Intérêt du territoire d’étude
La coopération intercommunale a revêtu différentes formes administratives. Son développement « erratique » se justifie par des contextes politiques et institutionnels très différents (DESAGE, 2011). Les multiples vagues réformatrices visant à réorganiser le territoire et rationaliser l’action locale pour la rendre plus efficace se sont confrontées aux besoins des acteurs locaux, véritables leviers d’application mais aussi d’assimilation des mesures étatiques pour satisfaire leurs exigences. La notion d’intercommunalité a véritablement pris un sens au milieu du XXe siècle au sortir d’une période de conflits planétaires lorsque le pouvoir en place s’est attelé à la reconstruction du pays, instiguant des projets réformateurs et renforçant l’unité territoriale autour de l’Etat. L’agglomération tourangelle n’a pas fait exception en étant notamment l’un des seuls territoires métropolitains à expérimenter une structure nouvelle de coopération avec le lancement du District Urbain en 1959. Sous l’autorité de l’Etat et l’impulsion de personnalités de premier plan comme Jean Royer – arrivé à la mairie de Tours un an plus tôt – le District Urbain est aussitôt contesté par les élus locaux en raison de sa fonction d’antichambre à la fusion programmée des territoires communaux voisins. En effet, l’hégémonie de la ville-centre est très prégnante au travers de fusions de communes au début des années 1960 au Nord, de l’achat de terrains au Sud et sur les débats controversés sur la personnalité d’un Jean Royer désireux de fonder une même unité territoriale autour de la ville de Tours. Cette affirmation locale et personnalisée n’est pas marginale et fait écho aux volontés étatiques de réduire le nombre de communes. À partir des années 1990, à défaut d’être parvenu à la fusion des communes, l’Etat s’engage dans de nouvelles orientations pour le renforcement des politiques intercommunales et un nouveau bouleversement local s’observe avec l’arrivée de Jean Germain en 1995, modifiant les processus de gouvernance inhérents au territoire tourangeau en proposant une politique plus intégratrice basée davantage sur un bassin de vie et non sur des limites administratives figées. « L’agglomération tourangelle » se définit, dans son périmètre le plus large, à celui du SCoT (troisième couronne autour de Tours) et, dans son périmètre le plus réduit, à celui de la ville-centre uniquement. Une telle approche permet de considérer les communes actuelles, constitutives de Tour(s) Plus, et celles rattachées aujourd’hui à d’autres structures de coopérations intercommunales mais ayant collaboré avec Tours. Pour caractériser ce périmètre, on utilisera de manière indifférenciée les notions de « Touraine », « territoire tourangeau » ou encore « territoire de Tours ». En conclusion, bien que l’agglomération tourangelle ait pu connaître différentes formes d’administration , la conduite du développement du territoire n’a été portée que par deux personnalités politiques distinctes, tant par leur idéologie politique que par leur vision du processus de gouvernance applicable au territoire intercommunal mais également vis-à-vis des contextes étatiques et institutionnels auxquels ils sont rattachés.
La monographie comme axe de recherche
Ce modèle dépend de la singularité de chaque territoire de par son histoire, son échelle et son analyse microsociologique ; cela met en évidence ses fonctionnalités et son aspect organisationnel. Les spécificités inhérentes au territoire tourangeau et l’étude des modes de gouvernance passent par une approche monographique qui confère une qualité de précision et de finesse à l’analyse du territoire par son caractère exclusif. Elle permet également de mettre en lumière la complexité de processus discrets que la stricte approche comparatiste ne peut dévoiler. La monographie tente ainsi de souligner la spécificité du territoire en cernant les liens de causalités des phénomènes qui y sont observés. La contextualisation d’un phénomène s’exerçant à une échelle plus fine est ici indispensable pour en comprendre les origines et la manière dont il s’applique sur l’aire urbaine de Tours. Ainsi, par le biais des discours et actions reliés aux acteurs du territoire depuis la création de l’intercommunalité jusqu’à ce jour, cette analyse veut soumettre et faire émerger les mécanismes d’évolution de la structure de coopération intercommunale sur le territoire de Tours et son agglomération. Au travers de sa construction historique, politique et institutionnelle, l’interrogation se porte ici sur les processus de transformation qui ont conduit à faire émerger une gouvernance partagée succédant à une gouvernance centralisée initiée 50 ans plus tôt.
Une notion utilisée dans l’aménagement des territoires
La notion de gouvernance est un concept polysémique que les sciences sociales et politiques se sont appropriées depuis une vingtaine d’années. Initialement, cette notion avait été mobilisée il y a un demi-siècle par les économistes pour caractériser les modes de coordination des acteurs économiques pour diminuer les coûts générés par le marché. À la fin des années 80, le terme est importé dans le champ des sciences politiques afin de caractériser les modalités de gouvernement applicables à des territoires supra-communaux comme les agglomérations (LELOUP, 2005). Ce processus de réappropriation se justifie par de multiples changements dans la conduite des politiques publiques avec, en premier lieu, les acteurs locaux. Il y a en effet un éclatement et une multiplication du nombre d’acteurs (secteur privé, monde associatif, agents techniques, etc.). En outre, le phénomène de mondialisation et d’ouverture des frontières a eu tendance à brouiller les échelles d’interventions induisant un changement majeur dans l’action publique comme le justifie A. FAURE (2001) : « Incontestablement, le système politique local traverse une tourmente politique local traverse une tourmente territoriale de grande amplitude, tourmente territoriale de grande amplitude, tourmente paradoxalement confortée par le tourmente paradoxalement confortée par le processus de mondialisation qui s’appuie le processus de mondialisation qui s’appuie sur les dynamiques des terroirs, des s’appuie sur les dynamiques des terroirs, des réseaux de territoires et de la modernité des réseaux de territoires et de la modernité urbaine ». Cette ouverture vers l’extérieur marque le renforcement des logiques de marché auxquelles sont désormais confrontés les territoires. De fait, cela marque une transformation dans la manière dont les politiques publiques sont élaborées ; c’est le régime du contrat et de la négociation qui prévalent pour rassembler des acteurs hétérogènes aux perspectives variées, comme le souligne N. BERTRAND et al. (2001) : « Si la collectivité locale garde un rôle d’orientation et de pilotage, elle compose avec d’autres institutions, publiques ou privées, obéissant à leurs propres logiques d’intérêt et/ou exerçant des responsabilités sur des domaines de compétences tantôt partagés, tantôt disputés, mais jamais absolument étanches ou autonomes » (p6). La gouvernance locale met ainsi en exergue que l’intérêt général n’est plus forcément défini à l’échelle nationale mais également à l’échelle locale.
Qu’est-ce que la gouvernance territoriale ?
Le concept de gouvernance locale apparaît donc comme une forme organisationnelle de régulation et d’administration d’un espace géographique pertinent du point de vue du partage d’intérêts et de compétences exercées par des acteurs interdépendants. Dans cette approche, le territoire détermine un mode d’administration piloté par les agents productifs et les institutions locales dont le degré fonctionnel de l’institution et le degré d’efficacité du mode de coordination des acteurs locaux tendent à rendre pertinente l’échelle d’intervention des actions collectives. Face à constat, il apparaît trois niveaux étroitement liés favorisant l’émergence d’une gouvernance territorialisée comme le remarque F. LELOUP et al. (p.327) : « La cohérence et le développement de ce territoire entraînent nécessairement la mise en place d’une organisation, basée sur une certaine proximité organisationnelle. La gouvernance territoriale, quant à elle, permet d’assurer la pérennité et la régulation de cette organisation ». À cet effet, le territoire tourangeau comme socle d’exercice de l’action publique constitue le premier maillon de la gouvernance et le premier cadre d’analyse. Le périmètre d’intervention une fois définie, une structure d’administration et de gestion particulière se met en place selon des dispositifs étatiques réappropriés par les acteurs locaux. Enfin, ces derniers se coordonnent au sein de ladite structure institutionnelle au travers d’un jeu d’acteurs complexe et diversifié par la nature des intervenants et des types de relations entre eux. En conséquence, les trois cadres d’analyses que sont le territoire, les structures administratives et les processus décisionnels en leur sein font donc l’objet d’une attention particulière pour mesurer l’évolution de la gouvernance sur le territoire de Tours. L’intérêt est porté sur la gouvernance exercée uniquement par les élus locaux au sein des instances décisionnelles. En effet, ceux-ci ont toujours joué un rôle prépondérant dans le choix des structures administratives et l’orientation des politiques publiques. De même, leur statut combiné de maire et de délégué communautaire permet de faire ressortir des logiques communales au regard d’enjeux territoriaux plus importants.
Définition du territoire d’action
Le terme de territoire est un terme souvent usité dans de nombreux domaines tels que la géographie, les sciences politiques ou les sciences sociales. Le mot territoire vient du latin « territorium » qui signifie « morceau de terre approprié ». Et cette signification se rattache géographiquement à trois idées : d’une part le territoire symbolise une forme de domination liée au centre du territoire, d’autre part cette domination se fait sur une aire qui permet un contrôle relatif sur cet espace et, enfin, un territoire prend forme grâce aux limites qui le caractérisent, matérialisées par des frontières. Les années 1970 avec P. GEORGE2 marquent l’organisation de l’espace (ou territoire) « lorsque la société agit volontairement sur son espace, elle organise, elle structure celui-ci : on réservera à cette action le terme d’aménagement de l’espace ». Sa définition dans l’aménagement du territoire stipule en 1988 qu’un territoire est une « étendue d’un espace approprié par un individu ou une communauté » selon le dictionnaire de l’urbanisme et de l’aménagement. Dans ses différentes définitions un territoire fait ressortir trois facettes principales qui en font sa constitution : son identité, ses propriétés naturelles et matérielles et sa facette organisationnelle. L’identité du territoire se caractérise par son nom car « donner un nom au territoire constitue une des premières formes de l’appropriation, […], le faire porter à la connaissance des autres ». Cela lui confère donc une marque existentielle, son caractère déterminé en amont par son histoire et son rayonnement au-delà de son propre espace. C’est donc un principe fondamental pour définir et affirmer ensuite le sentiment d’appartenance de la population qui y vit et les revendications territoriales des décideurs locaux représentatifs des groupes sociaux installés sur celui-ci. Un territoire est aussi déterminé par un espace physique contraint par des propriétés naturelles « liées aux effets de la localisation d’un territoire en un endroit précis de la planète Terre », des propriétés matérielles « liées aux différents types d’usage que la société attribue à son sol » et dont les usages sont impartis aux besoins des groupes fonctionnant sur ce dernier (habiter, consommer, produire ou se distraire). Et dans sa matérialisation physique, le territoire se détermine par des limites ou des frontières qui sont des lieux de rupture, de discontinuité dans l’homogénéité de l’étendue territoriale. Enfin, le territoire se détermine par son aspect organisationnel, soit le rôle des personnalités sociales du territoire. Cette dynamique territoriale s’appuie sur des notions de domination, de coopération, de complémentarité, de réciprocité, etc. « Tout territoire s’inscrit aussi dans une logique organisationnelle » comme le déclare M. LE BERRE (1992). Le territoire se définit aussi au-delà de limites physiques par des limites administratives qui apportent et dessinent le degré de cohésion que revêt l’organisation en place. Un territoire est donc déterminé, en autre, par sa structure administrative qui le compose, évoluant au cours du temps. Le territoire se présente au vu des différentes analyses précédentes comme un système complexe réunissant des aspects aussi bien politiques, économique que physiques dans une dynamique de « partage pour un devenir commun ». Le territoire est la première pierre constitutive de l’édifice organisationnel. Son identité, ses propriétés et les groupes sociaux évoluant sur ce dernier sont les composantes principales qui permettent l’élaboration et la mise en place de systèmes de gouvernance propre au territoire. Sa compréhension, de par son histoire, ses contraintes et ses évolutions permettent de mettre en lumière les mécanismes de la mise en œuvre a fortiori du type de gouvernance qu’il peut revêtir.
|
Table des matières
Introduction
Partie 1 : Le défi de mesurer le degré de coopération du territoire tourangeau
1. Intérêt du territoire d’étude
2. Comment situer la gouvernance sur le territoire tourangeau ?
2.1. Deux angles de perception : entre mode centralisé et mode partagé
2.2. La monographie comme axe de recherche
3. La gouvernance territoriale : un concept réapproprié selon trois niveaux de référence
3.1. Une notion utilisée dans l’aménagement des territoires
3.2. Qu’est-ce que la gouvernance territoriale ?
Partie 2 : Trois niveaux d’interprétation de la gouvernance
1. Le territoire comme champ d’application de la gouvernance
1.1. Définition du territoire d’action
1.2. Tours une ville au caractère historique
1.3. Un territoire face à de nouveaux besoins
1.3.1. La transformation de Tours au travers de grands projets
1.3.2. L’essor des communes satellites
1.3.3. La création d’un bassin de vie
2. Le conditionnement du territoire confronté aux volontés de l’Etat
2.1. L’Etat comme centralisateur du territoire
2.1.1. Le Grand Tours, une tentative d’après-guerre avortée
2.1.2. L’Echec du District Urbain de 1959
2.2. Entre réflexion pour un territoire global et morcellement des compétences
2.2.1. Une vision plus globale du territoire tourangeau par l’Etat
2.2.2. Les syndicats : réponse efficace à un besoin de territoire
2.3. Les lois de décentralisation : une prise d’autonomie pour les acteurs locaux
2.4. Les lois réformatrices des syndicats
2.4.1. Le premier pas vers un regroupement intercommunal
2.4.2. Deux réformes fondamentales pour le paysage intercommunal : les lois de 1992 et 1999
2.5. Vers une nouvelle extension intercommunale : la métropole
2.5.1. La mutualisation des services: facilité économique mais perte de repères
2.5.2. L’élargissement de Tour(s)Plus vers une métropole
3. Appropriation locale de la structure et des différentes formes administratives
3.1. Regard local sur la suprématie de la ville-centre
3.1.1. « Tourangeau », quelle identité derrière ce mot ?
3.1.2. La communauté d’agglomération : un support au rayonnement de la ville-centre
3.2. Entre Indépendance et réconciliation pour un territoire uni
3.2.1. Les villes satellites de Tours: un dialogue continu au cours des décennies
3.2.2. Des communes intégrées plus tardivement
3.2.3. Le repli des territoires en intercommunalités défensives
3.2.4. Le revirement de la communauté de communes de la Confluence
3.2.5. Le vouvrillon : une intercommunalité fragmentée
4. Deux visions du territoire tourangeau dans une même perspective
4.1. Les déclinaisons intercommunales en faveur de Tours
4.1.1. Le District Urbain comme catalyseur des fusions communales
4.1.2. L’échec d’une politique de réglementation intercommunale
4.1.3. Jean Royer : une personnalité controversée
4.2. Un rééquilibrage dans le partage intercommunal
4.2.1. Le SIVOMAT : une tentative de réconciliation
4.2.2. Tour(s) Plus : un dispositif incitatif pour une réelle coopération
4.2.3. Jean Germain: une politique plus consensuelle mais un caractère affirmé
4.3. Une intercommunalité autour de projets communs
4.3.1. Retour sur l’influence de l’Etat dans les visions communautaires
4.3.2. La perspective d’un projet commun
PARTIE 3 : Une coopération intercommunale pour quelles perspectives ?
1. Un rassemblement intercommunal réussi
2. Une nouvelle réforme contestée
3. Un pôle métropolitain en ligne de mire ?
4. Des enjeux démocratiques importants
Conclusion
Bibliographie
Télécharger le rapport complet