Hidradénite suppurée
L’hidradénite suppurée (HS), anciennement « maladie de Verneuil », est une dermatose inflammatoire chronique, décrite pour la première fois par Velpeau en 1833, puis par Verneuil en 1854. Sa prévalence est estimée, selon les études, entre 0.05 et 4% (1), plus précisément aux alentours de 0.7% en Europe (2). En France, la prévalence de l’HS est estimée à environ 1% (3). Elle touche plus fréquemment les femmes avec un sexe-ratio estimé entre 2/1 et 3/1 (4). Son diagnostic, clinique, est basé sur la présence de lésions caractéristiques précoces (nodules profonds douloureux pouvant suppurer) et tardives (abcès, tunnels, cicatrices en pont, atrophiques ou hypertrophiques, pseudo-comédons) (cf. Annexe 1), dans des localisations typiques (grands plis axillaires, inguinaux, sous-mammaires, périnéofessiers), évoluant de façon chronique ou récidivante (5). La sévérité de la maladie est le plus souvent évaluée à l’aide du score de Hurley, le score le plus ancien et le plus reconnu (6) (cf. Annexe 2), notamment du fait de sa facilité d’utilisation en pratique clinique. Environ 2/3 des malades sont classés comme Hurley 1, 1/3 Hurley 2, et moins de 5% Hurley 3 (7). Sa physiopathologie repose sur le concept d’une occlusion du follicule pileux par des débris kératinocytaires comme évènement princeps, qui elle-même mènerait à une inflammation de l’ensemble de l’appareil pilo-sébacé, par une réaction immune localisée massive, menant à la rupture folliculaire, à la formation d’abcès puis de lésions cicatricielles (8,9). L’HS n’est pas une pathologie infectieuse au sens propre du terme, bien qu’une surinfection bactérienne soit à l’origine de certaines manifestations cliniques de la maladie, comme l’abcédation des nodules, les écoulements purulents, d’où l’efficacité (transitoire) des traitements antibiotiques. Le profil microbiologique des lésions d’HS montre une part variable de germes commensaux de la peau ou des muqueuses : des germes aérobies (principalement des staphylocoques à coagulase négative, tels que le Staphylococcus lugdunensis) dans les stades modérés de la maladie (Hurley 1), et des germes anaérobies divers (Prevotella, Porphyromonas, Streptococcus milleri, actinomycètes) dans les stades plus avancés (Hurley 2 et 3) (10). Toutefois, la nature pathogène de ces germes n’est pas certaine, la principale hypothèse serait celle d’une association de « copathogénicité » (synergie de plusieurs germes) (11), de conditions favorables de développement de germes commensaux (anaérobiose dans les lésions profondes, présence de biofilms) (12), et d’un défaut de l’immunité innée (13). Ce dernier viendrait d’un défaut intrinsèque de production de peptides antimicrobiens (14,15) par les kératinocytes (16), d’une production augmentée de cytokines proinflammatoires (IL-17, IL-10, IL 1β, IL-18, INF-γ, TNF-α) (17,18), et d’une différenciation Th17 des lymphocytes T au dépend des lymphocytes T régulateurs (19,20). Des formes familiales, de transmission autosomique dominante, ont été décrites (21), avant la mise en évidence de mutations de gènes codant pour des sous-unités de la γ-secrétase (PSEN1, PSENEN, NCSTN notamment) dans plusieurs familles atteintes d’HS (22,23), représentant environ 5% des malades. Le rôle d’un déséquilibre hormonal dans la physiopathologie de l’HS est actuellement débattu du fait de données très contradictoires. Les désordres hormonaux joueraient plutôt un rôle de co-facteur dans la physiopathologie de l’HS, au même titre que l’obésité et le tabagisme (24). L’HS est fortement associée à plusieurs maladies inflammatoires, en premier lieu desquelles les maladies inflammatoires du colon et de l’intestin (MICI), particulièrement la maladie de Crohn (MC). En effet, la prévalence de la MC chez les patients atteints d’HS est, selon les études et les populations étudiées, 2 à 8 fois plus importante que dans la population générale (25–28). La prévalence de l’HS chez les patients atteints de MICI est, elle, encore plus importante : entre 6 et 23% (29,30), bien plus élevée que dans la population générale. De la même manière, on retrouve une prévalence accrue de spondylarthropathies chez les patients atteints d’HS par rapport à la population générale (31,32). L’association est nette avec le surpoids, l’obésité, le syndrome métabolique et le diabète (33–35). Il semblerait que le surpoids soit associé à une plus grande sévérité de la maladie (7). De même, le tabagisme, actif ou sevré est significativement associé à l’HS (33,36). Il semble lui aussi associé à une maladie plus sévère (37), ainsi qu’à une moins bonne réponse aux traitements (38). Le surrisque de cancer, notamment de cancer cutané, est actuellement discuté (39,40). Les conséquences de la maladie sur les patients sont multiples : douleurs (41), prurit, inconfort, conduisant à une très forte altération de la qualité de vie (42), personnelle (43) comme professionnelle (44), voire au trouble dépressif (45). Les différentes addictions sont plus fréquentes chez les malades atteints d’HS (46). Le traitement de l’HS est médico-chirurgical. Les objectifs de celui-ci sont, en l’absence de traitement curatif, au nombre de 3 : atténuer ou faire disparaître les symptômes, limiter les poussées, améliorer la qualité de vie. La grande majorité des traitements utilisés actuellement n’ont jamais été évalués au cours d’études de bon niveau de preuve. La lutte contre les comorbidités est essentielle : surpoids, tabagisme notamment. L’utilisation de pansements absorbants, non irritants, est fréquemment recommandée (47). Une évaluation de l’impact psychologique/psychiatrique de la maladie semble nécessaire. Le traitement de la douleur, qu’elle soit nociceptive ou neuropathique (48), n’est pas spécifique à l’HS. Il n’existe pas de preuve d’efficacité des topiques antalgiques (49). Aucune n’étude n’a montré l’efficacité des antiseptiques topiques dans l’HS. Les seuls antibiotiques topiques qui ont fait l’objet d’études sont la Clindamycine et l’Acide Fucidique (50–52).
Synthèse des recommandations françaises de prise en charge de l’hidradénite suppurée
Du fait de la pléthore de publications (pas toujours de bonne qualité méthodologique), du regain d’intérêt pour cette pathologie, et de l’hétérogénéité des pratiques, ont été publiées en 2019 les premières recommandations françaises de prise en charge des patients atteints d’HS (100). Celles-ci font notamment suite aux recommandations de plusieurs autres sociétés savantes nationales (101–104) ou internationales (62). Ces recommandations portent sur le diagnostic, l’évaluation de la gravité et surtout la prise en charge thérapeutique des patients atteints d’HS, dans le but d’aider les praticiens dans leur pratique courante. Elles ont été établies par un groupe pluridisciplinaire (dermatologues, plasticiens, microbiologistes, urgentistes, généralistes) sous l’égide de la Société Française de Dermatologie (SFD), du Collège des Enseignants en Dermatologie de France (CEDEF), et de la Fédération Française de Formation Continue et d’Evaluation en Dermatologie-Vénérologie (FFFCEDV), selon la méthodologie recommandée par la Haute Autorité de Santé (HAS) pour l’établissement de recommandations pour la pratique clinique. Elles sont issues d’une recherche bibliographique systématique et structurée. Le groupe de travail, après une revue exhaustive de la littérature, propose, entre autres :
– des critères diagnostics simples : lésions typiques, dans des localisations typiques, évoluant de manière récurrente et chronique
– de rechercher une pathologie associée (MICI, rhumatisme inflammatoire) de manière systématique à l’interrogatoire
– d’utiliser le score de Hurley et le nombre de poussées annuelles pour la mesure de la sévérité de la maladie
– d’utiliser le score DLQI pour estimer le retentissement de la maladie sur la qualité de vie
– d’évaluer le risque cardio-vasculaire selon les recommandations en vigueur dans la population générale
– une prise en charge pluridisciplinaire au cours d’une Réunion de Concertation Pluridisciplinaire (RCP) dédiée pour les cas les plus sévères
– d’envisager de manière systématique le sevrage tabagique et la réduction pondérale en cas de surpoids
– d’utiliser des pansements hydrocellulaires ou hydrofibres lors des épisodes de suppuration
– d’évaluer de manière systématique le retentissement psychologique de la maladie
– d’utiliser les antalgiques selon les recommandations en vigueur dans la population générale ; de ne pas utiliser les AINS et glucocorticoïdes à visée antalgique
– de ne pas utiliser d’antibiotiques ou d’antiseptiques topiques
– de ne pas effectuer de prélèvement microbiologique en cas de poussée typique de la maladie
– de ne pas dépasser 21 jours pour le traitement antibiotique d’une poussée
– de réévaluer l’intérêt d’un traitement antibiotique prophylactique entre 12 et 24 semaines après son début
– de remettre des ordonnances anticipées pour un traitement antibiotique court en cas
de nouvelle poussée
– un traitement des poussées d’HS de sévérité Hurley I par Amoxicilline-Acide clavulanique ou Pristinamycine, suivi par un traitement prophylactique par Doxycycline/Lymécycline ou Cotrimoxazole (si échec ou contre-indication de ces dernières) si le patient présente 4 poussées ou plus par an
– un traitement des poussées d’HS de sévérité Hurley II par Amoxicilline Acide clavulanique ou Pristinamycine suivi d’un traitement prophylactique systématique par cycline ou Cotrimoxazole (si échec ou contre-indication), en première intention
– un traitement des poussées d’HS de sévérité Hurley III, ou Hurley II en cas d’échec de la stratégie précédente, par Ceftriaxone-Metronidazole ou LevofloxacineClindamycine pendant 15 à 21 jours, suivi par un traitement d’entretien par cycline ou Cotrimoxazole (si échec ou contre-indication) ou traitement immunomodulateur (Adalimumab ou Infliximab) ou par une chirurgie de la zone atteinte
– de présenter le traitement chirurgical au patient au plus tôt pour les maladies de stade avancé (Hurley II et III)
– de ne pas utiliser les immunosuppresseurs tels que les corticoïdes intra-lésionnels ou systémiques, la dapsone et la ciclosporine
– de ne pas prescrire de manière systématique une contraception oestroprogestative en l’absence de besoin contraceptif
– de réserver les rétinoïdes aux formes folliculaires de la maladie
– de ne pas utiliser les biothérapies autres que l’Infliximab et l’Adalimumab
– d’utiliser le laser épilatoire (notamment NdYAG) à visée préventive
– d’articuler systématiquement le traitement médical au traitement chirurgical, et inversement
– de pratiquer une incision-drainage ou un deroofing à visée symptomatique devant un nodule abcédé
– de pratiquer une exérèse complète ou une marsupialisation (deroofing notamment) des nodules froids (Hurley I) ou des tractus sinueux (Hurley II)
– de pratiquer une exérèse large sous anesthésie générale des plastrons cicatriciels ou des cordons (Hurley II et III)
– de proposer aux patients une prise en charge à 100% par l’Assurance Maladie.
A noter que la plupart de ces recommandations repose uniquement sur des avis d’experts, donc sur des preuves scientifiques limitées. Plusieurs pistes pour la recherche sont soulignées par les auteurs : évaluation des cyclines et du Cotrimoxazole au long cours, de l’association Levofloxacine-Clindamycine, des carbapénèmes, des lasers NdYAG et CO2, des rétinoïdes dans les formes folliculaires. Une synthèse des recommandations est mise à disposition des praticiens, sous forme de tableau (cf. Annexe 3).
Discussion
Cette étude montre que les dermatologues, séniors ou internes, ayant lu les recommandations répondent mieux à des cas cliniques types de patients atteints d’HS, indépendamment de leur expérience ou de leur mode d’exercice. Nos résultats suggèrent que la lecture des recommandations a modifié les habitudes de prescription des dermatologues français. L’objectif de ces recommandations, à savoir harmoniser les pratiques des dermatologues grâce à une synthèse des connaissances actuelles, semble avoir été rempli. De plus, la large majorité des dermatologues interrogés avait lu les recommandations, ce qui montre l’efficacité de leur diffusion. Par ailleurs, les dermatologues interrogés dans notre étude semblaient en majorité trouver ces recommandations utiles dans leur pratique courante. Cette étude met en lumière les parties des recommandations qui sont le moins bien acquises ou qui sont le plus discutées. La place des différents traitements adjuvants semble débattue, particulièrement la non-recommandation des antiseptiques et les indications du laser épilatoire. De même la place des traitements d’entretien de seconde intention semble floue, particulièrement l’indication du Cotrimoxazole après les cyclines, ou l’utilisation non préférentielle de l’Adalimumab par rapport à l’Infliximab. Notre étude présente plusieurs forces. Tout d’abord, la population de l’étude est représentative de l’ensemble des dermatologues français, que ce soit pour le mode d’exercice (libéral : 54.4% à l’échelle nationale (106) contre 52.5% dans notre étude, hospitalier : 27.0% contre 35.0%, mixte : 18.6% contre 12.5%) ou pour le sexe (68.5% de femmes à l’échelle nationale (107) contre 78.6% dans notre étude). Ensuite, nos cas cliniques sont représentatifs de la vie réelle car inspirés de vrais patients, notamment les iconographies (105). Notre étude comporte plusieurs limites. Le faible taux de répondeurs induit un biais de représentativité, bien que la population contactée via les deux principales sociétés savantes françaises de la spécialité (SFD et FFFCEDV) corresponde à presque l’ensemble de la population des dermatologues français (107). Par ailleurs, les dermatologues les plus impliqués dans la formation continue, ou les plus intéressés par l’HS ont sans doute été plus nombreux à répondre au questionnaire, induisant un biais de sélection pouvant expliquer le taux élevé de lecture des recommandations. De plus, il s’agit d’intentions de prescription et non de véritables prescriptions. Enfin, le questionnaire a été réalisé avec l’aide des recommandations, il est donc logique que les praticiens les ayant lus soient plus aptes à fournir des réponses justes. Il aurait été judicieux de réaliser une analyse de type « avant-après » afin d’éviter ce biais.
|
Table des matières
1. INTRODUCTION
1.1. Hidradénite suppurée
1.2. Synthèse des recommandations françaises de prise en charge de l’hidradénite suppurée
1.3. Objectifs de l’étude
2. MATERIEL ET METHODES
3. RESULTATS
4. DISCUSSION
5. CONCLUSION
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
ANNEXES
LISTE DES ABREVIATIONS
Télécharger le rapport complet