Histoire naturelle de la consolidation osseuse
La consolidation d’une fracture est un processus tout à fait original puisque c’est la seule cicatrisation qui aboutit à une reconstitution ad integrum du tissu lésé.
C’est un phénomène naturel qui s’effectue en quatre grandes étapes :
– la phase inflammatoire : c’est la réaction cellulaire initiale
– le cal mou : cette phase expectative est caractérisée par la fragilité et la réversibilité de la production d’un tissu mou de cicatrisation temporaire appelé cal primaire ;
– le cal dur est obtenu par minéralisation du cal : l’union est acquise, l’os reste encore cicatriciel, mais il est solide ;
– la phase de remodelage et de modelage : le remodelage restitue à l’os sa structure originale ; la cal dur est remplacé par un os haversien bien orienté. Le modelage rend à l’os sa forme initiale avec réapparition du canal médullaire.
La phase inflammatoire
Le traumatisme provoque un saignement des extrémités fracturaires et des parties molles environnantes. Le caillot sanguin se forme rapidement et on assiste au sein des tissus périfracturaires à l’initiation d’une réaction inflammatoire aigue classique : exsudation de plasma et de leucocytes et augmentation de lacis capillaires. Des histiocytes et des mastocytes apparaissent dès les premières heures, et le processus de nettoyage des débris commence. L’hématome fracturaire n’a pas un rôle actif dans la consolidation osseuse. Il sert d’échafaudage à la prolifération cellulaire par un réseau de fibrine. La prolifération cellulaire débute à peu près huit heures après l’accident et atteint un maximum vers la vingt-quatrième heure. Elle intéresse aussi bien le périoste que les tissus périphériques. La tuméfaction est expliquée par la dissociation des fibres musculaires ; du fait de la prolifération cellulaire, de l’œdème et l’invasion vasculaire. Les vaisseaux périostés prolifèrent formant ce que Rhinelander appelle la vascularisation rompue par la fracture [32].Les fibroblastes, les lipoblastes, la substance fondamentale forment les matrices osseuses et cartilagineuses. Cette étape est essentiellement terminée en sept jours. Un des points importants à ce stade est la non-participation des extrémités osseuses au phénomène puisqu’elles sont mortes comme le prouvent les lacunes ostéocytaires. Alors qu’on a l’impression que les deux extrémités vont s’unir et former le cal, il est évident qu’il ne joue qu’un rôle passif dans ce qui semble être la formation d’un pont entre les deux zones osseuses vivantes.
La phase de cal mou
Tissu de granulation
Les cellules précurseurs sensibilisées et les facteurs médiateurs locaux induisent la production de nouvelles cellules qui se différencient et s’organisent pour former de nouveaux vaisseaux, des fibroblastes, de la substance fondamentale, des cellules de soutien, et d’autres cellules. Ils forment collectivement un tissu de granulation mou dans l’espace inter fragmentaire. Quand un hématome est présent, les macrophages, les cellules géantes et d’autres cellules migratrices envahissent le tissu de granulation et le nettoient. Cette phase dure en général deux semaines.
Cal primaire
Les ostéoblastes vont élaborer une matrice organique appelée ostéoide. A cette étape, l’arrangement spatial des fibres collagènes contenues dans la substance ostéoide fait habituellement défaut. C’est pourquoi ce tissu est assimilé à de l’os primitif ou wovenbone . Charnley a comparé sa structure à celle du feutre : << les fibres collagènes sont disposées en filets irréguliers où les ostéocytes paraissent disposés au hasard>>. Le processus de minéralisation est également sous le contrôle des ostéoblastes. [10]. Ce tissu est appelé cal primaire par McKibbin. Les signaux émis par les sollicitations de l’os contrôlent la formation du cal.
En fonction de la qualité de la substance ostéoïde et de son degré de minéralisation, le cal peut être visualisé sur la radiographie à partir de la 3e semaine comme un nuage, tel un collier encerclant chaque fragment. Ce cal ou formation d’os neuf immature s’appelle cal d’ancrage. Au fur et à mesure de la formation et de la maturation de ce cal, la réaction cellulaire et l’œdème dans les parties molles diminuent. Les fibres musculaires se resserrent, la tuméfaction s’efface. Progressivement le cal d’ancrage des deux fragments croit en direction du foyer et se rapproche pour ponter éventuellement les fragments. Le cal d’ancrage et le cal en pont sont aussi appelés cal externe ou cal périphérique par opposition au cal médullaire ou endosté qui a débuté concomitamment, mais dont l’importance est moindre chez l’homme.
La phase de cal dur
Comme le cal en pont, ce cal d’union est composé soit d’os, soit de fibrocartilage. La minéralisation, qui a commencé aux extrémités du cal ou en périphérie si le périoste a été simplement décollé, se poursuit pour envahir tout le cal en un véritable front de minéralisation enchondrale, appelé formation osseuse indirecte . Dans les cas où l’os est formé directement, les radiographies montrent une augmentation progressive de la densité dans l’espace inter fragmentaire. Inversement, un élargissement indique la présence de fibrocartilage. A ce moment, l’union osseuse est assez solide et rigide pour que le patient retrouve, avec précaution, une fonction limitée. Chez l’homme la minéralisation débute vers le 30e jour après la fracture, et elle est généralement achevée à la 16e semaine. La formation du cal apparait plus lentement chez les adultes que chez les enfants, et plus lentement en os cortical qu’en os spongieux.
Phase de remodelage et modelage
Remodelage
Une fois l’union des deux fragments terminée, l’os néoformé doit adapter sa structure à sa nouvelle fonction. Dans l’os cortical adulte, les fibres collagènes sont orientées dans l’espace soit en systèmes haversiens ou systèmes circonférentiels internes, soit en lamelles interstitielles ou systèmes circonférentiels externes. Cette structure donne à l’os sa solidité et son anisotropie. La transformation d’os immature en os lamellaire structuré spatialement se produit, principalement, pendant la phase de remodelage dans des conditions de charge fonctionnelle, cyclique qui assurent une orientation correcte dans l’espace des fibres collagènes. Ces processus de remplacement et de réparation osseux sont les mêmes que ceux qui agissent continuellement sur le squelette normal, pérennisant ainsi sa structure et sa fonction. Le remodelage fait intervenir un processus simultané de résorption ostéoclastique et d’apposition ostéoblastique accompagné par les nouveaux vaisseaux.
Modelage
Sa finalité est de rendre à l’os sa forme originelle. Il est contemporain du phénomène de remodelage. Au moment de l’arrêt de la formation du cal, les amas de résorption osseuse et de formation commencent à rendre à l’os la forme qu’il avait avant la fracture. Ce processus de re-sculpture, de recréation s’appelait dans la littérature ancienne le remodelage ; désormais on l’appelle le modelage (par comparaison au modelage de la terre glaise), Le modelage peut être complet chez les jeunes enfants ou presque chez les adolescents, mais jamais chez l’adulte. Ce processus est lent, il prend une ou plusieurs années chez les adultes.
Au cours d’une fracture, les vaisseaux médullaires sont interrompus, le système extramédullaire prend le relais mais de façon quantitativement moins importante. Un dépériostage excessif au cours d’un acte chirurgical compromet la vascularisation osseuse. Les études de Rhinelander [32] ont permis de constater que :
– dans les fractures non déplacées, la vascularisation centromédullaire est conservée. Ce qui formera le cal ;
– dans les fractures déplacées avec interruption des vaisseaux centromédullaires, le système périosté est primordial au début.
Puis si la stabilité est satisfaisante, la circulation intramédullaire se restaure après pénétration du cal et du foyer de fracture. Après une fracture, une vasoconstriction s’établit permettant l’hémostase spontanée. Dès la phase d’organisation du caillot, il apparaît une vasodilatation et une multiplication des capillaires qui envahissent progressivement le tissu néoformé. L’hyper-vascularisation locale favorise la prolifération cellulaire et la formation de l’os. A l’opposé, il est connu que les fractures chez les artéritiques sont plus longues à consolider et qu’un pontage ou une sympathectomie ont parfois permis des consolidations [37]. La teneur en oxygène joue un rôle fondamental dans le processus de calcification. Des expériences, déjà anciennes, sur cultures de cellules mésenchymateuses ont montré qu’en l’absence d’oxygène se produisait une métaplasie cartilagineuse et qu’en présence d’une concentration optimale (35 %) de l’os apparaissait [38]. Il semble donc qu’au début le cartilage, moins exigeant en oxygène, assure déjà une certaine tenue mécanique. La progression vasculaire entraîne une augmentation de la tension d’oxygène qui induit la formation osseuse.
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Table des matières
INTRODUCTION
PREMIERE PARTIE : RAPPELS
I. RAPPEL ANATOMIQUE
1. Ostéologie : Les os de la jambe
1.1. Le tibia
1.2. La fibula
2. La membrane interosseuse
3. Les muscles de la jambe
3.1. Le groupe musculaire antérieur
3.2. Le groupe musculaire latéral
3.3. Le groupe musculaire postérieur
4. Les aponévroses de la jambe
5. La vascularisation extrinsèque de la jambe
6. La vascularisation intrinsèque de la jambe
7. Innervation de la jambe
II. PHYSIOLOGIE DE LA CONSOLIDATION OSSEUSE
2.1. Histoire naturelle de la consolidation osseuse
2.2. Les facteurs influençant la consolidation des fractures
2.2.1. Facteurs circulatoires
2.2.2. Facteurs hormonaux
2.2.3. Facteurs nutritionnels
2.2.4. Facteurs bioélectriques
2.2.5. Facteurs mécaniques
2.2.6. Facteurs circadiens
2.3. Conclusion
III. BIOMECANIQUE DE LA JAMBE
1. Les contraintes subies par la jambe
2. Les mécanismes d’absorption des contraintes
3. La biomécanique du cal
IV. DIAGNOSTIC
1 .Définition
2. Etio-pathogénie
3. Diagnostic clinique
3.2.1 Inspection
3.2.2. Palpation
4. Examen radiologique
5. Evolution
5. 1 Favorable
5.2. Défavorable
V. TRAITEMENT
1. Buts du traitement
2. Principes du traitement
2.1. Traitement orthopédique
2.2. Le traitement chirurgical
DEUXIEME PARTIE
I. MATERIEL ET METHODE
1. MATERIEL D’ETUDE
1.1. Le cadre d’étude
1.2. Type et période d’étude
1.3. Les critères d’inclusion
1.4. Les critères de non inclusion
1.5. Population d’étude
2. METHODOLOGIE
2.1. Réalisation du traitement orthopédique
2.1.1. La réduction
2.1.2. La contention
2.1.2.1 Botte plâtrée
2.1.2.2. Plâtre cruro-pédieux ou fémoro-pédieux
2.2. La surveillance du traitement orthopédique
2.3. L’évaluation finale du traitement orthopédique
RESULTATS
I. ASPECTS ANATOMO-RADIOLOGIQUES
1.1. Le côté atteint
1.2. Le trait de fracture
1.3. Le siège de fracture
1.4. Les lésions associées
1.5. Les complications immédiates
II. LE TRAITEMENT ORTHOPEDIQUE
2.1. La contention orthopédique
2.2. La durée de consolidation
2.3. Le recul des patients
III. EVALUATION DU TRAITEMENT ORTHOPEDIQUE
3.1. Au plan clinique
3.2. Au plan anatomo-radiologique
DISCUSSION
CONCLUSION
REFERENCES
ANNEXES