Les tumeurs conjonctives du tractus digestif sont peu fréquentes mais non exceptionnelles. La grande majorité d’entre elles correspondent aux tumeurs stromales gastro-intestinales plus connues sous l’acronyme GIST (1). L’atteinte gastrique est la plus courante (60-70%), suivie de celle de l’intestin grêle (20-30%). La découverte des GIST peut être fortuite ou résulter de l’apparition de symptômes non spécifiques tels que des douleurs abdominales, une masse abdominale ou un saignement gastro-intestinal (2). Les GIST possèdent des caractéristiques immunohistochimiques spécifiques, essentielles au diagnostic. Près de 95% des GIST expriment le c-KIT (antigène CD117), un récepteur transmembranaire tyrosine-kinase dont l’activation déclenche la prolifération cellulaire (3). La chirurgie est le traitement de choix des tumeurs résécables, alors que le traitement standard des tumeurs non résécables est l’administration d’imatinib, un inhibiteur compétitif de c-KIT/PDGFRα .
L’intérêt qu’elles suscitent est lié à la découverte de l’expression par les cellules tumorales de la protéine c-KIT, un récepteur de croissance, qui a permis de mieux les individualiser par rapport à d’autres tumeurs mésenchymateuses digestives et d’un traitement médical spécifique des formes malignes par un inhibiteur tyrosine kinase, le mésylate d’imatinib (Glivec).
HISTORIQUE ET DEFINITION
Jusque dans les années 1980, les tumeurs mésenchymateuses du tube digestif ont été classées en deux groupes : les tumeurs musculaires lisses et les schwannomes. La distinction entre les deux groupes fait appel à des critères morphologiques, histologiques et ultrastructuraux, peu sensibles et peu spécifiques (5). L’apparition des techniques immunohistochimiques dans les laboratoires de pathologie n’a pas permis le démembrement satisfaisant de ces entités, en raison de l’hétérogénéité d’expression des marqueurs musculaires lisses ou schwanniens, de leur fréquente coexpression au sein d’une même tumeur ou de l’absence d’expression de ceux-ci. C’est dans ce contexte que Mazur et Clark ont développé la notion de « tumeur stromale» digestive pour définir les tumeurs gastriques histologiquement proches des tumeurs musculaires lisses mais de phénotype nul (6). Cette définition a été étendue, pour les lésions du même type, à l’ensemble du tractus digestif .
Au cours des années 1990, deux marqueurs ont enfin contribué à la reconnaissance de l’entité « tumeur stromale gastro-intestinale» jusqu’alors peu consensuelle, le CD34 en 1994 et surtout la protéine tyrosine kinase (KIT) ou CD117 à partir de 1998 (7). La protéine KIT, particulièrement, s’est révélée être un marqueur à la fois sensible et spécifique ainsi qu’une piste essentielle dans la compréhension de l’histopathogénie de ces tumeurs .
Les tumeurs stromales gastro-intestinales ou GIST sont définies par le pathologiste selon différents critères:
• cliniquement, ces tumeurs sont développées à partir du tractus digestif, éventuellement du mésentère ;
• histologiquement, la prolifération est constituée de cellules fusiformes (70%), parfois de cellules épithélioïdes (20%) ou d’une association de ces deux types cellulaires (10 %) ;
• sur le plan immunohistochimique, les tumeurs expriment presque constamment KIT (95%) et majoritairement CD34 (60-70%) ;
• du point de vue biologie moléculaire, ces tumeurs sont caractérisées par l’existence de mutations de l’un des deux gènes cibles, KIT et Platelet-Derived Growth Factor Receptor alpha (PDGFRα), codant pour des récepteurs transmembranaires tyrosine kinase .
ONCOGENESE DES GIST
Depuis 1998, après les premiers travaux de Hirota et al. établissant la relation entre le développement de GIST et la mutation du gène KIT, de nombreuses publications ont confirmé une avancée fondamentale dans la compréhension de la pathogénie de ces tumeurs (8). Les tumeurs stromales digestives sont caractérisées par l’existence d’anomalies moléculaires dans deux gènes cibles, KIT et PDGFRα. Ces gènes codent pour des protéines de forte homologie, appartenant à la famille de récepteurs transmembranaires tyrosine kinase de classe III (RTKIII). Cette famille est essentiellement constituée de récepteurs pour des facteurs de croissance .
KIT
Définition
KIT est un récepteur transmembranaire à activité tyrosine kinase dont le ligand naturel est le facteur de croissance stem cell factor (SCF) .
Cellule d’origine
Dans la paroi digestive normale, l’expression de KIT est restreinte à une sous population de cellules fusiformes particulières appelées cellules interstitielles de Cajal (CIC) . Les caractéristiques morphologiques et immunohistochimiques suggèrent que les GIST pourraient provenir des cellules interstitielles de Cajal ou de leurs précurseurs .
Histologie des cellules interstitielles de Cajal
Les cellules interstitielles de Cajal sont des cellules fusiformes ou étoilées, avec de longs prolongements cytoplasmiques ramifiés, un gros noyau oval et une quantité modérée de cytoplasme périnucléaire .
La microscopie électronique à transmission a mis en évidence certains critères ultrastructuraux qui permettent de caractériser et d’identifier ces cellules. Les cellules interstitielles de Cajal possèdent un corps cellulaire assez allongé, plusieurs fins prolongements cytoplasmiques, de section ronde et non aplatie, reposant sur une lame basale présente ou non. Deux à cinq prolongements primaires donnent naissance à des processus secondaires et tertiaires. Le noyau ovoïde, délimité par une chromatine marginée, est entouré par une fine couronne cytoplasmique qui s’élargit dans les prolongements. Le cytoplasme des cellules interstitielles de Cajal présente des caractéristiques spécifiques: de nombreuses mitochondries, de gros faisceaux de filaments intermédiaires (10 nm) et de moindres filaments fins (5 nm, actine) en l’absence de filaments épais (myosine), un abondant système de citernes interconnectées de réticulum endoplasmique lisse et des cavéoles .
Des contacts cellulaires sont établis : entre les cellules interstitielles de Cajal elles mêmes par de larges zones de contact entre leurs processus cytoplasmiques; entre les cellules interstitielles de Cajal et les cellules musculaires lisses par des contacts étroits de type gap-jonction; et entre les cellules interstitielles de Cajal et les structures nerveuses par des contacts intimes ressemblant occasionnellement à des jonctions de type synaptique .
Localisation des cellules interstitielles de Cajal
Les cellules interstitielles de Cajal qui constituent le système nerveux autonome du tractus digestif sont localisées entre les cellules musculaires lisses de la musculeuse.
Ces cellules ont été mises en évidence dans toutes les parties du tube digestif, de l’oesophage au rectum, chez l’homme. On distingue différents types de cellules interstitielles de Cajal de la séreuse vers la lumière du tube digestif:
• les cellules interstitielles de Cajal situées sous la séreuse (CIC-SS), présentes ou absentes suivant la portion de tube digestif,
• les cellules interstitielles de Cajal mélangées aux cellules musculaires lisses (CIC-IM), dans les deux couches musculaires, longitudinale externe et circulaire interne,
• les cellules interstitielles de Cajal associées au plexus myentérique (CIC-MY) également appelées CIC pour Auerbach plexus (CIC-AP), entre les couches musculaires circulaire et longitudinale,
• les cellules interstitielles de Cajal sous-muqueuse (CIC-SM), le long de la surface interne de la couche musculaire circulaire contre la sous-muqueuse, associées au plexus sous-muqueux (également appelées CIC-DMP, pour plexus nerveux de la couche musculaire profonde) .
Fonctions des cellules interstitielles de Cajal
Les cellules interstitielles de Cajal sont des cellules excitables qui ont une activité électrique spontanée. Elles interviennent dans la motricité intestinale par la genèse d’ondes lentes . Les cellules interstitielles de Cajal assurent différentes fonctions dans le tube digestif :
• elles génèrent une activité électrique spontanée de type onde lente et sont responsables de la coordination et de la propagation active de ce signal électrique. Ce dernier est transmis aux cellules musculaires lisses et peut être à l’origine de la contraction musculaire. Ce sont les cellules « pace-maker » du tube digestif (13).
• elles expriment KIT et l’activité pacemaker de certaines cellules interstitielles de Cajal est KIT-dépendante .
• certaines cellules interstitielles de Cajal de l’intestin grêle, les CIC-DMP, intègrent les informations cholinergiques et noergiques provenant des neurones entériques .
• certaines cellules interstitielles de Cajal répondent directement à l’étirement des muscles lisses du tractus gastro-intestinal, notamment de l’estomac, par une dépolarisation membranaire et une augmentation proportionnelle de la fréquence des ondes lentes .
Activation de KIT
Le gène KIT est situé sur le bras long du chromosome 4. Ce récepteur appartient à la famille des récepteurs tyrosine-kinase de type III (RTKIII), et présente d’importantes homologies structurales avec les récepteurs du macrophage colony stimulating factor 1 (M-CSF1) du PDGFRα .
Lorsque le récepteur KIT est activé par la fixation de son ligand ou induit par une mutation, des signaux intracellulaires sont transmis par de multiples voies métaboliques de signalisation. Cette cascade de réactions moléculaires intracellulaires permet la transduction du signal de la membrane plasmique au noyau, entraînant ainsi la prolifération, la différenciation, la croissance et la survie de la cellule .
En l’absence du ligand, KIT est non phosphorylé et monomérique, avec un domaine kinase inactif .
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Table des matières
INTRODUCTION
PREMIERE PARTIE : REVUE DE LA LITTERATURE
I. HISTORIQUE ET DEFINITION
II.ONCOGENESE DES GIST
II.1 KIT
II.1.1 Définition
II.1.2 Cellule d’origine
a. Histologie des cellules interstitielles de Cajal
b. Localisation de cellules interstitielles de Cajal
c. Fonctions de cellules interstitielles de Cajal
II.1.3 Activation de KIT
II.2 PDGRFα
II.3 Caractéristiques moléculaires des GIST
II.3.1 Mutations primaires
II.3.2 Mutations secondaires
II.3.3 Autres altérations génétiques
III. HISTOPATHOLOGIE DES GIST
III.1 Caracteristiques microscopiques
III.1.1 Le type fusiforme
III.1.2 Le type épithélioïde
III.1.3 Le type mixte
III.1.4 Le type indifférencié
III.2 Caractéristiques immunohistochimiques
IV. DIAGNOSTIC DIFFERENTIEL
IV.1 Léiomyome
IV.2 Schwannome
IV.3 Tumeur desmoïde
IV.4 Tumeur fibreuse solitaire
IV.5 Polype fibroïde inflammatoire
IV.6 Tumeur myofibroblastique inflammatoire
IV.7 Léiomyosarcome
IV.8 Liposarcome dédifférencié
IV.9 Sarcome du stroma endométrial
IV.10 Mélanome
IV.11 Séminome
IV.12 Carcinomes
DEUXIEME PARTIE : METHODES ET RESULTATS
I. PATIENTS ET METHODES
I.1La période d’étude
I.2 La population d’étude
I.2.1 Critères d’inclusion
I.2.1 Critères d’exclusion
I.3 Lieu d’étude
I.4 Les supports
I.5 Les paramètres à évaluer
I.6 Les techniques en anatomie pathologie
I.7 Informatique et logiciel
II. RESULTATS
II.1 Age
II.2 Sexe
II.3 Localisation tumorale
II.4 Présentation clinique
II.5 Taille tumorale
II.6 Type histologique
II.7 Profil immunohistochimique
II.8 Biologie moléculaire
II.9 Nombre de mitoses
II.10 Evaluation du risque de malignité
II.11 Prise en charge
II.12 Extension tumorale
II.13 Evolution
TROISIEME PARTIE : COMMENTAIRES ET DISCUSSION
I. EPIDEMIOLOGIE
I.1 Fréquence
I.2 Age
I.3 Sexe
II. PRESENTATION CLINIQUE
III. LOCALISATION TUMORALE
IV. DIAGNOSTIC ANATOMO-PATHOLOGIQUE
IV.1 Macroscopie
IV.2 Microscopie
IV.3 Immunohistochimie
IV.3.1 Marqueur de première intention
IV.3.2 Marqueurs complémentaires
a. CD34
b. Actine musculaire lisse (AML)
c. Desmine
d. Protéine S100 (PS100)
IV.3.3 Marqueurs complémentaires facultatifs
a. Protéine h-caldesmone
b. Nestine
IV.3.4 Marqueurs pronostiques
IV.3.5 Nouveaux marqueurs diagnostiques
IV.4 Biologie moléculaire
V. EXTENSIONS ET METASTASES
VI. ASSOCIATION GIST ET AUTRES TUMEURS
VII. FACTEURS HISTOPRONOSTIQUES
VIII. PRISE EN CHARGE
VIII.1 Traitement chirurgical
VIII.2 Traitement par imatinib
VIII.2.1 Indications
a. Tumeurs résécables d’emblée
b. Tumeurs non résécables
VIII.2.2 Posologie
IX. SUIVI ET EVOLUTION
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE