La sous-traitance électronique
Avant d’aborder les problèmes rencontrés par les soustraitants et leurs solutions éventuelles, nous indiquerons le rôle joué par les différents acteurs dans ce domaine. Rappelons tout de même qu’en 1979 la sous-traitance électronique occupait approximati vement 18 000 personnes, réparties dans environ300 entreprises, dont le chiffre d’affaires total était proche de 1,2 Milliardde francs.
Mise à part l’Administration, sur laquelle nous nous étendrons longuement dans la 3ème partie, nous commencerons par les acteurs institutionnels, à savoir : les organismes professionnels et les syndicats. Puis nous envisagerons successivement la position des grands groupes et celle des PME sous-traitantes.
Acteursinstitutionnels
Les syndicats et les fédérations professionnels, comme le SITTT (a), la FIEE (b), le SPER (c), le SFIB (d), sont pour la plupart des représentants des entreprises qui pèsent le plus dans la branche dont ils s’occupent et jouent un rôle dans les négociations entre le gouvernement et les grands groupes. Ils n’ont donc pas d’in térêt particulier â s’intéresser aux petites entreprises et à la sous-traitance en tant que telle. A certains égards, on peut dire qu’ilsne connaissent pas dans le détail les problèmes qui se posent aux petites entreprises sous-traitantes, ni le tissu industriel qu’elles composent, ni ses difficultésde survie. Signalons toutefois le CENAST (e), proche des syndicats professionnels, maisqui concerne beaucoup plus d’autres industries que l’industrie électronique.
Le premier point à noterà leur propos, c’est la difficulté qu’ils ont à s’implanter dans les petites entreprises. Cela a comme conséquence leur moins bonne connaissance des PME, et de leurs pro blèmes, que des gros groupes. Les syndicats sont au courant de l’existence de certaines PME seulement quand celles-ci se portent mal,et lancent un appel à l’aide. Ou bien, autre éventualité, quand un employé d’une petite entreprise vient trouver le syndicat pour connaître ses droits et savoir si les conventions collectives, le salaire minimal, … sont réellement respectées dans son entreprise (ce qui a lieu pour les sociétés de type Cl). Une exception toute fois : les SSCI, sociétés de service et de conseil en informatique, dont nous parlons en annexe. Mais il faut également reconnaître que les syndicats se plaignent, à juste titre parfois, d’un manque d’information de la part de la direction des grands groupes, et qu’ils revendiquent par exemple l’accès à une meilleure connaissance de la sous-traitance pratiquée par ces grands groupes, revendication satisfaite actuellement dans une seule grande entreprise. Pour l’instant, les syndicats sont donc réellement dans le brouillard en ce qui concerne le réseau de la sous-traitance. Et ceci conduit souvent à ce que les représentants syndicaux d’une grande entreprise, en cette période de vaches maigres dans le domaine des télécommunications notamment, oeuvrent, avec la direction, dans le sens du rapatriement de la charge. Les syndicalistes voient d’un mauvais oeil ces petites sociétés où les salariés sont mal payés, et où ils sont mal implantés. Ils ont d’ailleurs mené une offensive contre les entreprises de type Cl, en assimilant ces dernières à des sociétés d’intérim. En conclusion, on peut retenir une certaine méconnaissance et une certaine hostilité des syndicats vis â vis de la sous-traitance, en partie due au manque d’information qu’ils subissent.
Acteursdirects : Grandsgroupes etPME
Nous commencerons par décrire la politique des grands grou pes vis à vis de la sous-traitance, avant de passer aux PME soustraitantes.
Grands groupes
Ils ont des attitudes diverses vis â vis de la soustraitance.
Un groupe comme Thomson par exemple a nettement tendance â l’intégration, surtout dans le domaine des télécommunications. Quand le choix est à faire entre une solution de production en intégré, et une en sous-traitance, la solution en intégré est souvent préférée, et ceci pas toujours ou pas seulement pour des raisons comptables.
A l’inverse, un groupe comme la CGCT, qui a bien anticipé l’évolution du marché des télécommunications depuis le début des années 70, s’est misà sous-traiterà cette époque. Celane s’est pas réalisé sans heurt, un gros problème de mentalités’est posé, maisla conception a fini par s’imposer : la fonction sous-traitance a été considérée comme une unité de production autonome, le service soustraitance du sein de la CGCT étant organisé en 3 sections : 1 section
Achats, 1 section Contrôle de Production, et 1 section Technique.
Partide zéro à la fin de 1969, ce service, qui comptait 45 personnes en 1973, géraità cette date, le travail d’environ 1 200 personnes â l’extérieur. L’évolution s’est effectuée en douceur, en commençant par la sous-traitance de pièces détachées très simples, en passant à des pièces plus compliquées, puis à du câblage, et enfinâ des tests.
Cette activité de sous-traitance, de capacité surtout, présentait pour CGCT trois avantages :
– un coût inférieur de production
– éviterdes investissements non prioritaires
– la possibilitéde rapatriement.
Ce troisième argument n’a joué qu’à partir de 1977, quand CGCT a diminué ses activités de sous-traitance, en avance d’à peu près 13 moissur LMT (qui avait commencé â sous-traiter à peu près à la même époque que CGCT), elle-même en avance sur CIT et sur A0IP.
Fin 1978, la sous-traitance de CGCT était réduite à son minimum. Et le rapatriement, parce que bien prévu, s’était passé sans trop de douleurs chez les sous-traitants, prévenus suffisamment à l’avance, ce qui n’a pas été le cas avec d’autres groupes, comme l’AOIP, qui s’y sont pris très tard. CGCT a été également parmi les premiers à renverser la tendance, c’est-à-direâ rechercher de la sous-traitance pour le compte d’autrui. A des prix qui la faisaient accuser par les PME de concurrence déloyale = 33 F/heure, contre 42 F/heure en moyen ne pour les PME sous-traitantes à cette date (MIDEST 1979)(f).
Encore plus extrêmes vis à vis de la sous-traitance sont ESD (Electronique SergeDassault)etIBM. Le coeur-de ces groupes, le noyau dur, c’est en effet l’engineering, la partie conception, et les tests dans une moindremesure. En dehors de cela, ces groupes soustraitent beaucoup. ESD sous traite même des prototypes, mais n’acquiert jamais de participation financière dans les PME sous traitantes, et se borne à leur prêter du matériel.Telle est la soustraitance bien comprise pour un grand groupe : chaque fois qu’un investissement risque d’empêcher ou de retarder la réalisation d’autres objectifs fondamentaux et réellement spécifiques de ses activités, ou se révèle disproportionné avec l’utilisation qu’elle peut en faire, l’entreprise à intérêt à sous-traiter. Ellepeut alors concentrer, ses moyens sur ce qui constitue sa vocation propre, en matièred’innovation technique ou de commercialisation notamment. Une des règles à respecter étant que la part dans le chiffre d’affaires total de la PME sous-traitante des travaux réalisés pour l’un quel conque de ses donneurs d’ordre ne dépasse pas 20 à 25 %, sauf bien sûr au démarrage de cette PME, au moment duquel ce critère doit être utilisé avec moinsde rigidité.
Les aides à la création d’ emplois
Quoi de plus normal, dans une période de fort chômage, que d’aider les entreprises qui le peuvent à créer des emplois. Maisque signifie en fait cette expression « créer des emplois ». Il nous est apparu que ce vocable exigeait un référentiel de base ; celui qui a été choisi est l’entreprise. L’anecdote suivante interroge sur le bien-fondé de ce choix.
Dans la région Languedoc-Roussillon, un grand constructeur de matériel informatique embauche un certain nombre de personnes, bénéficiant ainsi des aides gouvernementales à la création d’emplois.
Or,aussitôt ces personnes embauchées, on diminue fortement l’appel à la sous-traitance, provoquant dans ces petites entreprises des licen ciements en nombre supérieur aux embauches du donneur d’ordres. Y a-t-ilvraiment eu création d’emplois ? Y a-t-il bonne utilisationdes fonds publics ? La réponse est évidemment non. Mais changer le référentiel de base qu’est l’entreprise et le transformer en des notions telles que le bassin d’emploi n’est pas une solution idéale car qu’est-ce que le bassin d’emploi ? Par contre, il serait plus facilement réalisable de voir ce que vont faire ces nouveaux embauchés et quelles modificationsdans les rapports avec les fournisseurs vont avoir lieu. On pourrait ainsi définir un référentiel constitué de l’entreprise, de ses fournis seurs, et de ses sous-traitants, qui permettrait de juger de la vali ditédes créations d’emplois.
Le Cahier des clauses comptables
Cet outil administratif sert, lors des marchés de gré à gré, à déterminer les prix des fournitures et des matériels à partir de données comptables fournies lors d’enquêtes dans les entreprises fournisseurs de l’Etat. C’est donc une méthode de détermination de prixbasée sur une comptabilité analytique.
On pense à priori que cette méthode sera neutre vis-â-vis de la sous-traitance. Or une affaire récente dans le domaine des fibres optiques a montré les effets pervers de cette méthode basée sur des coefficients comptables.
Le problème était le suivant : le cahier des clauses comp tables définit, entre autres, les coefficients d’approvisionnement et de frais généraux de la manièresuivante :
– le coefficient d’approvisionnement est égal à 1 plus le rapport des frais d’approvisionnement sur les approvisionnements. le coefficient de frais généraux est égal à 1 plus le rapport des frais généraux sur l’ensemble approvisionnements, main d’oeuvre et frais d’approvisionnement.
Le prixd’un produit sous-traité est donc multiplié par le coefficient d’approvisionnement puis par le coefficient des frais généraux, alors que le même produit, s’il est produit par l’entreprise : au même coût que par le sous-traitant, ne verra son prix que multiplié par le coefficient de frais généraux et sera donc moins cher que dans le cas de la sous-traitance.
Certaines personnes ont trouvé cela choquant et ont demandé à un groupe de travail de l’Administration de déterminer une nouvelle assiette pour le calcul du coefficient de frais généraux. Ce groupe a proposé de prendre comme assiette la moyenne du coût global de production et de la valeur ajoutée.
Nous ne voulons pas nous prononcer sur ce choix, maisnous ferons simplement les remarques suivantes : à partirdu moment où on choisità priori un fournisseur, la notion de juste prix a—t-elle un sens ? En effet seule une approche comptable pourra résoudre ce problème, et comment ce genre d’approche ne serait-il pas arbitraire comme le sont les règles de la comptabilité analytique.
D’autrepart, pourquoi un intermédiaire tel que le donneur d’ordres ne pourrait-il pas prendre un bénéfice sur son intermêdiation, comme le font tous les commerçants ?
Il nous semble en tout cas difficiled’être neutre vis-àvis de la sous-traitance en appliquant un cahier des clauses comptables pour lequel approvisionnements et sous-traitance sont identi ques.
Conclusion
Ces quelques exemples montrentqu’ilest difficilede favoriser la sous-traitance par des règlements d’Administration. D’abord parce que des règlements tels que la circulaire du 7 octobre 1976 sont rarement appliqués parce que détournés par les donneurs d’ordre et qu’ensuite des règlements d’Administration centrale ne peuvent que difficilement s’appliquer à une relation inter-entreprises qui se vit souvent plutôt entre deux hommes qu’entre deux organisations. Si l’Etat veut favoriser la sous-traitance, il doit plutôt agir à travers des autres visages que nous allons maintenantdécouvrir.
L’Etatclient
Si l’Administration se veut règlementaire, elle est aussi par l’intermédiaire des marchéspublics un client important.
Un point précis nous a étonné dans le cadre de notre étu de : la méconnaissance qu’a l’Administration cliente du processus industriel pour lequel le fournisseur va répondre aux besoins de l’Administration. Intégration ou sous-traitance ? Les fonctionnaires concernés ne savent pas répondre. Pourtant cette connaissance peut influer sur la qualité de la prestation. Un sous-traitant fragile peut retarder dangereusement la livraison d’un matériel,s’ilvient à déposer son bilan. De même, une intégration totale qui oblige à créer un nouvel atelier de production peut poser des problèmes tout aussi importants de miseau point du processus.
Il n’y a donc pas de procédé industriel valable dans tous les cas de fournitures. Il apparait seulement que le client, surtout s’ils’agit de l’Etat, devrait pouvoir connaître le mode de production par lequel la commande va être réalisée. Nous avons rencontré une personne de l’Administration, qui lors de la passation de marchés pour de nouveaux produits demande à connaître l’origine de toute partie du matérielcommandé. Cela lui permet alors de juger si le système de production proposé est le plus efficace. Une généralisationde ce procédé ne semble pas d’une diffi culté insurmontable. Il nécessite seulement de la part de l’Adminis tration cliente une meilleureconnaissance de l’appareil et du tissu industriel des fournisseurs.
Il faut toutefois éviterque l’Administration client oblige tel fournisseur à travailler avec tel sous-traitant sous prétexte que celui-ci est en difficultépar manque de travail, car alors la qualité des matérielsfournis à l’Etat pourrait s’en ressentir.
On pourrait objecter que cette attitude n’est pas compati ble avec la sauvegarde du tissu industriel qui est une des responsa bilités de l’Etat, mais, et c’est là la difficulté de la puissance publique, il faut alors faire des arbitrages politiques qui ne sont pas du ressort de l’Administration.
Le principal objectif de l’Etat client est d’acheter des matériels performants produits dans des conditions économiques et industrielles acceptables. Malheureusement cet objectif sera souvent détourné par des considérations de politique industrielle et d’aména gement du territoire dont l’exemple du « Téléphone en Bretagne » montre qu’elles ne sont pas toujours parfaitement judicieuses. C’est en définitive au passeur de marché qu’appartient la tâche délicate de gérer ces contradictions.
L’Etatdonneur d’ordres
En plus des deux usagers classiques de la Puissance Publi que, il en existe depuis le début de l’année dans le domaine électro nique un autre, celui de donneur d’ordres à travers les nouvelles entreprises nationales.
Ces entreprises vont donc avoir un rôle déterminant dans l’avenir de la sous-traitance électronique car elles détiennent la plus grande possibilitéde faire travailler ces entreprises.
On ne peut malheureusement qu’être inquiet sur ce point ; car, vu la position des syndicats ouvriers, et la place qu’ils sont appelés à avoir dans les entreprises publiques, on peut se demander si ceux-ci n’exigeront pas le rapatriement de toute la soustraitance, même si l’entreprise n’a pas l’expérience du produit, avant tout licenciement interne à l’entreprise.
Il ne faudrait pas oublierque ces entreprises sont dans un secteur concurrentiel où, quoiqu’on en dise, compétitivité signifie quelque chose, et que ce genre de mesures serait plutôt néfaste à labonne sécurité de ces entreprises.
En fait, les entreprises nationales se trouvent, face à la sous-traitance, devant le même choix que les entreprises privées : faire ou faire faire. La réponse à cette question doit être trouvée, en fonction de paramètres peu différents de ceux du secteur privé en n’oubliant pas qu’un chômeur d’entreprise sous-traitante compte autant dans les statistiques de l’INSEE qu’un chômeur d’entreprise nationale.
Il existe tout de même un point sur lequel ces entreprises pourraient faire quelque chose : celui de la baisse prévisible du travail à sous-traiter. Plutôtque d’arrêter toute commande du jour au lendemain, elles pourraient essayer de négocier avec les sous traitants une baisse plus lente des travaux, permettant ainsi au sous-traitant de rechercher, si c’est possible, d’autres donneurs
d’ordre, et aussi d’éviter une mort de la petite entreprise.
Synthèse
A la suite de cette description des divers visages de l’Etat face à la sous-traitance, il apparait que ceux-ci aboutissent à des positions peu conciliables.
En fait, il ne faut pas vouloir unifier ces positions. Car l’Etat, devenu aujourd’hui très imposant en France comme dans d’au tres pays, pourrait quelquefois bloquer toute initiative locale et détruire tous les degrés de liberté du système. Heureusement les contradictions internes de ce monstred’organisation permettent à la collectivitééconomique de garder quelque possibilitéd’initiativeetde liberté.
L’Etat règleraenteur doit toujours s’assurer que ses règle ments ne sont pas des entraves â la sous-traitance, l’Etat client doit s’assurer que celle-ci, si elle existe, ne sera pas préjudicia ble à la bonne réalisation du marché. Et, enfin, les entreprises nationales doivent juger sereinement la sous-traitance sans trop écouter leurs syndicats qui ne veulent pas que du bien à cette forme d’industrie.
Toutefois, on peut se demander si toute action de l’Etat, qu’elle soit bénéfique ou maléfiquepour la sous-traitance, ne cause ra pas des dégâts, chez les sous-traitants ; de même que l’hippopo tame en voulant éviter une fourmi, écrasera toutes celles qu’il n’avait pas vu en déplaçant son pied.
CONCLUSION
La sous-traitance peut être un atoutdans 1*économie
Nous avons vu qu’une sous-traitance bien comprise présente quantité d’avantages, parmi lesquels :
– la rapidité d’exécution
– à un coût inférieur
– sans avoir besoin d’investir.
ElectroniqueSergeDassaultnous en offre un des meilleurs exemples, et on peut à ce sujet penser à la possibilité d’une écono miesociale sous forme de coopératives sous-traitantes.
Encore faut-il que les sous-traitants fassent un effort…
Qu’ilsne se cantonnent pas dans le rôle de sociétés d’in térim. Qu’ilsacquièrent une compétence plus spécialisée et dépassent ainsi le stade de la sous-traitance de capacité.
et surtout, qu’on leur en donne les moyens,et qu’on reconnaisse leur statut
Ceci suppose d’une part des moyens de financement adéquats permettant certains efforts d’investissement, et d’autre part des conditions, de paiement et autres, qui ne soient pas simplement le reflet d’un rapport de forces déséquilibré, maisqui soient la preuve de la volonté de maintenir une certaine sous-traitance.
La responsabilité en incombe à l’Etat sous ses diverses formes
La plupart des sous-traitants des fournisseurs de la DGT qui ont réussi à survivre se sont reconverti dans les secteurs à fort développement que sont l’électronique professionnelle et l’informati que. A l’heure actuelle les grands groupes de ce secteur sont tous nationalisés.
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Table des matières
INTRODUCTION
I —La sous-traitance des fournisseurs de la D.G.T
1.1 Descriptionsectorielle
1.2 Histoire de la sous-traitance électronique des fournisseurs de la D.G.T
II – La sous-traitance électronique
11.1 Acteurs institutionnels
11.2 Acteurs directs
III – La position de lfEtat
111.1 L’Etat
111.2 L’Etat
111.3 L’Etat
réglementeur client donneur d’ordres
CONCLUSION
ANNEXE