Hétérogénéité cognitive et remédiation des dyslexies développementales

Les avancées de la recherche sur les dyslexies développementales ont été nombreuses ces dernières décennies. Beaucoup d’études se sont intéressées à l’origine neuro-cognitive de ce trouble du développement de la lecture, et les implications cliniques de ces avancées sont porteuses d’espoir pour les personnes dyslexiques et leur famille. En effet, notre compréhension de la dyslexie est fondamentale pour pouvoir proposer des prises en charge adaptées et efficaces. Cette articulation entre clinique et théorie représente un véritable enjeu sociétal : la dyslexie concernerait environ 5% de la population (Dyslexie, Dysorthographie, Dyscalculie : bilan des données scientifiques, 2007) et est une cause de handicap, plus largement reconnue depuis la loi du 11 février 2005 relative à la scolarisation des enfants handicapés. Cependant, malgré les avancées de la recherche, les applications et considérations cliniques sont encore limitées.

Devant la multiplicité des théories explicatives, notre compréhension de la dyslexie pourrait cependant sembler s’obscurcir. Il est donc nécessaire de tenter d’articuler ces théories. Les études qui s’y sont attelées depuis une dizaine d’années font émerger une hétérogénéité cognitive parmi la population dyslexique, qu’il reste néanmoins à éclaircir. D’autre part, cette hétérogénéité cognitive va de pair avec une hétérogénéité de la population dyslexique sur le plan clinique. Des formes variées de dyslexie sont en effet observées en pratique clinique. Mais les mécanismes en jeu dans l’expression au niveau clinique, c’est-à-dire au niveau des capacités en langage écrit, des atteintes cognitives que pointent les théories explicatives, manquent de clarté. De plus, les arguments en faveur de relations de causalité entre ces atteintes cognitives et les troubles du développement de la lecture que présument les théories explicatives sont encore limités.

Définition, histoire et évolution théorique

Définition

Une définition claire de la dyslexie, qui est au cœur de nos questionnements dans ce travail de thèse, est indispensable pour un travail de recherche théorique précis, pour un recrutement ciblé des sujets dans les expérimentations que nous avons menées, et enfin pour la généralisation de ce travail, c’est-à-dire sa reproductibilité et ses applications sur le plan clinique. Or cette définition de la dyslexie est complexe et pose question, comme souligné par Elliot & Grigorenko dans leur ouvrage The Dyslexia Debate (Elliott et Grigorenko, 2014; Ramus, 2014b).

La dyslexie appartient à la catégorie des troubles des acquisitions scolaires selon la Classification Internationale des Maladies (« CIM-10, Descriptions cliniques et directives pour le diagnostic, » 1993). C’est le terme de trouble d’apprentissage qui est employé dans le manuel de diagnostic et statistique des troubles mentaux (DSM-5, Diagnostic and statistical manual of mental disorders, 2013). Ces deux classifications incluent des critères d’exclusion , c’est-à-dire que le trouble d’apprentissage ou d’acquisitions scolaires ne doit pas résulter de troubles sensoriels, d’un déficit intellectuel, d’autres troubles neurologiques ou mentaux, d’une scolarisation inadéquate ou de conditions psychosociales défavorables. Concernant les critères d’inclusion, notons tout d’abord qu’un critère de handicap est suggéré dans ces deux classifications, qui indiquent que le trouble doit interférer significativement avec les performances scolaires ou les activités de la vie quotidienne. Dans la CIM-10 la dyslexie est référencée sous le terme de « trouble spécifique du langage écrit » ; elle est caractérisée par la présence soit de 1, soit de 2 : 1. La note obtenue à une épreuve standardisée d’exactitude ou de compréhension de la lecture se situe à au moins deux écarts-types en dessous du niveau escompté, compte tenu de l’âge chronologique et de l’intelligence générale de l’enfant ; l’évaluation des performances en lecture et du QI doit se faire avec des tests administrés individuellement et standardisés en fonction de la culture et du système scolaire de l’enfant. 2. Il existe des antécédents de difficultés sévères en lecture, ou de résultats de tests ayant répondu au critère 1 à un âge antérieur ; en outre, le résultat obtenu à un test d’orthographe se situe à au moins deux écarts types en dessous du niveau escompté, compte tenu de l’âge chronologique et du QI. Dans ce second critère, une dysorthographie est donc associée à la dyslexie, ou du moins à une dyslexie antérieure. Dans le DSM-5, contrairement à sa version précédente (DSM-IV-TR, Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux : texte révisé, 2003), la sous-catégorie des troubles de la lecture et de l’orthographe n’apparait plus ; les troubles d’apprentissages ne sont plus distincts dans des catégories différentes. Ce qui relève de la dyslexie ou de la dysorthographie est inclus dans une liste de symptômes, qui concerne également les apprentissages mathématiques. Les symptômes en lien avec le langage écrit sont les suivants : 1. lecture de mots inexacte, lente ou laborieuse/couteuse ; 2. difficulté à comprendre la signification de ce qui est lu ; 3. difficultés d’orthographe ; 4. difficultés dans l’expression écrite. Enfin, un dernier critère d’inclusion concerne la durabilité du trouble. Ce critère de persistance du trouble a été souligné par certains auteurs comme permettant de distinguer une dyslexie d’un retard de lecture ; ceci est lié à une conception de la dyslexie comme résultant d’une atteinte neuro développementale d’origine génétique (Demonet, Taylor et Chaix, 2004; Paulesu, Danelli et Berlingeri, 2014; Poelmans, Buitelaar, Pauls et Franke, 2011) revêtant un caractère biologique inhérent au sujet, tandis que le retard de lecture serait davantage lié à des facteurs environnementaux (Vellutino, Scanlon, Sipay, Small, Pratt et al., 1996). Ce critère de durabilité a également conduit certains auteurs, tel Fin Egil Tonnessen (Tonnessen, 1995), à suggérer une définition de la dyslexie qui tient compte de la progression individuelle du sujet et s’est intégrée dans les modèles de Response To Intervention (RTI) répandus dans les pays anglo-saxons. Cette approche consiste en une identification des enfants en difficultés d’apprentissage de la lecture, afin de leur proposer une pédagogique adaptée ; les enfants ne répondant pas (ou peu) à ces interventions pédagogiques adaptées constitueraient les enfants dyslexiques. “Results from current intervention studies suggest that the most informative and most effective approach to distinguishing between cognitive/biological and experiential/instructional causes of early reading difficulties would be to implement an initial period of remedial intervention” (Vellutino, Fletcher, Snowling et Scanlon, 2004, p.30).

Ces critères d’inclusion et d’exclusion sont souvent critiqués (Elliott et Grigorenko, 2014). On peut notamment souligner que les critères d’inclusion restent descriptifs à un niveau comportemental et ne nous renseignent pas quant à la nature des troubles au niveau cognitif. On note en particulier l’utilisation de termes très généraux concernant les activités de lecture telle une « lecture de mots inexacte, lente ou laborieuse/couteuse » employé par le DSM-5 ou la référence à une « épreuve standardisée d’exactitude ou de compréhension de la lecture » dans la CIM-10. Or notre compréhension de ce qu’est la lecture au niveau cognitif nous permet d’être plus précis. Si l’on se place dans une simple view of reading (Gough et Tunmer, 1986), la compréhension écrite, finalité de la lecture, est le produit de l’identification des mots écrits et des mécanismes généraux de compréhension. Ainsi, ce qui apparait comme étant spécifique à la lecture concerne les mécanismes de reconnaissance/identification des mots, tandis que les processus cognitifs en aval relèvent de capacités linguistiques de compréhension générales (Sinatra, 1990). C’est donc bien la capacité d’identification des mots écrits qui doit être évaluée chez l’enfant afin de pouvoir parler de dyslexie. Mais des précisions pourraient également être apportées au niveau cognitif, en particulier concernant la ou les causes cognitives en jeu dans la dyslexie, c’est-à-dire sous-jacentes à ce trouble du développement de la lecture. Une grande partie des recherches consacrées à la dyslexie s’est intéressée à cette question, avec la volonté notamment d’intégrer un critère cognitif inclusif à la définition du trouble, tel Lyon et collaborateurs (Lyon, Shaywitz et Shaywitz, 2003) qui ont défini la dyslexie comme « caractérisée par des difficultés dans la reconnaissance exacte et/ou fluente de mots ainsi que par une orthographe des mots et des capacités de décodage limitées. Ces difficultés résultent typiquement d’un déficit dans la composante phonologique du langage ». Nous verrons plus loin dans ce manuscrit que cette définition intégrant une cause phonologique unique est maintenant largement débattue, mais la volonté de comprendre la nature des déficits cognitifs sous-jacents, c’est-à-dire explicatifs du trouble, anime l’esprit de nombreux chercheurs depuis les premiers cas de dyslexie décrits jusqu’à aujourd’hui.

Histoire et évolution des théories explicatives

Depuis plus d’un siècle, les recherches menées sur la dyslexie développementale se sont intéressées aux dysfonctionnements cognitifs sous-jacents à ce trouble. Ce questionnement étiologique est fondamental car une meilleure compréhension du trouble peut permettre d’envisager des méthodes de remédiation ciblées et ainsi plus efficaces.

En 1896, Pringle Morgan publiait dans le British Medical Journal le premier cas de dyslexie développementale, alors appelée cécité verbale congénitale (« congenital word-blindness »), en référence aux cas de dyslexies acquises, c’est-à-dire faisant suite à une lésion cérébrale, que l’on appelait cécité verbale, terme introduit par le neurologue Adolf Kussmaul en 1877 (Schwartz, 2009). Morgan décrit ainsi le cas d’un garçon de 14 ans, Percy, qui, bien que scolarisé depuis sept ans, et se montrant brillant dans de nombreux domaines, ne parvenait pas à apprendre à lire (Dyslexie, Dysorthographie, Dyscalculie : bilan des données scientifiques, 2007). Morgan soulignait dans son rapport le manque de facteurs explicatifs évidents, tel un trouble de la vue ou une lésion cérébrale, bien que le tableau clinique se rapproche des cas de troubles de la lecture acquis, qu’étudiait notamment à l’époque le Dr James Hinshelwood, ophtalmologue. Ce dernier publia en 1917 une monographie décrivant plusieurs cas de cécité verbale congénitale, et en lien avec ses observations sur les troubles de la lecture acquis, il suggéra que la cause primaire de ce trouble d’acquisition de la lecture serait un déficit de la mémoire visuelle des lettres et des mots lié à un dysfonctionnement du gyrus angulaire, et qu’un entrainement destiné à améliorer la mémoire visuelle serait la forme d’intervention à privilégier (Elliott et Grigorenko, 2014). Avant que le terme de « dyslexie développementale » ne se répande dans les publications scientifiques au cours des années 30, le neurologue Samuel T. Orton, en 1925, avait recommandé d’utiliser le terme d’alexie développementale, arguant que le terme de ‘cécité’ faisait référence à une atteinte purement visuelle, alors que ses observations le conduisaient à proposer une hypothèse explicative différente. Selon lui, le trouble du langage écrit de ses patients serait dû à une faible dominance hémisphérique, et induit par une représentation différente des mots dans l’hémisphère non dominant par rapport à l’hémisphère dominant. Ceci visait à expliquer la fréquence des inversions de lettres et de mots en lecture et la présence de confusions de lettres en miroirs, en lecture et en transcription (telles les confusions p/q/d/b), un phénomène qu’il décrivit sous le terme de « strephosymbolia ». Devant cette atteinte cérébrale supposée plus globale que ce qu’avait suggéré Hinshelwood, et dans le cadre de sa collaboration avec la psychologue de l’éducation Grace Fernald, des approches pédagogiques multi sensorielles visant à favoriser l’utilisation de l’hémisphère gauche et de l’hémisphère droit dans l’apprentissage de la lecture ont alors été promues. Ces approches multi sensorielles influencent encore aujourd’hui les méthodes d’enseignement et de remédiations proposées aux enfants en difficultés d’apprentissage. Mais l’accent mis par Orton sur les confusions de lettres visuellement proches conduisit à considérer pendant encore quelques décennies que des mécanismes principalement visuels étaient à l’origine des difficultés d’apprentissage de la lecture de certains enfants (Creak, 1936 ; Mahec & Launay, 1951, cités par Mahec, 2008 ; (Bryant, 1964; Cashell, 1969; Creak, 1936; Lyle et Goyen, 1968; Mahec & Launay, 1951, cités par Mahec, 2008).

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Table des matières

Remerciements
Résumé
Abstract
Abréviations
Table des matières
Liste des figures
Liste des tableaux
Introduction  
Chapitre 1. Dyslexie et problématiques actuelles
1. Définition, histoire et évolution théorique
1.1. Définition
1.2. Histoire et évolution des théories explicatives
1.3. La solidité des théories
1.3.1. Le problème de la causalité
1.3.2. Autres arguments expérimentaux
2. Théories phonologiques et auditives
2.1. Conscience phonologique
2.2. Representations phonologiques
2.3. Traitement auditif
2.3.1. Déficit de traitement auditif rapide
2.3.2. Déficit de détection des changements d’amplitude
2.4. Déficit de perception catégorielle des phonèmes
2.4.1. Définitions
2.4.2. Mesures de la perception catégorielle
2.4.3. Développement de la perception catégorielle chez les enfants tout-venant
2.4.4. Perception allophonique chez les enfants dyslexiques
2.4.5. Spécificité verbale du trouble et conscience phonologique
3. Théories visuelles et attentionnelles
3.1. Théorie magnocellulaire et troubles de l’attention spatiale
3.1.1. La théorie magnocellulaire
3.1.2. Un déficit magnocellulaire amodal, l’inclusion de la phonologie et des troubles moteurs
3.1.3. Les troubles de l’attention visuelle
3.1.4. Un déficit attentionnel amodal, inclusion de la phonologie
3.2. Le trouble de l’empan visuo-attentionnel
3.2.1. L’empan VA et le modèle ACV98
3.2.2. Arguments expérimentaux
3.2.3. Trouble du traitement simultané amodal, exclusion de la phonologie
4. Hétérogénéité de la dyslexie
4.1. Hétérogénétié cognitive
4.1.1. RAN et hypothèse d’un double déficit
4.1.2. La multifactorialité de la dyslexie
4.1.3. Les arguments neurobiologiques
4.2. Hétérogénéité comportementale en langage écrit
4.2.1. Modèle double-voie et classification classique
4.2.2. Classification des dyslexies développementales
4.3. Relations entre déficits cognitifs et profils en lecture
4.3.1. Les dyslexies phonologiques et les dyslexies de surface
4.3.2. Les dyslexies mixtes
4.3.3. L’analyse des erreurs
Chapitre 2. Remédiation des dyslexies
1. Considérations théoriques et méthodologiques générales
1.1. Les différents niveaux d’intervention
1.1.1. Les interventions pédagogiques
1.1.2. Les interventions auprès de la population dyslexique
a) Le niveau neurobiologique
b) Le niveau cognitif sous-jacent distal
c) Le niveau comportemental, la lecture et l’orthographe
1.2. Modalités de traitement, les grandes lignes
1.3. La démarche de validation de l’efficacité
2. Les méthodes de remédiations cognitives
2.1. Les méthodes phonologiques et auditives
2.1.1. Les méthodes centrées sur la conscience phonologique
2.1.2. Les méthodes centrées sur le traitement auditif temporel
2.1.3. Les méthodes centrées sur la discrimination des phonèmes
2.2. Les méthodes visuelles et visuo-attentionnelles
2.2.1. Dans le cadre des théories d’un trouble de l’orientation de l’attention
2.2.2. Dans le cadre de la théorie de l’empan visuo-attentionnel
2.2.3. Les méthodes d’adaptation visuelle
Problématiques et objectifs généraux
Chapitre 3. Partie expérimentale
1. Méthodologie générale
1.1. Protocoles communs aux études
1.1.1. Passation
1.1.2. Les épreuves de lectures
a) Mesure de l’âge de lecture
b) Lecture de listes de mots
1.1.3. Mesure de l’empan visuo-attentionnel
a) Le report global
b) Le report partiel
c) L’identification de lettres isolées
1.1.4. Les épreuves de conscience phonologique
a) L’omission de phonèmes
b) La décomposition de phonèmes
c) Acronymes
1.1.5. Les épreuves de perception catégorielle de phonèmes
a) Tâche d’identification
b) Tâche de discrimination
1.2. Les participants
1.2.1. Les populations d’enfants dyslexiques
1.2.2. Les populations ‘normatives’ et groupes contrôles normo-lecteurs
1.3. Considérations statistiques
Conclusion

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