Histoire de la relation ville et agriculture
L’agriculture est nécessaire à l’homme. Elle lui fournit des végétaux et des animaux lui permettant de se nourrir mais également des matières premières pour d’autres usages comme le textile ou l’énergie. La production agricole peut facilement être associée à l’idée de campagne, de rural, à une image de milieu naturel et de terrain peu ou non urbanisé. En revanche, la relier à l’idée de ville est moins commun. L’unique terme agriculture est facilement employé pour désigner l’agriculture rurale tandis que l’agriculture dans la ville nécessite plus souvent le double terme agriculture urbaine.
La dépendance l’agriculture et la ville tient de l’évidence car la ville « ne produit pas elle-même les moyens de sa subsistance alimentaire » (Ascher 2001). La littérature contemporaine parle d’ailleurs de « naked cities » (Steel, 2009) ou « hungry cities » (Zukin, 2009). Pourtant la production agricole au sein ou en périphérie des villes est un phénomène aussi vieux que les villes elles-mêmes. Historiquement les premières villes se sont généralement développées sur des territoires à proximité des fleuves non seulement pour des raisons commerciales et pour l’approvisionnement en eau mais aussi pour la présence de terres fertiles capables de nourrir la ville. Paris, par exemple, était ainsi entouré jusqu’au XXème siècle (Poulot, 2015) d’une ceinture de culture de produits frais. En plus d’apporter les besoins alimentaires nécessaires aux citadins, cette agriculture jouissait d’un marché de consommation permettant aux exploitants d’écouler leurs produits quand les moyens de transports restaient limités et peu rapides. Cette ceinture maraîchère connaît dès son origine des déplacements fréquents en raison de l’extension urbaine, abandonnant à Paris ses territoires primitifs, les fameux marais, pour partir s’installer sur d’autres terres. L’anneau de culture entourant la ville est alors progressivement repoussé toujours plus loin, suivant les frontières d’une urbanisation croissante. « L’ancienne zone maraîchère s’élargit progressivement vers l’extérieur au cours du XVIIè siècle. […] et à la fin du XIXè siècle, c’est […] à 10 km du centre de la ville, que se groupent, avec les laitiers nourrisseurs, presque tous les jardins maraîchers et une bonne partie des établissements d’horticulteurs.» (Philipponneau, 1956).
C’est avec les révolutions industrielles et l’avènement des transports que les relations entre la ville et l’agriculture commencent à évoluer. La modernisation des filières d’approvisionnement réduisent les temps de parcours et amènent à repenser la structure agri-urbaine. Des études des années 90 évoquent des agricultures autour des villes en voie de disparition et un découplage croissant entre bassin de production et bassin de consommation (Brunet et Charvet, 1994). Aujourd’hui, l’agriculture urbaine doit faire face à de nouveaux défis. L’urbanisation galopante et les contraintes foncières menacent son développement spatial et la densité croissante des populations urbaines questionne sa place au sein des villes.
Repenser le système d’agriculture en France
Le système d’agriculture en France semble présenter des défauts. Plusieurs études, notamment démographiques et environnementales, montrent que l’agriculture actuelle ne serait pas adaptée aux défis de demain.
• Un défi démographique : La population mondiale devrait augmenter de 7 à 9,2 milliards d’ici 2015 (FAO, 2012) dont 70 à 80% est fortement susceptible de vivre dans des centres urbains (Moreno L. Eduardo, 2008). Cette croissance à l’échelle mondiale implique aussi une augmentation de la production alimentaire. Bien que cette croissance se montre plus importante dans les pays en développement, la France reste concernée. Son système d’agriculture se doit d’évoluer pour s’adapter. Cette augmentation entraîne aussi une multiplication par quatre des déchets et effluents qu’il sera nécessaire de gérer (Smith O-B., Mougeot L-J-A., Moustier P., Fall A., 2004). Cette problématique prend d’autant plus d’importance lorsqu’on souligne le fait que l’accroissement prévu de la population dans les villes suppose une diminution de la surface des terres agricoles.
• Un défi environnemental : L’état écologique de la planète se dégrade (Capillon A., 2006), ses ressources naturelles diminuent. Le secteur de l’agriculture, en lien immédiat avec l’alimentation des Hommes et l’entretien des ressources, des terroirs et des paysages, est directement concernée. « Le modèle agricole développé après guerre en France rencontre un certain nombre de limites, notamment dans ses atteintes à la biodiversité et à l’environnement, mais également en terme de plafonnement des rendements agricoles ou encore d’émergence de phénomènes de résistance aux pesticides chez certains ravageurs » (Guyomard H., 2013). L’agriculture doit évoluer vers un plus grand respect de l’environnement tout en restant économiquement viable. Forte consommatrice de produits phytosanitaires, l’agriculture française participe de manière significative (bien que difficilement quantifiable) à la pollution des eaux, de l’air et du sol (INRA-CEMAGREF, 2011). Pour exemple, une contamination significative peut être générée par des pertes très faibles en pesticides : une fuite de moins de 1/1000ème de la masse d’herbicide répandue sur une parcelle peut suffire à contaminer l’eau qui s’en écoule au dessus du seuil de potabilité. On peut également trouver des résidus de pesticides dans les eaux de pluie. Aussi, aujourd’hui, l’agriculture en France est gourmande en ressources (Schneider L., 2015). D’ici 2050, les ressources mondiales en eau potable devraient passer de 6 800 à 4 800 m3/ personne/an (Parmentier B., 2007), ce qui amène à nous questionner sur une diminution de notre consommation. Là encore, l’agriculture est directement concernée, grande consommatrice d’eau, il est normal de remettre en question cette consommation et de réfléchir à des solutions pour la diminuer. L’eau n’est pas l’unique ressource à économiser et concernée par l’agriculture industrielle, on peut aussi parler de pétrole, de substrat ou encore de foncier (Parmentier B., 2007).
• En plus de ces défis démographiques et environnementaux, l’agriculture a un impact fort sur la santé humaine et, « Les crises, économiques, environnementales et sanitaires ne font qu’accentuer les craintes vis-à-vis de la sécurité alimentaire des urbains. » (Daniel A-C., 2013). L’exigence des consommateurs et acheteurs de produits consommables se voit progressivement accrue quant à la qualité des aliments ainsi que l’impact de leur production sur l’environnement.
Il apparaît que l’agriculture en France manque de durabilité. L’objectif serait de concevoir des systèmes alimentaires plus sains, durables et performants.
Quelle place pour l’agriculture urbaine dans tout ça ? Elle a la faculté de pouvoir s’insérer dans les villes « métropoles » d’aujourd’hui. « L’étalement de la ville conduit à une ruralisation de cette dernière qui inclut désormais des fragments majeurs de campagne, notamment dans l’espace dit péri-urbain qui […] n’a cessé de s’épanouir en France depuis les années 60 » (Poulot M. 2015). Ces « fragments » peuvent être exploités par l’agriculture urbaine. On verra également dans la partie qui suit ce qu’elle peut apporter sur le point, non-seulement alimentaire mais aussi environnemental, social et économique pouvant constituer une réponse aux défis de demain énoncé plus haut. Aussi, on constate que l’agriculture urbaine fait de plus en plus partie du métabolisme urbain, son poids dans l’approvisionnement alimentaire des villes est croissant (Aubry C., Ba A., 2010). Ceci amène à réfléchir à de nouvelles stratégies pour l’agriculture de demain mais aussi pour l’aménagement des villes car aujourd’hui, l’agriculture urbaine semble déjà contribuer à la production agricole dans le milieu urbain et pour les urbains.
Une différenciation Nord/Sud
Si ces fonctions sont susceptibles de concerner directement les collectivités territoriales, la polysémie de l’agriculture urbaine est prise en compte de façon variable par la planification urbaine. En France, le schéma directeur de la région île de-France n’a pas tenu considération de l’agriculture locale durant vingt ans. Elle prend aujourd’hui une toute autre importance et est mise en avant dans sa révision en raison de ses fonctions alimentaires, économiques et de maintien de la biodiversité (Guiomar, 2012). Dans des villes de pays émergents ou en développement comme Dar es-Salaam, capitale de la Tanzanie, ou encore Antananarivo, capitale de Madagascar, la problématique est prise très au sérieux. À Antananarivo, le service des espaces verts est devenu la Direction des espaces verts et de l’agriculture urbaine, la municipalité considère en effet que le maintien des rizières productives en bordure de rivière « est le moyen le plus efficace et le moins cher de protéger la ville contre des risques d’inondation » (Rahamefy, Ramamonjisoa, Aubry., 2005). Ce genre de démarche reste rare dans les pays industrialisés (Aubry C., 2013). En fonction des pays industrialisés dits du Nord et les pays en développement dits du Sud, et de leur contexte environnemental et socio économique distinct, l’agriculture urbaine prend des rôles dominants différents.
• Les pays du Nord, utilisent plus généralement l’agriculture urbaine pour ses fonctions sociales, environnementales et paysagères. Souvent industrialisés et urbanisés, leur secteur primaire est limité (du moins, par rapport aux pays du sud) et l’approvisionnement des villes en denrées alimentaires est majoritairement pourvu et organisé par la grande distribution (Aubry C., 2013). L’Île-de-France par exemple, serait en capacité de satisfaire la majeure partie des besoins en farine panifiable de la région, la production dépasse en effet les 1,6 million de tonnes (Agreste, 2010). Il est difficile d’estimer quelle part se retrouve dans les boulangeries franciliennes et quelle part est exportée mais certains évaluent à 40% la part des récoltes destinées à l’Île-de-France et à 60% celle pour l’exportation (Hebel P., CREDOC, 2010).
• Dans les pays du Sud, moins industrialisés, moins urbanisés et où le secteur primaire est majoritaire, la fonction alimentaire, de nécessité, est largement représentée, suivie par la fonction économique. La grande distribution a encore peu de place dans l’approvisionnement des villes tandis que l’agriculture urbaine y participe grandement et évolue de manière croissante (Dubbeling M., Zeeuw H. de, Van Veenhuizen R., 2010). (cf annexe 8, Pourcentage de nourriture pourvue par l’agriculture urbaine par ville).
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Table des matières
Introduction
I. État de l’art
a – Histoire de la relation ville et agriculture
b – Repenser le système d’agriculture en France
c – Définition de l’agriculture urbaine
1. Un terme polysémique
2. Une différenciation Nord/Sud
d – À la recherche d’un exemple pertinent et exemplaire
1. L’agriculture urbaine comme solution à la crise cubaine
2. L’île de Cuba, une « matrice » d’une alternative à l’agriculture française
II. Méthodologie
III. À la recherche d’éléments pertinents
a – Points forts/faibles de Cuba et de la France
b – La France, une prise de conscience mais un manque de planification
c – Cuba, un développement rapide de l’agriculture urbaine suite à la crise
1. Mise en contexte
2. Une transmission transversale des savoirs
3. Une politique cubaine favorable à l’agriculture urbaine
Conclusion
IV. Quelle adaptabilité Cuba/France ?
a – Des motivations cubaines et françaises différentes
1. Cuba, la pression de la crise
2. Quelles sont les motivations et les besoins des français ?
b – Comment alors tirer des leçons du savoir faire cubain en France ?
Retour sur hypothèses
Retour sur la méthodologie
CONCLUSION
Bibliographie
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