Histoire technique et sociale de la métallurgie du fer

Rappel sur la chaîne opératoire du fer

       La stérilité des études menée sur les chaînes opératoires techniques ou sociales analysées individuellement, a conduit, depuis longtemps, les spécialistes de l’histoire des techniques à investir de nouvelles pistes. Ces nouvelles approches se fondent sur l’idée selon laquelle une activité technique donnée n’a de finalité que par rapport à la société au service de laquelle elle a été mise en œuvre21. Il y a une grande variabilité dans l’approche des chaînes opératoires et de leurs définition suivant les cas étudiés. Il serait fastidieux de les évoquer toutes, mais pour notre propos, par chaîne opératoire nous entendons l’ensemble des procédés techniques, associés ou non à un univers symbolique, mis en œuvre par l’homme pour transformer une matière première ou une série de matières premières, prises individuellement ou en association en un produit d’usage. La finalité de la chaîne opératoire du fer est, en ce sens, la production du métal et la fabrication des produits destinés à la consommation. La technique apparaît in fine dans cet agencement, comme une production sociale qui, par ce fait, est soumise à une compétition sociale dont l’analyse doit conduire à la détermination des degrés de contrôle dont elle fait l’objet de la part des différents acteurs. Pour prendre en charge la pleine mesure de cet énoncé, appliqué à la production du fer, il a fallu indiquer qu’elles sont les principales opérations requises pour la production du métal ainsi que les moments dont la réalisation est incompressible et qui peuvent, de ce fait, être considérés comme stratégiques dans la conduite de la chaîne opératoire technique22. Dans le cas de la sidérurgie directe, par exemple, on sait que les matières premières nécessaires à la production du fer sont relativement courantes, même si tous les environnements n’en sont pas dotés en qualités et quantités équivalentes. Il s’agit du minerai, du charbon de bois, de l’argile (confection du fourneau et des tuyères), de l’eau et du comburant (oxygène nécessaire à différents segments de la société dans le développement de la sidérurgie, des techniques en général. Ces travaux centrés sur l’Europe et l’Orient nous seront d’une très grande utilité dans l’étude de la sidérurgie africaine. Elles ont été, pour nous, comme un balisage qui a permis de comprendre, très rapidement, l’universalité des procédés physico-chimiques mis en œuvre, partout dans le monde.Si la disponibilité ou la difficulté d’accès à ces matières premières peut, comme nous le verrons, engendrer un stress au niveau de la production, il n’en demeure pas moins que pour la zone et la période considérées dans cette étude, elles ont été de peu d’effets sur la conduite de l’activité sidérurgique. Par contre, des aspects moins matériels qui se situent en amont, notamment au niveau de l’initiation, semblent avoir joué des rôles déterminants tant au niveau de l’acquisition des techniques métallurgiques que de la mobilité qui affecta le statut social des artisans impliqués dans la production du fer sans que leur visibilité archéologique soit évidente . Perçus et analysés comme productions sociales, les progrès techniques ne sont que rarement, sinon jamais, l’aboutissement de cheminements solitaires déconnectés de la marche globale de la société. Au contraire, ils répondent toujours à des préoccupations pratiques et intellectuelles, tant il est vrai que « l’humanité ne se pose que des questions qu’elle peut résoudre »25. C’est toujours le cas quand un procédé technique a atteint ses limites de performances ou quand l’application de nouvelles découvertes rend caduques, parfois à une vitesse vertigineuse, toute une série d’applications. Suivant cette logique on peut situer, sans difficulté, les enjeux stratégiques de la sidérurgie directe au niveau de la maîtrise et du cloisonnement des connaissances techniques nécessaires à la production du fer et ultérieurement aux luttes d’influence pour le contrôle des réseaux de circulation du précieux produit. Ce choix nous paraît d’autant plus pertinent que l’une des innovations techniques les plus significatives dans l’histoire de la sidérurgie, avant les temps modernes, se situe précisément à ce niveau avec l’apparition du haut-fourneau et le développement de la sidérurgie indirecte. À l’inverse, l’absence ou la pénurie de matières premières peuvent être surmontées par la mobilité des artisans ou l’importation du produit en question27. Tout notre travail s’est organisé autour de ce fil directeur qui ne présent  cependant pas que des avantages. Certains aspects, comme les rituels, par exemple, se prêtent difficilement à la visibilité archéologique. Il a fallu par conséquent affiner l’approche documentaire en vue de la prise en compte systématique de toute information extrinsèque de nature à aider à la compréhension des assemblages archéologiques étudiés et des contextes sociaux qui ont pu présider à leur mise en place ce qui pose, naturellement, le problème des sources.

Les traditions orales

        Malgré leur intérêt, elles sont d’une exploitation difficile parce que relativement flexibles. En effet, les gardiens des traditions qu’elles soient aristocratiques, ésotériques ou exotériques sont, non seulement les archivistes de la communauté, mais aussi, des acteurs du présent. Il peut en résulter, et il en a souvent été ainsi, une altération voire une falsification des faits historiques ou leur occultation. Au Fuuta Tooro, par exemple, les griots n’évoquent que très sporadiquement le rôle important joué par les forgerons dans l’histoire de la région, préférant s’investir dans l’évocation, plus lucrative, des généalogies des aristocraties les plus récentes. Nous avons dès lors décidé d’accorder plus d’attention aux informations qu’il était potentiellement possible de recueillir auprès des artisans du fer33 sur leurs généalogies, leurs pratiques artisanales, leur univers mythique, etc. Ce choix a été à l’origine de plusieurs missions d’enquêtes sur les artisans du fer et de contacts très instructifs avec les sociologues. Nous avons ainsi pu recueillir environ dix heures d’entretiens essentiellement centrés sur le travail du fer auprès d’artisans qui sont, malheureusement, de moins en moins nombreux. À côté de ces traditions demeurées orales il y a une autre source, écrite cellelà, qui doit aussi leur être associée. Il s’agit des chroniques réalisées sous l’impulsion des administrateurs coloniaux35 ou encore des travaux plus savants, comme ceux de Cheikh Moussa Kamara, véritable érudit qui a légué à la postérité une œuvre colossale.

Les hypothèses exogènes

          Elles trouvent leurs justifications dans l’ambiance générale du développement de la recherche archéologique en Afrique. Celle-ci était marquée par un fort courant diffusionniste qui laissait peu de place à l’initiative endogène42. Sur la question de la sidérurgie, cette variante du diffusionnisme technologique suppose que le foyer d’invention de la métallurgie est unique, et partant, sa principale préoccupation est la recherche de voies de transmission. L’auteur le plus constant dans cette opinion fut, sans contexte, Mauny (1952) qui a systématisé ses idées dans une publication particulièrement bien documentée intitulée « Essai sur l’Histoire des métaux en Afrique ». L’hypothèse de base de ce chercheur est que la plus ancienne industrie sidérurgique est d’origine caucasienne et qu’elle est l’œuvre des Hittites qui auraient découvert la technique au cours du second millénaire avant JC. C’est par eux qu’elle aurait essaimé à travers la Méditerranée pour prendre pied en Égypte par contact direct. Les lettres Armarna adressées à Ramses II et datant de 1300 BP, faisaient état, en effet, du retard d’une livraison au Pharaon. Malgré ce contact précoce, l’initiation technique proprement dite ne serait réelle, d’après Mauny (1952), que vers le VIIe BP, suite à l’invasion d’Assourbanipal. Pour l’Afrique de l’Ouest, l’auteur excluant toute transmission par le biais de l’Égypte, c’est une initiation indirecte, par Phéniciens interposés qui est retenue. Le contact aurait eu lieu en Afrique du Nord et ce sont les Berbères qui auraient initié l’Afrique de l’Ouest de proche en proche vers le VIIe siècle. Une variante de cette hypothèse, défendue dans les travaux récents, repose sur le postulat selon lequel, la production du fer suppose la maîtrise des hautes températures. Elle établie, de fait une, relation de causalité entre la connaissance de la métallurgie du cuivre et l’existence d’un potentiel technique pouvant conduire à l’invention, autrement plus complexe, de la sidérurgie (Killick 1992). A ces approches est venu se greffer un argument qui s’appuie sur la contestation des mesures fournies par Grébénart (1983, 1985, 1988)44. Mais, plus globalement, on note une tendance à la contestation des dates 14 C dans les zones arides où la carbonisation, possible, des vieux bois aurait pu entraîner un décalage considérable entre l’utilisation du charbon et la mort du végétal qui a servi à sa production. Toutefois, dans leur élaboration, ces hypothèses ne varient pas considérablement. En effet, même si tous les travaux modernes excluent l’idée d’une initiation de l’Afrique de l’Ouest à partir de la vallée du Nil, les hypothèses en faveur de la transmission transsaharienne sont maintenues étant entendu que Méroé s’avère techniquement et chronologiquement inapproprié pour expliquer l’introduction du fer en Afrique.

De la culture pyrotechnique ou pourquoi la pomme de Newton lui est tombée sur la tête ?

      La question de l’invention du fer en Afrique peut, du point de vue strictement technique, se résumer de la manière suivante : les mécanismes oxydo-réducteurs étant régis par des lois strictes et universelles, les métallurgistes africains étaient-ils en possession des pratiques techniques leur permettant de comprendre et de mettre en oeuvre celles-ci? La revue des principes oxydoréducteurs, tels que rappelés par Fluzin (1983) et rapportés au cas africain (Bocoum 1986), indique clairement que c’est la température atteinte dans les installations et la composition du minerai qui sont à l’origine du développement de la métallurgie extractive. De tous les paramètres impliqués dans la réduction des oxydes de fer, le plus important reste la température en ce sens que c’est elle qui déterminera l’état physique du métal et permet, au plan technologique, de différencier le procédé direct du procédé indirect suivant que la température atteinte est inférieure ou supérieure au point de fusion du fer c’est-à-dire 1530°C. Le procédé direct, celui qui est à l’origine de la métallurgie, est une réduction en phase solide qui se produit à des températures voisines de 1200º C à 1400º C et parfois moins. Sous l’effet de la chaleur et du carbone, la gangue accompagnant le minerai se désolidarise pour entrer en fusion (scories) en même temps que se constitue la loupe conglomérat de fer et de scories qui après épuration, par cinglage à chaud, devient un produit utilisable49. Il s’agit en somme d’une réduction en phase solide qui ne nécessite pas la fusion du métal. Partant de ces considérations, la problématique de l’autonomie du foyer sidérurgique africain se focalise sur la possibilité qu’avaient les métallurgistes africains à atteindre les hautes températures nécessaires à la réduction des oxydes de fer. Dans cette perspective, certains auteurs pensent que l’expérience en matière pyrotechnique, acquise avec la pratique de la métallurgie du cuivre, est un point de passage obligé pour accéder à ceux plus complexes du fer. Sur cette question nous avons un faisceau de preuves qui indique que les métallurgistes africains pouvaient atteindre et avaient atteint les hautes températures (Killick 1988, Bocoum 2002). Comment ont-ils pu le faire ? Nous ne le savons pas encore et peut être ne le saurons-nous jamais mais, est-il utile de savoir pourquoi la pomme est tombée sur la tête de Newton, en pleine cogitation ? Notre seule certitude c’est qu’il était sous un pommier, une condition suffisante pour recevoir une pomme sur la tête.

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Table des matières

Introduction
La cohérence chronologique
La cohérence géographique
La cohérence du fond humain
Un particularisme social ancien
Chapitre 1 : Méthodologie
I. Rappel sur la chaîne opératoire du fer
II. L’acquisition de la documentation
II. 1. Les sources écrites
II.2. Les traditions orales
II.3. Les sources archéologiques
Chapitre II : Le fer en Afrique : le dernier du diffusionnisme
I. Vues contradictoires sur les origines de la sidérurgie africaine
I. 1 Les hypothèses exogènes
I. 2 Les hypothèses sur l’origine autochtone de la sidérurgie africaine
II. Signification et portée des données archéologiques récentes
III. De la culture pyrotechnique ou pourquoi la pomme de Newton lui est tombée su la tête ?
IV. Les charbons fossiles et la chronologie du fer en Afrique
V. Les cultures de transition ou la question des ambiances culturelle L’épilogue ?
Chapitre III : Le contexte géographique et les débuts de l’occupation humaine dans la moyenne vallée du fleuve Sénégal  : Le Moyen Sénégal : le cadre géomorphologique et ses implications 
I. 1 le cadre physique
I. 2 La vallée du fleuve Sénégal
I. 2. 1 Le Waalo
I. 2. 2 Le Jeejegol
I. 2. 3 Le Jeeri
II. Rapports entre les changements climatiques et la mise en place du peuplement dans la vallée du fleuve Sénégal au début de l’Age du fer
II. 1 Évolution géomorphologique et climatique au quaternaire récent dans la moyenne vallée du fleuve Sénégal
II.1. 1 Évolution du golfe nouakchottien dans le delta du fleuve Sénégal et ses conséquences
II. 2 La catastrophe écologique du Ferlo et la naissance du creuset Futanke
Chapitre IV : Recherches archéologiques sur l’occupation humaine
I. Considérations méthodologiques générales
II Les sites de la plaine d’inondation
III. Les sites du Jejeegol et du Jeeri
IV Interprétation générale des données et leurs rapports avec l’histoire régionale 
Conclusion
Chapitre V : Recherches métallographiques
V. 1: Le complexe sidérurgique de Juude-Jaabe
I. les scories de fonds de fourneaux
Observations macrographiques
Observations micrographiques
Conclusion sur les scories de fond de fourneaux
2 Les scories de remplissage
Les analyses
3. Caractérisation des scories d’épuration et de forge à Juude-Jaabe
Les scories de forge
Conclusion
V. 2 : Le Traitement des aciers
I. Les lances rituelles
1. Les lances de Siin Ngayeen
2. Les lances de Falia
3. La lance de Rao
Discussion sur les lances rituelles
II. Les objets utilitaires
1. La lance de Cubalel
2. Le couteau de Sincu-Bara
Conclusion générale sur enseignements de la recherche métallographique
Chapitre VI : Fer et société : histoire d’un bouleversement de la pyramide sociale : l’exemple Jaa-Ogo
1. De la maîtrise du fer à la prise du pouvoir par le groupe Jaa-Ogo dans le Moyen Sénégal
2. De la fin de l’État Jaa-Ogo au XVIe s, veille de la Traite atlantique
3 – Statut social des artisans du fer de la mise en place de la traite atlantique à la fin de l’Almamiyat (1526-1880)
Chapitre VII :Du producteur au consommateur : exploration aux les origines d’une dépendance structurelle
1. Le Moyen Sénégal et les régions polarisées jusqu’au XVIe siècle
2. La Sénégambie dans la tourmente de la traite atlantique
3 – décrochage technologique dans le domaine de la sidérurgie extractive et de transformation
4 – La traite atlantique: destruction des grands ensembles et apologie de l’économie de la violence
Conclusion générale
Table des illustrations
Bibliographie

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