Historique de la transplantation
Les premiers succès d’autogreffes humaines remontent au 19e siècle avec les avancées de Jacques Louis Reverdin qui effectue, en 1869, des greffes épidermiques en couvrant les surfaces sans peau de petites pièces d’épiderme humain [1]. Au début du XXe siècle, Mathieu Jaboulay et Alexis Carrel mettent au point plusieurs techniques de suture vasculaire, qui seront immédiatement appliquées à la transplantation d’organe [2, 3]. En 1908, Alexis Carrel réussit la première auto-transplantation rénale (transfert du rein sur une autre partie du corps) chez le chien avec une survie prolongée de l’animal et du greffon [2]. La réalité chirurgicale de la transplantation est alors reconnue mais les hétéro transplantations rénales (transplantations entre deux espèces) chez l’homme échouent systématiquement. En 1933, Voronoy pratique la première transplantation rénale chez l’homme en greffant un rein de cadavre sur une jeune femme atteinte d’insuffisance rénale [4, 5] qui se solde par un échec. En 1952, la transplantation d’un rein maternel (donneur vivant) à un patient âgé de 16 ans par le groupe de Jean Hamburger à Necker ne parvient pas non plus à obtenir un fonctionnement prolongé du greffon [6] (décès du patient au 21e jour). Au début du siècle, les travaux de James Murphy puis de Williamson avaient déjà identifiés un facteur biologique innomé à l’époque, responsable des réactions de rejet d’homogreffe, et atténué par les rayons X et le benzol [7, 8]. Mais de nombreuses années de recherche seront encore nécessaires avant la découverte de l’immunité humorale par Woglom, en 1933 [9], puis du système HLA par Jean Dausset, en 1952 [10]. Le premier succès en transplantation rénale à long terme est celui d’une transplantation entre deux jumeaux monozygotes en 1954, à Boston [11]. En 1959, deux transplantations rénales entre jumeaux dizygotes sont réussies, la première à Boston, la seconde à Paris, à l’Hôpital Necker. En 1960, l’équipe de l’hôpital Foch, de Suresnes, va plus loin, en tentant les premières transplantations entre frère et sœur non jumeaux, puis en dehors de toute parenté entre le donneur et le receveur. À chaque fois, l’immunosuppression est induite [1, 12]. En 1956 les greffes de moelle osseuse débutent [13] suivies par les premières transplantations hépatiques (1963-1969) [14], de cœur (1967) [15, 16] et de poumon (1963) [17, 18]. En 1994, l’établissement français des greffes est créé et une convention de collaboration entre France Greffe de Moelle et les Etablissements Français du Sang sera signée en 2000. En 2020, 4 417 transplantations d’organes ont été réalisées dont 400 (9%) à partir de donneurs vivants (rein, foie). Par comparaison avec 2019, il y eu une baisse de 25 % du nombre total de greffes en France en raisons du Covid-19. Cet écart a été en grande partie comblé en 2021 avec une hausse de 19,5% par rapport à 2020. Les transplantations courantes concernent aujourd’hui le rein (3251, 62%), le foie (1 224, 23%), le coeur (408, 8%), le poumon (316, 6%), le pancréas (67, 1%), la double transplantation coeur/poumon (6, 0.1%). Le rein reste à ce jour l’organe le plus transplanté dans l’histoire .
Le rein
Structure du rein
Les reins sont localisés dans l’espace rétropéritonéal, de part et d’autre de la colonne vertébrale sous les dernières côtes. Ils ont la forme typique d’un haricot et mesurent environ 12 cm pour 160 g. Les reins sont reliés d’une part à l’artère aorte et à la veine cave inférieure par l’artère et la veine rénale et d’autre part à la vessie par deux longs canaux, les uretères ; ils font partie de l’appareil urinaire . Les reins sont entourés d’une couche de graisse périrénale, puis d’une enveloppe de tissu conjonctif appelée fascia de Gerota. Ils sont chacun surmontés d’une glande surrénale. Chaque rein est protégé par une enveloppe dure externe ; la capsule. A l’intérieur de celle-ci se trouve le parenchyme rénal qui renferme une partie périphérique appelée le cortex et une partie centrale appelée la médulla [21, 22]. Entre les deux se trouvent environ 400 à 800 000 petites structures composées essentiellement de tubules et de glomérules, les néphrons . Le néphron est l’unité fonctionnelle du rein. Il a pour rôle de filtrer les différentes substances contenues dans le sang pour ensuite réabsorber les nutriments et éliminer les déchets par l’urine. La formation de l’urine commence dans les glomérules qui filtrent les substances sanguines et l’eau pour former l’urine primaire. Ensuite, par des phénomènes de sécrétion et de réabsorption entre le fluide tubulaire et les capillaires, la composition de l’urine est modifiée dans les tubules pour aboutir à la formation de l’urine définitive. Cette urine passe ensuite dans les calices, s’écoule dans le bassinet puis transite dans les uretères pour atteindre la vessie où elle est stockée puis éliminée lors d’une miction via l’urètre . Chacun d’entre nous possède normalement deux reins. Mais dans certains cas (Anomalie congénitale ou retrait d’un rein), un seul rein suffit pour vivre (5% des individus). Les reins sont des organes vitaux qui assurent les fonctions essentielles d’épurateur et de régulateur de l’organisme .
La fonction rénale
Fonction de filtration et d’épuration du sang
Les reins possèdent la capacité de filtrer le sang. Ils sont parcourus par de nombreux vaisseaux sanguins qui assurent la circulation du sang dans l’organe. Le sang arrive dans chaque rein via une artère rénale qui provient d’une ramification de l’aorte. Le débit sanguin rénal représente environ 600 mL/min, soit 20 à 25 % du débit cardiaque et est transmis en quasi-totalité aux glomérules. Le sang est ensuite épuré par le rein qui trie et régule ses composants. Trois classes de substances sont filtrées au niveau du glomérule : les électrolytes (sels minéraux en circulation dans le sang, tels que le sodium, calcium, potassium, etc.), les non électrolytes (issus du catabolisme des protéines, peptides et acides aminés, tels que le glucose ou l’urée) et l’eau. Lors de cette étape, il n’y a pas de passage des protéines qui sont trop grosses pour passer à travers les pores et sont retenues dans le sang. La réabsorption est réalisée au niveau des tubules à la suite de l’étape de filtration. Ainsi, les reins régulent la conservation ou la perte de certains constituants comme l’eau, l’urée, l’acide urique ou la créatinine. Ils éliminent également les substances étrangères comme les résidus des médicaments, dont l’accumulation serait toxique pour l’organisme. Chaque jour, les glomérules produisent environ 180 litres d’ultrafiltrat (Débit de Filtration Glomérulaire), pour un débit urinaire d’environ 1 à 2 litres/j, la différence étant réabsorbée par le tubule (diurèse). Une fois épuré, le sang repart par la veine rénale qui rejoint la veine cave inférieure et les substances non réabsorbées sont éliminées via l’urine qui sera stockée dans la vessie avant d’être évacuée [23, 24].
Fonction d’équilibration et de régulateur
Les reins ont une fonction de régulation du milieu intérieur afin de maintenir l’homéostasie. Ils équilibrent de façon constante les sorties rénales de certains constituants principalement l’eau et les sels minéraux (le sodium contenu dans le sel, le potassium, le calcium, le bicarbonate qui règle l’acidité du sang, le magnésium) en fonction des besoins de l’organisme et des entrées digestives. L’ajustement de chaque soluté (condition de l’homéostasie) se fait finement grâce aux phénomènes tubulaires de sécrétion et de réabsorption, sous contrôle hormonal spécifique (aldostérone pour le Na, ADH pour l’eau par exemple). Ceci permet une régulation de l’équilibre acido-basique et de la pression artérielle. Lorsque les reins fonctionnent mal, ils n’éliminent pas suffisamment les électrolytes tels que le sodium ou le potassium ce qui peut induire de l’hypertension artérielle, des œdèmes ou des complications cardiaques [23, 25].
Fonction endocrine du rein
De nombreuses substances à activité biologique sont synthétisées dans le rein tels que des hormones, des enzymes et des vitamines :
— L’érythropoïétine (EPO) L’erythropoïétine est une hormone produite par le rein plus spécifiquement par des cellules interstitielles péritubulaires fibroblastiques. Elle permet à l’organisme de s’adapter à différentes situations physiologiques (baisse du taux d’oxygène circulant dans les artères rénales, hémorragie, hémolyse etc.) en régulant la quantité des globules rouges pour véhiculer l’oxygène dans l’organisme. Un manque d’EPO est fréquent lorsqu’il existe une insuffisance rénale, responsable d’une anémie [23, 24].
— Le système rénine-angiotensine-aldostérone (SRAA) Le rein sécrète une enzyme appelée la rénine. Elle est produite au niveau de l’appareil juxta-glomérulaire et s’active par protéolyse de l’angiotensinogène circulant d’origine hépatique. Par des mécanismes de fragmentations, l’angiotensinogène est transformée en angiotensineI puis en angiotensineII grâce à la rénine et une enzyme de conversion. On parle de SRAA qui joue un rôle très important dans la régulation de la pression artérielle notamment avec des mécanismes de vasoconstrictions ou de vasodilatations [23, 24].
— La vitamine D Le rein participe à la production de vitamine D active appelée calcitriol et sécrétée à partir de son précurseur hépatique ( 25 (OH) vitamine D3). La forme active de la vitamine D augmente l’absorption digestive et rénale de calcium, et l’absorption intestinale de phosphate. Un manque de vitamine D est fréquent lorsqu’il existe une insuffisance rénale [23, 24].
Mesure de la fonction rénale
Les mesures de la fonction rénale permettent d’évaluer la capacité des reins à filtrer les déchets azotés du sang (urée, créatinine, acide urique) [26]. Ces tests contribuent à calibrer la posologie de plusieurs médicaments qui sont excrétés ou métabolisés par les reins, d’indiquer le moment approprié pour le début de la dialyse et d’évaluer le statut rénal des donneurs et des receveurs pour une transplantation de reins. Plus important encore, ces mesures sont primordiales pour la détection précoce de l’insuffisance rénale qui bien souvent évolue silencieusement (pas de symptômes visible chez le patient) jusqu’au stade de non réversibilité. Il est également important de suivre la fonction rénale chez les individus qui sont dits « à risques » (antécédents de diabète mellitus, hypertension artérielle, maladie cardiaque, cholestérol élevé, âge supérieur à 50 ans, antécédents familiaux d’insuffisance rénale etc.) [27]. Toutefois, la fonction rénale considérée comme « normale » diffère en fonction de plusieurs facteurs tels que l’âge, le sexe, le poids, l’ethnie, le régime alimentaire etc. Par exemple, un sujet avec une masse musculaire importante n’aura pas les mêmes mesures de la fonction rénale qu’un individu avec un poids normal. Cela ne signifie pas toutefois qu’il a une mauvaise fonction rénale [26]. L’évaluation de cette fonction rénale doit donc prendre en compte tous ces facteurs pour être la plus précise possible. Pour se faire, on se base sur la mesure du taux de filtration glomérulaire rénale ; l’idée étant de mesurer s’il y’a une augmentation du taux de molécules présentes normalement dans le sang et éliminées par le rein (créatinine, urée, acide urique etc.) pouvant résulter d’une mauvaise filtration rénale [28].
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Table des matières
I Introduction
1 Introduction à la transplantation rénale
1.1 Historique de la transplantation
1.2 Le rein
1.2.1 Structure du rein
1.2.2 La fonction rénale
1.2.2.1 Fonction de filtration et d’épuration du sang
1.2.2.2 Fonction d’équilibration et de régulateur
1.2.2.3 Fonction endocrine du rein
1.2.3 Mesure de la fonction rénale
1.2.3.1 Mesure de la créatinine sérique
1.2.3.2 Clairance urinaire de la créatinine sur les urines des 24 heures
1.2.3.3 Mesure du DFG par calcul de la clairance de substances exogènes
1.2.3.4 Autres mesures de la fonction rénale
1.2.3.5 Estimation du Débit de Filtration Glomérulaire
1.3 L’insuffisance rénale
1.3.1 L’insuffisance rénale aigüe (IRA)
1.4 L’insuffisance rénale chronique (IRC)
1.4.1 L’insuffisance rénale chronique terminale (IRCT)
1.4.1.1 La dialyse
1.4.1.1.1 L’hémodialyse
1.4.1.1.2 La dialyse péritonéale
1.5 La transplantation
1.5.1 Pré-transplantation
1.5.1.1 Critères d’éligibilité à la greffe
1.5.1.2 Sélection des donneurs
1.5.1.2.1 Donneurs décédés
1.5.1.2.2 Donneurs vivants
1.5.1.3 Compatibilité Donneur/Receveur
1.5.1.3.1 Le système ABO
1.5.1.3.2 Le système HLA (Human Leukocyte Antigen)
1.5.1.4 Attribution de l’organe
1.5.2 Déroulement de la greffe
1.5.3 Post-transplantation
1.5.3.1 Suivi du patient
1.5.3.2 Complications de la transplantation
1.5.3.2.1 Les rejets
1.5.3.2.2 Récidive de la maladie
2 La transplantation rénale à l’ère des «omiques»
2.1 Les «omiques» en transplantation
2.1.1 Définition des omiques
2.1.1.1 La génomique
2.1.1.2 La transcriptomique
2.1.1.3 La protéomique
2.1.1.4 La métabolomique
2.1.1.5 L’épigénomique
2.1.2 Etat de l’art des études omiques en transplantation
2.1.2.1 Résumé de la revue
2.2 Génomique de la transplantation rénale
2.2.1 Le génome humain
2.2.1.1 L’ADN
2.2.1.2 Gène et génome
2.2.1.3 Séquençage du génome humain
2.2.1.3.1 Technologies de séquençage
2.2.2 La transmission génétique
2.2.2.1 Théorie de l’hérédité de Mendel
2.2.2.2 Transmission génétique et maladies
2.2.2.3 Les polymorphismes génétiques
2.2.2.3.1 Les polymorphismes nucléotidiques simples (SNP)
2.2.2.3.2 Les insertions/délétions (indels)
2.2.2.3.3 Variation du nombre de copies (CNV)
2.2.2.4 Notion de génétique des populations
2.2.2.4.1 Équilibre d’Hardy-Weinberg
2.2.2.4.2 Déséquilibres de liaison
2.2.3 Les études d’association génétiques
2.2.3.1 Etude gène candidat
2.2.3.2 Etudes d’association à l’échelle du génome (Genome Wide Association Studies, GWAS)
3 Objectifs de la thèse
3.1 Axe 1 : Consolidation d’une biobanque de paires donneur/receveur pour la transplantation rénale
3.2 Axe 2 : Explorations statistiques et analyse de données génétiques à grande échelle pour une meilleure prise en charge du greffon rénal
II Protocoles
1 Génération des données
1.1 Extraction et collecte des données
1.2 Génotypage
1.3 Analyse primaire des données brutes
1.4 Stockage des données
2 Méthodes statistiques
2.1 Contrôle qualité des données
2.2 Analyses en composantes principales (ACP)
2.3 Imputation SNP et HLA
2.3.1 Imputation SNP
2.3.2 Imputation HLA
2.4 Analyses GWAS
III Résultats
1 Résultats pré-GWAS
1.1 Description des données et analyses préliminaires
1.1.1 La cohorte KiT-GENIE
1.1.1.1 Résumé de l’article
2 Résultats GWAS
2.1 Association entre variant génétique et retour en dialyse chez les receveurs et chez les donneurs KiT-GENIE
2.1.1 Association entre variants génétiques et retour en dialyse pour les receveurs et les donneurs avant imputation
2.1.2 Association entre variants génétiques et retour en dialyse pour les receveurs et les donneurs après imputation
2.1.3 Discussion
IV Discussion
1 L’intégration des données biomédicales en transplantation
1.1 Intérêt d’une ressource de données conséquente en transplantation rénale
1.1.1 Augmentation de la puissance des études
1.1.2 Accès à des données diverses
1.1.2.1 Importance de l’intégration de la double couche de données génomiques et phénotypique
1.1.2.2 Accès à des données longitudinales
1.1.2.3 Diversité populationnelle/ethnique des données
1.2 Les défis de l’intégration des données
2 Analyse de données génomiques à grande échelle
2.1 Importance de la pré-analyse des données
2.2 Les études GWAS dans la compréhension des mécanismes de rejet/perte chronique du greffon
2.2.1 Limite des études GWAS aux receveurs et aux donneurs uniquement
2.2.2 Intérêt de l’analyse double génome
2.2.3 Prise en compte de l’ancestralité
2.2.4 Validation des études
V Conclusion