L’hydrocéphalie Chronique de l’Adulte (HCA) est décrite pour la première fois par Adams et Hakim en 1965. L’étude d’épidémiologie la plus récente de 2019 rapporte une prévalence entre 1,5 et 3,7% de la population. Cette pathologie représenterait 5% des causes de troubles cognitifs majeurs. La physiopathologie reste incertaine, associant probablement une anomalie de la dynamique du LCS, une atteinte vasculaire et possiblement une participation dégénérative. La triade clinique est caractéristique : troubles de la marche (lente, instable, avec aimantation des pieds au sol), troubles urinaires (incontinence par urgenturie) et troubles cognitifs (syndrome dysexécutif et apathie au 1er plan). L’imagerie cérébrale, indispensable au diagnostic, montre un élargissement tétraventriculaire sans obstruction, non corrélé à l’atrophie corticale. Le traitement consiste en une chirurgie de dérivation ventriculaire. Un enjeu majeur dans cette pathologie est la sélection efficiente des patients qui seraient répondeurs à cette prise en charge. Afin d’aider à la décision, la réalisation d’une ponction lombaire déplétive, mimant transitoirement l’action d’une dérivation, est préconisée, mais sans précision quant à un protocole standardisé d’évaluation d’efficacité.
Histoire du concept d’hydrocéphalie chronique de l’adulte (HCA)
Le terme hydrocéphalie (du grec ancien ὕδωρ / húdôr (eau) et κεφαλή / kephalế (tête)) a été décrit pour la première fois par Hippocrate de Cos au IVème siècle avant Jésus Christ. Ce terme désigne l’augmentation du volume de Liquide Cérébro-Spinale (LCS) intracrânien. Une première dichotomie classique est proposée en 1956 entre les hydrocéphalies non communicantes (présence d’un obstacle empêchant la circulation du LCS, comme une tumeur par exemple) et les hydrocéphalies communicantes. Dans une série de 10 cas d’hydrocéphalie communicante post-hémorragie cérébrale, le numéro 6 (un homme de 28 ans ayant présenté une rupture d’anévrisme de l’artère cérébrale antérieure gauche) diffère des autres par une pression intra-ventriculaire normale (1). Il est ainsi suggéré que les symptômes ne seraient donc pas uniquement provoqués par l’élévation de cette pression.
Il faudra attendre 9 ans avant que Adams et Hakim, un neurologue et un neurochirurgien de Boston, proposent le concept d’Hydrocéphalie à Pression Normale (HPN) (2,3). Trois patients, souffrant de symptômes similaires (la fameuse triade clinique portant le nom des auteurs et associant troubles cognitifs, troubles sphinctériens et troubles de la marche et de l’équilibre) présentent une dilatation ventriculaire mis en évidence par pneumoencéphalographie associée à une pression du LCS normale. Une amélioration clinique est rapportée après mise en place d’un shunt ventriculo-atriale. L’HPN apparait alors comme une cause curable de démence, renforçant l’importance d’en faire le diagnostic. L’abondance de la littérature sur le sujet (plus de 4000 articles sur le navigateur de recherche scientifique PubMed avec les mots clés « Normal Pressure Hydrocephalus ») n’a pas encore permis de répondre aux nombreuses problématiques soulevées par l’HCA, en particulier sur le plan du diagnostic et de la décision thérapeutique. La nomenclature même de cette entité a été remise en question avec le terme plus générique d’HCA .
Epidémiologie
Prévalence
La première étude épidémiologique sur l’HCA a été menée en République de Saint-Marin (5). Elle a inclus 386 des 488 habitants âgés de 67, 72, 77, 82 et 87 ans. Ceux qui présentaient un trouble cognitif et/ou de l’équilibre inexpliqué étaient invités à réaliser un bilan neuropsychologique complet ainsi qu’un scanner. Après ces examens, 2 patients ont été diagnostiqués HCA, ce qui faisait donc une prévalence de 0,5% (2/386). La prévalence et l’incidence de l’HCA varient cependant d’une étude à l’autre, en particulier en lien avec des critères diagnostics différents. En extrapolant les données obtenues de 4220 hôpitaux des 14089 présents au Japon, la prévalence de l’HCA était estimée à 12 900 (soit 10,2 / 100 000) habitants en 2012, dont 6700 (42,7%) ont été opérés (6). Cette étude souligne également une différence d’âge avec une proportion plus importante de patients entre 70 et 79 ans par rapport aux plus de 80 ans (51,3 / 100 000 habitants vs 50,7 / 100 000 habitants). Une étude suédoise (incluant 168 patients sur les 1000 habitants de la ville de Jämtland, tirés au sort parmi les 28 900 personnes de 65 ans et plus) rapporte une prévalence en 2019 de 3,7% en utilisant les critères américains contre 1,5% avec les critères japonais (7). Il existe également une différence de prévalence selon l’âge (8,9% chez les plus de 80 ans contre 2,1% avec les critères américains ; 3,8% contre 0,8% avec les critères japonais). Une méta-analyse exhaustive des différents articles d’épidémiologie sur la prévalence et l’incidence est difficile à réaliser en raison de la trop grande hétérogénéité de population et des critères diagnostics utilisés. En extrapolant les résultats des deux études les plus robustes (8,9) aux données de l’ISTAT (Istituto nazionale di statistica – Institut Nationale de la Statistique) (pour l’Italie) et de l’Eurostat (pour l’Europe), Zaccaria et collaborateurs ont pu estimer la prévalence de l’HCA en Italie et en Europe (respectivement 18 500 et 118 000) ainsi que leurs incidences (2000 / an et 17 000 / an) .
Incidence
Il existe peu d’études longitudinales portant sur l’incidence. Le suivi pendant 10 ans de 271 des 350 habitants de Takahata (au Japon) nés en 1930 a permis de calculer une incidence de 1,2 / 100 000 habitants / an (11). L’incidence des patients asymptomatique ayant une ventriculomégalie à l’imagerie (Asymptomatic Ventriculomegaly with features of INPH in MRI – AVIM) était de 1,3 / 100 000 habitants / an. Un patient AVIM diagnostiqué HCA possible à 80 ans, ainsi que deux patients ni AVIM ni HCA sont devenus symptomatiques et ont été traités par shunt ou améliorés par ponction lombaire. Cela suggère une chronologie avec d’abord des anomalies de distribution du LCS avec élargissement des ventricules, visibles à l’imagerie, puis l’apparition de symptômes.
Une autre étude longitudinale sur 10 ans concernait 293 patients adressés pour suspicion d’HCA, dont 187 ont été diagnostiqués, soit une incidence ajustée sur l’âge et le sexe de 3,45 / 100 000 habitants / an (8). Dans une dernière étude longitudinale norvégienne, qui a invité l’ensemble des 220 000 habitants de Vestfold à y participer, l’incidence s’élève à 5,5 / 100 000 habitants / an .
Facteurs de risque
L’HCA représenterait jusqu’à 5% des pathologies cognitives (12). A l’instar d’autres pathologies neurodégénératives comme la maladie d’Alzheimer (MA) ou la maladie de Parkinson, sa prévalence semble augmenter avec l’âge. Dans une étude Norvégienne, elle passe de 3,3 / 100 000 habitants chez les moins de 60 ans à 93,3 / 100 000 chez les plus de 80 ans (9). Dans une autre étude suédoise, elle est de 0,2% chez les 70-79 ans contre 5,9% chez les 80 ans et plus (13). Il existe peu de différence significative de prévalence entre hommes et femmes. Le sex ratio homme / femme varie de 1,28 dans une étude rétrospective portant sur 734 patients opérés d’un shunt (14) à 1,397 dans une étude prospective portant sur 293 patients .
Physiopathologie
La première explication proposée par Adams et Hakim est celle de l’« Hydraulic Press Effect » (3). Selon la loi de Pascal, la force (F) exercée sur la paroi d’un contenant élastique sphérique est le résultat de la multiplication de la pression (P) et de l’aire (A) de ce contenant :
F = P x A
De ce fait, pour une même pression, si l’aire du contenant augmente, la force exercée sur ses parois sera plus importante. Malgré une pression du LCS normale, la taille des ventricules entraine donc une plus grande force de compression sur le parenchyme cérébral, comprimant ainsi les faisceaux de substance blanche péri-ventriculaire, provoquant les symptômes de l’HCA. Les mêmes auteurs ajoutent plus tard que, dans un contenant de taille inhomogène, les parties les plus larges s’expandent plus que les parties les plus fines (2). C’est pour cette raison qu’on observe une dilatation plus importante des ventricules latéraux par rapport au 3ème ou au 4ème ventricule, et plus spécifiquement une dilatation plus importante des cornes frontales des ventricules latéraux, expliquant une partie des symptômes de type « frontaux » (apathie, incontinence, …).
La physiopathologie de ce syndrome reste cependant mal connue avec de nombreuses hypothèses différentes :
• Anomalies de la dynamique du LCS (16). Une anomalie de la systole cardiaque conduirait à une altération de la dynamique du LCS entrainant une anomalie de la fabrication et de la résorption du liquide, ce qui aboutirait à la dilatation des ventricules.
• Hypothèse vasculaire. Hypertension artérielle, diabète, dyslipidémie, obésité abdominale, inactivité physique et facteurs psycho-sociaux sont plus souvent rapportés chez les patients HCA que chez les sujets sains (17), de même que la pathologie cérébro-vasculaire avec des anomalies de la substance blanche (18). La diminution de la compliance des petits vaisseaux, causée par ces facteurs de risque, entrainerait une augmentation de la pression pulsatile du LCS et donc l’élargissement des ventricules (17). Le système veineux pourrait être en outre impliqué dans la genèse de l’hydrocéphalie .
Cependant, le lien de causalité reste débattu. L’atteinte vasculaire favoriserait-elle la dilatation des ventricules ou la dilatation des ventricules serait-elle responsable d’une compression artériolaire et donc d’une atteinte micro-vasculaire ?
• Hypothèse neurodégénérative. Huit des 9 patients diagnostiqués HCA parmi les 761 cas autopsiques de la cohorte avaient des lésions histologiques de maladie d’Alzheimer (20). Du fait du défaut de résorption, l’altération du drainage des déchets protéiques normalement réalisés par le LCS, entrainerait l’accumulation des certaines protéines pathologiques comme le peptide béta-amyloïde.
Un lien entre l’HCA et la maladie d’Alzheimer a été suggéré compte tenu de la prévalence des deux pathologies concomitantes supérieure à la prévalence d’avoir l’une ou l’autre des deux pathologies (21). Dans la maladie d’Alzheimer, la diminution de la production de LCS et de sa clairance augmenterait l’accumulation de peptide béta-amyloïde ainsi que des troubles de la résorption du LCS. Dans l’HCA, l’augmentation de ces troubles de la résorption entrainerait une diminution de la production de LCS et de sa clairance et donc l’accumulation de peptide amyloïde .
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Table des matières
Introduction
I. Histoire du concept d’hydrocéphalie chronique de l’adulte (HCA)
II. Epidémiologie
a. Prévalence
b. Incidence
c. Facteurs de risque
III. Physiopathologie
IV. Triade de Adams et Hakim
a. Troubles de la marche et de l’équilibre
➢ Clinique
➢ Evaluation de la marche
b. Troubles urinaires
➢ Clinique
➢ Evaluation des troubles urinaires
c. Troubles cognitifs
➢ Clinique
➢ Bilan neuropsychologique
d. Echelle d’évaluation globale
V. Paraclinique
a. Imagerie cérébrale
b. Analyse du LCS
VI. Diagnostics
a. Critères diagnostiques
b. CSF Tap Test (CSF-TT)
VII. Prise en charge chirurgicale
VIII. Objectif de la thèse
Méthode
I. Inclusion des patients
II. Evaluation cognitive
III. Evaluation de la marche
IV. Evaluation des symptômes urinaires
V. Evaluation neurologique
VI. Réalisation de la ponction lombaire
VII. Consultation au décours
VIII. Analyse des tests
IX. Analyses statistiques
Résultats
I. Caractéristiques générales
II. Tests cognitifs
a. Pré-PL
b. Post-PL
c. Résultats des tests cognitifs dans la sous-population ayant une plainte cognitive
III. Questionnaires urinaires
a. Pré-PL
b. Post-PL
c. Résultats des questionnaires urinaires dans la sous-population ayant une plainte urinaire
IV. Tests de marche et de dextérité manuelle
a. Pré-PL
b. Post-PL
c. Quels cut-offs pour les tests de marche ?
Discussion
Conclusion et Perspectives