Approche probabiliste en FGNC: rôle des hétérogénéités microstructurales
Afin de modéliser l’effet de la nature très hétérogène du dommage, le premier volet de l’étude développe une approche probabiliste basée sur la théorie du maillon le plus faible et le concept d’adaptation élastique, associé au seuil d’amorçage des microfissures. Le calcul de la probabilité d’amorçage est mis en place en introduisant un facteur d’hétérogénéité spatial et un facteur d’hétérogénéité directionnel. Cette approche permet en particulier de prendre en compte les effets du mode de chargement, du trajet de chargement et de la dispersion des données en fatigue multiaxiale. A partir de cette approche probabiliste, un nouveau critère d’endurance multiaxial reflétant le rôle des hétérogénéités microstructurales est proposé [Huyen et Morel 2007b; Morel et Huyen 2008]. Afin de valider cette approche probabiliste, une base de données issue de la littérature est utilisée. L’application de l’approche probabiliste dans le cas de chargements multiaxiaux permet en particulier de refléter fidèlement certains effets relatifs au trajet de chargement, notamment dans les cas de sollicitations de traction-torsion ainsi que de traction biaxiale déphasées, à différentes fréquences et pour différentes contraintes moyennes [Huyen et Morel 2007c]. Au cours de cette étude, le passage de l’endurance illimitée à l’endurance limitée est considéré. L’approche proposée ici tend à prouver que le concept de maillon le plus faible peut être appliqué à la fois dans les régimes infinis et finis de la FGNC. Les prévisions du modèle sont comparées à des résultats expérimentaux conduits pour différentes sollicitations et pour différents matériaux.
Prise en compte de la mésoplasticité
Généralement, les critères développés en déformation (et parfois en énergie) sont adaptés à la fatigue oligocyclique où les essais sont réalisés à déformations imposées. La courbe de référence ε-N de MansonCoffin-Basquin y est utilisée. Les approches en contrainte (et parfois en énergie) sont appliquées la plupart du temps dans le domaine de l’endurance où les essais sont très souvent conduits à efforts imposés. Les comportements cycliques (durcissement, adoucissement, effet de rochet,…) mis en jeu et les constatations expérimentales (influence du déphasage entre les contraintes normale et de cisaillement ou influence d’un chargement moyen) sont différents dans les deux cas. Pour le dimensionnement des structures complexes en présence de chargements multiaxiaux, il existe de nombreux critères à caractère phénoménologique [Crossland 1956; Sines 1959]…. Il est bien connu que ces approches purement macroscopiques ne sont pas suffisantes pour décrire correctement les phénomènes en jeu en FGNC. Suite à ce premier type de critère, l’approche de type plan critique s’est développée en recherchant le plan qui rend maximal la combinaison linéaire du cisaillement et de la contrainte normale au plan considéré [Findley 1959], ou en recherchant le plan qui rend maximal l’amplitude de cisaillement et associe à cette grandeur la contrainte normale à ce plan [McDiarmid 1991]. Une synthèse de ces critères peut être trouvée dans la littérature [Papadopoulos, Davoli et al.1997]. Nous ne détaillons ici que l’approche mésoscopique de type plan critique basée sur les travaux de [Dang Van 1973] qui sera utilisée dans la suite de ce travail.
Approche de Papadopoulos
En reprenant les mêmes hypothèses que Dang Van, [Papadopoulos 1993a; b; 2001] suppose que le matériau est constitué de cristaux parfaits (pas d’hétérogénéité entre les grains) et qu’un seul système de glissement est actif par grains. Il s’agit de décrire les mécanismes de plasticité à l’échelle locale à l’aide d’un critère de type Schmid. A partir d’un comportement à l’écrouissage du cristal approché à l’aide d’une loi combinée isotrope et cinématique, il est possible de construire un graphe avec en ordonnée la déformation plastique accumulée et en abscisse le nombre de cycles appliqués (Fig. 3). Ce graphe permet d’illustrer le comportement des monocristaux sous chargement cyclique à déformation imposée et on distingue :
• La courbe A qui correspond aux plus fortes valeurs de déformation. Le cristal ne pouvant supporter l’accumulation indéfinie de déformation plastique, la largeur des boucles d’hystérésis diminue (écrouissage combiné isotrope et cinématique) suivi par un deuxième stade où la largeur reste constante (écrouissage cinématique seule). Dans ce cas, la rupture est atteinte.
• La courbe B qui représente la relation pour de plus faibles amplitudes. Le cristal tend à retrouver une réponse purement élastique. La largeur des boucles d’hystérésis décroît continûment jusqu’à devenir nulle, on dit alors qu’elle tend vers un état élastique adapté. La rupture est donc exclue. En fait, ce comportement relevant exclusivement du premier stade apparaît car la déformation plastique accumulée dans le cristal ne dépasse jamais une valeur critique ΓC qui représente la transition entre un comportement combiné et un comportement avec écrouissage cinématique seul.
Modèle de Monchiet – Charkaluk – Kondo
Les auteurs proposent de prendre en compte les mécanismes de plasticité et d’endommagement apparaissant à l’échelle des Bandes de Glissement Persistantes (BGP). L’endommagement le long des bandes de glissement est le résultat de la nucléation et de la croissance de microcavités à l’intérieur des murs de dislocation. La proposition d’un critère de non nucléation de fissures de fatigue est basée sur la combinaison, à l’échelle des grains, d’une condition d’adaptation élastique (proposée par Dang Van et Papadopoulos) et de la définition d’un endommagement critique. En effet, le comportement plastique polycyclique des monocristaux est caractérisé par la formation de bandes de glissement persistantes (BGP), reconnues comme le site privilégié de la nucléation des fissures. En plus de l’activité plastique, des variations de volume irréversibles sont observées aux endroits où les BGP émergent en surface (formation d’extrusions) et sont le résultat de mécanismes d’endommagement au sein de ces bandes (Fig. 6).
Grenaillage de précontrainte (GP)
Comme tous les autres procédés de fabrication et de mise en forme (forgeage, soudage, usinage…), lors de l’application du grenaillage, les couches superficielles des pièces sont déformées plastiquement par action mécanique. Le grenaillage peut être utilisé pour des aciers à l’état recuit ou des aciers à l’état trempé et revenu ou cémenté et trempé. Les applications du grenaillage se sont étendues largement aux pièces critiques et aux zones de concentration de contrainte des structures aéronautiques, des turboréacteurs, des installations de production d’énergie électrique ou encore des vilebrequins, des bielles. Le grenaillage peut être utilisé pour le nettoyage des surfaces, pour la mise en forme des pièces minces et pour la mise en contrainte de compression des couches superficielles d’une pièce. Cette dernière utilisation est appelée grenaillage de précontrainte. Ce procédé est une technique d’écrouissage superficiel largement utilisé dans l’industrie et permet d’améliorer la tenue en service de pièces métalliques ou céramique qui sont soumises à des sollicitations de fatigue ou à l’usure principalement. Le procédé consiste à projeter des petites billes d’acier, de verre ou de céramique de très grande dureté à très grande vitesse et en continu sur la surface des pièces à traiter (Fig. 12). Plusieurs conséquences majeures en découlent :
– la modification de la rugosité, le «gommage » des défauts superficiels mais également un fort écrouissage local du matériau qui altère plus ou moins fortement sa capacité de déformation ultérieure et sa dureté ;
– la génération d’un champ de contraintes résiduelles de compression qui constitue l’atout majeur du traitement
Influence de la TSI sur la tenue en fatigue
Des essais de fatigue en flexion plane ont été conduits avec un rapport de charge R=-1 et des limites de fatigue à 2.106 cycles pour les éprouvettes non traitées et traitées TSI 2 mm ont été déterminées par la méthode de l’escalier, à respectivement 410 MPa et de 527 MPa. Pour valider l’utilisation du critère de Dang Van dans le cas de ce TSI, les auteurs proposent de considérer les éprouvettes comme une structure composée de deux matériaux (matériau de base et martensite issue du traitement thermique). De plus, ils introduisent les contraintes résiduelles stabilisées après la relaxation due au chargement cyclique dans le calcul du critère. Les coefficients α et β du critère sont identifiés pour le matériau de base à partir de deux limites de fatigue en flexion plane 4 points (410 MPa pour R=-1 et 370 MPa pour R ≈ 0.1). En raison de la haute fragilité de la martensite, l’essai de fatigue sur éprouvette purement martensitique a été impossible. Par conséquent, les limites de fatigue en torsion et flexion plane de la martensite ont été estimées à partir de la résistance à la rupture Rm de la martensite en utilisant les relations empiriques du CETIM [Brand, Flavenot et al. 1999].
Le concept du maillon le plus faible
Dans le cadre de l’hypothèse du maillon le plus faible (i.e. la rupture du maillon le plus faible entraîne la rupture de la chaîne) introduite par [Weibull 1939; 1951], étendue à la fatigue par [Freudenthal 1968] et largement utilisée par différents auteurs ([Bomas, Linkewitz et al. 1999], [Hild, Billardon et al. 1992], [Chantier, Bobet et al. 2000], [Flacelière et Morel 2003], [Delahay 2004], [Doudard 2004; Doudard, Calloch et al. 2005]…), la probabilité de rupture globale peut être reliée à la probabilité de rupture locale de chaque lien élémentaire. Cette théorie va être utilisée dans notre analyse en mésoplasticité en supposant que dès que la condition d’accommodation plastique est atteinte dans un (ou quelques) grain(s), la rupture survient. La probabilité de non-amorçage (ou de survie) d’un composant, en utilisant l’hypothèse de la non-interaction des amorçages, s’exprimera en fonction des probabilités de survie des liens élémentaires. Reste maintenant à définir ce qui se cache derrière cette notion de liens élémentaires.
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Table des matières
LISTE DES FIGURES
LISTE DES TABLEAUX
INTRODUCTION GENERALE ET OBJECTIFS
CHAPITRE I : ANALYSE BIBLIOGRAPHIQUE – ENDOMMAGEMENT EN FATIGUE ET TRAITEMENTS DE SURFACE
1. MODELES A DEUX ECHELLES EN FGNC
1.1. Prise en compte de la mésoplasticité
1.1.1. Généralités et définitions
1.1.2. Critère de Dang Van
1.1.3. Approche de Papadopoulos
1.1.4. Approche de Morel
1.2. Couplage plasticité et endommagement
1.2.1. Modèle de Lemaitre – Sermage – Desmorat
1.2.2. Modèle de Monchiet – Charkaluk – Kondo
1.2.3. Modèle de Flacelière – Morel – Dragon
1.2.4. Modèle de Doudard – Calloch – Hild
1.3. Discussion
2. TRAITEMENTS SUPERFICIELS
2.1. Généralités
2.2. Prise en compte des effets de traitements superficiels en calcul de fatigue
2.3. Deux exemples de traitement superficiel
2.3.1. Grenaillage de précontrainte (GP)
2.3.2. Traitement superficiel par induction (TSI)
2.4. Discussion
3. CONCLUSION
CHAPITRE II : APPROCHE PROBABILISTE EN FATIGUE MULTIAXIALE A GRAND NOMBRE DE CYCLES – ROLE DES HETEROGENEITES
1. HETEROGENEITES MICROSTRUCTURALES A L’ORIGINE DE LA DISPERSION EN FGNC DANS LES MATERIAUX METALLIQUES
2. MODELE PROBABILISTE ORIENTE A DEUX ECHELLES
2.1. Hypothèses fondamentales du modèle
2.2. Description du modèle probabiliste
2.2.1. Application du concept de maillon le plus faible
2.2.2. Choix du critère d’adaptation élastique – Effet du seuil d’écoulement (0)yτ
2.2.3. Facteur d’hétérogénéité des systèmes de glissement activés
2.3. Influence des paramètres de chargement
2.3.1. Nécessité de prise en compte de la contrainte normale (amplitude et moyenne)
2.3.2. Prise en compte de l’effet de contrainte normale à travers la contrainte hydrostatique
2.3.3. Prise en compte de l’effet de contrainte normale à travers les contraintes normales agissant sur chaque plan matériel
2.3.4. De la meilleure façon de prendre en compte les effets de contrainte normale
3. CRITERE D’ENDURANCE MULTIAXIALE PROBABILISTE
3.1. Première proposition avec contrainte hydrostatique
3.2. Deuxième proposition avec contrainte normale
3.3. Influence du choix du critère sur les prédictions
3.4. Identification des paramètres du critère avec prise en compte de la contrainte hydrostatique
3.5. Etude de sensibilité aux paramètres matériau
3.5.1. Influence de t-1/s-1
3.5.2. Influence de m
4. CONFRONTATION AVEC DES DONNEES EXPERIMENTALES EN FATIGUE MULTIAXIALE ISSUES DE LA LITTERATURE
4.1. Effet du trajet de chargement pour l’acier C35 (t-1/s-1 = 0.71 ; m = 17)
4.1.1. Effet du taux de biaxialité et du déphasage
4.1.2. Effet de la différence de fréquence
4.2. Validation du critère pour d’autres matériaux
4.2.1. Effet de déphasage
4.2.2. Effet de différentes fréquences
4.3. Conclusion
5. PASSAGE DE L’ENDURANCE ILLIMITEE A L’ENDURANCE LIMITEE
6. CONCLUSIONS
CHAPITRE III : UN MODELE D’ENDOMMAGEMENT A DEUX ECHELLES
1. INTRODUCTION
2. PROPOSITION D’UNE APPROCHE DE TYPE PLAN CRITIQUE BASEE SUR LE COUPLAGE MESOPLASTICITE – ENDOMMAGEMENT
2.1. Hypothèses et choix de modélisation
2.1.1. Utilisation de la thermodynamique des processus irréversibles
2.1.2. Choix des modèles de plasticité et d’endommagement
2.2. Un modèle couplé Plasticité-Endommagement
2.2.1. Description générale du modèle
2.2.2. Implémentation numérique
2.2.3. Procédure d’identification des paramètres
3. APPLICATION DU MODELE POUR DIFFERENTS MODES ET TRAJETS DE CHARGEMENT
3.1. Effets de différents modes et trajets de chargement
3.2. Effet de cumul de dommage
3.2.1. Chargements simples à deux niveaux Haut-Bas, Bas-Haut
3.2.2. Chargements à blocs de sollicitations différentes
4. APPLICATION DU MODELE AU COMPORTEMENT EN FATIGUE DE L’ALLIAGE D’ALUMINIUM ALCU4MGSI
4.1. Identification des paramètres du modèle
4.2. Effet du mode de chargement sur les prédictions de la durée de vie
4.2.1. Chargement Flexion-Torsion combiné d’amplitude constante
4.2.2. Chargement d’amplitude variable
5. LIEN AVEC L’APPROCHE PROBABILISTE
5.1. Prédiction des courbes SN médianes
5.2. Illustration de la prévision des courbes PSN
6. CONCLUSION
CHAPITRE IV : USINAGE ASSISTE LASER ET TENUE EN FATIGUE
1. INTRODUCTION
2. CONDITIONS EXPERIMENTALES
2.1. UAL et traitement thermique de surface [Germain 2006]
2.2. Matériaux étudiés
2.2.1. Le 100Cr6
2.2.2. Le Ti-6Al-4V
2.3. Préparation des éprouvettes
2.4. Essais de fatigue
2.5. Caractérisation d’intégrité de surface
3. ANALYSE DES CARACTERISTIQUES D’INTEGRITE DE SURFACE EN FONCTION DE L’USINAGE REALISE
3.1. Cas du matériau 100Cr6
3.1.1. Rugosité
3.1.2. Observations microstructurales et microdureté
3.1.3. Contraintes résiduelles
3.2. Cas du matériau Ti-6Al-4V
3.2.1. Rugosité
3.2.2. Observations microstructures et microdureté
3.2.3. Contraintes résiduelles
4. INFLUENCE DES CARACTERISTIQUES D’INTEGRITE DE SURFACE SUR LA TENUE EN FATIGUE
4.1. Tenue en fatigue des pièces en 100Cr6 (état recuit)
4.1.1. Traction – compression
4.1.2. Torsion alternée
4.2. Tenue en fatigue des pièces en Ti-6Al-4V (état recuit)
4.2.1. Traction – compressio
4.2.2. Torsion alternée
4.3. Discussions
4.3.1. Rôle de l’état de surface – rugosité
4.3.2. Analyse des faciès de rupture
4.3.3. Rôle de contraintes résiduelles
4.3.4. Récapitulatif des résultats
5. PRISE EN COMPTE DE L’INTEGRITE DE SURFACE DANS UN CALCUL PREVISIONNEL DE DUREE DE VIE
5.1. Analyse des résultats d’essais de fatigue à l’aide du critère de Dang Van
5.2. Prise en compte des hétérogénéités microstructurales dans l’approche probabiliste orienté [Morel, Lebrun et al. 2007]
6. CONCLUSION
CONCLUSIONS ET PERSPECTIVES
REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES
ANNEXES
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