses. En effet, nous retrouvons dans ces thèmes les éléments qui auraient manqué à M.B et qui auraient été à l’origine de ses infortunes. Dans ce sens, Freud[37] disait : « Ce que nous tenons pour la production de la maladie, la formation délirante, est en réalité la tentative de guérison, la reconstruction. ». Certains auteurs [1] ont conclu à « L’existence d’épisodes psychotiques transitoires déclenchés par des périodes de stress ». Selon Flemal [31], le délire ferait parti des moyens de dérivation d’un excès de l’accumulation pulsionnelle. Winnicot [71] relie cet état de surtension psychique à la possibilité de développer un accès psychotique. Il parle d’un état « d’agonie primitive » lié à un débordement psychique impossible à assimiler subjectivement et à la menace d’une véritable mort psychique. Chez M.B, les idées de grandeur et de mission à accomplir, seraient le fait de l’idéalisation primitive de soi. Ce mécanisme entraine une surestimation de soi et refoule inconsciemment les sentiments hostiles par rapport à soi ce qui le valorise.
Dans le délire de M.B, nous remarquons que le rêve a joué un rôle de médiation vers le retour à la réalité. Le premier rêve lui a permis le report de la mission jusqu’à ses 40 ans et donc une mise à distance du délire messianique.
Le deuxième rêve dans lequel il a tué le cannabis, lui a permis de s’oser à penser le sevrage. Selon Cordesh [17], le rêve réactive la capacité de symboliser les émotions, les traces mnésiques anciennes, les « ingouvernables », le présymbolique et le préverbal. Le rêve a autorisé M.B à entrer dans un registre intime, une zone hors de la réalité. En effet, le rêve a constitué un pont qui a permis à M.B de trouver une solution qui le ramène à la réalité prenant ainsi conscience de son délire et permettant de le conquérir.
La critique a été progressive, renforcée par une psychothérapie au cours de laquelle nous avons eu une double attitude : d’abord pour déconstruire et vaincre les contre-charges qui s’opposent au retour du traumatisme et contenante en assurant les besoins du Moi notamment l’autoconservation. En parallèle, il aura fallu aussi mettre en exergue et renforcer la fonction maternelle fragile. Ainsi la mise à distance progressive du délire a pu s’effectuer selon un processus établi progressivement par M.B, fruit d’une déconstruction cohérente qui s’est faite à son rythme, entouré par la bienveillance de l’équipe et de la mère, et autorisée par les représentations culturelles.

OBSERVATION N°2

G.N est une femme de 42 ans, célibataire et sans enfant, couturière de profession.
Ses troubles ont débuté en 2007, après le décès de sa grand-mère. Ils étaient marqués par des troubles caractériels à type d’irritabilité, d’agressivité dirigée contre sa sœur et surtout sa mère ; et des idées de persécution envers ces dernières ayant engendré de multiples plaintes au niveau de la police. Elle a été hospitalisée au Centre Hospitalier National Psychiatrique de Thiaroye à trois reprises, en 2009, 2011 et 2013. Le diagnostic évoqué à chaque hospitalisation était une psychose paranoïaque. Elle a été traitée par des neuroleptiques.
L’évolution en cours des hospitalisations a été défavorable marquée par le refus de la patiente de prendre ses médicaments ce qui était à l’origine d’un climat conflictuel avec l’équipe médicale. Cette relation a été irrégulière, ponctuée de multiples ruptures thérapeutiques, en marge de la persistance des troubles. Le frère de G.N serait suivi pour la même symptomatologie, dans la même structure.
G.N est la deuxième d’une fratrie utérine de 3 enfants. Son père faisait partie du corps diplomatique. Il est de religion musulmane. Sa mère est enseignante, de religion chrétienne et fille unique. Les parents de G.N étaient des cousins de troisième génération. Le grand-père maternel était dépositaire de l’autorité familiale. La mère de G.N nous a expliqué qu’il était influent et respecté par tous les membres de la famille. La mère de G.N nous disait qu’elle ne pouvait ni le contredire ni le désobéir. Après le mariage, le grand-père a exigé du couple qu’il s’installe chez lui.
Juste après la naissance de G.N, son père a été affecté en Mauritanie où il s’était installé, laissant sa femme et ses deux enfants dans la maison familiale. G.N a été sevrée de façon brutale à 18 mois car la mère a dû reprendre son travail pour subvenir aux besoins de sa famille, nous disait-elle. G.N a passé plus de temps avec sa grand-mère qui la gardait durant la journée. La mère de G.N nous a expliqué : « J’avais un emploi de temps assez chargé et je devais travailler pour subvenir à nos besoins surtout que mon mari était loin et l’argent qu’il nous envoyait ne suffisait pas. Ma mère prenait soin des enfants en mon absence et je reprenais mon rôle de mère dès que je rentrais à la maison ». G.N nous a rapporté qu’elle était très proche de sa grand-mère qu’elle considérait comme sa véritable mère et son amie. Le père de G.N avait demandé à sa femme de le rejoindre en Mauritanie avec ses enfants mais le grand-père s’y est opposé. Devant ce refus, le père de G.N est retourné à Dakar et s’est aussi installé dans la maison familiale. G.N avait alors 6 ans. Un an après, le couple a eu son troisième enfant, la benjamine de la famille.
G.N a été scolarisée à l’âge de six ans. Ses résultats scolaires étaient médiocres. Elle a étudié jusqu’à la classe de seconde puis elle a décidé d’arrêter. G.N nous a expliqué : « Ça ne m’intéressait plus, je ne voulais plus y aller, je n’étais pas une bonne élève à quoi bon continuer ». Quand nous avons demandé à G.N de décrire la réaction de ses parents face à cette décision d’arrêter ses études elle nous a répondu : « Ma mère ne s’occupait pas de moi ni de mon sors, depuis la naissance de sa fille elle m’a laissé, elle n’avait en tête que son autre fille, elle ne se préoccupait que d’elle. Mon père était bien, je l’aimais bien mais il était débordé par son travail et par les problèmes que ma mère lui causait, il n’avait pas le temps ».
La relation entre les parents de G.N était sans conflit. Elle devenait problématique dès qu’on parlait de religion. Le père, musulman, a demandé à la mère de se convertir mais cette dernière a refusé. Cette discordance était à l’origine de multiples disputes et ils ont fini par divorcer. G.N avait alors 14 ans. Après le divorce, le père de G.N a quitté la maison familiale pour s’installer dans sa propre maison et il avait emmené G.N et son frère avec lui, laissant la fille cadette avec la mère. Quand nous avons demandé à G.N comment elle a vécu ce divorce elle nous a répondu : « C’était dur mais on n’a pas le choix, on est obligé d’être le père et la mère en même temps et de prendre soin de soi-même, de faire attention avant que les gens ne nous fassent du mal. On est livré à soi-même ».
Le père de G.N s’est remarié et a eu 6 autres enfants. La mère de G.N s’est également remariée mais a fini par divorcer à nouveau au bout de 2 ans. G.N nous disait : « Mon père n’était plus mon père depuis qu’il a quitté ma mère et s’est remarié mais au moins lui, il était équilibré et il pouvait prendre soin de sa famille. Ma mère n’était pas équilibrée, je pensais qu’elle allait rester avec son deuxième mari mais ce ne fut pas le cas. Il n’a pas pu la supporter non plus. Je ne la supporte pas, elle le sait, c’est pour cette raison qu’elle a gardé son autre fille et m’a donné avec mon frère à notre père ».
En nous parlant de la relation qu’elle entretenait avec ses parents elle nous disait : « Mon père est bien mais ma mère je ne la supporte pas. Vous imaginez ? Elle m’a sevré précocement. Cela est-il normal ? ». Lorsque sa mère venait lui rendre visite, elle devenait irritable et l’agressait verbalement. Elle dit aimer son père : « Mon père est bien. C’était mon ami, il m’a toujours soutenu, il me comprenait jusqu’à ce que je tombe malade. Ma mère, je ne l’aime pas. Elle est méchante, elle ne me comprend pas. Elle est injuste et est toujours du côté de ma sœur pourtant je suis sa fille ainée, sa première fille. Elle l’a toujours préférée et protégée. Depuis qu’elle est née je n’existais plus à ses yeux, des fois je me demande si elle est vraiment ma mère. Elle ne sait pas ce que c’est l’affection. Elle est mauvaise. La preuve elle ne peut pas garder un mari ». G.N nous disait aussi que sa mère l’avait souvent frappée, fait nié par la mère. Cette dernière nous a rapporté : « Elle a toujours été agressive envers moi et me disait tout le temps que je préférais sa sœur ».
A l’âge de 16 ans, G.N avait été atteinte d’une maladie infectieuse qui a nécessité une hospitalisation. Dès lors, le père ne voulait plus la garder et l’a confié, elle et son frère, à leur oncle paternel. G.N a alors contacté sa mère et lui a demandé de l’accueillir chez elle avec son frère. La mère nous a rapporté : « Leur père ne voulait plus d’eux, il avait sa nouvelle famille, ses nouveaux enfants, c’est à ce moment qu’elle s’est rendue compte que son père n’était pas l’homme idéal qu’elle croyait et que finalement je n’étais pas la mauvaise mère qu’elle croyait que j’étais ». G.N nous disait : « C’est un lâche, dès que je suis tombée malade il m’a tourné le dos ». Ainsi G.N est retournée dans la maison familiale pour y vivre avec sa mère, sa sœur, son frère et ses grands-parents. Elle n’avait plus repris contact avec son père.
A l’âge de 18 ans, elle a commencé une formation en couture et deux ans après elle a eu son diplôme. Elle a travaillé par intermittence comme couturière dans la maison familiale mais n’a jamais eu de travail stable. Elle a eu sa première relation amoureuse à l’âge de 20 ans et elle a eu sa première relation sexuelle avec ce premier copain. G.N nous disait : « J’ai aimé mon premier copain, mais j’ai dû voyager et la relation n’a pas résisté à la distance. Comment voulez-vous que la relation résiste si votre mère et votre sœur disent du mal de vous et lui conseille de vous laisser pour son bien ». Par la suite, G.N a enchaîné les relations amoureuses qui ne duraient pas longtemps. La mère nous a rapporté : « Le problème a toujours été son comportement. Elle est rebelle et manipulatrice. Les relations avec les amis étaient de courte durée. Lorsqu’elle n’est pas avec quelqu’un elle l’admire mais dès qu’elle vit avec lui elle le quitte ». G.N, quant à elle nous disait : « A chaque fois que je connaissais quelqu’un de bien, ma sœur jalouse, lui racontait des mauvaises choses sur moi et lui conseillait de s’éloigner, et celle-là (en désignant la mère du doigt) confirmait ses dires, c’est normal que l’homme ne reste pas ».
La relation de G.N avec sa mère et sa sœur était conflictuelle et tendue. G.N trouvait refuge auprès de sa grand-mère maternelle avec qui elle était proche et qu’elle considérait comme son amie, voire sa mère. G.N était jalouse de sa sœur ; cette dernière avait fait une formation en coiffure et dès l’obtention de son diplôme, la mère a transformé le garage de la maison en salon de coiffure. Cette initiative n’avait pas plus à G.N qui s’est mise à semer le trouble dans le salon et à raconter des méchancetés sur sa sœur auprès de ses clientes. La sœur nous a rapporté : « Elle faisait peur à mes clientes, elle faisait tout pour les faire fuir, pourtant si je ne travaillais pas elle n’aurait même pas de quoi manger ». Quand on a demandé à la sœur la nature de sa relation avec G.N elle nous a répondu : « Elle ne m’aime pas, elle m’a toujours accusé de lui avoir pourri la vie, elle me disait que je lui avais tout pris, sa mère, sa place de première fille, que j’étais devenue la préférée. Pourtant, c’est n’est qu’à cause de son comportement qu’on la laisse ».
La grand-mère est décédée en 2007, G.N avait alors 34 ans. A la suite de cela, la relation entre G.N et le couple mère-sœur s’est d’avantage détériorée. La grand-mère apaisait les conflits entre G.N, sa mère et sa sœur leur permettant d’avoir un minimum de relation et de cohabiter dans la maison. G.N avait commencé à réagir de façon différente aux situations conflictuelles depuis le décès de sa grand-mère. Elle amême porté plusieurs plaintes contre sa mère pour maltraitance et violence physique et contre sa sœur pour vol de ses affaires et complot contre sa personne. Depuis, G.N a multiplié les revendications et les recours à la justice. A la suite de la nième plainte la police a suggéré à la mère de l’hospitaliser. Ainsi, ce fût la première en 2009.
La mère de G.N la décrit comme têtue, capricieuse, irritable. Elle est aussi décrite comme impolie et intolérante à la frustration. Elle ajoute qu’elle est instable et a du mal à s’intégrer ; ses relations amoureuses sont très éphémères. La mère nous a également rapporté que G.N se plaignait souvent de maux de tête, de douleurs aux ventres, aux genoux, au dos et à la cheville.

LES CARACTERISTIQUES CLINIQUES DU DELIRE

La symptomatologie était dominée par un syndrome délirant qui était au premier plan. Le délire était polymorphe à mécanisme hallucinatoire chez M.B, M.D et P.L et interprétatif chez G.N et M.D. Les thèmes étaient également polymorphes en lien avec des traumatismes vécus par nos patients. Ils étaient de type mégalomaniaque et messianique pour M.B, de persécution pour M.B, G N et P.L, de filiation et de référence pour P.L, érotomaniaque, de grossesse et de mariage pour M.D. Selon certains psychanalystes contemporains, la psychose délirante se réfère plus précisément à la reviviscence d’une expérience antérieure vécue par le sujet comme une véritable mort psychique [29]. C’est donc finalement à une partie d’eux-mêmes et de leurs passés historiques que sont confrontés les sujets dans les moments tumultueux du délire.
Le délire était non systématisé chez trois de nos patients et bien systématisé chez G.N. L’adhésion au délire était totale pour tous nos patients. Ces épisodes psychotiques étaient déclenchés par des situations de stress, de déception, d’abandon et de consommation de substances psychoactives. Cependant, nos patients étaient restés adaptés sur le plan social ce qui les différenciait des psychotiques. Selon Marcelli [20], ces tableaux « quasi psychotiques transitoires » ne correspondent pas, à une rupture complète d’avec la réalité extérieure mais à une incapacité du patient, à en retrouver la signification habituelle, du fait de son chaos interne.

LES PATHOLOGIES PSYCHOSOMATIQUES ET/OU ADDICTIVES

Des plaintes somatiques ont été observées chez deux de nos patients. Elles étaient essentiellement à type d’algies diffuses qui étaient concomitantes avec les périodes de stress ou le vécu d’abandon. Ces maladies psychosomatiques témoigneraient de la faillite des mécanismes de défense contre l’angoisse laissant la tension psychique s’écouler directement dans le corps au lieu de s’évacuer par d’autres mécanismes. Le corps devient alors l’entonnoir des pulsions émotionnelles. Ces plaintes chez nos deux patientes femmes seraient l’équivalent des conduites addictives remarquées chez nos patients hommes. Toutes ces manifestations ne sont que l’expression du même versant : la souffrance psychique chez nos patients.

LA FONCTION DU DELIRE

La lecture psychopathologique de nos cas nous a confrontés à des situations cliniques où l’approche du délire nous a permis de poser des hypothèses quant à la pertinence de son utilisation dans la prise en charge. Ceci revient à dire que nous nous sommes intéressés au sens du délire pour chacun de nos patients. La notion de sens à laquelle nous nous référons ici est à entendre à partir de deux niveaux distincts du fonctionnement délirant, à savoir : le sens non seulement que ce dernier véhicule mais également qu’il produit. Cela revient à dire que nous nous sommes intéressés au délire à partir tant du contenu des significations dont il est porteur, bribes d’un passé impensable, que de la fonctionnalité psychique qu’il réalise à l’égard de ces fragments d’histoire impensés [31].
Chez nos patients, l’analyse du délire nous a dévoilé beaucoup d’informations sur leur trajectoire de vie. En ce sens, Freud stipule que les personnes délirantes se sont détournées de la réalité extérieure mais, précisément pour cela, ils en savent plus sur la réalité intérieure, psychique, et nous en dévoilent des choses qui autrement nous resteraient inaccessibles [33]. Nous avons ainsi pu découvrir des personnes qui ont vécu une succession d’évènements traumatiques ayant débuté dès leurs bas âges. Ces situations sont nées de problématiques parentales diverses à type d’abandon pour la plupart. Ainsi, l’enfant qu’ils ont été a manqué d’assurance, a été dévalorisé, s’est senti coupable de son incapacité à être « bon enfant ».
Chez M.B, porter l’attention sur son délire nous a permis de découvrir et de comprendre les événements de vie qui ont abouti à la mise en place de sa structure fragile et par conséquence, d’adopter une attitude permettant de déconstruire et vaincre les contre-charges qui s’opposaient au retour du traumatisme et assurant l’autoconservation du Moi.
M.B a vécu des situations d’abandon, de maltraitance et de carences affectives qui ont engendré une blessure narcissique. Il aurait vécu ces situations comme une injustice qu’il n’arrivait pas à comprendre. Le délire aurait une fonction cicatrisante et reconstructrice dans son cas [30].
Le délire mégalomaniaque lui aurait permis de trouver une néo-réalité concevable pour lui. Etre le Cheikh Shérif lui aurait permis de faire le lien entre ce passé traumatique et la réalité commune. Comme le Prophète et tout missionnaire de Dieu, il serait passé par ces épreuves difficiles et traumatisantes parce qu’il était destiné à accomplir une mission divine, à être « l’Elu ».
Selon Freud le délire de grandeur dérive du délire de persécution : le malade victime d’un délire de persécution éprouve le besoin de s’expliquer cette persécution et il en viendrait à se croire lui-même un personnage important. La mégalomanie est ainsi rapportée à un processus de rationalisation [45]. On retrouve ainsi l’idée d’un « travail du délire ».
Pour G.N, les affects négatifs sont projetés sur les autres, la mère et la sœur, qui devenaient les persécuteurs. En ce sens, Flemal [31]énonçait qu’à défaut de pouvoir procéder à une transformation élaboratrice des éprouvés traumatiques, l’activité délirante peut ainsi évacuer sur un objet du monde extérieur, la partie pléthorique d’excitation pulsionnelle n’ayant pu être suffisamment intégrée à l’espace contenant du délire. De cette manière, la personne délirante peut localiser au dehors le débordement pulsionnel inhérent au traumatisme primaire. Chez G.N, le délire paranoïaque aurait donc une fonction localisante [30].
Selon Maleval [45], dans ce type de délire, la victoire reste à la reconstruction et la mégalomanie terminale apparait comme une conséquence de la solution du conflit. Chez notre patiente le délire n’aurait pas atteint cette phase de reconstruction.
Chez M.D, le délire nous renvoyait dès le début à une problématique affective et relationnelle parentale. La thématique délirante était centrée sur la relation de couple et ses dérivées, en l’occurrence : l’amour idéal, la grossesse et le mariage réussi. Elle a ainsi mis à jour les déterminants de la défaillance de la relation parentale dont les conséquences se sont beaucoup répercutées sur elle. En effet, sa tentative de répondre à une sollicitation parentale implicite a eu un effet rebond qui s’est manifesté par une réponse à la solitude affective du père qui a frustré la mère. Cette dernière s’est alors entreprise dans un processus de « démolition » qui n’a pas été contrecarré par un soutien paternel. Le délire aurait ainsi permis à M.D de palier à une réalité difficile. On peut en déduire une fonction cicatrisante de son délire, à l’instar de M.B.
Chez P.L, le délire de filiation aurait une fonction identifiante [30] lui permettant de s’attribuer un père Tout-puissant (Serigne Touba). Cette élaboration délirante a été basée sur la disqualification d’un père « égaré » dans ses fonctions.
Pour tous nos patients, le délire était construit sur un grain de vérité et a constitué une tentative d’explication qui s’efforçait de construire un morceau de vérité historique à partir des temps et évènements passés.

LES ASPECTS THERAPEUTIQUES

Selon Roussillon [62] : « Qu’elles portent sur le versant identificatoire ou représentatif du délire, ces deux modes d’interventions cliniques ont comme dénominateur commun de promouvoir un certain mode de présence auprès de la personne délirante ».
Pour nos patients, nous avons établi à travers des séances de psychothérapie un mode de présence qui participe à la reconstruction de leur champ relationnel. Cet ajustement du lien, cet accordage du praticien aux conditions relationnelles du sujet délirant constitue, selon Flemal, le vecteur premier du processus thérapeutique [31]. Nous avons adopté une place transférentielle susceptible de produire un lien apaisé et contenant pour le sujet, alliant des temps d’absence suffisamment habités et des modalités de présence suffisamment souples et malléables pour s’adapter aux singularités de chacun. En ce sens, Flemal expliquait : « Il s’agit pour le clinicien de se tenir prêt à une rencontre avec la personne délirante tout en ne s’imposant pas auprès d’elle. Se faire disponible, tout en laissant au sujet la possibilité de trouver/créer la forme de la rencontre, constitue la condition nécessaire à l’installation d’un mode de rapport à l’autre au sein duquel, la personne délirante pourra se reconnaître et se ressentir reconnue » [31].
La prise en charge thérapeutique que nous avons adoptée ne relevait pas d’un protocole standardisé prédéterminé à l’avance mais a été conçu sur un mode affiné et remodelé sans cesse avec et à partir du sujet. Pour ce faire, on s’est porté garant du cadre social et institutionnel qui entourait la rencontre tout en se laissant, comme Freud [32] l’avait déjà souligné, enseigner par le sujet, son rythme, son langage et par les solutions, tout aussi originales soient-elles, par lesquelles il s’efforce de donner forme et sens à son histoire.
Pour nos patients, la prise en charge était basée sur la psychothérapie en s’aidant de la chimiothérapie ce qui a rendu la relation transférentielle plus supportable pour les deux protagonistes de la cure. Les progrès de la psychothérapie se sont accompagnés d’une diminution précoce des posologies pour M.B et M.D.
Cependant cette initiative n’a pas été concluante pour G.N et P.L. En effet G.N a uniquement élaboré une thématique persécutive qui, selon Maléval[45] suit un processus évolutif qui mène à l’apparition d’une mégalomanie. Selon lui, cette maturation est nécessaire à un début de stabilisation du délire à expression paranoïaque.
Pour P.L, le manque de disponibilité psychique de la mère au cours de l’hospitalisation, ponctué à une décision de sortie prématurée contre un avis médical, ont été un frein dans l’effort de l’instauration de la psychothérapie.

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Table des matières

DEDICACES & REMERCIMENTS
LISTE DES ABREVIATIONS
INTRODUCTION
I- GENERALITES 
I-1 LES ETATS LIMITES
I-1-1. ETIOPATHOGENIE
I-1-2. PSYCHOPATHOLOGIE
I-1-3. LES ASPECTS CLINIQUES
I-2 LE DELIRE CHEZ LES ETATS LIMITES
I-3 LE DELIRE ET SES FONCTIONS
I-3-1. HISTORIQUE DES DEFINITIONS DU DELIRE
I-3-2. LES FONCTIONS DU DELIRE SELON FREUD
I-3-3. APPORT DES AUTRES AUTEURS
II- METHODOLOGIE 
III- LES OBSERVATIONS ET COMMENTAIRES 
IV- LA SYNTHESE DES COMMENTAIRES 
CONCLUSION 
BIBLIOGRAPHIE

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