Lโagriculture a pris naissance dans plusieurs endroits du monde au Nรฉolithique, il y a environ 12 000 ans et marque une vรฉritable rรฉvolution dans lโhistoire de lโhumanitรฉ (Harlan 1992). Cela se caractรฉrise par la transition de tribus et communautรฉs de chasseurs-cueilleurs vers lโagriculture et la sรฉdentarisation. Au cours des millรฉnaires suivants, le dรฉveloppement de lโagriculture transforme les petits groupes de chasseurs-cueilleurs mobiles en sociรฉtรฉs sรฉdentarisรฉes qui modifient radicalement leur environnement au moyen de techniques agricoles adaptรฉes (travail du sol puis irrigation) permettant dโaugmenter la production. Ces dรฉveloppements favorisent de grandes densitรฉs de population, la division du travail, le commerce, les structures administratives et politiques centralisรฉes, les systรจmes de partage des connaissances (รฉcriture).
Ces nouveaux modes de vie ont entrainรฉ la domestication des plantes, des animaux et parfois de microorganismes (levures, champignons, bactรฉries). Cette domestication est un exemple unique dโรฉvolution rapide par la sรฉlection, et a รฉtรฉ lโรฉlรฉment central dans lโรฉlaboration de la thรฉorie de la sรฉlection naturelle par Darwin (Darwin 1859). Chez les plantes, il a รฉtรฉ dรฉmontrรฉ que cette domestication a eu lieu dans un nombre limitรฉ de foyers (Vavilov 1951; Harlan 1971; Diamond 2002; Glรฉmin and Bataillon 2009) (figure 1). Les premiรจres traces de domestication ont รฉtรฉ localisรฉes dans la zone du croissant fertile. Le climat (longue saison sรจche et courte saison pluvieuse) convient particuliรจrement aux cรฉrรฉales comme le blรฉ et lโorge (Frankel et al. 1995; Zohary and Hopf 2000). En Afrique, cโest principalement trois zones qui ont รฉtรฉ le berceau de la domestication dโespรจces comme le cafรฉ, le palmier ร huile, le sorgho et lโigname. Dโautres espรจces comme le maรฏs, la tomate ou le tournesol ont รฉtรฉ domestiquรฉes en Amรฉrique. En Asie a eu lieu la domestication du riz ou de la canne ร sucre.
Le processus de domestication sโaccompagne dโune sรฉrie de changements phรฉnotypiques que lโon appelle syndrome de domestication. Les traits phรฉnotypiques concernรฉs peuvent รชtre regroupรฉs en plusieurs catรฉgories et sont communs ร plusieurs espรจces. Premiรจrement, il y a les traits associรฉs aux conditions de rรฉcolte ou de conservation. Dans cette catรฉgorie, un des traits les plus importants, marqueur de la domestication pour les espรจces dont les grains sont consommรฉs (comme les cรฉrรฉales), est la non-dispersion des grains ร maturitรฉ. En effet, afin de permettre la rรฉcolte par les agriculteurs puis la propagation des cultures, il est indispensable que les grains ne se dispersent pas ร maturitรฉ (Harlan et al. 1973; Zohary 2004). Dโautre part, chez les plantes sauvages, la production de nombreuses tiges et feuilles de petites tailles assure un succรจs reproducteur malgrรฉ des conditions climatiques รฉventuellement variables. Au cours de la domestication, la morphologie des plantes sโest souvent modifiรฉe, optimisant la production des organes rรฉcoltรฉs. Par exemple les ramifications axillaires ont fortement รฉtรฉ rรฉduites entre la tรฉosinte (forme sauvage) et le maรฏs (forme cultivรฉe) (figure 2). Pour finir, des traits associรฉs au cycle de vie des plantes ont pu รชtre affectรฉs et certaines espรจces sauvages pรฉrennes sont devenues annuelles lors de la domestication comme le riz asiatique (Cheng et al. 2003). Deuxiรจmement, les traits associรฉs ร la compรฉtition des semences sont aussi caractรฉristiques du syndrome de domestication. La culture a permis la sรฉlection de plantules plus vigoureuses ร travers lโaugmentation du poids des grains dont la composition biochimique sโest aussi modifiรฉe : plus importante en glucides et rรฉduite en protรฉine. La diminution ou la perte totale de dormance et la rรฉduction des glumes sont รฉgalement deux traits caractรฉristiques du syndrome de domestication (Harlan et al. 1973; Doebley 2004).
Troisiรจmement, les traits associรฉs ร la production. Au cours de la domestication, un certain nombre de traits visant ร augmenter la production, ont รฉtรฉ sรฉlectionnรฉs. Par exemple, chez le maรฏs et le sorgho, des modifications de la structure de lโinflorescence ont รฉtรฉ sรฉlectionnรฉes pour produire des rendements plus รฉlevรฉs. Effectivement, lโinflorescence femelle de la tรฉosinte est composรฉe de deux rangรฉes dโรฉpillets simples, alors que le maรฏs a plusieurs rangs dโรฉpillets appariรฉs (Doebley 2004). Chez le blรฉ, lโorge et le riz, le nombre dโinflorescences a รฉvoluรฉ prรฉfรฉrentiellement pour รชtre plus dense (Doust 2007) mais aussi pour augmenter la fertilitรฉ au niveau de la pointe des รฉpis. Du cรดtรฉ des solanacรฉes, le fruit de la tomate a vu son poids multipliรฉ par cent (Lin et al. 2014).
Toutes les espรจces prรฉsentes sur notre planรจte sont caractรฉrisรฉes par une information gรฉnรฉtique, contenue dans leur gรฉnome, qui leur est propre. Plusieurs grandes forces รฉvolutives contribuent ร faire รฉvoluer ces gรฉnomes. Le niveau de diversitรฉ dans les populations (animales ou vรฉgรฉtales) dรฉpend de lโintensitรฉ de ces forces. La gรฉnรฉtique des populations nous permet de caractรฉriser ces forces et de dรฉcrire leur importance relative.
Au cours de la rรฉplication de lโADN, processus indispensable ร la multiplication cellulaire, des mutations peuvent se produire. Un certain nombre de processus permettent de corriger ces erreurs, spontanรฉes et alรฉatoires, dans la cellule, mais certaines mutations subsistent. Il existe 3 types de mutations : les mutations ponctuelles par substitution qui correspondent au remplacement dโun nuclรฉotide par un autre, gรฉnรฉrant un polymorphisme de type SNP (Single Nucleotide Polymorphism), lโinsertion ou la dรฉlรฉtion dโune base ou de plusieurs bases (InDel). La mutation est hรฉrรฉditaire seulement si elle touche la sรฉquence gรฉnomique dโune cellule germinale. Chez les plantes, le taux de mutation ponctuelle (SNP), notรฉ ยต, est estimรฉ en moyenne ร 1.10โปโน par base et par gรฉnรฉration (Lynch and Walsh 2007), avec une estimation ร 7.10โปโน chez Arabidopsis thaliana (Weng et al. 2019). Ces mutations peuvent avoir un effet positif sur le phรฉnotype (mutation avantageuse) ou nรฉgatif (mutation dรฉlรฉtรจre) ou ne pas avoir dโeffet (mutation silencieuse, ou neutre). Les mutations sont donc ร lโorigine de la variabilitรฉ gรฉnรฉtique. Cependant, une fois ces mutations apparues, lโรฉvolution de leur frรฉquence dans une population dรฉpendra de deux autres forces รฉvolutives : la dรฉrive gรฉnรฉtique et la sรฉlection.
La dรฉrive gรฉnรฉtique est un des mรฉcanismes majeurs de lโรฉvolution. Elle caractรฉrise lโรฉvolution, au sein dโune population, de la frรฉquence des allรจles dโun gรจne, causรฉe par des phรฉnomรจnes alรฉatoires rรฉsultant du mรฉcanisme de formation (et de rencontre) des gamรจtes. La dรฉrive gรฉnรฉtique est รฉtroitement liรฉe ร la notion de taille efficace (ou effectif efficace), notรฉe Ne, qui correspond ร lโeffectif dโune population idรฉale (de type Wright-Fisher, de taille dรฉmographique constante notamment) pour laquelle les fluctuations des frรฉquences allรฉliques sont รฉquivalentes ร celle de la population รฉtudiรฉe.
En effet, en fonction de la taille efficace de la population et de la frรฉquence initiale des allรจles, le temps de fixation des allรจles dans la population varie . Les effets de la dรฉrive gรฉnรฉtique sont particuliรจrement importants sur les populations ayant une taille efficace limitรฉe (Wright 1969) alors que dans une population de taille infinie, en lโabsence de sรฉlection et de mutation, les frรฉquences allรฉliques sont stables au cours des gรฉnรฉrations (รฉquilibre dโHardy-Weinberg).
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Table des matiรจres
1 INTRODUCTION
1.1 La domestication des plantes et les grandes forces รฉvolutives
1.1.1 La domestication des plantes
1.1.2 Les grandes forces รฉvolutives
1.1.2.1 La mutation
1.1.2.2 La dรฉrive gรฉnรฉtique
1.1.2.3 La sรฉlection
1.1.3 Lโรฉquilibre mutation-dรฉrive / thรฉorie de neutralitรฉ
1.1.4 Lโimpact de la domestication
1.2 Lโhistoire รฉvolutive du blรฉ dur : Triticum turgidum
1.2.1 La polyploรฏdie et lโorganisation du gรฉnome
1.2.2 Lโhistoire de la domestication du blรฉ dur
1.2.2.1 La premiรจre phase de domestication : de T. turgidum ssp dicoccoides
vers T. turgidum ssp dicoccum
1.2.2.2 La deuxiรจme phase de domestication : de T. turgidum ssp dicoccum
vers T.turgidum ssp durum
1.2.2.3 La sรฉlection moderne et la rรฉvolution verte
1.2.3 Lโimpact de la domestication sur la diversitรฉ gรฉnรฉtique
1.2.4 Les traits phรฉnotypiques impactรฉes au cours de la domestication du blรฉ dur
1.2.4.1 La soliditรฉ du rachis
1.2.4.2 La soliditรฉ des glumes
1.2.4.3 La hauteur des plantes
1.2.4.4 Le poids des grains
1.2.4.5 La teneur en azote contenu dans la feuille
1.3 Les techniques de gรฉnotypage au service de lโรฉtude de la diversitรฉ gรฉnรฉtique
Prรฉsentation du sujet dโรฉtude
2 MATERIEL ET METHODES
2.1 Matรฉriel vรฉgรฉtal
2.2 Outils molรฉculaires
2.2.1 Extraction dโADN
2.2.2 Sondes
2.2.3 Librairies gรฉnomiques
2.2.4 Enrichissement en sรฉquences cibles par capture
2.2.5 Sรฉquenรงage
2.3 Outils bio-informatiques
2.3.1 Qualitรฉ des sรฉquences
2.3.2 Dรฉmultiplexage
2.3.3 Nettoyage
2.3.4 Rรฉfรฉrences gรฉnomiques
2.3.5 Mapping
2.3.6 Dรฉtection de SNPs
2.3.7 Mise en forme des donnรฉes
2.4 Statistiques et gรฉnรฉtique des populations
2.4.1 Structure gรฉnรฉtique de la sรฉrie de domestication
2.4.2 Caractรฉrisation des effets dรฉmographiques de la sรฉrie de domestication
2.4.3 Dรฉtection de signatures gรฉnรฉtiques de sรฉlection liรฉes ร la domestication
2.4.3.1 Dรฉtection sans a priori sur lโensemble du gรฉnome
2.4.3.2 Dรฉtection au niveau de zones candidates contrรดlant des traits du
syndrome de domestication
3 CONCLUSION
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