Les droits et devoirs des familles
Pour accompagner les parents dans leur nouveau rôle, l’Ecole reconnait aux parents différents droits, parmi lesquels un droit d’information sur le suivi de la scolarité et du comportement scolaire de leurs enfants ; un droit de réunion s’exerçant dans le cadre de réunions collectives ou rencontres individuelles et un droit de participation par leurs représentants, membres ou non d’une association, élus ou désignés pour siéger dans les instances des écoles et des établissements scolaires. Ces droits ont pour but de garantir aux familles leur place de partenaire dans l’éducation de leur enfant. Leur existence suffit-elle pour autant à permettre le partenariat école/ familles ?
Dans son ouvrage École et familles : une approche sociologique, Jean-Paul Payet analyse la relation des parents et de l’école sous le prisme du «double sens » : les parents ont des droits définis par les textes réglementaires, mais ils auraient aussi des devoirs.
Si les parents ont accédé au statut de partenaires (du moins au niveau des textes officiels et des discours institutionnels), il est dès lors attendu d’eux qu’ils s’impliquent, qu’ils participent, tant au niveau collectif (élections, conseils, comités, commissions d’école, réunions et projets de classe) qu’au niveau individuel (entretiens avec l’enseignant, suivi de l’élève). Lorsque l’enfant connaît des difficultés scolaires, la collaboration des parents est requise. Elle s’inscrit dans une mobilisation globale autour de l’enfant qui associe souvent des institutions partenaires de l’école. Les parents sont en première ligne non plus seulement pour accompagner l’enfant à la maison dans son travail scolaire, mais aussi pour rendre opératoire sa prise en charge, en dehors du temps scolaire, par divers spécialistes des troubles du développement. (Payet, 2017, page 41)
Parmi les devoirs des parents, on comprend donc que ceux-ci doivent s’investir dans l’institution scolaire en participant aux différentes formations administratives, mais également qu’ils doivent s’investir dans le suivi pédagogique de leur enfant, que ce soit en collaborant avec l’enseignant, en le soutenant académiquement à la maison ou en lui permettant d’accéder aux soins dont il aurait besoin. Ces injonctions ne sont pas toujours explicites, et ne tiennent pas compte de l’inégalité des moyens des parents (temps, compétences, connaissances, finances, etc.). Elles sont donc vouées à créer des tensions.
Une réalité fracturée
Bien qu’il existe (et heureusement !) une majorité d’exemples où les deux parties sont satisfaites ; les relations école/parents sont marquées par des tensions qui se répercutent parfois sur l’évolution des élèves. Pour tenter d’éviter ces situations, il faut essayer d’en comprendre les causes. Il semblerait que les attentes institutionnelles évoquées précédemment ne soient pas si claires que cela (1) et qu’en conséquence, un malentendu entre les parties se soit cristallisé (2). Enfin, la diversité des publics de l’école rend la tâche des enseignants ardue : il n’y a pas deux familles pareilles, donc pas de recette magique en termes de coéducation (3).
Des attentes institutionnelles ambiguës
La coéducation suppose que les parents rencontrent les enseignants. Mais cela ne suffit pas.
Dans l’ouvrage Construire une “communauté éducative” : un partenariat famille-écoleassociation, il est avancé qu’il faut également que «les uns et les autres se reconnaissent des compétences, acceptent et puissent modifier leurs stratégies et pratiques en conséquence, par enrichissement mutuel » (Pithon et al, 2008, page 39). Un enrichissement mutuel supposeraitdonc un dialogue à double sens, où chaque partenaire pourrait apporter son expertise, ses compétences. Selon les auteurs, c’est là que l’Education Nationale française fait preuve d’ambiguïté : oui l’institution souhaite accorder une place aux parents en tant que primoéducateurs de l’enfant, mais elle ne prévoit pas vraiment comment intégrer à l’école des « dimensions issues d’autres sphères éducatives » car l’institution chercherait à préserver le « cadre national de l’école républicaine ». En effet, les auteurs montrent que dans ses BulletinsOfficiels, l’Education Nationale place les parents en position de réception. L’enseignant a des devoirs d’information et de justification de ses choix pédagogiques dont les familles sont les destinataires clairement identifiées. Si l’école est également tenue de «prendre le temps d’écouter les familles», cette écoute est laissée sans suite dans les textes : l’école n’est pas tenue de modifier ses pratiques suite à cette écoute. Cela découle du principe de libertépédagogique : le SNUipp-FSU (2006) rappelle notamment que cela signifie que l’enseignant est libre « du choix des méthodes pédagogiques, des démarches didactiques et du type de médiations », tant qu’il s’inscrit dans le cadre des contenus d’enseignement et des missions qui lui sont confiés par l’Etat. Cela permet de garantir l’indépendance de l’école et de l’enseignant face aux pressions administratives, politiques, ou familiales. Cela pourrait aussi être perçu comme un refus de reconnaitre l’expertise des parents en matière d’éducation : l’enseignant sait mieux ce qu’il convient de faire dans sa classe.
« L’expertise» des familles dans l’éducation de leur enfant n’est pas visée par les textes. Elles n’ont donc à priori aucun devoir envers l’école, si ce n’est celui de recevoir le contenu éducatif, les informations, etc. qui leur sont transmis. Ainsi, les auteurs considèrent que les différents partenaires de la coéducation ne sont pas également reconnus ni investis de missions clairement identifiées, puisque seules les compétences éducatives et pédagogiques de l’école sont reconnues par les textes. Il semble cependant cohérent avec le principe de gratuité de l’école que les parents n’aient aucun devoir «légal » envers celle-ci. En effet, contraindre les familles à donner du temps ou à mettre leurs compétences au service de l’école reviendrait à exiger un prix en nature contre l’enseignement. Qu’adviendrait-il alors des familles incapables ou ne désirant pas payer ? Par ailleurs, un enseignant qui exercerait sa liberté pédagogique et mettrait en place dans sa classe des dispositifs décriés par les parents ne serait pas en tort : le confinement l’a douloureusement prouvé aux familles, enseigner est un métier, qui nécessite de mettre en œuvre des savoirs et des compétences très particuliers. L’absence de reconnaissance des compétences des parents dans les textes est donc finalement compréhensible, tant elle pourrait poser problème.
Les auteurs notent également que « l’école prend souvent une posture de « juge » envers les familles et leur ferait des « reproches » (Gayet, 1999). » (Pithon et al, 2008, page 38). Unetelle posture ne peut permettre une coéducation efficace car elle n’aurait rien de constructif. Ainsi, Bruno Humbeeck (2018), en tentant de définir la coéducation, insiste sur le fait que coéduquer, ce n’est pas éduquer la famille. Il faut dès lors la considérer comme compétente dans sa fonction d’éducateur de l’enfant, et ne pas porter de jugement sur ce qu’elle lui transmet. Hiérarchiser les apports éducatifs de la famille en deçà de la culture académique et républicaine transmise à l’école est dommageable. Ce qui est différent permet à l’enfant de s’enrichir, l’école est véritablement utile car elle lui apporte ce qu’il n’aurait pas à la maison; mais la maison peut apporter à l’école et aux autres élèves ce qu’ils n’auraient pas eu ailleurs. Ce n’est que quand les visions sont incompatibles qu’il faut, par la communication, accompagner les familles dans la compréhension de la démarche de l’école. Si les valeurs enseignées par l’école sont en vraie opposition avec celles de la maison, il est possible de (re) « définir des lieux distincts dans lesquels l’acte d’éduquer prend sa nécessaire dimension institutionnelle et au sein desquels les relations de pouvoir ne peuvent avoir cours » (Humbeek, 2018, avant-propos). La classe constituerait alors le lieu de l’enfant et de l’enseignant où les règles relèveraient uniquement de l’enseignant, mais ne seraient valables que dans cet espace particulier ; l’enseignant ne peut rien imposer dans l’espace familial. Cela pose notamment la question des devoirsdonnés à faire à la maison, qui sera adressée plus loin. Cette définition claire des espaces d’action de chacun apparait comme un garde-fou contre la « territorialisation de l’éducation» (Pithon et al, 2008, page 39-40) et l’émergence de communautarisme, en essence opposés à l’Ecole de la République.
Un malentendu cristallisant les tensions
Du fait que les limites des places de chacun des partenaires soient parfois floues, la littératuresur le sujet de la coéducation est assez prolixe au sujet d’un «malentendu » initial qui existeraitentre les familles et l’école et qui rendrait la coopération difficile. Les travaux de Ballion, Dubet et Perrenoud évoqués précédemment mettent en avant le fait que « réussir à l’école» ne voudrait pas dire la même chose pour les enseignants et pour les familles. Ce premier malentendu est difficile à dépasser mais l’école a su s’adapter en n’évaluant plus les élèves du premier degré avec des notes chiffrées (10/10 ou 20/20) mais en appréciant la maîtrise des compétences travaillées en classe : l’école ne sert plus à apprendre des notions théoriques mais bien à acquérir des compétences utiles pour la « vie d’adulte» et la vie professionnelle.
L’évaluation de la réussite des enfants est ainsi peut-être plus explicite pour les familles.
Auparavant, un enfant avait 5/5 à l’exercice 1 ; aujourd’hui il a acquis la compétence « x » travaillée par l’exercice 1. Les objectifs pédagogiques de l’enseignant sont ainsi explicitement révélés, ainsi que leur stade de maîtrise par l’élève.
Pour autant, tout malentendu n’est pas levé si simplement et des conflits de représentations continuent d’exister. Deana et al. (2003, page 169) évoquent notamment le fait que l’enfant ne représente pas la même chose pour ses parents et pour ses professeurs. Cet écart, bien que naturel, peut créer des incompréhensions et doit être anticipé par les professionnels lorsqu’ils entrent en contact avec les familles. De plus, selon Humbeeck, le rôle de chacun doit être circonscrit « autour de la fonction d’éducation que l’école et la famille sont amenés à réaliser ensemble » (2018, avant-propos). Dépendamment des enjeux que chaque partenaire attache à l’élève, ces fonctions d’éducation peuvent susciter un malentendu de plus: où commence la mission de l’école ? et surtout où s’arrête celle des parents? Pour tenter de répondre à ces questions, Humbeeck propose de réfléchir à ce qu’il appelle « l’effet belle-mère » (page 74).
Un parent qui confierait, pour des raisons organisationnelles, son enfant à sa belle-mère de façon régulière lui accorderait sa confiance et la latitude de gérer ce temps avec son petit-enfant comme elle l’entendrait. Cette situation est rapprochée par l’auteur à une situation de coéducation. Cependant, si celle-ci en profitait pour identifier des failles dans l’éducation parentale et pour proposer des remédiations, alors le parent se vexerait et ferait probablement preuve d’une «agressivité défensive ». Cette agressivité serait liée à un sentiment d’illégitimité de la démarche de la belle-mère : personne ne lui avait rien demandé, et son avis n’est fondé sur rien. Elle a changé de positionnement en passant de partie à la coéducation à soutien àla parentalité sans que le parent concerné n’ait formulé de demande d’aide. Les conseils prodigués, même constructifs et pertinents, seraient dans cette situation complètement contreproductifs. L’auteur conclut en expliquant que « le soutien à la parentalité induit une forme de concurrence éducative parce qu’elle suppose l’évaluation d’un dysfonctionnement, la proposition d’une solution pour y remédier et la reconnaissance d’une expertise suffisante pour se permettre de réaliser l’un et l’autre» (page 75). La mission de l’école est donc dans la coéducation et ne doit en aucun cas verser dans le soutien à la parentalité. La métaphore de « l’effet belle-mère » peut permettre d’aiguiller les membres de l’équipe éducative pour que chacun reste à sa place.
La diversité de l’investissement parental
Dans son ouvrage proposant une approche sociologique de la relation entre l’école et les familles, JP Payet note que les familles sont « marquées par une très grande diversité » (2017, page 33). Selon lui, cette diversité est telle qu’il serait tentant « de déclarer toute entreprise de systématisation, dont relève parmi d’autres la démarche sociologique, impossible » (2017, page 33). Cependant, il convient que des orientations générales peuvent être dégager, à condition de ne pas les considérer comme des règles indérogeables. Grâce à de nombreuses études qualitatives, il explique qu’il a été possible notamment de prouver «l’interaction entre des grandes catégories (telle que le milieu social) et des variables plus fines qui renvoient à la singularité des contextes et à la marge de manœuvre des acteurs, tant scolaires que familiaux» (2017, page 33). Ainsi, la littérature oppose deux « tendances » : d’un côté, les parents trop peu présents, et de l’autre, les parents «trop » présents. En effet, certains parents se sentent parfois éloignés de l’école et sont alors considérés par les équipes pédagogiques comme « des parents invisibles » ou « démissionnaires » (Gasparini, 2020, pages 127-129). A l’inverse, les auteurs s’intéressant à la coéducation ont pu également identifier des parents très actifs, comme notamment Payet (2017) lui-même, Kherroubi (2008), ou encore Lahire (2019) qui évoque l’influence de la classesociale dont sont issus les élèves en prenant l’exemple de l’accès aux livres.
Différents moyens de coéducation et leurs objectifs
La coéducation suppose que les différents acteurs qu’elle lie (école et familles), entrent en contact et communiquent pour construire ensemble des points d’appui pour l’élève. Ce dialogue, nous l’avons vu, n’est pas naturel. Il doit être mis en place et peut être favorisé par divers outils et moyens, mis en place par l’institution et par les enseignants en ce sens. Pour autant, tous ces moyens n’ont pas le même objectif, bien qu’ils partagent la même finalité : une coéducation efficace au service des apprentissages. Il s’agit donc à présent de faire l’inventaire de ces différents outils et d’en saisir les objectifs afin d’en avoir un usage éclairé et raisonné.
Traditionnellement, les élèves disposent de différents documents, comme le cahier de correspondance, l’agenda ou le cahier de texte qui permet de transmettre des devoirs donnés à faire à la maison, et le livret scolaire. Ces documents, bien que classiques, peuvent évoluer afin de correspondre aux attentes de l’école moderne (A). Ils sont complétés par des rencontres physiques avec les parents, qui suscitent des émotions fortes tant aux jeunes enseignants qu’aux parents et à leurs enfants et dont il faut apprendre à tirer le meilleur parti (B). Enfin, et depuis quelques années seulement, l’ENT se distingue comme un outil de coéducation nouveau: quels avantages peut-on en retirer ? C’est ce que nous tenterons d’étudier en dernier lieu (C).
Documents traditionnels : carnet de correspondance, devoirs, livret scolaire
Classiquement, les élèves se voient confiés différents documents qui permettent à l’école de communiquer des informations jusque dans les foyers des familles. Ces documents, écrits et physiques, tels que le carnet de correspondance ou cahier de liaison (1), l’agenda ou le cahier de texte qui comportent les devoirs donnés à faire à la maison (2) ou encore le livret scolaire (3) n’ont pas les mêmes objectifs et ne transmettent pas les mêmes informations aux familles. Néanmoins, ils constituent des traces tangibles des échanges entre l’école et les familles qu’il convient d’utiliser habilement.
Le carnet de correspondance
Le cahier de liaison, ou carnet de correspondance, est un document classiquement remis à l’élève dès le premier jour de classe, en général dès la petite section, et qui est renouvelé chaque année jusqu’en terminale. Il contient les informations générales relevant de l’organisation du temps scolaire (et parfois périscolaire), mais aussi des informations plus personnelles comme les différentes autorisations (sortie, droit à l’image, etc), des informations sur la vie familiale (justification d’absence, inquiétudes, évènements marquants) et scolaire (souvent des informations sur le comportement de l’élève, mais parfois aussi sur ses résultats). C’est ce que précise par exemple la circulaire du 25 aout 2006 en indiquant que des « échanges d’informations », dans l’intérêt de l’élève, devront avoir lieu aussi souvent que nécessaire «au moyen du carnet de liaison ». Cet outil est généralement constamment présent dans le cartable de l’enfant, puisqu’il constitue un lien entre l’école et la maison, il doit être accessible quotidiennement aux deux acteurs de la coéducation. Pour autant, il ne semble pas que son existence soit une obligation légale, mais plutôt une habitude liée à chaque école. Certaines écoles utilisent ainsi plutôt des « pochettes navettes » qui regroupent les documents organisationnels de la vie de l’école.
Ce document (qu’il prenne la forme d’un cahier ou d’une pochette)réunit plusieurs avantages, parmi lesquels le fait de mettre (en théorie) toutes les familles à égalité quant à l’accès à l’outil, puisque chaque élève s’en voit donné un. Par ailleurs, il réunit l’ensemble des documents donnés à l’élève et adressés à la famille en un seul endroit, ce qui peut permettre aux élèves et aux familles de mieux s’y retrouver. Cela permet également de donner une valeur de sanction aux « mots » écrits par les enseignants aux parents pour les informer que leur enfant aurait eu un comportement inapproprié . En effet, le mot reste dans le carnet, et l’élève est obligé de faire face à ses responsabilités en allant le faire signer à ses parents. Enfin, dans les petites classes, un tel outil permet de redonner une place à l’écrit manuscrit, ce qui peut être modélisant pour des enfants en apprentissage de la lecture et de l’écriture.
Cependant, cet outil vient également avec des limites. Il place l’élève comme intermédiaire de la communication, et bien que responsabilisante, cette tâche est parfois vectrice d’inégalités d’information entre les familles: certains mots ne sont pas montrés (volontairement ou involontairement), certains élèves perdent parfois leur cahier, d’autres le font disparaitre, et la barrière de la langue écrite reste pour certains parents un obstacle infranchissable, que ce soit une question de capacité de lecture ou de compréhension de la langue française. Les parents sont parfois intimidés par ce cahier qui garde trace des échanges tout au long de l’année et certains n’osent donc pas s’en servir.
Pour ce qui est de la barrière de la langue, différentes approches s’affrontent. Humbeeck (2018) suggère que l’enseignant traduise ses messages dans la langue de la famille, avec l’aide de l’élève ou d’un parent capable de le faire. Selon lui, une telle pratique se justifie au nom de « la stimulation et du maintien de la communication » ; mais aussi en ce qu’elle permet de montrer à l’élève et à sa famille que leur culture est valorisée par l’école.
Le livret scolaire
Le livret scolaire est un document qui reprend les matières travaillées au cours d’une période (le plus souvent un trimestre ou un semestre), le niveau de maîtrise de chacune par l’élève, et des commentaires écrits par l’enseignant. Très attendu par les familles, il constitue une sorte de rapport du travail accompli, ainsi qu’un trace pour l’équipe éducative de la scolarité de l’élève.
En France, le contenu du livret scolaire de l’école élémentaire et du collège est défini par arrêté du 31 décembre 2015. On parle du livret scolaire unique (LSU) pour toutes les classes de la scolarité obligatoire (CP à la 3 ème ). Ce livret est marqué, en ce qui concerne l’école élémentaire, par un changement dans la façon d’évaluer, que nous avons évoqué précédemment et qui se traduit par ce que Humbeeck appelle « une appréciation critériée » (2018, page 153).
L’enseignant situe l’élève par rapport à son acquisition d’un objectif d’apprentissage. L’objectif peut être dépassé (D), atteint (A), partiellement atteint (PA) ou non atteint (NA).
Ainsi, de nombreux enseignants du premier degré n’évaluent plus leurs élèves en donnant des notes mais en donnant des objectifs par rapports aux compétences visées par les programmes. Perrenoud définit la compétence comme « un ensemble intégré et fonctionnel permettant de mobiliser toutes les ressources nécessaires pour répondre d’une façon adaptée à des situations multiples » (in Humbeeck, 2018, page 148). La compétence permet de faire face à une situation complexe et nouvelle, en l’identifiant et en construisant une réponse adaptée, qui n’est pas puisée dans un répertoire de réponses préprogrammées. Ces situations complexes et nouvelles peuvent être des situations d’inventions, de création, ou de transformation. Le but n’est donc plus de connaître la leçon, mais de savoir l’appliquer, même dans un contexte nouveau. Une telle vision suppose notamment de sortir d’une vue strictement disciplinaire puisqu’uneune discipline contribue à l’acquisition de plusieurs compétences et réciproquement chaque compétence requiert la contribution de plusieurs disciplines. Ainsi, on peut évaluer la maîtrise des conjugaisons (compétences à priori rattachées à l’étude de la langue) par la rédaction d’un compte rendu en sciences. Enseigner et évaluer par compétences permet de donner davantage de sens et de cohérence aux apprentissages, d’articuler des démarches au sein d’un équipe, de mieux cibler la remédiation. Les élèves deviennent plus autonomes et s’impliquent davantage dans leur travail ; ils ont une meilleure estime d’eux-mêmes. L’élève apprend à réfléchir, à mobiliser des connaissances, à choisir des démarches et des procédures adaptées, pour penser, résoudre un problème, réaliser une tâche ou un projet, dans une situation nouvelle, inattendue ou complexe.
Rencontres physiques
Les rencontres physiques entre les enseignants et les parents permettent de dépasser les freins causés par l’écrit et d’entrer dans un rapport différent avec les familles.
Dans Parents-professionnels à l’épreuve de la rencontre, C. Deana (2003, page 171) explique que « vouloir rencontrer les parents, c’est accepter d’être affecté par de l’autre, du nouveau, de l’étranger, c’est accepter d’être altéré, surpris, sans aucun « vouloir saisir », c’est accepter d’attendre, de suspendre son jugement, ses réponses ». Finalement, le simple fait d’inviter les parents à discuter pourrait être vu comme un pas vers eux, mais il faudrait alors être prêt à entrer dans un échange et non se positionner comme un expert, ce qui empêcherait une communication d’égal à égal. Il s’agit plutôt d’expliquer, de « formuler le sens de ce que l’on entreprend et dire au nom de quoi, énoncé les valeurs auxquelles on se réfère ». Cette explication peut être vécue par l’enseignant comme une mise à nu puisqu’elle donne aux parents des clés de compréhension de sa démarche, et donc de ses failles et renoncements (puisqu’enseigner c’est choisir; les choix peuvent toujours être remis en cause). La rencontre physique est donc un moment redouté, autant par les enseignants qui peuvent craindre cette mise à nu que par les familles qui craignent parfois que l’institution se positionne en «juge » de leurs capacités d’éducation.
Pour autant, C. Deana avance que l’on ne peut renoncer à un tel travail, sans quoi «nous risquons d’être dans des pratiques « colonisatrices » et normalisatrices » ; c’est-à-dire de se placer dans une situation d’imposition par la force des choses qui risquerait fort d’être rejetée en bloc pour la forme et non pour le fond.
Il existe deux types de rencontre avec les familles (notamment identifiées par Deana et al, 2003, page 49. Premièrement, la rencontre collective, qui réunit plusieurs familles et dont l’objet est généralement de discuter de la gestion fonctionnelle et pédagogique de l’école. Deuxièmement, la rencontre individuelle permet d’aborder la progression de l’élève, qu’elle soitacadémique, comportementale ou attitudinale. Il s’agit d’envisager l’élève dans sa globalité et donc d’évoquer ses points forts et ses points faibles. En commençant par un commentaire positif, l’enseignant évite l’écueil de la confrontation avec la famille et se place comme un allié. Quand on souhaite discuter de problèmes avec les familles, il convient de présenter les choses de telle façon à montrer qu’on cherche à trouver des solutions, qui peuvent être mises en place tant en classe, qu’à la maison ou en proposant à l’élève de rencontrer un professionnel qui pourrait l’aider. Il est également possible de donner des conseils afin d’aider l’élève et sa famille à palier certaines difficultés. Ainsi, une parent d’élève en difficulté dans ma classe était désireuse d’avoir notre avis sur le temps à consacrer aux devoirs; un autre élève avait des résultats en baisse car il ne faisait plus ses devoirs, sa mère a pu s’assurer de sa mise au travail grâce à notre alerte (et ses résultats sont remontés aussitôt !). Inversement, une mère d’élève nous a fait part de l’importancepour sa fille de nos mots d’encouragement dans ses cahiers, ce qui nous a motivé à en mettre davantage, dans tous les cahiers. Cette remarque, anodine, n’aurait probablement jamais trouvé sa place à l’écrit. En effet, cette mère d’élève n’est pas française, et bien qu’elle parle très bien notre langue, il n’est pas certain qu’elle sache l’écrire ni même qu’elle se sente suffisamment sûre d’elle pour l’écrire et laisser une trace «juste» pour ça. La rencontre physique laisse place à beaucoup plus de spontanéité et permet en quelque sorte de libérer la parole dans le cadre d’échanges parfois moins formels qu’à l’écrit.
MISE EN PLACE ET ANALYSE DES PRATIQUES NUMERIQUES COEDUCATIVES EN CLASSE DE CM1, EN TEMPS DE CRISE SANITAIRE
Après avoir dégagé les enjeux de la coéducation et étudié les différents outils à la disposition des enseignants pour entretenir le lien entre l’école et les familles, il convient à présent de s’intéresser à ce qui a pu être mis en place dans une classe de CM1, au cours de l’année scolaire 2021-2022, année marquée par la fin de la crise sanitaire liée à la Covid19. Ma binôme et moi même avons eu à cœur de mettre en place des pratiques numériques coéducatives dans notre classe, convaincues que cela permettrait de développer une relation tripartite de qualité entre nous, les familles et nos élèves, relation à même de favoriser les apprentissages. Ce que nous avons mis en place sera présenté, et il conviendra de montrer en quoi chaque dispositif a pu ou non permettre de contribuer à la coéducation et donc à l’acquisition des apprentissages par nos élèves (I). Au-delà de nos ambitions et d’une analyse personnelle peut-être biaisée, une enquête sur les usages que les différents acteurs ont eu de l’ENT depuis septembre a permis de mettre en lumière ce qui a fonctionné ou pas, et ce qui aura plu aux différents acteurs (II). Enfin, nous tenterons d’expliquer les limites qui continuent de freiner le développement de l’ENT, afin peut-être de trouver des solutions (III).
Un seul média pour une relation tripartite
L’ENT est un outil de coéducation intéressant car il est le seul(parmi ceux que nous avons étudié) à permettre une relation tripartite asynchrone unissant les membres de l’équipe pédagogique, les élèves et les familles. L’utilisation de cet outil a permis, dans notre classe, de favoriser la communication entre les parents et les enseignants, que ce soit en lien avec le contexte de crise sanitaire ou pas (A). L’ENT nous a également été utile dans le cadre des devoirs donnés à faire à la maison, en mettant cette fois en lien les 3 acteurs de la coéducation (B). Enfin, plus largement, l’ENT a favorisé la communication sur ce qui est fait en classe, en agissant comme une porte ouverte sur la classe, ce qui aurait impacté la motivation des élèves favorablement (C).
Communication parents-enseignant
L’utilisation première de l’ENT est sans doute liée à l’application de messagerie qui est proposée, et c’est pourquoi il semble important de commencer par la fonction de communication entre les familles et la communauté pédagogique. En reprenant l’historique de la messagerie enseignant de l’ENT de notre classe, on peut distinguer trois cas de figure: soit l’enseignant contacte tous les parents (1), soit une famille contacte l’enseignant ou la communauté pédagogique pour transmettre des informations personnelles (2), soit la communication est liée à la crise sanitaire (3).
Messages de l’enseignant à tous les parents
Dans le cas où l’enseignant a cherché à communiquer avec tous les parents, deux circonstances se détachent. D’abord, celle d’une communication urgente, ne pouvant attendre d’être diffusée via le carnet de liaison ; canal pourtant priorisé par la pratique de notre école. Par exemple, notre classe se rendait tous les vendredis matins à la piscine, accompagnée par une autre classe ; et nous étions donc deux enseignantes pour encadrer les élèves sur le trajet. Le mercredi 8 décembre 2021, le protocole sanitaire a changé et nous n’avions plus le droit d’y aller à deux classes. Ne souhaitant pas être seule pour encadrer notre classe, il fallait demander aux familles si un parent était disponible. Si nous n’avions pas eu l’ENT, nous aurions fait circuler l’information le jeudi et nous n’aurions pas pu recevoir de réponse avant le vendredi matin. Grâce à l’ENT, un message a aussitôt été envoyé aux familles et dès le mercredi soir, une mère d’élève s’était portée volontaire. Une telle rapidité de circulation de l’information n’aurait pas été possible sans l’ENT.
Messages d’une famille à l’enseignant
Quand une famille contacte l’enseignant sur l’ENT, elle choisit délibérément ce canal plutôt que celui du carnet de liaison, qui a pourtant été pointé comme le moyen de communication à privilégier en début d’année. Ainsi, nos parents d’élèves nous ont envoyé assez peu de messages numériques, mais en reprenant les messages que nous avions reçus, on peut dégager une typologie. A chaque fois, les familles partagent des informations personnelles qui ne concernent pas le collectif mais uniquement leur enfant.
Certains messages sont liés à des « drames » du quotidien, qui ne peuvent pas forcément attendre le prochain jour de classe. Ainsi, comme évoqué précédemment, une mère d’élève nous a contacté pendant les vacances de la Toussaint car son fils ne parvenait pas à faire ses devoirs de vacances. S’ils avaient attendu la rentrée pour comprendre comment fonctionnait le cahier numérique, l’élève n’aurait pas pu avancer dans son travail et cela aurait été dommage. Certains élèves disposent d’un réseau de copains et de familles qui sont prêtes à répondre à ce genre de question, mais le fait d’avoir un canal institutionnel permet de lisser d’éventuelles inégalités d’inclusion sociale et d’avoir une information plus « officielle ».
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Table des matières
Introduction
PARTIE I –ETAT DES LIEUX
I. Histoire de la coéducation et principaux enjeux
A. Une mise en place progressive
1. Petit historique de la relation école-famille
2. Les droits et les devoirs des familles
B. Une réalité fracturée entre parents-consommateurs et parents distants
1. Des attentes institutionnelles ambiguës
2. Un malentendu cristallisant les tensions
3. La diversité de l’investissement parental
II. Différents moyens de coéducation et leurs objectifs
A. Documents traditionnels : carnet de correspondance, devoirs, livret scolaire
1. Carnet de correspondance
2. Les devoirs donnés à faire à la maison
3. Livret scolaire
B. Rencontres physiques
C. L’ENT, une révolution?
PARTIE II – MISE EN PLACE ET ANALYSE DES PRATIQUES NUMERIQUES COEDUCATIVES EN CLASSE DE CM1, EN TEMPS DE CRISE SANITAIRE
I. Un seul média pour une relation tripartite
A. Communication parents-enseignant
1. Messages de l’enseignant à tous les parents
2. Messages d’une famille à l’enseignant
3. Communications liées à la crise sanitaire
B. Réalisation de devoirs
C. Communication sur ce qui est fait en classe : porte ouverte sur la classe ; motivation pour les élèves
II. Enquête sur les usages et la satisfaction des acteurs de la coéducation
A. Méthodologie de l’enquête et objectifs visés
1. Les statistiques proposées par l’ENT
2. Les questionnaires élève et parent
3. Le questionnaire enseignant
B. Analyse des réponses obtenues et propositions d’adaptation
1. Les usages –fréquence de connexion
2. Les usages –facilité de navigation
3. Les usages – les motifs d’utilisation
4. La satisfaction
Conclusion