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Fonctions biologiques de CFTR
Activité canal chlorure
La protéine CFTR possède la fonction principale de canal anionique permettant le passage de différents anions tels que les ions chlorures (Cl-) et les ions bicarbonates (HCO3 -) au travers de la membrane plasmique. Ces ions participent à l’équilibre hydrique et au maintien d’un pH stable. Dès lors qu’il y a un déséquilibre ionique de part et d’autre de la membrane, différents paramètres physico-chimiques de l’environnement cellulaire tels que l’hydratation et la viscosité vont être modifiés.
Dans le cas de la mucoviscidose, les perturbations de l’activité canal chlorure vont conduire à une déshydratation du mucus au sein des différentes muqueuses de l’organisme. Le mucus devient visqueux, il ne circule pas ou peu et perd ses propriétés protectrices.
Cependant les dysfonctionnements de la protéine CFTR ne permettent pas d’expliquer l’ensemble des désordres ioniques. Il a donc été suggéré un rôle régulateur à la protéine CFTR permettant de contrôler l’activité d’autres canaux ioniques via notamment ses domaines de liaisons PDZ (Post synaptic density protein, Drosophila tumor suppressor, Zonula occludens-1) (40).
Activité régulatrice
Les canaux ORCC
Les canaux ORCC (Outwardly Rectifying Chloride Channel) possèdent une fonction de canal chlorure permettant la sécrétion des ions Cl- et sont régulés par l’AMPc. Toutefois, dans le contexte de la mucoviscidose, ces canaux sont inactifs et insensibles à la phosphorylation par les protéines kinases A et C (41). Cette observation suggère que l’activité de la protéine CFTR est nécessaire pour l’activation des canaux ORCC.
Des études plus approfondies ont confirmé la régulation d’ORCC par phosphorylation de CFTR via un mécanisme autocrine/paracrine permettant le relargage d’ATP dans le milieu extracellulaire. L’ATP ainsi libéré se fixe aux récepteurs purinergiques P2R et stimule l’activité d’ORCC (42). Néanmoins, le mécanisme d’export de l’ATP par CFTR n’est pas encore complétement établi.
Deux hypothèses ont été proposées selon lesquelles CFTR jouerait lui-même le rôle de canal sécréteur d’ATP ou contrôlerait la formation de vésicules remplies d’ATP.
D’un point de vue structural, il a été montré que les domaines NBD1 et R de CFTR sont essentiels pour l’activité régulatrice des canaux ORCC (42).
Les canaux ROMK
Les canaux potassiques ROMK (Renal Outer Medullary Potassium Channel) sont localisés au pôle apical des cellules rénales et participent au recyclage des ions K+. Des canaux potassiques similaires aux ROMK sont également présents dans les voies aériennes (43).
Les canaux ROMK sont régulés notamment par le pH intracellulaire et l’ATP, qui sont deux facteurs étroitement liés à CFTR.
Ainsi des études suggèrent que la protéine CFTR est capable de réguler négativement l’activité des ROMK via le transport d’ATP intracellulaire. Cette inhibition est réalisée par l’intermédiaire du complexe protéique régulateur NHERF1/NHERF2 (Sodium-Hydrogen Exchanger Regulatory Factor 1/2) qui interagit avec les domaines PDZ de CFTR et ROMK (44). Tout comme pour la régulation d’ORCC, le contrôle de ROMK requière les domaines NBD1 et R de CFTR mais également le domaine TMD1 (45).
Les canaux ENaC
Dans la mucoviscidose, en absence de sécrétion d’ions Cl-, le canal ENaC (Epithelial Sodium Channel) est hyperactivé par l’AMPc et entraîne l’absorption massive des ions Na+ au pôle apical des cellules épithéliales. En absence de CFTR, l’AMPc et la PKA activent le canal ENaC. En revanche, lorsque les canaux CFTR et ENaC coexistent au sein d’une cellule, l’effet de l’AMPc sur le canal ENaC s’inverse. En effet, l’AMPc stimule préférentiellement le canal CFTR, qui lui-même inhibe l’activité d’ENaC. Ces phénomènes de régulation entre différents canaux illustrent la dynamique d’un épithélium à interchanger les mécanismes d’absorption et de sécrétion. Néanmoins, les bases moléculaires contrôlant l’inhibition d’ENaC restent méconnues. Plusieurs travaux ont été menés et alimentent diverses hypothèses :
Par homologie avec la régulation des canaux ioniques ORCC et ROMK, une étude a montré que la libération d’ATP ou d’UTP (Uridine Tri-Phosphate) serait responsable de l’inhibition du canal ENaC par activation des récepteurs purinergiques (46). Cependant, les mécanismes moléculaires sont toujours méconnus et le transport d’ATP par CFTR reste controversé. Ainsi, un an plus tard, les mêmes auteurs rapportent que leurs travaux ne permettent pas de confirmer que l’inhibition du canal ENaC est le résultat de la libération d’ATP induite par CFTR (47).
Une interaction biochimique directe interviendrait entre CFTR et ENaC et contrôlerait l’activité d’ENaC. En effet, les domaines NBD1 et R interagissent avec le domaine Cterminal d’ENaC et la délétion du domaine NBD1 abolit la régulation négative d’ENaC (48).
Une interaction indirecte liée au cytosquelette et au trafic intracellulaire interviendrait entre CFTR et ENaC et permettrait à CFTR d’agir sur la régulation d’ENaC. Il est possible d’envisager que l’actine pourrait être cet intermédiaire car il est connu que les canaux CFTR et ENaC sont perturbés par les interactions avec les protéines du cytosquelette (49) (50).
Cette dernière hypothèse semble plausible puisque des études réalisées sur l’épithélium du canal sudoripare ont montré que dans ce contexte épithélial, l’effet de CFTR sur ENaC est inversé et active la sécrétion de Na+ (51). De plus, ni la phosphorylation ni l’AMPc ne sont nécessaires à l’activation d’ENaC. En revanche, un courant chlorure est essentiel pour cette activation (52). L’ensemble de ces données laisse penser que l’adressage et le trafic des protéines CFTR et ENaC via l’actine sont coordonnés, liés à la fonction canal Cl- et dépendants du type de tissu épithélial.
D’autres études se sont intéressées aux gènes codant pour les trois sous-unités du canal ENaC : α, β et γ. La sensibilité et l’efficacité de l’activité du canal ENaC requiert l’ensemble de ces sous-unités (53).
Des mutations dans les gènes SCNN1A et B, qui codent les sous-unités α et β de la protéine ENaC, respectivement, ont été associées aux maladies pulmonaires similaires à la mucoviscidose en l’absence de mutations de CFTR (54). Lorsque SCNN1A est délété chez la souris, le transport du sodium et la clairance mucociliaire sont abolis. La délétion de SCNN1B ou SCNN1G (codant la sous-unité γ du canal ENaC), entraîne la mort par hyperkaliémie (55), ce qui suggère que la sous-unité α du canal ENaC pourrait être plus cruciale pour le bon fonctionnement du canal sodique dans les poumons.
A l’inverse, il a été montré que les mutations induisant une hypoactivité du canal ENaC provoquent un pseudohypoaldostéronisme (56) (57), ce qui étend la profondeur de l’ASL et accélère la vitesse de clairance mucociliaire.
Dès les années 2000, des chercheurs ont entrepris de comprendre le rôle de chacune des sous-unités du canal ENaC. Pour cela, ils ont développé des oligonucléotides anti-sens et des ARN interférant (ARNi) ciblant SCNN1A, SCNN1B et SCNN1G (58) (59). Les oligonucléotides anti-sens ciblant SCNN1A ont entraîné une diminution de la densité membranaire apicale des canaux ENaC, et une réduction du courant et de la conductance.
Concernant les ARNi dirigés contre SCNN1B, ils ont entraîné une réduction de l’activité de l’ENaC dans des cellules épithéliales bronchiques humaines, accompagné d’une diminution du niveau d’ARNm de l’ENaC et du sodium intracellulaire. Plus récemment, les travaux du groupe de Shuling Guo ont confirmé la diminution des sous-unités de l’ENaC induites par les oligonucléotides anti-sens in vivo sur des modèles murins mimant le phénotype de la mucoviscidose (60). Dans cette étude, les auteurs ont utilisé le modèle transgenique de surexpression de la sous-unité β de l’ENaC qui entraine une hyperabsorption de sodium ainsi qu’une déshydratation du mucus (61) et le modèle invalidé pour le gène Nedd4-2 (Neural precursor cell expressed developmentally downregulated gene 4-like) codant une ubiquitine ligase responsable de la régulation négative de l’ENaC (62). Grâce à ces modèles, ils ont pu montrer que lorsque tous les niveaux des sous-unités de l’ENaC sont diminués, la viscosité du mucus et le recrutement de neutrophiles sont réduits et la fonction pulmonaire est améliorée.
L’échangeur Cl-/HCO3
Les ions bicarbonates sont majoritairement présents dans les liquides de surface de l’organisme où ils agissent comme des tampons pour maintenir le pH intracellulaire. La protéine CFTR joue un rôle dans l’équilibre des ions bicarbonate en agissant comme un canal sécréteur de HCO3 mucoviscidose, lorsque CFTR est inactive ou non adressée à la membrane plasmique, sa onductance pour les ions bicarbonates est inhibée ce qui engendre notamment des dysfonctionnements de l’alcalinisation des sucs pancréatiques, à l’origine des insuffisances pancréatiques observées chez les patients.
Pour pallier à ces perturbations de pH, il existe une régulation par des transporteurs ioniques tels que CFTR et l’échangeur anionique AE2. La régulation de l’AE2 est induite par la fixation du glucagon sur son récepteur entraînant une augmentation d’AMPc intracellulaire puis l’activation de la PKA et la stimulation d’AE2. L’activation d’AE2 permet ainsi l’entrée d’ions Cl- dans la cellule et la sécrétion d’ions HCO3 dans la cellule est pris en charge par CFTR qui l’excrète afin de maintenir un gradient de Cl- et l’activation d’AE2 (64).
Les aquaporines
Les aquaporines (AQs) sont des canaux transmembranaires permettant le passage bidirectionnel de l’eau à travers la membrane plasmique. Lorsque la protéine CFTR est mutée, les échanges d’eau effectués par les AQs entre le milieu extra- et intra-cellulaire sont désordonnés, suggérant un lien entre CFTR et les AQs. CFTR co-localise notamment avec les AQs 1 et 5 (65) où AQ1 co-localise également avec l’échangeur AE2. Il est également connu que l’AMPc, activateur de CFTR, coordonne le trafic de vésicules vers la membrane au sein desquelles se trouve CFTR, AQ1 et AE2 pour permettre la diffusion d’eau (64).
Rôle dans le trafic intracellulaire
L’adressage de la protéine CFTR représente une étape cellulaire cruciale puisque l’absence de CFTR à la membrane apicale implique un défaut de sécrétion de Cl-.
Le complexe SNARE
La régulation de l’adressage de CFTR implique les complexes multiprotéiques SNARE (Soluble N-ethylmaleimide-sensitive factor Attachment protein REceptor) constitués notamment par les protéines syntaxin, vtib (vesicle transport through interaction with t-SNAREs homolog 1B) et VAMP (Vesicle-associated membrane protein). Les protéines SNARE sont des composants clés dans le trafic intracellulaire des cellules eucaryotes et sont impliquées dans les événements de fusion membranaire.
Au niveau neuronal, la syntaxine 1A est connue pour former un complexe avec les protéines SNAP-25 et VAMP-2 régulant l’exocytose à la membrane plasmique présynaptique (66).
De manière intéressante, il a été montré que la syntaxine A1, accompagnée de SNAP-23, un homologue non neuronal de SNAP-25, interagit également avec la partie N-terminale de CFTR et inhibe le courant Cl- médié par CFTR (67) (68). En effet, la liaison de la syntaxine A1 à l’extrémité N-terminal de CFTR empêche son interaction avec le domaine R et/ou NBD1. Toutefois, le résidu essentiel à l’interaction spécifique entre CFTR et la syntaxine A1 a pu être identifié, il s’agit d’un acide aminé hydrophile localisé dans le domaine H3 (69).
Une autre protéine du complexe SNARE, la syntaxine 8 impliquée dans le trafic des ndosomes précoces aux endosomes tardifs, est connue pour interagir avec CFTR (70). La surexpression de la syntaxine 8 inhibe l’activité canal Cl- de CFTR ainsi que son export vers la membrane plasmique. De plus, les protéines syntaxine 8 et CFTR co-localisent dans des endosomes de recyclage Rab11 (Ras-related protein Rab-11), mais l’interaction entre les deux protéines reste faible et suggère l’existence d’une protéine intermédiaire dans cette interaction (71).
La protéine Csp (Cystein string protein) est connue pour interagir et réguler les complexes SNARE comme la syntaxine 1A, 4 ou VAMP. De plus, les protéines Csp et CFTR interagissent physiquement et fonctionnellement (72). Ainsi, Csp pourrait faire le lien entre les protéines SNARE et CFTR et apporter un nouveau mécanisme de régulation en couplant l’activation du canal CFTR avec son transport dans le trafic intracellulaire.
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Table des matières
Introduction
Chapitre I : La mucoviscidose
I. Une maladie génétique des muqueuses
I.1. Histoire de la mucoviscidose
I.2. Epidémiologie
II. Du gène à la protéine CFTR
II.1. Le gène CFTR
II.2. Structure de la protéine CFTR
II.3. Biosynthèse et maturation
II.4. Dégradation
III. Fonctions biologiques de CFTR
III.1. Activité canal chlorure
III.2. Activité régulatrice
Les canaux ORCC
Les canaux ROMK
Les canaux ENaC
L’échangeur Cl-/HCO3
Les aquaporines
III.3. Rôle dans le trafic intracellulaire
Le complexe SNARE
La transcytose
III.4. Implication dans la réponse inflammatoire
III.5. Implication dans les infections respiratoires bactériennes
III.6. Rôle dans les jonctions cellulaires
IV. Mutation du gène CFTR
IV.1. Classification des mutations de CFTR
Mutations de classe I
Mutations de classe II
Mutations de classe III
Mutation de classe IV
Mutations de classe V
Mutations de classe VI
IV.2. Modèles animaux pour l’étude de l’impact des mutations de CFTR
IV.3. Thérapies moléculaires : Potentiateurs/correcteurs de CFTR
IV.4. Description des atteintes cliniques
L’atteinte génitale
L’atteinte pancréatique et biliaire
L’atteinte métabolique
L’atteinte pulmonaire
Chapitre II : La barrière épithéliale bronchique
I. Les épithéliums au sein des poumons
II. Structure d’un épithélium bronchique sain
II.1. Les cellules ciliées
II.2. Les cellules sécrétrices
II.3. Les cellules basales
III. Rôle de barrière protectrice
III.1. Clairance mucociliaire
III.2. Jonctions cellulaires
Les jonctions serrées
Les jonctions adhérentes
Les desmosomes
IV. Cas de la mucoviscidose : perte de la barrière jonctionnelle bronchique
IV.1. Augmentation de la viscosité du mucus, encombrement et perte de la clairance mucociliaire
IV.2. Expression et activité des protéines jonctionnelles
Chapitre III : La protéine Prion cellulaire
I. Histoire de la protéine PrPC
I.1. Découverte des maladies à prions
I.2. Identification de l’agent infectieux responsable de la transmission et de la propagation de la maladie : la protéine prion
II. Pathogénicité de PrPC associée aux Encéphalopathies Spongiformes Transmissibles
II.1. Les différents types d’EST
Les formes sporadiques
Les formes génétiques
Les formes acquises ou par transmission infectieuse
II.2. Les traitements et perspectives thérapeutiques
III. Physiologie de PrPC
III.1. Le gène PRNP
III.2. Structure de la protéine PrPC
III.3. Synthèse, maturation, recyclage et dégradation
III.4. Expression et localisation
III.5. Régulation
IV. Fonctions de PrPC
IV.1. Rôle neuroprotecteur
IV.2. Relation avec les métaux
IV.3. Propriétés anti-oxydantes
IV.4. Localisation aux jonctions cellulaires
IV.5. Implication dans l’inflammation
IV.6. Implication dans les infections
V. Modèles animaux pour l’étude de PrPC
V.1. Génération de modèles murins génétiquement modifiés pour le gène Prnp
V.2. Impact de l’extinction et de la surexpression du gène Prnp
Objectifs
Résultats
I. Article 1 – Cellular prion protein (PrPC) is up regulated in cystic fibrosis : Role of CFTR protein.
I.1. Contexte de l’étude
I.2. Résultats
I.3. Conclusions
II. Article 2 – The cellular prion protein (PrPC) contributes to the acute Pseudomonas aeruginosa lung infection in cystic fibrosis mice.
II.1. Contexte de l’étude
II.2. Résultats
II.3. Conclusions
Conclusions générales
Perspectives de thèse
Bibliographie
Annexes
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