Histoire de la taxidermie
Les prรฉmices de la taxidermie sont parfois vues dรจs lโEgypte antique ร partir de 3000 ans av. J.C avec lโart de la momification et de lโembaumement. Mais la momification se distingue de la taxidermie car elle ne requiert pas la sรฉparation de la peau dโavec les tissus mous et le squelette.
Les vรฉritables origines de cette pratique prennent place au XVIรจme siรจcle avec lโapparition des premiรจres conservations dโanimaux. Celles-ci รฉtaient rรฉalisรฉes pour la recherche mรฉdicale par des anatomistes comme Ambroise Parรฉ (1509-1590) qui raconte dans ses รฉcrits les principes du dรฉpouillage et de la conservation de la peau ร lโaide, entre autres, de sel et dโalun.
Le XVIรจme et XVIIรจme siรจcle sont รฉgalement la pรฉriode dโexpansion des cabinets de curiositรฉ. On y exhibe ses trรฉsors dans une piรจce souvent trรจs encombrรฉe dans laquelle, les visiteurs viennent chercher le beau, le rare ou lโรฉtrange. Les naturalisations y sont en trรจs grand nombre et mรฉlangรฉes aux objets ethnographiques4.Cette pรฉriode correspond aux premiรจres publications sur les mรฉthodes de naturalisation et de mise en peau du physicien Renรฉ Antoine Ferchault de Rรฉaumur (1683-1757), considรฉrรฉ aujourdโhui comme le fondateur de la taxidermie. Il recommande dans ses รฉcrits de dessรฉcher le spรฉcimen soutenu par un fil de fer interne, au moyen de la chaleur dโun four. Le dessรจchement de la peau fixe la position de lโanimal et permet de mieux le conserver.
Le XVIIIรจme siรจcle est marquรฉ par lโattrait du nouveau monde et les voyages exotiques. Cโest lโรฉpoque des voyageurs-naturalistes en Europe occidentale. On ramรจne les spรฉcimens de missions dโexploration sous forme de mises en peaux ยซbourrรฉesยป de paille, (dโoรน lโappellation populaire dโanimal ยซempaillรฉยป), ou conservรฉs dans des tonneaux remplis de sel. Il existe pour cette pรฉriode un grand nombre de mรฉthodes diffรฉrentes de taxidermie. Georges-Louis Leclerc de Buffon (1707-1788) en 1763 prรฉconise par exemple lโutilisation de plantes et de mรฉlange dโaromates comme prรฉservatifs apposรฉs directement sur la peau. Une fois tannรฉe, elle รฉtait posรฉe sur une structure en bois ร la forme de lโanimal.
Ces mรฉthodes sont ร lโรฉpoque source de polรฉmique car elles entrainent des problรจmes de conservation de la peau, et dโinfestation dโinsectes. Ces critiques et les problรจmes de prรฉservation des spรฉcimens poussent les naturalistes ร expรฉrimenter de nouveaux produits qui sโavรจreront par la suite รชtre des poisons.
Statut patrimonial et valeurs culturelles des spรฉcimens naturalisรฉs
Le statut patrimonial des spรฉcimens naturalisรฉs nโest pas clairement dรฉfini, et est souvent trรจs ambiguรซ. En effet, ces biens culturels sont ร la fois un animal, donc une production de la nature, ou naturalia, et une production humaine travaillรฉe comme un objet artistique (matรฉriaux ajoutรฉs, mannequin sculptรฉ, peinture, socle, รฉtiquette, et parfois mise en scรจne). Le rรดle du taxidermiste est ainsi de restituer la nature afin de rendre le spรฉcimen ยซ authentique ยป.
Dans lโinconscient populaire, ce qui est issu de la nature ne justifie pas une patrimonialisation, car ยซlโobjet vrai, cโest lโobjet uniqueยป. Mais si le naturalia est considรฉrรฉ comme un objet ยซmultipleยป en opposition ร lโunicitรฉ de lโartificialia, les valeurs culturelles quโil porte lui donnent toute lรฉgitimitรฉ en tant que patrimoine. Historiquement, on conservait et on utilisait les spรฉcimens pour la dรฉtermination dโune nouvelle espรจce ou pour montrer une ยซ curiositรฉ ยป. Leur mise en forme รฉtait axรฉe sur le rรฉalisme de la morphologie et ils รฉtaient porteurs dโune valeur scientifique et symbolique importante car un spรฉcimen รฉtait le reprรฉsentant de son espรจce.
Au XIXรจme siรจcle, la naturalisation sโest tournรฉe vers une reprรฉsentation plus dynamique et vers la mise en contexte de lโanimal avec lโapparition des dioramas. Les spรฉcimens ont alors pris une valeur esthรฉtique et artistique car porteurs dโune volontรฉ crรฉatrice, mais aussi historique car reprรฉsentatifs dโune mode et dโune รฉpoque. Aujourdโhui, ils sont des supports de recherche sur la faune et lโanatomie, mais รฉgalement sur les techniques de prรฉservation de la peau, et sur lโhistoire de la taxidermie. La valeur historique concerne donc รฉgalement tous les aspects de cette pratique ainsi que lโhistoire des techniques et des sciences. Les recherches se tournent de plus en plus vers le tannage, les prรฉservatifs et les produits toxiques utilisรฉs, mais รฉgalement vers lโidentitรฉ biologique du spรฉcimen. En effet, la matiรจre organique conserve des informations prรฉcieuses notamment lโADN et des structures protรฉiniques qui sont dโune grande valeur scientifique surtout dans le cas des espรจces disparues.
Techniques et รฉtapes de la taxidermie
Prรฉparation de la peau
La taxidermie a pour but de conserver lโanimal ainsi que ses informations biologiques, anatomiques et gรฉnรฉtiques. Pour ce faire, la premiรจre รฉtape de la naturalisation est lโobservation de lโanimal dans son habitat naturel et la documentation du spรฉcimen par la prise de dimensions, de proportions et de dรฉtails anatomiques tels que la couleur des yeux. Cette รฉtape dโobservation est cruciale car cโest par la justesse des dรฉtails et des mouvements de lโanimal observรฉs sur le vif, que le spรฉcimen sera rรฉaliste, et donc ยซvivantยป. Vient ensuite le dรฉpouillage qui consiste ร sรฉparer la peau des tissus mous et des os. Aprรจs avoir pratiquรฉ une incision ventrale sans ouvrir la cavitรฉ abdominale, la peau doit รชtre retirรฉe en une seule partie. De la finesse de cette incision dรฉpendra le rรฉsultat final, le but รฉtant que la couture soit invisible.
Une fois retirรฉe, la peau est prรฉparรฉe pour le tannage. On appelle cette รฉtape lโรฉcharnage. Elle consiste ร amincir la peau en retirant les tissus adipeux et conjonctifs qui constituent lโhypoderme.
La peau est ensuite dรฉgraissรฉe par immersion dans un ou plusieurs bains dโeau chaude et de dรฉtergeant. Le dรฉgraissage de la peau est une รฉtape importante car il assure la longรฉvitรฉ du spรฉcimen en retardant lโapparition dโacides gras, et en diminuant le risque dโinfestation.
Traitement de conservation de la peau
Le traitement chimique pour la conservation de la peau le plus pratiquรฉ aujourdโhui est le tannage. Il permet de stopper la putrรฉfaction grรขce ร plusieurs bains successifs.
Le reverdissage et le picklage sont des bains qui ont pour but de faire gonfler la peau et dโouvrir la structure des fibres de collagรจne afin de faciliter la pรฉnรฉtration des agents tannants.
Lโรฉtape du tannage est la plus importante. Elle permet de stabiliser la peau et de la rendre imputrescible. Il existe plusieurs types de tannages dont voici les plus utilisรฉs :
Le tannage vรฉgรฉtal utilise plantes, รฉcorces, bois, herbes ou รฉpices. Cโest le tannage le plus ancien et le plus traditionnel.
Le tannage ร lโalun ou mรฉgissage nโest pas un tannage en soi car rรฉversible. Il se rรฉalise pendant le picklage et donne une peau peu souple, peu รฉlastique, ร lโaspect cartonnรฉ. Au contact de lโeau, la peau retrouve ses propriรฉtรฉs avant tannage et reprend sa putrรฉfaction. Il a รฉtรฉ surtout utilisรฉ entre la fin du XIXรจme et le dรฉbut du XXรจme siรจcle.
Le tannage au formol est รฉgalement un pseudo-tannage et a pour but de fixer les protรฉines afin dโempรชcher leur dรฉtรฉrioration. La peau sera durcie et nโaura aucune souplesse.
Le tannage synthรฉtique ร base de naphtaline, dโurรฉe, de phรฉnol ou dโhydrocarbures. Il pรฉnรจtre trรจs bien la peau et donne une peau souple.
Le tannage au chrome est aujourdโhui le plus pratiquรฉ par les tanneurs professionnels.
Montage du spรฉcimen
Il existe plusieurs types de montage : les montages simples comme la Mise en peau et le Saint Esprit, et le montage complexe ou traditionnel. Pour le montage traditionnel, la peau tannรฉe est mise en forme autour dโune structure qui recrรฉe le volume des tissus mous retirรฉs pour la conservation du spรฉcimen.
Au XVIIรจme siรจcle le volume รฉtait rรฉalisรฉ par remplissage (ou bourrage) de la peau avec des matiรจres souples, ce qui donnait souvent un mannequin difforme et loin du rรฉel.
Et jusquโร la fin du XVIIIรจme siรจcle, le mannequin รฉtait fait dโun assemblage des os longs de lโanimal en connexion anatomique, du crรขne et dโun matรฉriau de rembourrage.
La technique รฉvolue au XIXรจme siรจcle grรขce ร Jules Terrier, taxidermiste du Musรฉum de Paris qui conรงoit le mannequin comme une sculpture rigide et remplace les os par une armature en bois et en fer pour recrรฉer le profil de lโanimal et les pattes. Ceci permet dโavoir un spรฉcimen qui se conserve mieux et qui est plus lรฉger. Les volumes sont rendus par des superpositions de fibres vรฉgรฉtales et le dรฉtail des muscles, par des moulages de plรขtre directement faits sur lโรฉcorchรฉ. Cette mรฉthode fonctionne par ajout de matiรจre jusquโร lโobtention dโun volume satisfaisant et est toujours pratiquรฉe par certains taxidermistes.
Aujourdโhui, le montage est le plus souvent fait avec des matรฉriaux synthรฉtiques, donnant un mannequin au volume plein et rigide. Il est alors faรงonnรฉ par retrait de matiรจre comme le fait un sculpteur sur de la pierre.Pour les finitions, la peau est posรฉe et collรฉe sur le mannequin puis fermรฉe par une couture camouflรฉe par les phanรจres.
La forme et les dรฉtails anatomiques sont maintenus par des รฉpingles et des ficelles jusquโau sรฉchage complet du spรฉcimen. Les volumes des lรจvres et du contour des yeux sont recrรฉรฉs ร lโaide dโun matรฉriau modelable, et les yeux en verre, en รฉmail ou en rรฉsine sont ensuite placรฉs sur lโensemble afin de lui donner ยซvieยป.
Etude historique des matรฉriaux de rembourrage
Aprรจs retrait des tissus mous, il faut rendre un volume et une structure au spรฉcimen ยซen remplissant la peau de quelques matiรจres molles, soit de paille, soit de foin, soit de bourre, soit de filasse ou mรชme en lโรฉtendant sur un moule solide qui a la figure du corps โ Rรฉaumur, 1747ยป.
De la qualitรฉ de ces matรฉriaux dรฉpend la bonne conservation du spรฉcimen. Les prรฉparateurs de toute รฉpoque ont toujours รฉtรฉ ร la recherche dโune matiรจre recrรฉant avec finesse les volumes du corps de lโanimal, et nโapportant pas une nouvelle source de dรฉgradation au spรฉcimen.
Ces matรฉriaux de rembourrage doivent รชtre soit modelables, soit dรฉformables, sans structure rigide propre, pour leur donner la forme voulue, et sont choisis par les praticiens en fonction du type de montage, de la taille du spรฉcimen et de leurs prรฉfรฉrences personnelles.
La plupart du temps, les matรฉriaux sont mรฉlangรฉs afin de combiner leurs caractรฉristiques puis fixรฉs autour dโune รขme rigide (os, fer, bois), ce qui aboutit souvent ร un mannequin complexe et composite.La grande variรฉtรฉ des matรฉriaux de remplissage utilisรฉs, et le manque de documentation de la part des praticiens font quโil est presque impossible dโen dresser une liste exhaustive.
Nous allons donc passer en revue les rembourrages qui figurent dans la littรฉrature. Cette รฉtude historique sโappuie sur plusieurs sources bibliographiques dont une recherche amรฉricaine menรฉe par Williams et Hawks en 1987 qui ont recensรฉ 36 familles de matรฉriaux de rembourrages diffรฉrents utilisรฉs par des praticiens anglo-saxons sur une pรฉriode allant du XVIIรจme au XXรจme siรจcle. Nous nous aiderons รฉgalement de la thรจse dโAmandine Pรฉquignot sur lโรฉvolution des techniques de la taxidermie rรฉalisรฉe en 200240, ainsi que des Manuels de taxidermie de diffรฉrentes รฉpoques et des tรฉmoignages de taxidermistes ou de spรฉcialistes du domaine de lโhistoire naturelle.
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Table des matiรจres
Introduction
1. Prรฉsentation de la taxidermie et des matรฉriaux de rembourrages
1.1. Histoire de la taxidermie
1.2. Statut patrimonial et valeurs culturelles des spรฉcimens naturalisรฉs
1.3. Techniques et รฉtapes de la taxidermie
1.3.1. Prรฉparation de la peau
1.3.2. Traitement de conservation de la peau
1.3.3. Montage du spรฉcimen
1.4. Etude historique des matรฉriaux de rembourrage
1.4.1. Les matรฉriaux dโorigine vรฉgรฉtale
1.4.2. Les matรฉriaux dโorigine animale
1.4.3. Les matรฉriaux dโorigine minรฉrale
1.4.4. Les matรฉriaux dโorigine synthรฉtique
2. Lโinstitution musรฉale et ses collectionsย
2.1. Le Musรฉe dโhistoire naturelle de Neuchรขtel
2.2. Les collections du musรฉe
2.3. Prรฉsentation du corpus รฉtudiรฉ
2.3.1. Critรจres de choix des spรฉcimens
2.3.2. Documentation des spรฉcimens naturalisรฉs et รฉtude de leurs dรฉgradations
3. Mรฉthode dโidentification des matรฉriaux de rembourrage
3.1. Rรฉalisation de lโรฉchantillonnage
3.1.1. Note sur la toxicitรฉ des spรฉcimens
3.2. Observations macroscopiques des รฉchantillons et classification des matรฉriaux
3.3. Identification des รฉchantillons
3.3.1. Observations microscopiques
3.3.2. Micro-tests physico-chimiques
3.3.3. Autre mรฉthode : spรฉcialistes
3.3.4. Chemins dรฉcisionnels pour lโidentification des matรฉriaux
4. Prรฉsentation des rรฉsultats de lโidentification des matรฉriaux de rembourrage
4.1. Fibres textiles
4.2. Tiges / chaume
4.3. Dรฉrivรฉs du bois
4.4. Vรฉgรฉtaux en vrac
4.5. Dรฉrivรฉs du papier
5. Mise en relation du type de rembourrage avec le spรฉcimen et ses dรฉgradations
5.1. Les rembourrages sans effets nuisibles observables
5.2. Les rembourrages physiquement instables
5.3. Les rembourrages incompatibles avec les peaux non tannรฉes
5.3.1. Les rembourrages ร base de tige/chaume
5.3.2. Les rembourrages ร base de fibres
5.4. Introduction ร la problรฉmatique du remplacement dโun rembourrage
Synthรจse et discussion des rรฉsultats
Conclusion
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