Histoire d’AATON et généalogie des appareils

Formation : entre art et science, dans l’air du temps du « direct »

Pour étudier une entreprise comme Aaton, ainsi que ses appareils, il faut tout d’abord saisir les enjeux qui préexistaient à sa création. Dans le cas d’Aaton, faire la genèse de cette société correspond à s’intéresser directement à la personnalité de son fondateur et dirigeant historique : Jean-Pierre Beauviala. En effet, sa conception personnelle du cinéma se reflète dans chacun des appareils qu’il mettra au point avec son équipe. Elle s’est constituée dès les origines de son parcours professionnel et avant la création de sa propre société, notamment dans la manière dont il a été formé, à la fois scientifiquement par l’institution universitaire et empiriquement par l’environnement cinéphile dans lequel il a évolué. Les éléments biographiques que nous allons présenter ici, qui correspondent donc à la période précédant la fondation d’Aaton, révèlent une articulation particulière entre art et science dans le parcours du jeune Beauviala. Il définit d’ailleurs lui-même ses années de jeunesse comme un moment où il avait « un pied dans le cinéma, un pied dans la technique».

Repères biographiques

Jean-Pierre Beauviala est né en 1937 à Arles, dans les Cévennes. Il s’installe à Grenoble en 1957 « pour faire des études dites supérieures à l’Université [où il apprend] la physique et les mathématiques2 ». Il y obtient un diplôme d’ingénieur et devient thésard tout en occupant un poste de maître-assistant en électronique, de 1962 à 19653. Son parcours professionnel commence donc par l’apprentissage puis l’enseignement des sciences dans le secteur universitaire. Nous pouvons dire que Beauviala est avant tout un ingénieur, issu du monde des sciences dures. Ce haut niveau de qualification n’est pas un élément biographique anecdotique, puisque Beauviala se réfère souvent aux possibilités que ses connaissances scientifiques ont pu lui ouvrir. Il se présente lui-même régulièrement comme un « ingénieur, un industriel4 » qui a été « prof à l’université de Grenoble en électronique5 » et qui peut, en partant d’une idée de cinéma, développer des dessins concrets, des éléments de nature industrielle, et ne pas se contenter d’échafauder des hypothèses théoriques. Jean-Pierre Beauviala a donc avant tout, chronologiquement parlant, un pied dans la réalité de la technique et de la théorie électronique. Parallèlement à ses études scientifiques, il fréquente assidûment les cinéclubs, est responsable de la partie culturelle « de l’association générale des étudiants de Grenoble (cette “AGEG” chère au coeur de tant de Grenoblois de cette génération) [puis de] la présidence du ciné-club6 » de son université. Quand Beauviala précise qu’il a « un pied dans le cinéma » à cette époque, il n’entend pas par là qu’il s’agissait d’une simple activité de loisirs ou d’un divertissement. Cette fréquentation assidue est plutôt à entendre dans le sens d’une formation intellectuelle, même si elle est de nature empirique et plus informelle que celle qu’il suit parallèlement à l’université. C’est toutefois au sein de ces lieux de projection non-commerciaux qu’il apprendra, selon lui, à « regarder les films ». Cette question de la formation du regard au sein de ciné-clubs est un autre élément fondamental dans la compréhension de ce qui est à l’origine de l’entreprise Aaton. Jean-Pierre Beauviala est, comme beaucoup de cinéphiles de sa génération, un autodidacte en matière de cinéma. Il n’a pas suivi de formation spécialisée dans une des grandes écoles parisiennes qui existaient à l’époque, comme l’Institut des hautes études cinématographiques – l’IDHEC – ou l’École technique de photographie et de cinématographie – dite « école de Vaugirard ». Le cinéma occupe une place importante à Grenoble dans les années 1960 et 1970. On y trouve une cinémathèque, fondée en 1962, et de nombreux ciné-clubs dont l’important « Ciné-Club de Grenoble », créé en 1957. Selon Jean Labib, le premier ciné-club de France y serait né.
L’exploitation non-commerciale y aurait occupé « la moitié de l’activité » totale de diffusion. Le public de l’époque avait accès à un cinéma à la fois de répertoire et d’actualité, commercial et plus indépendant. Beauviala appartient à cette génération de spectateurs qui se sont formés à l’esthétique cinématographique par l’expérience de la vision collective des films, du débat autour des oeuvres et par la lecture de revues qui se définissaient également comme « cinéphiles ».

Filmer en « direct »

Les années 1950 et 1960 sont une période charnière quant à l’histoire des formes cinématographiques, des discours qui y sont consacrés et des techniques qui ont permis leur création. On assiste alors à un renouveau de la cinéphilie et au développement d’un genre nouveau de matériel de prise de sons et d’images. Ce changement, au niveau des discours se cristallise plus particulièrement dans l’émergence de deux nouvelles revues. Les Cahiers du cinéma sont créés en avril 1951 par Joseph-Marie Lo Duca, Jacques Doniol-Valcroze et André Bazin. La revue Positif est quant à elle créée par Bernard Chardère en mai 1952. Ces publications participent de l’émergence d’un nouveau type de discours cinéphilique, notamment en remettant sur le devant de la scène la question des auteurs et des considérations politiques.
Conjointement à ces espaces critiques, il faut également noter que les années 1960 sont un moment particulier de l’histoire du cinéma, documentaire notamment. Selon Séverine Graff.

La « révolution » Nagra

Avec Vincent Bouchard, nous pouvons synthétiser les différentes caractéristiques techniques du troisième modèle de magnétophone Nagra de la manière suivante.
Il s’agit du premier appareil d’enregistrement du son véritablement « portable » que l’on peut synchroniser avec un moteur de caméra, puisque la vitesse de défilement de la bande magnétique y est asservie électroniquement Pour Beauviala, cette machine est « une révolution » et son inventeur est « un génie ». Ce Nagra III portable a en tout cas permis aux opérateurs, en France, au Québec et aux États-Unis principalement, d’enregistrer du son synchrone tout en restant en prise avec le monde, c’est-à-dire pour la première fois sans un équipement encombrant autre qu’un câble reliant les deux appareils. Les films qui seront tournés grâce à cet appareil vont marquer durablement Beauviala puisqu’ils constituent, selon lui, des sommets inégalés en matière d’art cinématographique. Parmi les oeuvres qui ont le plus marqué sa cinéphilie, Salesman occupe une place de choix. Ce film, tourné au milieu des années 1960 constitue une sorte de mètre-étalon pour lui et il s’y réfère comme à l’un des « plus grands [documentaires] jamais réalisés ». Il a été réalisé en son synchrone sans fil et caméra à l’épaule avec une Auricon 16 mm, grâce à un habile bricolage des frères Maysles. Ils ont conçu spécialement pour le film un système de synchronisation avec « une montre à diapason ». Ce dispositif n’était pas suffisamment fiable pour dépasser le stade de l’expérimentation in situ, du fait de leurs lacunes en électronique, et ne connaîtra donc pas de développement industriel. Mais ce long-métrage constitue tout de même un vrai tournant cinéphilique pour Beauviala, car il propose de nouvelles formes qui correspondent, selon lui, à ce que l’on peut faire en documentaire avec du matériel léger. Au-delà de cette oeuvre charnière et du film Les Raquetteurs précédemment cité, Beauviala convoque un ensemble de réalisateurs qui constituent son socle de référence cinématographique, qui est resté inchangé au fil des années.

Un désir artistique à l’origine des premières inventions

Une conjoncture particulière va amener Jean-Pierre Beauviala à mettre ses connaissances en électronique au service de la technique cinématographique. Jeune ingénieur diplômé et cinéphile passionné, il ne se destine pourtant pas à faire carrière dans les milieux du cinéma. Or, un projet municipal de rénovation du centre-ville de Grenoble, qui soulève son indignation, va susciter une tentative de passage à l’acte artistique. Beauviala souhaite dépasser son statut de spectateur pour rentrer dans un processus de contestation par la création cinématographique. Il va alors élaborer un projet esthétique précis qui repose sur la mise en place concrète d’un dispositif technique complexe. Ses exigences formelles vont être confrontées aux appareils existants et à une impossibilité technique de réaliser son film tel qu’il l’imagine. Ce constat l’amène à mobiliser ses compétences scientifiques au profit de son désir créatif. Il rentre alors dans un processus d’invention qui vise in fine à rendre compatibles les appareils de prise de sons et d’images avec les exigences esthétiques de son projet. L’élément déclencheur de ces premiers bricolages techniques, qui mèneront Beauviala à sa carrière d’inventeur d’appareils cinématographiques, est le projet de rénovation urbaine dit de la « Villeneuve ».

Le projet de la « Villeneuve »

Durant ses années à l’université, Jean-Pierre Beauviala est syndicaliste, engagé politiquement. Le cinéma n’est pas, avec l’électronique, son unique passion puisqu’il est par ailleurs très intéressé par les questions d’urbanisme.
L’organisation des villes est selon lui un des enjeux politiques majeurs de nos sociétés et il se décrit lui-même comme un « architecte contrarié ». Il a une affection particulière pour le vieux centre-ville de Grenoble, où il installera les locaux d’Aaton – et où il vit d’ailleurs encore aujourd’hui. Vers le milieu des années 1960, la mairie de la ville entame une campagne de réhabilitation urbanistique en vue des Jeux olympiques d’hiver qui se tiendront à Grenoble en 1968. Le projet, intitulé « La Villeneuve », est porté par l’Atelier d’urbanisme et d’architecture, qui s’inspire notamment des travaux de Le Corbusier. Il s’agit d’une refonte totale de la partie sud de la ville, un projet gigantesque qui nécessite le déplacement de l’aéroport : « la plus vaste opération immobilière de l’agglomération grenobloise ». Pour Jean-Pierre Beauviala, cette question urbanistique est « fondamental[e] » puisqu’elle sera, nous le verrons, l’occasion de sa première appropriation des outils techniques cinématographiques. Il aborde toujours la question de la Villeneuve avec passion, rappelant l’importance que cet événement a eue pour lui et décrit le projet d’une manière assez virulente.

Le cinéma comme vecteur de contestation

En 1967, afin d’exprimer publiquement son désaccord avec les services municipaux, Jean-Pierre Beauviala cherche à réaliser un film documentaire, dans le sillage du « direct », de ce cinéma qui viendrait « “saisir sur le vif” le réel filmé », pour reprendre les mots de Séverine Graff. C’est par la création cinématographique qu’il entend transmettre au public sa perception de la vieille ville, à contre-courant de celle prônée par les architectes. Le choix du cinéma comme vecteur de son message se serait imposé à lui naturellement, comme il le rappelle :
« Pour pouvoir lutter contre ce projet, je n’avais que ma faible voix et je me suis dit “je vais faire un film” ! Avec un film on peut montrer. Personne ne m’aurait lu si j’avais fait un pamphlet. J’espérais pouvoir faire connaître mon avis avec un film. »
Le film n’a jamais été réalisé, mais il avait élaboré un projet esthétique précis, qui consistait à plonger le spectateur en immersion, sonore et visuelle, au coeur de la vieille ville. Il décrit ainsi ce qu’il avait prévu de réaliser :
« Mon projet était d’avoir [une] caméra déambulant dans les vieilles rues et, en une espèce de champ contre-champ, sur les plans de la Villeneuve. [Mais] surtout de faire entendre les sons concomitants. C’est-à-dire que lorsqu’on est dans des vieilles rues […] on est à tout moment entouré de commerçants. […] L’idée c’est : comment de l’espace mental se crée dans une vieille ville et comment tous les gens qui le peuvent se rabattent toujours sur le centre-ville, qui sont plus agréables que les cages à lapin. »
On comprend bien ici le lien fort qui unit cette envie de filmer aux expérimentations des « cinéastes du direct » de la même époque. Le projet repose  ici sur la « déambulation » : il est pensé pour une caméra portée à l’épaule qui épouserait ainsi le point de vue du promeneur. Beauviala souhaite effectuer une plongée dans la vie grenobloise subjective, « prise sur vif ».
Afin de réaliser son film, il achète un équipement correspondant à celui utilisé par les cinéastes du direct que nous avons déjà cités ici : une « petite Arriflex standard 16 mm » et un magnétophone Nagra III, qu’il doit relier entre eux par un câble de pilotage – couramment appelé « Pilotone ». Cette liaison filaire constitue alors l’unique possibilité pour Beauviala de synchroniser les deux appareils. Le fonctionnement du dispositif, assez complexe, peut être résumé de cette manière : « L’engrenage principal de la caméra produit – par l’intermédiaire d’une tête magnétique – un signal dont la fréquence est indexée sur la vitesse de la caméra. Ce signal est comparé à une tension de référence de 60 Hz.
– théoriquement constante –, puis un circuit électronique compense les variations de vitesse du moteur […] Du côté de l’enregistreur sonore, le Nagra reçoit le signal de synchronisation de référence de 60 Hz émis par la caméra et cette fréquence devient la référence pour réguler la vitesse de son moteur. Si la vitesse de la caméra varie au cours de la prise de vues, cette variation est transmise au magnétophone et les deux appareils sont constamment synchrones. Un simple clap permettrait de superposer le son et l’image synchrones. »

Le processus d’invention

Beauviala souhaite se débarrasser de ces deux contraintes techniques précises : le fil qui relie ensemble caméra et Nagra, et le clap avant chaque prise. C’est à ce moment que « Monsieur l’ingénieur, prof à l’université, a eu l’idée de réguler la vitesse de la caméra et de l’enregistreur […] et d’enregistrer le temps à la milliseconde près ». Du projet de film originel et des deux contraintes qu’il identifie naît donc une double-idée : asservir la vitesse de défilement de la pellicule ou de la bande magnétique, afin de supprimer le fil, et inscrire sur ces supports des repères permettant de connaître le moment exact de la prise, afin de supprimer le clap. Ces deux idées correspondent concrètement à deux inventions, que Beauviala considère comme complémentaires : le système de compensation des vitesses de défilement grâce au quartz et le « marquage du temps en clair », sur lequel nous reviendrons plus en détail par la suite – puisqu’il ne sera breveté et développé industriellement qu’après la création de l’entreprise et n’est pas encore, durant ce moment de genèse, concrétisé techniquement par Beauviala. Beauviala bricole donc « dans son grenier », lors de cette année 1967, un système électronique qui permet d’asservir le moteur à courant continu de son Arriflex 16 mm standard sur une horloge à quartz. Ce mécanisme est le premier à permettre de réaliser l’asservissement à un temps universel, c’est-àdire à une vitesse de défilement qui reste stable et déterminable, sur des appareils portables d’une manière suffisamment fiable pour être considérée comme exploitable industriellement. D’autres solutions techniques avaient été testées ailleurs, notamment aux États-Unis, mais n’avaient pas dépassé le stade du prototype ou du bricolage-maison en raison de l’instabilité des procédés. Les frères Maysles, déjà cités, avaient fabriqué dès 1959 un système de synchronisation sans fil en utilisant un « convertisseur alternatif piloté par une montre à diapason». Don Alan Pennebaker et Richard Leacock avaient créé « à la fin des années cinquante […] un système de synchronisation à partir du quartz Accutron des montres Bulova » qui fonctionnait sur le même principe de l’invention de Beauviala mais qui « [coûtait] relativement cher et [était] très sensible aux variations thermiques ». À la même époque, en France, Jean Rouch et Mario Ruspoli travaillent en collaboration avec la société Éclair dans un objectif similaire : synchroniser, de manière suffisamment fiable pour ne pas perturber le tournage en conditions documentaires, le magnétophone portable – ici un Perfectone – et la caméra Éclair 16 mm.
Jean-Pierre Beauviala découvre quant à lui l’existence de cette caméra en 1967, par l’intermédiaire d’une publicité dans le quotidien Le Monde : « Je vois une pleine page de publicité dans le Monde pour Éclair, ils avaient eu l’Oscar de l’exportation pour une caméra qui s’appelait “l’Éclair 16” et qui faisait un malheur aux États-Unis. Et le claim to fame était : “silencieuse”. Moi qui avais une Arriflex qui faisait beaucoup de bruit, je me suis dit : “je vais aller voir ces gens-là.” »
Ayant toujours l’idée de réaliser son film, il se rend à Paris dans le but de rencontrer les concepteurs de l’Éclair 16.

Ingénieur chez Éclair

Jean-Pierre Beauviala, pour les besoins de son film et pour satisfaire sa curiosité technique, va rencontrer des employés de la firme Éclair. Ils vont se montrer tout de suite intéressés par son invention et lui proposer un poste au sein de leur entreprise. De jeune universitaire, bricoleur et aspirant cinéaste, Beauviala devient alors ingénieur professionnel dans une des plus grandes firmes française de fabrication de caméras. Il se forme aux spécificités de la conception d’appareils de cinéma au sein de cette société pour laquelle il conçoit ses premières inventions à application industrielle. Mais il se rend rapidement compte des limites induites par son poste et les nécessités économiques de ce type de structure. Un conflit ouvert naît avec les dirigeantes, qui l’amènera à quitter la firme et à fonder sa propre entreprise. Le passage chez Éclair constitue ainsi la première expérience industrielle de Beauviala.
Fondatrice, elle lui permet de rencontrer dès le jour de son recrutement des personnalités qui joueront un rôle important dans l’aventure Aaton.

Recrutement

À Paris dans les locaux d’Éclair, Beauviala rencontre l’adjoint du directeur commercial, François Weulersse. Il essaye la caméra Éclair-16, la trouve un peu lourde mais ne peut que constater son silence en fonctionnement. Une discussion technique s’engage. Il finit par présenter son projet de film et la double-invention qui constitue la base de son idée du marquage du temps. On lui rétorque alors que l’entreprise travaille depuis plusieurs années à développer un système de synchronisation entre caméra et enregistreur sonore légers, en collaboration avec un des ingénieurs et dirigeant de l’entreprise suisse Perfectone, Jean-Jacques Bessire, qui fabriquait également des moteurs pour les caméras Éclair. Après ces discussions, les responsables d’Éclair proposent à Jean-Pierre Beauviala de travailler pour eux, de rédiger les plans en vue de développer industriellement son système d’asservissement des vitesses de défilement, adapté à leur caméra 16 mm. Ils conseillent donc à Beauviala de breveter sa découverte – « autant par
honnêteté totale que pour se protéger de leur concurrent principal, Arriflex » – ce qu’il n’avait pas encore fait, et lui demandent de leur vendre les droits d’exploitation. En guise de paiement, il réclame une Éclair-16, toujours motivé par la volonté de pouvoir enfin réaliser son film. Il obtient, en plus de cet appareil, un pourcentage, qu’il estime aujourd’hui à « environ 5 %50 », sur les ventes de la caméra équipée de son invention. Ce sont donc des revenus très confortables qui s’offrent à lui pour les années qui suivent, puisque ce seront selon lui « 3000 » caméras qui seront vendues. Beauviala se met alors en disponibilité de son poste à l’université et commence sa nouvelle carrière hors du milieu universitaire en tant qu’ingénieur-conseil d’abord, puis directeur des études, chez Éclair. Il avait toutefois exigé de « rester sur [son] territoire » et obtient que le laboratoire d’études qu’il dirige soit installé à Grenoble, dans les locaux de son choix. Il se retrouve donc à travailler pour cette firme avec dans l’idée de pouvoir développer, grâce à des moyens industriels conséquents, sa double-invention du marquage du temps.

Réalité du travail industriel

Beauviala doit, dès ses débuts chez Éclair, se confronter directement aux consignes de la direction et à ses orientations commerciales. L’entreprise attend en effet de lui qu’il laisse de côté cette idée de prises d’image et de son séparées. Par l’entremise de leur responsable américain, Jean-Philippe Carson, la firme demande à Beauviala de développer pour l’Éclair 16 un dispositif qui viendrait répondre à la demande du marché États-uniens en permettant de tourner en single-system. Ce système correspond au fait d’enregistrer en même temps image et son, sur le même support et directement dans la caméra, à l’aide d’une piste optique ou magnétique disposée sur le bord de la pellicule.
Cette technique s’oppose au double-system, qui consiste à enregistrer son et image sur deux supports différents, donc à la possibilité de travailler à deux opérateurs différents lorsqu’on le souhaite. Il y a, dans le cas du single-system, obligation de correspondance et de simultanéité entre le point de vue et le point d’écoute, ce qui n’est pas le cas si l’on utilise le double-system : les opérateurs restent libres de se déplacer ou de ne pas déclencher la prise en même temps et comme les supports sont distincts, le monteur peut choisir de ne pas synchroniser les deux ensemble. Le single-system correspond à une forte demande commerciale de la part des opérateurs de télévision américains, des newsmen qui travaillent à l’époque en 16 mm. Ce paradigme de prise d’images et de sons est dominant sur ce continent à cette époque. Il s’agit pour eux, grâce à l’utilisation d’un tel système, de rentabiliser la chaîne de production en évitant le montage et la synchronisation de l’image et du son postérieurs au tournage. Il suffit pour l’opérateur de capter une situation, puis pour la chaîne de développer le film et de la diffuser dans la foulée grâce au télécinéma. Il n’y a aucun repiquage à effectuer, ce qui permet de gagner à la fois du temps et de l’argent lors des phases de post-production. Or, à cette époque et dans les milieux techniques audiovisuels d’outre-Atlantique, c’est le « règne de l’Auricon 16 single-system ». Éclair et Carson veulent gagner des parts de marché en alignant leur offre d’appareils sur la demande existante. Ils se tournent alors vers l’ingénieur grenoblois.

Le rapport de stage ou le pfe est un document d’analyse, de synthèse et d’évaluation de votre apprentissage, c’est pour cela chatpfe.com propose le téléchargement des modèles complet de projet de fin d’étude, rapport de stage, mémoire, pfe, thèse, pour connaître la méthodologie à avoir et savoir comment construire les parties d’un projet de fin d’étude.

Table des matières

INTRODUCTION
PARTIE 1 -DE L’ENVIE DE FILMER « EN DIRECT » À LA CONCEPTION D’APPAREILS
I. Formation : entre art et science, dans l’air du temps du « direct »
I.a) Repères biographiques
I.b) Filmer en « direct »
I.c) La « révolution » Nagra
II. Un désir artistique à l’origine des premières inventions
II.a) Le projet de la « Villeneuve »
II.b) Le cinéma comme vecteur de contestation
II.c) Le processus d’invention
III. Ingénieur chez Éclair
III.a) Recrutement
III.b) Réalité du travail industriel
III.c) Ruptures
PARTIE 2 -HISTOIRE D’AATON ET GÉNÉALOGIE DES APPAREILS
IV. Les débuts d’Aaton
IV.a) Fondation de l’entreprise
IV.b) « Caméra brousse »
IV.c) Accessoires
V. Les caméras 16 mm
V.a) Genèse du « chat sur l’épaule »
V.b) Aaton 7
V.c) Aaton 7 LTR
V.d) Aaton XTR
V.e) A-minima
VI. Vidéo analogique et caméras 35 mm
VI.a) Aaton VR30 – la « Paluche »
VI.b) L’expérience Aaton 8-35
VI.c) Du prototype 8-35 à l’Aaton 35
VI.d) Évolutions de l’Aaton 35
VII. Du 35 mm au numérique
VII.a) Aaton Pénélope
VII.b) Un appareil hybride
VII.c) La Pénélope-Delta
VII.d) Un capteur mobile
VII.e) Fin de l’ère Beauviala
PARTIE 3 -AATON À L’ÈRE DE LA PRISE DE VUES NUMÉRIQUE
VIII. Problème(s) de l’image numérique
VIII.a) Une perte esthétique
VIII.b) Le « grain »
VIII.c) Du numérique à l’argentique : le hasard
IX. La Pénélope-Delta : une réponse critique
IX.a) Un désir de continuité paradoxal
IX.b) Nier l’image numérique
IX.c) Un « révolutionnaire-réactionnaire »
X. Pratiques numériques
X.a) La fin de la résistance
X.b) Le numérique comme changement de paradigme
X.c) Le retour à la Paluche : vers une « d-minima » ?
PARTIE 4 -ENTRE UTOPIE ET INDUSTRIE
XI. Un modèle industriel atypique
XI.a) Historiographie du modèle aatonien
XI.b) Entre industrie et artisanat
XI.c) Des appareils haut de gamme
XII. De la conception d’appareils à la théorie : le marquage du temps
XII.a) Penser le cinéma à partir d’un dispositif
XII.b) Une théorie à l’épreuve des usages
XIII. Une nouvelle praxis du cinéma : de la pratique à l’esthétique
XIII.a) Un « cinéma-fiction travaillé à partir du réel »
XIII.b) Contre le « réalisme » mimétique
XIII.c) Une esthétique de la « raréfaction »
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
GLOSSAIRE
INDEX DES BREVETS CITÉS
INDEX DES FILMS CITÉS

Rapport PFE, mémoire et thèse PDFTélécharger le rapport complet

Télécharger aussi :

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *