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Le développement durable, entre optimistes et post développementalistes
Le développement durable est un concept complexe : selon Mebratu (1998), il existerait plus de quatre-vingt (80) définitions du développement durable. En effet, plus de deux décennies après le sommet de Rio, la notion de développement durable a fait l’objet de nombreuses interprétations et critiques auprès de la communauté scientifique.
Pour Theys (2002), le développement durable attire tant par ses ambigüités, permettant à tout un chacun de l’assaisonner à son goût, que par sa capacité à lier ensemble les grands problèmes auxquels notre société est aujourd’hui confrontée. Nous pouvons citer entre autre : le problème de l’harmonisation de l’économie, du social et de l’environnement qui découle de la question sur la finalité de la croissance, ainsi que les impératifs temporels tels que l’arbitrage entre le long terme et le court terme.
Pour Lauriol (2004), le développement durable résulterait d’un jeu de pressions multiformes de groupes d’acteurs aux motivations diverses. Ce qui expliquerait le fait que ce concept soit encore sujet à des tensions que ce soit au niveau de ses finalités ou de son contenu. Et l’engouement autour de ce concept a entraîné son institutionnalisation précoce dans les textes (Gendron et al., 2005).
Seulement, si chacun s’accorde sur le fait que le développement devrait désormais s’inscrire dans la durabilité, et dans le respect de l’environnement, la question de la valeur scientifique du développement durable, en tant que nouveau paradigme de développement, demeure. Nous assistons à ce sujet à l’émergence de deux visions antagonistes : les sceptiques ou les post développementalistes et les optimistes.
L’enjeu de la distinction de ces deux approches nous permettra de répondre à la question suivante : comment appréhender la question du développement durable dans les pays en voie de développement comme Madagascar ? Elle porte donc sur la manière dont nous déterminerons la notion de développement et les mesures de durabilité y afférentes.
Le développement durable du point de vue des post développementalistes
Les post développementalistes marquent leur indifférence par rapport au concept de développement durable qu’ils considèrent comme le nouvel avatar de la bonne conscience anglo-saxonne, et comme l’habit neuf du développement (Latouche, 2003).
Nous pouvons citer comme exemple Latouche (1986) avec son célèbre ouvrage Faut-il refuser le développement ? Essai sur l’anti-économique du Tiers-Monde, dans lequel il compare le développement durable à l’enfer, car ce dernier serait pavé de bonnes intentions. Une image qui sera reprise par Rist en 2001.
Dans ces textes, la première critique sur le développement durable serait d’ordre étymologique. En effet, selon Latouche (2003), le concept de développement durable serait un oxymore, c’est-à-dire une figure rhétorique consistant à juxtaposer deux mots contradictoires : développement et durable. Le blocage proviendrait de la définition même du concept de développement qui est polysémique. Par ailleurs, le développement durable a été érigéen contradiction avec le concept de mal développement. Or, ce terme est une aberration car le développement est un bien en soi. C’est l’incarnation du bien, désignant une bonne croissance (Latouche, 2003).
Le second point de critique résulte de la divergence de traduction et d’interprétation du mot Sustainable. Ce dernier peut se traduire par le terme durable, soutenable ou viable selon l’objectif appréhendé par l’auteur, et les pôles considérés. Les trois piliers du développement durable sont : l’économie, l’écologie et le social. C’est un développement socialement acceptable, économiquement réalisable et écologiquement respectueux de l’environnement (CMED, 1987). En d’autres termes, le développement durable a pour ambition de maintenir la capacitéde reproduction des écosystèmes, tout en conservant les capacités productives et les flux de ressources économiques sur la longue période, et en permettant le maintien ou l’amélioration des conditions pour assurer les besoins essentiels, le respect de certains droits et la cohésion sociale (Aknin, 2009).
En ce sens, pour les post développementalistes, le concept de développement durable propose une sorte de saut périlleux fantasmatique : il permet en effet de garantir le beurre, qui fait référence àla croissance, l’argent du beurre ou l’environnement, ainsi que le surplus du beurre ou la satisfaction des besoins fondamentaux, et même l’argent du surplus ou les aspirations de tous pour aujourd’hui et pour l’avenir (Perrot, 1993). L’impasse relative au caractère opératoire du développement durable demeure donc au centre des débats. Mais, à vouloir chercher désespérément à concilier l’inconciliable, il faudra à terme classer le développement durable dans la catégorie des bons sentiments (Theys, 2000). De ce point de vue, l’ajout d’un adjectif au concept de développement pour y intégrer le volet social et écologique ne serait qu’un bricolage conceptuel qui n’apporte rien de nouveau.
Les tenants du développement durable veulent changer les mots à défaut de ne pouvoir changer les choses (Latouche, 2003). C’est dans ce même état d’esprit que Gagnon (1994) est parvenu à la conclusion que le développement est une alternative de l’approche écologiste. Il s’agit d’une réappropriation de l’écologie par le capitalisme. En effet, le développement durable résulterait de l’institutionnalisation des grands principes de l’écologie, et cette institutionnalisation se traduit par une réorientation de l’économie afin de préserver à long terme le système existant. Ainsi, sans apporter de solution concrète aux grands maux de notre société, le développement durable ne fait que pallier aux défauts trop visibles du système existant. Toutefois, maintenir le système existant ne peut constituer une solution pour les pays en voie de développement. En effet, le système est actuellement celui qui leur fait défaut.
Une autre approche tend à critiquer les imprécisions dans la définition du développement durable contenue dans le rapport de Brundtland (1987) : un développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacitédes générations futures à répondre aux leurs. La première précision porte sur la définition des besoins. Un paragraphe du rapport précise qu’il s’agit de satisfaire avant tout les besoins essentiels de l’intégralité de la population, surtout la plus démunie. Les besoins essentiels dans ce rapport englobent le besoin de se nourrir, de se loger, de se vêtir, et de travailler. Mais si ces besoins sont satisfaits, que devons-nous alors considérer ? Satisfaire ? La seconde précision porte sur la notion de temporalité: quelle génération devons-nous considérer ? Nos enfants ? Nos petits-enfants ? Ou faut-il prendre en compte les générations qui ne sont pas encore nées ? Et dans le cas d’une génération qui n’est pas encore née, comment justifier leur droit à la demande ? Comment pouvons-nous anticiper leurs besoins ? Le contexte demeurera-t-il le même ?
En fait, une analyse du rapport dans son ensemble suffit à démontrer que l’objectif escompté n’est pas de limiter l’opulence économique et le gaspillage des puissants. Le rapport de Brundtland reconnaît la suprématie de la croissance, avec l’imposition d’un chiffre de croissance annuelle de 5% à6 % pour les pays en développement et de 3% à4 % pour les pays industrialisé (Gagnon, 1994). Une position renforcé par Georgescu-Roegen (1979) qui soutient que le développement durable ne peut en aucun cas être séparéde la croissance économique. L’environnement ne serait alors qu’un bien à gérer pour optimiser la croissance (Godard, 1995). A cet effet, plusieurs méthodes pour la privatiser ont vu le jour dont la théorie des droits de propriété, l’internalisation des coûts environnementaux des projets, ainsi que la mise en place des mesures fiscales et des normes ISO, etc.
La justification de cette approche se base sur le fait que la lutte pour l’environnement n’est pas un but en soi.
Ainsi, deux décennies plus tard et comme L’Huilier (2003) le dit si bien, la logique permettant de relier les éléments constitutifs du développement durable ne semble toujours pas si évidente. Ces imprécisions conceptuelles débouchent àdes débats difficiles et parfois même dénués de sens, ainsi qu’à une difficulté politique par rapport à sa mise en place (Coméliau, 1994).
Dans les termes de Flipo (2014) : le développement durable s’est vidé de sa substance et nul ne connaît réellement son contenu.
Mais cette conception ne peut être absolue, car en ce sens et pour pallier aux imprécisions, il suffit de définir un cadre bien défini pour le développement durable afin de lui donner un sens et de justifier ainsi son applicabilité. Et c’est pour cette raison que nous opterons pour la seconde approche : la vision optimiste. Néanmoins, tous les arguments de la vision des post développementalistes ne sont pas àjeter et nous retiendrons certains des points précédemment cités comme la nécessité de la précision.
La vision optimiste du développement durable
Les optimistes mettent en exergue la capacité transformatrice du développement durable par rapport à l’évolution sociale et environnementale. Cette capacité porte sur des précisions quant aux impératifs du développement durable et la mise en place d’un cadre logique. Dans cette optique, il est nécessaire de remettre en question les rapports entre humains et ceux de l’homme avec la nature (Guay et al., 2004). Selon Hatem (1990), la classification des théories sur le développement durable se divisent en deux classes : l’approche écocentré et l’approche anthropocentrée. Cette classification se base sur le principe que l’objectif concerne la préservation des êtres vivants en général ou uniquement le bien-être de l’homme.
Dans notre cas, nous nous intéresserons à la vision anthropocentré du développement durable. Elle nous permettra de définir un cadre précis autour du développement durable quant àson objectif et par rapport aux pondérations des différents pôles, mais également de mettre en avant la part de l’homme dans sa réalisation.
La vision humaniste met en avant le bien-être de l’homme (nous entendons ici la qualitéde vie) et le respect de l’environnement, ainsi que la remise en question de notre mode de vie. Le principe de base de cette approche s’énonce comme suit : le genre humain a les moyens d’assumer un développement durable. Cette capacité est limitée par l’état de nos techniques actuelles, par l’organisation sociale et par la capacité de la biosphère à supporter l’activité humaine. L’objectif escompté étant de replacer l’homme au cœur des problématiques en termes de cohabitation, de coopération, de conflit et de domination (Brunel, 2004). La lutte concerne surtout la qualitéde vie (Gagnon, 1994). Ce choix se justifie par rapport àla situation des pays en voie de développement comme Madagascar, objet de notre étude. Dans ces pays, il est nécessaire d’amorcer le développement. Pour cela, il faut déterminer avant tout les blocages au développement et mettre la population concerné au sein du changement. Le développement est en effet conditionné par la capacité de la population àvaloriser ses ressources.
Nous nous focaliserons donc sur la conception d’un développement en tant qu’amélioration de la qualité de vie de la population, et en termes de « capabilité»au sens de Sen (1987). La capabilitépeut se traduire par la capacité de la population àvaloriser les ressources qui leur sont accessibles afin d’améliorer leur qualité de vie. Cette aptitude exige des connaissances et des techniques en vue d’obtenir le bien escompté. La qualitéde vie est liée àla satisfaction des besoins de la population en générale.
Il est nécessaire de distinguer les besoins réels et vitaux des faux besoins instillé par la sociétéde croissance (Felli, 2008). Nous pouvons parler de besoins artificiels et futiles ou besoins de luxe. La différence entre ces deux notions se base sur la nuance entre besoin et envie. Il arrive parfois que la sociétérequalifie un besoin en simple envie ou inversement :
– Tant que nous croyons pouvoir le présenter devant autrui comme particulièrement important pour nous,
– Tant que nous croyons pouvoir le présenter devant autrui, comme naturel dans le cas où ce dernier serait très partagéparmi les humains.
Néanmoins, grâce àla pyramide de Maslow, nous pouvons délimiter quels sont ces besoins vitaux.
Les besoins vitaux concernent les besoins physiologiques primaires qui sont directement liés à la survie des individus. Ce sont typiquement des besoins concrets (alimentation, eau, habitation, sexualité, se vêtir, etc.). Nous pouvons cependant y inclure les besoins de sécuritéqui consistent à se protéger contre les différents dangers qui nous menacent. Il s’agit donc d’un besoin de conservation d’un acquis, s’inscrivant dans le temps.
Cette nécessaire durabiliténous amène au point suivant portant sur l’élimination des externalités négatives responsables de l’épuisement des ressources naturelles. Le développement durable exige une capacité à répondre aux chocs futurs même si nous ne pouvons pas en évaluer les effets avec certitude (OCDE, 2001). Dans ce sens et en rapport avec le principe de responsabilitéde Jonas (1993), le mot soutenable implique que le niveau de pollution générée par les activités humaines ne doit pas dépasser la capacité de régénération de la biosphère.
La recommandation de Jonas (1993) se formule comme suit : agis de telle sorte que les effets de ton action soient compatibles avec la permanence d’une vie authentiquement humaine. C’est de là que découlent les principes à suivre pour assurer la durabilité d’un développement qui sont : le respect de l’intégrité écologique comme condition de toute activité humaine, l’économie comme moyen pour parvenir à cet effet, et le développement social comme finalitéde chaque projet (Grendon, 2005).
Le développement durable, du point de vue des optimistes, est une idéologie politique et non une pratique scientifique ni un instrument technique (Felli, 2008). Le premier pas vers un développement durable serait de se poser les bonnes questions en y intégrant ses différents aspects :
– Comment articuler les différentes dimensions du développement durable et la question de la temporalité?
– Comment gérer les imbrications des actions sur diverses échelles spatiales ?
– Comment se pose la répartition des rôles compte tenu de l’émergence de nouveaux acteurs non publics ?
– Quels sont les nouveaux instruments de régulation ? (Chaboud et al., 2009).
Il est possible de mettre en place un développement durable en réorientant l’économie et la société vers un axe plus durable à condition d’être doté d’un certain savoir (Felli, 2008). Pour cela, un nouveau modèle de développement est nécessaire. Les politiques de développement gravitent autour de la multiplication des possibilités d’emploi des ressources afin qu’elles contribuent réellement à l’amélioration de la condition de vie de la population, et àla maitrise des risques. Cette conception suppose :
– L’utilisation rationnelle et durable des ressources préconisant une action éducative pour améliorer les capacités de gestion des ressources,
– La participation effective des citoyens dans la prise des décisions et dans la protection des ressources,
– La gestion des problèmes démographiques en termes d’effectif et de répartition,
– L’équité sociale : un accès équitable aux ressources et àleurs avantages.
D’ailleurs, il est intéressant d’appréhender la mise en œuvre du développement durable par rapport àla question de la gestion durable des systèmes de ressources. Dans cette optique, la condition de la durabilité du développement se base sur «la capacité de la population àmettre en place des régulations capables de garantir un usage proportionnéet soutenable des ressources »(Nahrath et Gerber, 2014, p.1).
Un autre point de vue pouvant justifier la légitimitéde cette approche en termes de ressources se base sur l’interprétation du principe constitutionnel du développement durable. Dans cette optique, l’interprétation en termes de pondération des intérêts de manière équilibrée entre les trois (3) pôles du triangle du développement durable est erroné. En effet, le primat doit être conféré à la dimension environnementale, car la gestion durable des ressources naturelles est prérequise pour assurer la durabilité sociale et économique (Flückiger, 2006). En ce sens, il est important de distinguer le stock ou le fond de l’objet, du fruit. Le principe d’une gestion durable d’un système de ressources renouvelables consiste donc àeffectuer les prélèvements des fruits sans dépasser les capacités de reproduction du stock (Pillet, 1993).
Bref, le développement durable promeut la primautédu développement dans le sens où il vise l’amélioration des conditions de vie de la population. Néanmoins, le volet environnemental est tout aussi important, surtout dans les pays en voie de développement comme Madagascar où la survie d’une partie de la population relève de leur accès aux ressources naturelles. Le développement durable est donc conditionné par l’utilisation rationnelle et durable des ressources. Cette durabilité est conditionnée par le respect de l’équilibre écologique pour toute action visant àsatisfaire les besoins vitaux de la population, en insérant la population dans le processus. La diversitéde ses actions et leurs conséquences nous amène à aborder la question de l’utilisation ou non d’une ressource. En effet, toutes les ressources ne peuvent être utilisées également, et le choix d’utiliser ou non une ressource, ainsi que les conditions à respecter dans ce cas relève d’un débat lointain sur l’arbitrage entre le préservationnisme et le conservationnisme.
L’approche ressourcielle du développement durable
Le développement durable suppose l’amélioration des conditions de vie de la population. Il implique en ce sens une valorisation des ressources qui contribuent à la satisfaction des besoins vitaux et immédiats de la population, mais aussi leur gestion rationnelle assurant l’équité, l’accessibilité et la durabilitéde ladite ressource.
Pour pouvoir mettre en place un tel régime, et comme indiquéprécédemment, il est nécessaire de connaître l’état et le régime institutionnel de la ressource, àsavoir : le stock existant, la vitesse et la fréquence des ponctions, les biens résultants, leurs contributions au bien-être de la population, les lois relatives à son usage, etc… Pour cela, nous utiliserons le modèle d’analyse du régime institutionnel des ressources (RIR) développé dans l’approche dite ressourcielle du développement durable.
La notion de ressource dans l’approche ressourcielle du développement durable au sens de Knoepfel et al. (1997) ne se limite pas aux seules ressources naturelles. Elle englobe un large éventail d’objets tels que les ressources naturelles, les ressources infrastructurelles et les ressources cognitives ou culturelles. Une ressource fait donc référence au processus de mise en relation entre un objet et un système de production permettant de satisfaire les besoins vitaux de l’homme. Il s’agit d’un méta-système dans lequel des objets sont créés et détruits proportionnellement à leurs utilités dans le cadre de la production des biens et services, marchands et non marchands. Il s’agit d’une boucle opérationnelle, et si celle-ci est interrompue, la ressource disparaît (Kébir, 2010).
L’approche ressourcielle du développement durable met en exergue les relations d’interdépendance existant entre les dimensions environnementales, économiques et sociales de ce concept et leur dépendance par rapport aux modes de gestion des systèmes de ressources. Cette configuration résulte de la combinaison de deux approches : celle résultant de l’analyse des politiques environnementales et celle de l’économie institutionnelle.
Le premier a trait à l’étude du système de régulation auquel l’objet ou la ressource est rattachée, c’est-à-dire àl’étude des mécanismes qui régissent l’intervention de l’Etat. En effet, les politiques environnementales permettent de dégager les variables explicatives dans la compréhension de la régulation des usages des ressources naturelles à travers les obligations et les responsabilités, en matière de protection et d’entretien, qui incombent aux acteurs concernés.
Les composantes d’une politique publique sont : les objectifs, les instruments, les groupes cibles et l’organisation de l’application. Ces dernières permettent de définir les chaînes de causalité et les modalités d’intervention publique. Elles permettent donc de déterminer la responsabilité des acteurs et de comprendre l’étendue de leur action (Knoepfel et al., 1997). Ces politiques sectorielles ont pour objectif de protéger les humains contre les atteintes dangereuses, en les réduisant àun niveau considérécomme supportable (Varone et al., 2008). Les moyens de lutter contre les immissions1 sont généralement centrés autour de la réduction des émissions des gaz àeffet de serre.
L’économie institutionnelle s’intéresse, quant à elle, aux rapports sociaux qui codifient l’usage des ressources. Le rôle des droits de propriété ainsi que l’analyse des régulations en termes de règles formelles et informelles sont mis en exergue dans ce contexte. L’environnement est considéré comme une ressource, et les institutions sont les médiateurs entre les sociétés humaines et l’environnement. Dans cette vision, la durabilité de l’usage des ressources renouvelables est conditionnée par le fait de ne pas prélever les unités de ressources provenant du stock, et de ne mobiliser que les fruits.
Le croisement de ces deux approches permet de pallier aux limites de chacune d’elles. En effet, les politiques environnementales se sont uniquement centrées sur un traitement sectoriel des problèmes de gestion des ressources. Ces limitations concernent la réduction des émissions polluantes et des immissions ou impacts environnementaux. De plus, aucune étude n’a prouvé que ces politiques aient contribué à rendre plus durable l’exploitation des ressources naturelles (Varone et al., 2008). Et les ressources ne sont dans ce contexte appréhendées qu’à travers leur propriété d’absorption des polluants. La critique sur l’économie institutionnelle porte quant à elle sur son omission par rapport au rôle de l’Etat et des politiques publiques dans la limitation des émissions, et dans l’internalisation des externalités (Nahrath et Gerber, 2014).
Pour une approche systémique de la régulation des ressources, les systèmes y afférents peuvent être caractérisé àtravers les dimensions suivantes :
– La renouvelabilité: nous distinguons les ressources renouvelables telles que le bambou, les ressources non renouvelables ou épuisables telles que les ressources fossiles, ainsi que les ressources recyclables.
– Les modalités d’usage : une ressource peut avoir un usage matériel/immatériel, et direct/indirect.
– La rivalité d’usage : elle peut être homogène ou hétérogène,
– Les formes de raretépeuvent être absolues ou relatives.
Dans cette approche, nous nous intéresserons à la gestion d’une ressource à travers le Régime Institutionnel de Ressource (RIR) de Knoepfel et al. (2001), repris par Nahrath et Gerber (2014). Cette grille d’analyse regroupe l’ensemble des règles formelles régulant le droit d’usage et de disposition d’une ressource.
Ces règles ont été établies pour régir le comportement des acteurs dans l’utilisation de la ressource. Elles résultent généralement des effets combinés entre les droits de propriété, visant à protéger le propriétaire contre les actions de l’Etat, et les politiques publiques d’exploitation et de protection qui servent à limiter les marges de manœuvre du propriétaire en faveur de l’intérêt public. Le régime institutionnel de ressource vise donc à identifier les modalités de régulation des usages concurrents des ressources naturelles (Varone et al., 2008).
Le cadre analytique des RIR permet d’identifier les pratiques de gestion d’une ressource en vigueur en se basant sur quatre propositions :
– La notion de ressource dépend des perceptions socioculturelles et des comportements socio-économiques d’une collectivité : une ressource est reconnue en tant que telle dès lors que ses usagers reconnaissent ses biens et services dérivés comme contribuant à satisfaire leurs besoins. Une ressource ne peut donc être considérée comme telle que si elle contribue effectivement à la production d’un bien ou service pouvant servir à la population locale.
– Le droit d’usage, concrétisé par un accès privilégié à un flux de bénéfices, se traduit par l’acquisition de droits de propriété et/ou par les actes de mise en œuvre d’une politique publique autorisant l’usage de certains biens et services. Par exemple, le permis de circulation et la plaque minéralogique d’une automobile confèrent un droit illimité à polluer àleur détenteur.
– Le droit d’usage assure la protection du détenteur contre les autres usagers potentiellement intéressé par le même flux de bénéfices. Loin d’être de simples règles non formalisées se référant à l’usage ou au contrôle matériel des biens, les droits de propriété relatifs aux RIR relèvent du Droit Civil et transforment les règles possessionnelles en des droits d’appropriation des flux bénéfices régis par la loi. Le RIR suppose donc une analyse précise des bases légales des systèmes de droits de propriété pour la compréhension des modalités de régulation des usages sociaux des ressources.
– Tout RIR a une influence directe sur l’état de la ressource au travers de la réglementation qualitative et quantitative des usages. Par conséquent, le cadre des RIR postule une relation causale entre le type de régime et la durabilité de la ressource (Ibid).
Les composantes du RIR
Le champ d’analyse du cadre du régime institutionnel de régulation d’une ressource se présente à travers l’étude des relations entre les différentes composantes majeures du régime : les règles institutionnelles, les acteurs usagers et la ressource qui influent sur le comportement des usagers, comme le montre la figure suivante.
Le fonctionnement du RIR
L’étude du RIR aboutit à deux hypothèses portant sur les relations causales entre la régulation institutionnelle et l’usage durable des ressources naturelles.
La première hypothèse avance l’existence d’une relation causale entre le type de régime et la durabilité des usages d’une ressource. Dans une représentation simple, c’est-à-dire si nous ne considérons qu’une seule ressource renouvelable, les conditions de durabilité d’une ressource s’énonce comme suit : plus un régime est intégré, plus il est facile d’assurer la gestion durable de cette ressource. En même temps, moins le régime est intégré, plus le risque de surexploitation de la ressource est élevé. Une ressource est exploité durablement si la somme des fruits prélevés ne dépasse pas la capacité d’autoreproduction du stock. Le manque de régulation du comportement des usagers peut engendrer des comportements stratégiques pouvant conduire àla surexploitation des ressources.
La deuxième hypothèse centrale a trait àune relation causale inverse qui explique les dynamiques historiques de développement des RIR. Selon Calvo-Mendieta (2006), l’émergence historique d’un régime institutionnel de ressource se caractérise par le passage du régime simple, vers un régime complexe, puis finalement vers le régime intégré. Cette mutation se justifie par l’augmentation linéaire des biens et services obtenus grâce à la ressource dans le temps, puis à la mise en place d’une nouvelle organisation par les services publics pour réguler l’appropriation de ces biens.
Plus la durabilité de la ressource est menacée, plus forte est la probabilité d’observer l’émergence d’une nouvelle régulation pour de nouveaux usages ou pour une amélioration de la cohérence. L’intérêt de cet outil d’analyse porte sur la prise en compte du temps et du changement dans la gestion de la ressource, en se basant sur les interactions des deux dimensions (les politiques publiques et les droits de propriété) sur le système. Cette grille nous permettra de mettre en place un processus de résolution des conflits inhérents à l’usage des ressources. Pour compléter notre analyse, nous la croiserons avec l’approche territoriale du développement durable. L’intérêt de la considération territoriale se base sur l’identification des éléments sur lesquels nous pouvons interagir pour améliorer la gestion de la ressource. Pour Calvo-Mendieta (2006), le caractère rigide des droits de propriété par rapport au changement implique que le système de régulation soit plus stable. Les interventions devront donc se centrer autour des politiques publiques.
Elle permet également la prise en compte des différents niveaux de décision et des relations entre les différents acteurs. En effet, un changement provenant des niveaux supérieurs peut être en contradiction avec les réalités du territoire et entraîner in fine des conflits entre les différents acteurs.
La gestion durable du système de ressource n’est possible qu’à condition que les conflits d’usage entre usagers d’un même bien ou service, entre usagers de biens ou services différents ou encore les conflits entre usagers de ressources couplées (par exemple ressources fossiles et ressource atmosphère) soient systématiquement régulés et puissent trouver des solutions socialement, économiquement et écologiquement acceptables pour tous les usagers. En d’autres termes, le capital de la ressource ne soit pas affecté par la somme des différents usages simultané de celle-ci (Varone et al., 2008).
Toutefois, le respect des critères de durabilité, seul, ne garantit pas l’exploitation durable d’une ressource. Le RIR a une portée limitée dans la pratique compte tenu de la difficulté de coordination de l’intégralité des usages dans un pays sans surexploiter le stock de la ressource, et compte tenu des imbrications et usages concurrencés entre ressources.
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Table des matières
Introduction générale
Partie 1. Le cadre conceptuel de l’analyse
Introduction de la première partie
Chapitre 1. Historique de l’émergence du concept de développement durable
Chapitre 2. Le développement durable, entre optimistes et post développementalistes
Chapitre 3. L’approche ressourcielle du développement durable
Chapitre 4. Le territoire, brique de base du développement durable
Chapitre 5. Les conditions de l’amélioration durable des conditions de vie de la population à Madagascar
Conclusion de la première partie
Partie 2. La valorisation du bambou dans le fokontany d’Ankatafana
Introduction de la deuxième partie
Chapitre 6. Généralités sur le bambou
Chapitre 7. Le régime institutionnel du bambou à Ankatafana
Chapitre 8. Le projet RARIVATO
Chapitre 9. Essai d’analyse du projet
Chapitre 10. Enjeux et recommandations
Conclusion de la deuxième partie
Conclusion générale
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