Historique de l’interférométrie atomique
La mesure réalisée dans l’expérience ForCa-G se base sur des techniques d’interférométrie atomique. Historiquement, celles-ci remontent aux premières expériences d’interférométrie optique, qui furent généralisées aux ondes atomiques par analogie entre matière et lumière.
Interféromètres optiques :
Pressentie dès les années 1500 par Léonard de Vinci (1452-1519) [Balland, 2007], la nature ondulatoire de la lumière avait été décrite par analogie aux ondes sonores et aux ondulations créées à la surface de l’eau lors de la chute d’un corps : « Tout comme une pierre tombant dans l’eau et qui devient la cause et le centre de diverses rides circulaires, le son s’étend en cercles dans l’air. Tout se passe comme si chaque corps placé dans l’air éclairé s’étend en cercles et remplit l’espace qui l’entoure, avec une infinie multitude d’images de lui-même, qui apparaissent en tout lieu.»Poursuivie en 1660 par Robert Hooke (1635-1703), la nature ondulatoire de la lumière est évoquée afin d’expliquer des observations liées aux interférences lumineuses telles que l’irisation sur les bulles de savon ou les anneaux de Newton. Dans ses travaux, en observant un bouchon flottant traversé par des rides réalisées à la surface de l’eau, il remarque une des propriétés des ondes à ne déplacer que de l’énergie et non de la matière. Puis vers 1690, lors de la publication de son Traité de la Lumière, Christian Huygens (1629 1695) commence à poser les bases de la théorie ondulatoire de la lumière.
Cependant l’interférométrie optique en elle-même a débuté avec les anneaux de Isaac Newton (1643-1727), décrit plus tardivement dans son traité Opticks publié en 1704, dans lequel il attribue certaines propriétés ondulatoires à la lumière, bien que la majeure partie de la théorie Newtonnienne sur la lumière considère son côté corpusculaire. À la même période, les effets d’interférences et de diffraction avaient été décrits (et nommés) par le père F. Grimaldi (1618- 1663) dans ces travaux publiés en 1685 où il observe la modification de la lumière par un cheveu. À partir de ces bases que sont la découverte de la nature ondulatoire de la lumière et l’observation des premiers effets d’interférences et de diffraction, l’interférométrie optique peut alors prendre son essor. Ainsi l’expérience de 1801 réalisée par Thomas Young (1773-1829) permet de démontrer pleinement le phénomène d’interférences. Ensuite Augustin Fresnel (1788- 1827) par des expériences sur la diffraction et la ré-interprétation de l’expérience des fentes d’Young, fonde la théorie ondulatoire de la lumière en 1815. C’est à partir de tous ces travaux que furent réalisés les interféromètres bien connus de Michelson, utilisé dans l’expérience de Michelson et Morley en 1887 [Michelson & Morley, 1887], de Mach-Zehnder réalisé en 1891-1892 [Zehnder, 1891] [Mach, 1892] et utilisé en 1913 par G. Sagnac pour mesurer l’effet éponyme [Sagnac, 1913], ou l’interféromètre de Fabry-Perot réalisé en 1897 [Fabry & Perot, 1897].
Interféromètres à ondes de matière :
Tandis que deux conceptions co-existent quant à la nature de la lumière, soit ondulatoire pour expliquer les interférences, soit corpusculaire selon Newton et l’effet photoélectrique [Einstein, 1905], Louis de Broglie (1892-1987) propose la même dualité onde-corpuscule pour la matière en 1923 [de Broglie, 1923]. Ce qui sera vérifié par l’expérience de Davidson et Germer en 1927 par l’observation du phénomène de diffraction d’électrons sur un cristal de Nickel [Davisson & Germer, 1927]. Ensuite les premiers interféromètres à ondes de matière ont été réalisés à partir d’un schéma d’interféromètre de Mach-Zehnder avec des électrons [Marton, 1952] puis avec des neutrons [Rauch et al. , 1974]. Ce qui mènera aux expériences d’interférométrie atomique réalisées dans les années 1990-1991, dans la lignée desquelles s’inscrit cette expérience. La première expérience d’interférométrie atomique [Carnal & Mlynek, 1991] utilise des jets d’Hélium au travers de fentes d’Young, suivie par celle de Shimizu [Shimizu et al. , 1992] ayant la même géométrie avec des atomes refroidis de Néon provenant d’un piège magnéto-optique. Entre temps, une géométrie à base de trois plans de diffraction matériels fut utilisée par D. Pritchard [Keith et al. , 1991] à partir d’un jet de Sodium, tandis que furent réalisées une mesure de l’effet Sagnac par interférométrie atomique par Ch. J. Bordé et J. Helmcke [Riehle et al. , 1991] avec un jet de Calcium ainsi qu’une mesure d’accélération par M. Kasevich [Kasevich & Chu, 1991] à partir d’un piège magnéto optique. Tandis que ces interféromètres employèrent un schéma de type Mach Zehnder, d’autres interféromètres à ondes de matière furent réalisés par la suite à partir de schémas interférométriques de type Fabry-Perot [Weitz et al. , 1996] ou de Michelson [Wang et al. , 2005].
Types de séparatrices :
Le point clé des différents types d’interféromètres atomiques résident dans le type de séparatrice utilisées (voir revue [Cronin et al. , 2009]). Les premiers interféromètres [Keith et al. , 1991] furent réalisés à l’aide de réseaux de diffraction matériels inspirés des plans de diffraction d’une structure cristalline utilisés dans les expériences de diffraction de neutron. Ces réseaux de diffraction sont réalisés à partir des méthodes de gravures utilisées en lithographie. Ils furent utilisés pour la réalisation d’interférences de particules plus massives telles que des molécules de Na2 [Chapman et al. , 1995], des molécules de CH3F [Schöllkopf et al. , 2004], voire des fullerènes de C60 et C70 [Arndt et al. , 2001] ou des molécules organiques de plus de 430 atomes et larges de 6 nm [Gerlich et al. , 2011]. Ces dernières interférences ont en fait été réalisées à l’aide d’interféromètres de Talbot-Lau où le pas du réseau de diffraction est faible avec une grande séparation entre les réseaux pour permettre des interférences en champ proche.
Un second type de séparatrice utilisé est celui des réseaux optiques permettant une manipulation cohérente des paquets d’onde atomique. Nous nous intéresserons tout d’abord aux réseaux ne modifiant que les états externes des particules. La diffraction d’atomes sur une onde stationnaire à résonance a été démontrée par le groupe de D. Pritchard [Moskowitz et al. , 1983], avant d’être employée pour la première fois dans un interféromètre en 1995 [Rasel et al. , 1995]. Des interféromètres furent ensuite réalisés avec des séparatrices hors-résonances tels que lors du régime de Bragg (l’équivalent d’un réseau épais, où l’atome à le temps de se déplacer dans le réseau) [Giltner et al. , 1995] ou en régime de Kapitza-Dirac (l’équivalent d’un réseau mince, où c’est la phase atomique qui est modulée) [Cahn et al. , 1997]. Dernièrement, une séparation de 102 ~k a été réalisée à partir de séquences de Bragg multiphotoniques [Chiow et al. , 2011] ainsi qu’un interféromètre recombinant des séparatrices de 80 ~k [McDonald et al. , 2013a]. Un autre exemple de séparatrice modifiant seulement l’état externe des atomes est retrouvé dans le régime des oscillations de Bloch. À chaque oscillation de Bloch dans un réseau accéléré, les atomes gagnent en impulsion, permettant de séparer deux paquets d’onde selon l’état d’impulsion initial. La première observation d’oscillations de Bloch avec des atomes froids fut réalisée en 1996 [Ben Dahan et al. , 1996] [Wilkinson et al. , 1996], et les premiers interféromètres à utiliser des oscillations de Bloch comme séparatrice ont été réalisés récemment [Cladé et al. , 2009] et [Müller et al. , 2009].
Un dernier type de séparatrice permet une modification de l’état externe de l’atome tout en modifiant l’état interne. L’intérêt de cet étiquetage de l’état externe de l’atome par son état interne [Bordé, 1989] réside dans la possibilité de mesurer l’état de sortie de l’interféromètre en réalisant la mesure sur l’état interne, par exemple par fluorescence, comme dans le cas des horloges atomiques. Ce schéma peut être notamment réalisé à l’aide d’une transition Raman stimulée, qui est une transition à deux photons. Les premiers interféromètres utilisant ces séparatrices furent réalisées en 1991 lors de la mesure d’accélération de Kasevich [Kasevich & Chu, 1991].
Interféromètres en chute libre
Comme vu précédemment, il existe de nombreux types d’interféromètres qui peuvent être classés de différentes manières, et en particulier en fonction du type de séparatrice utilisée. Par la suite, nous les distinguerons en fonction du type de confinement utilisé. De plus, nous ne décrirons que les interféromètres dont les atomes proviennent d’un piège magnéto-optique et non plus ceux utilisant des jets collimatés transversalement. L’intérêt de ces atomes refroidis réside dans leur faible dispersion en vitesse permettant un meilleur contrôle des effets systématiques associés.
Fontaines atomiques :
Le premier interféromètre atomique réalisé à partir d’atomes refroidis par laser fut une horloge atomique fonctionnant en fontaine [Kasevich et al. , 1989]. L’idée provenait de l’horloge atomique de Zacharias, testée dans les années 1950 à partir de jets de Césium dirigés verticalement contre la gravité. Tandis qu’aucun signal n’avait pu être observé sur la fontaine de Zacharias, des franges d’interférences furent obtenues sur la fontaine d’atomes ralentis dans un piège magnéto-optique. Ce qui a permis la réalisation en 1991 des premières fontaines atomiques spécialement dédiées à la réalisation d’horloges primaires au SYRTE [Clairon et al. , 1991] et [Clairon et al. , 1995].
Gravimètres :
Ensuite d’autres interféromètres furent réalisés eux-aussi en chute libre pour des mesures d’accélération [Kasevich & Chu, 1991], de gradient de gravité [Snadden et al. , 1998] et de l’effet Sagnac [Canuel et al. , 2006]. La mesure de l’accélération de la pesanteur réalisée en 1991 repose sur le même type de schéma que la fontaine atomique, en réalisant cependant un interféromètre de type Mach-Zehnder. Les atomes à la sortie du piège magnéto-optique sont lancés verticalement et passent durant leur temps de vol au travers de faisceaux Raman contra-propageants alignés verticalement et exerçant une séquence d’impulsions π/2−π −π/2. À l’issue de l’interféromètre, les atomes sont ensuite comptés par une détection sélective selon l’état hyperfin, puisque les transitions Raman modifient à la fois l’état interne et l’état externe de l’atome [Bordé, 1989]. L’ajout d’une impulsion π par rapport au schéma d’interféromètre de Ramsey permet à la fois de rediriger les paquets d’onde l’un vers l’autre, mais aussi d’éliminer l’influence de la fréquence hyperfine sur la différence de phase atomique mesurée en sortie de l’interféromètre. On obtient alors dans la différence de phase principalement l’influence de l’accélération de la pesanteur. Cependant on retrouve aussi certains effets perturbateurs tels que l’inhomogénéité de fréquence des atomes due à l’effet Doppler et à leur distribution en vitesse, les vibrations du miroir de rétro-réflexion des Raman s’apparentant à des variations d’accélération ainsi que les inhomogénéités du front d’onde des lasers Raman.
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Table des matières
1 Introduction
1.1 Historique de l’interférométrie atomique
1.2 Interféromètres en chute libre
1.3 Interféromètres semi-piégés
1.4 Interféromètres piégés
1.5 ForCa-G : objectifs finaux
1.6 Plan du manuscrit
2 Principe de l’expérience
2.1 Atomes piégés dans un réseau optique vertical
2.1.1 États de Bloch
2.1.2 Localisation de Wannier-Stark
2.2 Transport atomique dans le réseau
2.2.1 Transitions Raman stimulées
2.2.2 Effet tunnel induit
2.3 Fréquence de Bloch : mesure de différences de potentiel
2.3.1 Loin de toute surface
2.3.2 Appliquée à la mesure de Casimir-Polder
2.4 Interféromètres atomiques piégés
2.4.1 Ramsey micro-onde
2.4.2 Ramsey-Raman
2.4.3 Accordéon
2.4.4 Interféromètre multi-ondes
2.5 Fonctions de sensibilité
2.5.1 Ramsey-Raman
2.5.2 Accordéon
2.6 Effets perturbateurs attendus
2.6.1 Déplacements lumineux différentiels
2.6.2 Gradient d’intensité
3 Dispositif expérimental
3.1 Isolation des atomes
3.1.1 Enceinte à vide
3.1.2 Blindage magnétique et compensation
3.1.3 Champ de quantification
3.2 Génération d’atomes froids
3.2.1 Piège magnéto-optique 2D
3.2.2 Piège magnéto-optique 3D
3.2.3 Mélasse
3.3 Piège mixte
3.3.1 Réseau optique vertical
3.3.2 Confinement transverse
3.4 Préparation des atomes
3.5 Champs électromagnétiques d’interrogation
3.5.1 Micro-onde
3.5.2 Lasers Raman
3.6 Détection
3.6.1 Détection in situ avec une caméra CCD
3.6.2 Mesure par temps de vol
3.7 Séquence de mesure
4 Sources optiques utilisées
4.1 Repompeur et refroidisseur
4.1.1 Diode laser en cavité étendue et amplification
4.1.2 Banc optique
4.1.3 Asservissements en fréquence
4.1.4 Fonctions supplémentaires à partir du repompeur et du refroidisseur
4.2 Les lasers Raman
4.2.1 Banc optique
4.2.2 Configuration contra-propageante
4.2.3 Asservissement en fréquence de Raman 2 sur le Repompeur
4.2.4 Asservissement en phase de Raman 1 sur Raman 2
4.2.5 Fonction supplémentaire présente sur le banc Raman
4.3 Réseau optique vertical
4.3.1 Banc optique
4.3.2 Asservissement en fréquence sur une cellule d’Iode
4.4 Laser de confinement transverse
4.4.1 Banc optique
4.4.2 Asservissement en puissance
5 Résultats expérimentaux
6 Conclusion et perspectives
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