Dans le contexte actuel, la connaissance de l’hydrosphère permet aussi de comprendre l’effet du changement climatique sur l’hydrologie et l’océanographie. Cependant, la connaissance de l’hydrosphère et son exploration au cours du temps dépendent énormément du niveau technologique. Par exemple, les grandes expéditions maritimes du XVe et XVIe siècles ont été rendues possibles grâce au développement de techniques comme la construction navale et l’astrolabe, voir e.g. resp. Boxer [1977] et Dutarte [2006]. Ce n’est qu’au XVIIIe siècle que l’on commence à obtenir des cartes détaillées de l’Atlantique et du Gulf Stream permettant de réduire le temps de transport entre l’Europe et l’Amérique. Au XIXe siècle, les expéditions de grandes envergures comme l’expédition du Challenger (de 1872 à 1876) permettent d’avoir de meilleures connaissances des océans, voir Thoulet [1895].
L’observation satellitaire, que ce soit les images obtenues grâce à des capteurs optiques ou les mesures de la surface libre obtenue par altimétrie radar, a permis un changement majeur dans l’observation de la Terre. Dès 1957, le premier satellite Spoutnik 1, qui a fourni des observations de la haute atmosphère, a montré que l’étude de la Terre est possible depuis l’espace. Dans les années 1960, la possibilité d’observer les océans dans leur globalité grâce à des instruments radar embarqués sur des satellites est mise en avant, voir e.g. sur la page de site Aviso-historique. Jusque là, les données sont fournies essentiellement par des bateaux et quelques stations in situ. Ces données sont donc essentiellement situées autour des grands axes de navigations et la Terre est mal connue dans sa globalité. Outre les satellites d’altimétrie, il convient aussi de mentionner le programme Landsat (satellites optiques) dont le premier est lancé par la NASA en 1972. Ce programme d’observation de la Terre est le premier prévu à des fins civiles. L’apport des satellites à la connaissance de la Terre est tel qu’une nouvelle île a été découverte au large du Canada en 1976 par le satellite Landsat 1 et porte son nom. Ces satellites ont notamment permis de calculer des masques de présence et de récurrence d’eau sur les continents et d’en calculer des estimations de largeurs de rivières à l’échelle globale avec une résolution inférieure à 30m, voir Pekel et al. [2016].
En 1978, Seasat est le premier satellite d’altimétrie à être envoyé par la NASA. Ce satellite a permis de tester la capacité de ces nouveaux instruments à observer la surface des océans et de définir les besoins pour les missions futures. Les données de hauteurs obtenues grâce à ce satellite atteignent une précision de l’ordre de 1m par rapport à des données in situ, voir e.g. Frey et Brenner [1990] et les références citées. Dans la continuité, la US Navy envoie le satellite Geosat en 1985. Le premier satellite altimétrique européen ERS-1 est ensuite envoyé en 1991 par l’ESA. Puis la mission TOPEX/Poseidon, développée par la NASA et le CNES, a démarré en 1992 et restera en service jusqu’en 2006. Ces satellites étaient initialement prévus pour l’observation des océans et la quantité de données obtenues a permis de suivre l’évolution spatio-temporelle du phénomène El niño . Bien que prévus pour l’observation des océans, ces satellites ont rapidement été utilisés pour observer des très grands fleuves et lacs, voir e.g. Cretaux et al. [2018]. La précision du satellite TOPEX/Poseidon est estimée à 5cm sur l’océan, voir e.g. de Bercher [2009] et les références citées. Le succès de ce satellite qui a fournit des données pendant 13 ans a largement permis d’accroitre l’intérêt et la popularité de ces nouveaux instruments de mesures.
Les satellites ERS-2 (1995) et Jason-1 (2001) prennent la suite. L’utilisation de plusieurs missions avec des orbites différentes est rapidement mise en avant car cela permet d’obtenir une plus grosse quantité de données et avec un échantillonnage spatio-temporel de données plus dense. Plusieurs satellites se succèdent ensuite, on citera notamment les satellites Envisat (2002) et Saral (2013) dans la continuité du satellite ERS-2 et les satellites Jason-2 (2008) et -3 (2016) dans la continuité de Jason-1. L’évolution technologique a permis le développement de nouveaux instruments de mesure et notamment du mode SAR qui permet une meilleure résolution spatiale, voir e.g. Raney [1998]. Les missions Cryosat-2 (2010) et Sentinel-3 (2016 et 2018) sont par exemple équipés d’altimètre SAR. Le lecteur peut se référer au site Aviso du CNES pour plus de détails sur les satellites d’altimétries et leur histoire.
Les missions présentées sont historiquement prévues pour l’observation des océans mais ont aussi montré leur potentiel pour observer les eaux continentales (rivières et lacs). Par ailleurs, cela permet d’obtenir des données à des endroits difficiles d’accès, e.g. une grande partie du bassin amazonien pour ne citer que le plus grand d’entre tous. Ces satellites altimétriques ont donc été rapidement utilisés pour observer les eaux continentales, voir une revue plus détaillée dans le chapitre 1 de Bercher [2009]. De plus, le nombre de station in situ tend globalement à décroitre, voir e.g. Fekete et Vörösmarty [2007] et plus récemment la base de donnée du GRDC (Global Runoff Data Centre) . Cette tendance donne ainsi encore plus d’importance aux données satellitaires. Cependant, les instruments et les chaines de traitement des données restent essentiellement prévus pour l’observation des océans. Certains difficultés sont rencontrées pour l’observation des eaux continentales où la précision est donc moins bonnes, voir e.g. Calmant et Seyler [2006], Bercher [2009] . Il faut cependant noter que la précision des données d’altimétrie ne cesse de s’améliorer avec le temps, de même que la capacité à interpréter les informations du corps d’eau reçues par le satellite (voir ci après). Le satellite SWOT (Surface Water Ocean Topography), dont le lancement est prévu pour décembre 2022 (NASA/CNES), contiendra un altimètre à large fauchée, un nouvel instrument permettant d’observer sur une large fauchée, et donc avoir un meilleur échantillonnage spatial. De plus, il sera le premier satellite dont la mission porte à la fois sur l’hydrologie et sur l’océanographie.
Actuellement, la constellation de satellites altimétriques est composée du satellite Jason-3 ainsi que de la constellation opérationnelle composée des satellites Sentinel-3A, -3B et -6 (prévue pour remplacer Jason-3) du programme Copernicus qui garanti la continuité des observations. Les missions de recherches, dont fera partie le satellite SWOT, continuent à améliorer nos connaissances sur les cours d’eau de manière globale.
Altimétrie spatiale : traitement des mesures et précision
Un altimètre est un instrument de mesure qui permet de mesurer la hauteur d’un point, c’est à dire la distance entre le point et une surface de référence. Dans notre cas, le point est un point de la surface libre de l’eau et la surface de référence est par exemple le géoïde, i.e. la surface équipotentielle de référence du champ de pesanteur de la Terre. Dans le cas d’un satellite altimétrique, la mesure de la hauteur de la surface libre se fait grâce à deux instruments. Tout d’abord, la distance entre le satellite et la surface libre est mesurée grâce à un altimètre. Puis, un système de géo-localisation permet de connaitre avec une haute précision la position du satellite (grâce aux stations au sol Doris ) et ainsi la distance entre le satellite et la surface de référence. À partir de ces deux mesures, on peut en déduire une mesure de la distance entre la surface libre et la surface de référence après la correction de certains phénomènes géophysiques .
Les altimètres principalement considérés dans les travaux présentés sont les altimètres radars à visée nadir (zone du sol directement située à la verticale du satellite). Le principe de ces altimètres est simple : l’instrument envoie une onde électromagnétique, plus particulièrement radio dans le cas des altimètres radars, qui va se réfléchir sur la surface libre, puis le satellite reçoit un écho. L’évolution de la puissance en temps de cet écho est appelée forme d’onde et la succession de formes d’onde le long de la trajectoire du satellite est appelée radargramme. Cette forme d’onde permet ensuite de calculer le temps nécessaire à l’onde pour parcourir la distance entre la surface libre et le satellite et d’en déduire la distance. Cette onde est émise à une certaine fréquence de répétition et avec une certaine longueur d’onde, toutes deux dépendantes de la technologie du capteur. Cependant, les formes d’onde résultantes sont très bruitées et inutilisables en l’état dû à un effet de Speckle. Ce bruit est la conséquence des aspérités de la surface libre. Pour réduire le bruit, plusieurs formes d’onde (environ 100) sont moyennées à bord du satellite qui transmet ensuite les formes d’onde moyennées à la fréquence obtenue.
Cette méthode d’altimétrie nadir présentée est dite conventionnelle ou LRM (Low Resolution Mode). C’est par exemple le mode d’acquisition du satellite Jason-3. Ce satellite à une fréquence d’environ 2kHz, ce qui donne des formes d’onde moyennées à 20Hz, correspondant à une donnée environ tous les 350m au sol. L’empreinte au sol d’une donnée de ce mode d’acquisition est de l’ordre de plusieurs dizaines de kilomètres. Il existe d’autres modes d’acquisition permettant de réduire la taille de l’empreinte au sol et le bruit de Speckle. On peut noter l’altimétrie SAR qui couple la méthode conventionnelle avec l’effet Doppler induit par le mouvement du satellite. Cela permet de réduire l’empreinte au sol dans la direction azimutale (direction de la trajectoire du satellite) à bande dite Doppler de 300m de large et le bruit dû à l’effet de Speckle. De plus, chaque bande Doppler est observée plusieurs fois permettant un traitement multi-aspect (multilooking, Boy et al. [2017]) et ainsi de réduire le bruit. Pour les satellites Sentinel-3A et -3B, dont les données sont aussi obtenues environ tous les 300m au sol, cette réduction de bruit est estimée à 25%, voir e.g. Aviso. Une extension appelée FFSAR [Egido et Smith, 2017] permet de descendre jusqu’à une empreinte au sol dans la direction azimutale de 50cm en théorie et de 10m en pratique pour réduire le bruit pour les satellites Sentinel-3A et -3B. D’autres technologies existent comme l’altimètre LiDAR basé sur une onde laser plutôt qu’une onde radio, ou encore l’altimètre à large fauchée qui sera utilisé par le satellite SWOT (lancement prévu pour septembre 2022). Ce dernier utilise l’interférométrie radar, i.e. la différence de phase entre deux données radars SAR, permettant une empreinte au sol allant jusque 5m dans la direction azimutale et entre 10m et 70m dans la direction transversale pour une précision sur la hauteur mesurée déduite à 50cm et une précision estimée à 21cm pour un carré de (250m)² , voir e.g. Aviso et Rodríguez et al. [2012].
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Table des matières
Introduction
1 Données satellitaires, modélisations d’écoulements fluviaux et problèmes inverses
1.1 Altimétrie spatiale et données satellitaires
1.1.1 Historique de l’observation de la Terre par altimétrie satellitaire
1.1.2 Altimétrie spatiale : traitement des mesures et précision
1.2 Modélisation mathématique des écoulements
1.2.1 Géométries des rivières et écoulement
1.2.2 Les équations de Navier-Stokes pour les écoulements à surface libre
1.2.3 Les équations de Saint-Venant
1.2.3.1 Des équations Navier-Stokes aux équations primitives en eau peu profonde
1.2.3.2 Équation de conservation de la masse
1.2.3.3 Équation des moments
1.2.3.4 Le système de Saint-Venant
1.2.4 L’équation de l’onde diffusante 1D classique
1.2.4.1 Dérivation de l’équation de l’onde diffusante
1.2.4.2 Etat de l’art de l’analyse mathématique de cette équation
1.3 Problèmes inverses et assimilation de données
1.3.1 Des problèmes inverses et de l’assimilation de données
1.3.2 Assimilation de données : méthode variationnelle
1.3.3 Assimilation de données : méthodes stochastiques et filtrage
1.3.4 Sur la covariance de l’erreur d’ébauche en assimilation de données
1.3.5 Identification parcimonieuse de termes d’équations
Bibliographie
2 Generation and analysis of stage-fall-discharge laws from coupled hydrological-hydraulic river network model integrating sparse multi-satellite data
Résumé
2.1 Introduction
2.2 Flow models and observables
2.2.1 River network flow model
2.2.2 The computational inverse method
2.2.3 Stage-Fall-Discharge laws
2.2.3.1 From flow resistance to SFD
2.2.3.2 Computation of SFD laws coefficients
2.3 Study zone and calibrated river network model
2.3.1 Study area and multi-satellite data
2.3.2 Construction of the hydrodynamic model
2.3.3 Space-time simulation of hydraulic quantities with the river network model
2.3.3.1 Hydraulic quantities from the calibrated river network model
2.3.3.2 Slope computations
2.3.3.3 Extrapolation of the discharge
2.4 SFD calibration and analysis
2.4.1 Numerical experiment design
2.4.1.1 SFD and SD variants considered
2.4.1.2 Selection of altimetric virtual stations for SFD estimation
2.4.1.3 SFD extrapolation scenarii
2.4.2 Results
2.4.2.1 Performance of discharge SFD
2.4.2.2 Analysis of the SFD coefficients
2.5 Discussions
2.5.1 AMHG analysis of Negro-Branco SD coefficients
2.5.2 Influence of hydraulic controls and water masks on SFD
2.6 Conclusion
Appendices
2.A Performance evaluation metrics
2.B Performance evaluation on the stations
2.C AMHG
2.D Usual parameterizations of flow resistance
Bibliography
3 Double-scale diffusive wave equations dedicated to spatial rivers observations
Résumé
3.1 Introduction
3.2 Derivation of the double-scale diffusive wave model
3.2.1 The Saint-Venant equations
3.2.2 Derivation of the double-scale diffusive wave equations
3.2.2.1 Additional hypothesis
3.2.2.2 The double-scale diffusive wave equations
3.3 Numerical results
3.3.1 Test cases description
3.3.2 Results and comparisons
3.3.2.1 Numerical results
3.3.2.2 Comparisons
3.4 Quantification of each term importance
3.4.1 Method
3.4.2 Numerical results
3.5 Conclusion
Bibliography
Conclusion