La négativité et les déterminations de la nature
Le premier chapitre de cette première partie en tant qu’il porte sur la nature doit être compris comme la phénoménologie de la vie, une vie qui trouve ses premières lueurs dans la nature. Cette manifestation de la vie dans la nature est bien ce que Hegel dans la raison dans l’histoire soutient en parlant de la tradition « La tradition nous dit qu’il faut reconnaître Dieu dans la nature.»11En effet cette affirmation de Hegel montre que la nature ou disons plus exactement le réel est rempli de la présence de l’Esprit. Mais cette nature qui est le premier réceptacle de la vie, n’est pas la vie dans son existence effective ou complète. Car il est important de préciser que chez Hegel, il n’y a d’effectivité que du point de vue de l’Esprit, en ce sens qu’un tel Esprit élève la conscience en la libérant de l’illusion de l’ « ici et du maintenant » pour une vie dans la liberté de l’universel. Et c’est parce qu’existe le phénomène extérieur que l’existence effective devient une possibilité. Et comme possibilité, l’ensemble du phénomène extérieur ne représente pas la figure de l’universel dans sa totalité. Tout ce qui se présente dans la nature n’est pas rationnel, mais seulement une partie de ce réel. Pour recevoir le sceau de la rationalité, la réalité extérieure ou le phénomène doit être conforme à l’Esprit qui l’anime de l’intérieur. Il est important de rappeler tout de même, en passant, que ce n’est pas parce qu’existe le réel ou le phénomène extérieur ou naturel que cette réalité extérieur est forcément effective. Ce chapitre se veut simplement une analyse permettant de voir comment la négativité à travers la nature première, réalise une existence plus digne. Et c’est parce que la nature dans la totalité de ses éléments constitutifs n’est qu’une totalité muette présentant l’esprit sous une forme qui reste encore captive de la sensibilité et du naturel, qu’il appartient à l’homme de dire ou plus encore de révéler la présence d’Esprit que cache cette immédiateté .Cependant, même si la nature est la première manifestation de l’esprit, cela ne justifie en rien qu’elle soit supérieur à l’homme. En cela, Hegel est le penseur chez qui, l’homme de par la marque qu’il porte sur la nature, est élevé à la hauteur de l’Esprit. Car toute la nature dans la beauté de ses fleurs et la grandeur majestueuse de ses arbres et ses montagnes sera toujours inférieure aux réalisations humaines. Hegel à ce propos ne dit pas autre chose dans la raison dans l’histoire « le domaine de l’Esprit englobe tout ; il enveloppe tout ce qui a suscité et suscite encore l’intérêt humain. L’homme y est actif. Quoi qu’il fasse il est l’être en qui l’Esprit agit. » C’est pourquoi la négativité étant ce par quoi le réel ou la nature première est doté d’un sens et d’une signification, fait de l’homme l’être qui porte une telle négativité. Car il faut reconnaître que même si l’homme est un être sur qui pèse la rigueur des phénomènes naturels dans la mesure ou le cycle de l’eau pouvant par moment être irrégulier et altérer son environnement, ce dernier reste un être qui reconstruit son monde par la négativité de la nature posé devant lui, qui n’est plus après cette négativité un monde naturel mais rempli de la présence de l’Esprit. C’est pourquoi la négativité est une exclusivité de la conscience. Ni la nature végétale ni l’animal ne sont capable de négativité car une telle tâche exige qu’on se libère du poids de la sensibilité. C’est la raison pour laquelle la nature géologique n’est pas encore la vie dans son effectivité, mais la possibilité qui annonce cette vie. Hegel fondant en raison ce qui vient d’être dit soutient dans l’encyclopédie des sciences philosophique abrégée ceci « cette totalité immédiate que se présuppose à elle – même la totalité subjective est seulement la figure de l’organisme, – le corps terrestre en tant qu’il est système universel des corps individuels. »C’est donc dans la géologie ou plus exactement au sein de la nature qui n’est encore que simple terre ou sol, qu’existe, mais en- soi c’est-à-dire sous une forme cachée non encore advenu, la vie dans toute la diversité des êtres ou des existants. Comme terre, la nature dans ce stade de son évolution ne fait que présupposer la vie qu’elle porte mais qu’elle n’a pas encore objectivé concrètement. Autrement dit, à ce stade de son évolution, la nature est ce qu’elle n’est pas. Mais si présupposer n’est autre chose que poser, la nature ne fait donc que poser la géologie comme la condition, c’est-à-dire ce sans quoi point de vie. La géologie n’est pas encore manifestation de la vie, elle n’est pas encore parvenue à l’existence, elle n’en n’est pas véritablement une, car en tant que non vivant qui est ici un ensoi, ne peut s’extérioriser réellement. Ainsi si une vie qui ne s’est pas extériorisé n’en est pas vraiment une, alors la terre considérée en elle-même ne peut rien produire du fait de cette vitalité qui n’est pas encore sienne. La vie dans la géologie reste encore un abstrait, or chez Hegel, l’abstrait n’est véritablement fondé que si c’est le concret qui le fonde. Mais la nature qui, au besoin de se réaliser pleinement doit faire éclore la vie, doit de ce fait dépasser cette existence abstraite, faisant d’elle un en- soi, c’est-à-dire une vie qui n’est pas encore parvenue à l’existence effective. C’est de cette manière que la force de notre concept vient comme négativité afin de réaliser ou de faire advenir ce qui limite une telle actualisation de la vie. N’est-ce pas ce que jean Hyppolite met en évidence dans son ouvrage Etude sur Marx et Hegel en ces termes « on comprend par là ce que dit Hegel de la mort dans la préface de la phénoménologie. Il ne faut pas s’épouvanter devant la mort et d’essayer d’en fuir l’idée. La vraie vie de l’esprit porte la mort et se maintient dans la mort même…, elle a le pouvoir magnifique de convertir le négatif en être » Pour que la vie puisse exister dans la nature, il faut que ce qui dans la nature soit limité soit dépassé. Mais ce dépassement n’est possible que dans la contradiction. C’est dans cette contradiction que la vie parvient à l’existence car apparait réellement. Mais pour faire exister une telle vie, la géologie se heurte à une limitation fondamentale. Car il faut que la vie qu’elle porte soit mais cette vie ne peut pas venir d’un non vivant. Or la terre étant un non vivant ne saurait par elle – même produire de la vie car la vie ne peut venir que de la vie. C’est pourquoi la terre, ou la nature géologique comme en- soi n’est que pour un autre que lui, la terre comme en soi doit donc transférer une telle tâche à des êtres autres qu’elle. De cette manière, la nature végétale et la nature animale apparaissent comme les singularités devant porter une telle venue à l’existence de la vie. La nature végétale comme premier moment de l’effectuation d’une vie posée dans la nature géologique, n’est pas encore la nature dans son absoluité mais comme le veut la négativité qui la porte, une situation transitoire, plus élevée que la simple nature géologique qui comme nous l’avons remarqué n’est que la vie enveloppée. La nature dans cette immédiateté est inanimé et sans histoire. Avec la négativité manifestée par la main transformatrice de l’homme, une telle nature devient le monde plein de l’Esprit. Sans la négativité, tout dans la nature devient un cycle infernal, un éternel recommencement, ponctué par une succession des saisons, les unes plus rigoureuses et plus invivables que les autres condamnent certains animaux à l’hibernation à cause de la satisfaction de leur besoin qui est limitée. La nature végétale elle, en tant que totalité qui s’extériorise en une diversité de parties ou ramifications vient être un dépassement et une élévation du moment précèdent. C’est ainsi que la nature végétale en tant qu’issue des profondeurs de l’en- soi de la nature géologique se fait pou- soi par son éclosion et devient de cette manière la première détermination de la nature. Hegel dans l’Encyclopédie des sciences philosophiques aborde dans ce sens en soutenant que « La subjectivité suivant laquelle l’être organique est en tant qu’être singulier, se développe en un organisme objectif, la figure, en tant qu’un corps propre s’articulant en des parties qui sont différentes les unes des autres. » Mai la nature végétale à l’image de la nature animale n’échappe pas aux réalités spontanées de l’immédiateté naturelle. La nature immédiatement fait de l’homme un être naturel manifestant les mêmes besoins biologiques que les autres êtres, pour se déposséder du manteau naturel, l’homme doit s’éduquer à l’Esprit. La nature végétale de même que la nature animale ne sont pas capable de s’élever à la hauteur de l’Esprit. C’est ainsi que la venue à l’existence du végétal n’est en réalité qu’une actualisation d’une vie qui n’était que disposition dans la nature géologique. Mais devenant organisme végétal, la plante est une diversité par la constitution de ses parties. La racine, le tronc, les branches, les tiges, les feuilles et les fleurs sont une diversité constitutive de la nature végétale. Cependant il est important de préciser que cette diversité que manifeste la nature végétale n’est qu’une diversité obéissant au principe de la juxtaposition. Car chaque élément de la plante constitue dans sa singularité une autonomie capable de subsister et de croître même détaché de la plante. La plante n’est autre chose qu’une somme de plantes parcellaires à travers ses branches ses racines et sa tige. C’est pourquoi nous ne pouvons pas à proprement parler dire que la plante ou l’organisme végétal obéit à l’unité systémique du concept car chaque partie de son tout possède même si c’est sous une forme non révélée, les autres déterminations du tout en puissance pour parler comme Aristote. C’est ainsi par exemple que chez certains végétaux la tige en elle- même, est, en tant que pouvant subsister d’elle- même une fois détaché de la plante, une autre plante en devenir avec ses propres feuilles ses propres racines et ses propres fleurs. A l’opposé de la nature géologique ou inorganique, la nature végétale se définie par la négation du mouvement. La nature géologique se caractérise par son inertie en ce sens qu’elle ne peut se déplacer d’elle- même. Une pierre ne peut se déplacer par un mouvement qui lui est propre. Toute la mobilité de l’inorganique est garantie par un facteur extérieur. On pourrait donc avec raison se demander ce qui du point de vue de la structuration différencie la géologie du vivant et particulièrement de la nature végétale. La géologie parce qu’étant une juxtaposition d’éléments de la physique n’ayant aucune connexion entre eux, n’est pas à proprement parler une totalité. C’est avec la venue à l’existence de la nature végétale qu’une telle totalité parvient à l’existence. Mais cette totalité ou diversité que manifeste la nature est une totalité non unifié car il n’y a d’unité que de l’Esprit. Il faut cependant préciser que ce regard que porte Hegel sur la nature n’a pas été partagé par certaines philosophies antérieures notamment celle de Spinoza qui voit dans la nature le milieu non modifiable au sein duquel les actions humaines même celles qui paraissent être les plus autonomes, restent enfermées dans le déterminisme naturelle. C’est Ferdinand Alquier dans son ouvrage consacré à Spinoza intitulé Servitude et liberté selon Spinoza qui revient sur cette passivité de la conscience à l’égard de la sensibilité en ces termes « oui, l’homme est irrémédiablement soumis à ses affections et il y a un caractère totalement donné et immodifiable de la conscience affective. Et nul ne l’a montré avec plus de force que Spinoza. »16 Nous pouvons donc nous apercevoir avec Ferdinand Alquié que la conception déterministe que se fait Spinoza de la nature met la conscience dans un état d’infériorité et de passivité lui empêchant de triompher par son activité propre de l’immédiateté des affections. Dans un tel état, l’activité de la conscience ne réalise en rien la totalité de la nature, et par totalité il faut entendre la capacité qu’à l’Esprit, a non seulement s’autodéterminer comme Esprit libre, mais plus encore de réaliser de lui- même, et par la même texture, les différents phénomènes naturels. Car ce qui caractérise la totalité chez Hegel, n’est pas tant l’identité des parties du tout, mais bien plus, la différence des parties qui, dans leur fonctionnement ont des rapports complexes d’échange. Comprendre la totalité qui est l’Esprit même de la nature, c’est comprendre que les phénomènes qui se réalisent en cette nature ne sont pas séparés les uns les autres, ce qui, bien sûr, ne ferait de leur unité qu’ une simple juxtaposition, mais liés de manière intrinsèque dans une intimité systémique qui les fait assurer l’équilibre cosmique. Cette unité systémique qui se réalise dans la nature grâce à l’action combinée de lois est décrite par Charles Darwin, cité par Michel AMBACHER dans son ouvrage Les philosophies de la nature en ces termes « Par nature j’entends seulement l’action combinée et les résultats complexes d’un grand nombre de lois naturelles. »Il faut simplement voir dans cette organisation de la nature qui se réalise par la cohérence et l’équilibre des lois, la réalisation de l’Esprit. Mais il est important de savoir que si la nature végétale est parvenue à dépasser la limite ou les limites de la nature géologique, il faut tout de même préciser qu’une telle nature végétale n’est pas pour autant la nature dans l’absoluité de son soi effectif. C’est pourquoi dans la nature végétale, la vie des plantes, et même des animaux, reste constamment dépendante du cycle de l’eau. L’homme à la différence de la nature et de la multitude des êtres qu’elle abrite, est libre et s’autodétermine comme être libre, qui ne saurait être esclave de la nature. Par son travail il défie la nature et ses lois. C’est en cela que l’homme s’élève au-dessus de la nature et devient plus haut et plus spirituel qu’elle. A ce propos Hegel soutient dans la raison dans l’histoire ce qui suit « l’homme est nécessairement en rapport avec la nature : toute évolution implique que l’esprit se dresse contre la nature et se réfléchisse en lui- même […]. » L’évolution qui s’opère dans la nature ne résulte pas de l’œuvre de la nature. Elle n’est pas auto- négativité qui serait l’œuvre de la nature elle- même. La négativité qui se réalise dans la nature et qui relève de la nécessité ne va pas au- delà de cette nature car la totalité qu’elle manifeste n’est qu’une totalité non unifiée. Parlant de cette unité naturelle non systémique Hegel dans l’encyclopédie des sciences philosophiques dit ceci « La plante existante est, au contraire seulement l’organisme corporel un, à l’intérieur duquel la pure unité avec soi propre à un soi n’est pas encore présente réellement, mais seulement dans le concept, parce qu’elle n’est pas encore devenue objective. » Chaque composante de la plante est en soi la plante dans sa totalité car la branche détachée de la plante de même que la graine du fruit et misent en terre constituent par leur croissance une plante en devenir. La plante n’est pas l’effectivité de la nature car elle a constamment besoin de l’extérieur pour croître. Son soi est donc maintenu par le milieu extérieur en ce sens que la plante a besoin de l’espace et du temps pour se maintenir en vie. C’est dans cette nature donc que Spinoza place la destinée finale de l’homme. Il faut reconnaître que même si Spinoza considère la nature comme le milieu dans lequel Dieu se donne à découvrir, il n’en demeure pas moins que l’homme dans sa tentative de connaître l’Esprit qui est exprimé dans cette nature, se heurte au déterminisme auquel il ne peut, quel que soit son génie, dépasser. C’est dans ce déterminisme que sont enfermés et dépendent tous les êtres naturels de l’animal jusqu’à la plante. Comme dépendante de l’extériorité temps, la plante a besoin du « maintenant » jour pour se maintenir grâce au phénomène de la photosynthèse. De la même manière, la plante a tant besoin de l’extériorité espace, c’est-à-dire de « l’ici » pour pousser en un lieu favorable et fertile pour sa croissance. Hegel fondant ce qui vient d’être dit en raison renchérit dans encyclopédie des sciences philosophiques en ces termes « C’est quand elles sont à la lumière que les plantes acquièrent de la sève et, d’une façon générale, une individualisation vigoureuse ; sans lumière, elles croissent bien, mais demeurent sans goût, sans couleur et sans odeur. » C’est dans cette dynamique que l’eau qui arrose la plante est aspirée par intussusception qui est un procédé physiologique par lequel des matières nutritives sont absorbées par les plantes, destinées à être transformées par des mécanismes organiques en boisson. La lumière tant nécessaire pour le phénomène chimique de la photosynthèse se transforme en couleur. Mais cette transformation de la nature végétale n’est encore que nécessité et non négativité. Toute cette dynamique organique interne de la plante montre à quel point la négativité fait advenir du nouveau et non de l’identique. La force et le sens de la négativité se démontrent par sa capacité à faire venir à l’existence non le déjà vue ou le déjà existant, mais le nouveau. C’est pourquoi cette négativité qui se réalise dans la nature végétale même si elle est plus digne que l’inertie dans laquelle est plongée la nature géologique, reste une négativité non effective en ce sens que toute l’activité de la plante ne vise que la répétition du même ou de l’identique. C’est parce que la nature végétale est plongée dans ce cycle infernal qui n’est qu’une mimique ou une répétition, que la négativité du végétal en reste au seuil de l’effectivité. La négativité de la plante même si elle parvient à nier le premier moment qu’est la nature géologique par les éléments qu’elle tire de son sein par intussusception en vue de sa croissance, ne parvient pas à nier activement l’espace qui est une extériorité mais une extériorité dont la plante ne peut se passer, ne peut nier. C’est ici précisément que se situe sa limite sa borne ou son manque. Car si une telle limite est manifestée dans la nature inorganique par l’inexistence de mouvement autonome, dans la nature végétale c’est l’incapacité de la nature à vivre hors du cadre de l’espace- temps qui fait défaut. Fait partie également des limites de la nature végétale, le fait que l’intérieur de la plante ou sa configuration interne est également dirigé vers le dehors. La plante n’est pas pourvue de vaisseaux sanguins ni de viscères. Tout dans l’organisme végétal est un soi qui trouve son essence non en lui-même mais dans un dehors autre que lui. C’est précisément quand le vivant végétal trouve ses limites que le vivant animal comme objectivation de la vie, vient être une éclosion plus élevée grâce à la nécessité de la négativité dans la phénoménologie de la vie. Dans la nature végétale, la négativité ne va pas au- delà du même ou de l’identique car c’est une négativité dirigée vers l’extérieure. C’est la recherche d’une telle unité qui fera que l’Esprit dans son élan consistant à manifester la vie, va à travers la nature animale, réaliser de manière plus élevée mais non effective c’està-dire transitoire l’autonomie qui, dans la nature végétale, n’en était qu’à ses débuts.
De la servitude à la maîtrise, une phénoménologie de la négativité
Avant de venir au cœur de cette étude portant sur le statut de chaque conscience au terme de leur affrontement dont le but visé est pour chacune la reconnaissance de son humanité, nous allons faire un rappel expéditif sur la situation des consciences avant ce face- à- face à haut risque. Car après l’insatisfaction de la conscience issue d’une incapacité à assurer la subsistance de l’objet détruit et supprimé par la consommation qu’elle en fait, et après l’expérience de l’acte sexuel qui aussi n’en est pas plus élevé et spirituel que la négation de l’objet, la conscience à travers ces deux expériences reste une conscience esclave de ce qui la résiste, de ce qui la manque. La conscience dans une telle insatisfaction, n’en n’est qu’au tout début de ce qu’elle est appelée à être de manière effective, au terme de tout ce périple conduisant à la reconnaissance. Pour le moment la conscience n’est qu’une conscience animale et par conséquent, une conscience esclave de son devenir. Cependant, force est de reconnaitre qu’au-devant de ce face- à- face des consciences, le désir d’être reconnu de chacune est égale à celui de l’autre et cette égalité est ici symbolisée par le risque au combat. Or si chaque conscience dans son vœu profond d’être reconnu est prête à aller jusqu’à la mort, la reconnaissance risque de ne pas advenir. La mort de l’une des consciences qui serait synonyme de suppression simple isolerait l’autre conscience la mettant non en face d’un homme mais en face d’un non vivant. La mort étant un état de non vie, un non vivant ne peut reconnaitre un vivant. Autrement dit, il n’y a de reconnaissance que dans la vie, or la vie de l’une des consciences étant nié par l’autre par l’action de la mort aucune reconnaissance n’est possible. Il n’y aurait tout de même pas de reconnaissance si cet affrontement des deux consciences conduisait à la mort des deux consciences, car si, comme on vient de le voir, un mort ne peut pas reconnaitre un vivant, un non-vivant ne saurait reconnaitre à fortiori un non vivant. La reconnaissance n’étant encore une fois de plus possible que dans la vie, un non-vivant et un non-vivant ne saurait faire œuvre de reconnaissance. De ces ceux cas d’espèces, le processus de reconnaissance se heurte au risque de la mort, d’un côté à la mort de l’une des consciences, de l’autre à la mort des deux adversaires. Cette situation montrer la grande différence qui sépare l’homme de l’animal. En effet toute la vie de l’animal n’est qu’un besoin permanent de conservation, c’est ce qui justifie qu’en tant qu’animal rempli de lui- même, il ne peut faire l’expérience de la mort ou du sacrifice qui est la porte d’entrée au monde plein de l’Esprit. L’homme par le risque au combat montre qu’il n’est pas limité à une vie naturelle, mais nie cette dernière en se soustrayant du domaine de l’animalité. Par ailleurs, chaque conscience ne se retrouve pas pleinement reconnue dans ce qu’elle reçoit de l’autre. Car dans l’acte sexuel ce que chaque conscience reçoit de l’autre n’est que chair et nature enfouie dans l’être- là de la vie. C’est une telle remarque que Jean François Marquet met en lumière en ces termes dans son ouvrage Leçons sur la phénoménologie de l’Esprit « on pourrait dire que ce que chaque conscience de soi adresse à l’autre, c’est l’impératif suivant : reconnais- moi dans ta mort comme être- vers- la – mort, c’est-à dire comme au-delà de toute chair- et, du coup, on quitte la relation sexuelle et on débouche sur une relation de combat. » Cette lutte devenue inévitable, chaque conscience considère que l’affrontement doit aboutir à une reconnaissance unilatérale. C’est la raison pour laquelle la visée première des consciences est non la reconnaissance mais la mort du vis-à-vis. Toutefois il est important de rappeler que ce chapitre en tant qu’il est une phénoménologie de la reconnaissance étudie les étapes d’illusion et de désillusion qui progressivement conduirons par le non repos du devenir phénoménologique à la reconnaissance véritable. C’est pourquoi cette lutte à mort des consciences ne doit être vue que comme un moment de cette reconnaissance qui parce que non effective, doit par la négativité, passer à une étape plus élevée. Ce qui, fait obstacle à la vraie reconnaissance, c’est sans doute le fait que l’objectif visé pour chacune des consciences est la mort de l’autre, l’exclusion de l’autre, l’anéantissement de l’autre. Chaque conscience dans cette lutte ainsi engagée veut faire sienne tout ce qui appartient à l’adversaire sans rien lui offrir en retour. L’autre conscience de son côté ne consent guère à être traité de la sorte. Car il n’y a de reconnaissance que du respect de la dignité et de l’autonomie de l’autre. Or dans la lutte, la reconnaissance de soi qui est le premier objectif de chacun des adversaires nie la dignité et le respect de l’autre. C’est pourquoi le mot d’ordre de chacune des consciences dans la lutte est que, de la mort de mon adversaire, j’obtienne la reconnaissance de mon être. Pour revenir à l’attitude des adversaires engagés dans la lutte, nous venons de dire que pour qu’il y ait reconnaissance, il est impératif que les deux consciences soient déterminées par la vie et non la mort au terme de la lutte anthropogénèse. Or pour qu’il y ait reconnaissance dans la vie, il faut qu’en un moment donné, la peur puisse jouer les arbitres en contraignant l’une des consciences à battre retraite en offrant sa reddition à l’autre conscience. Parce que dans cette lutte, le prix à gager est une victoire humaine, un triomphe de l’humanité qui est en chaque conscience sur l’animalité qui est aussi pour chacune un élément constitutif. Autrement dit, pour qu’il y ait reconnaissance unilatérale la possibilité de l’humanité doit être plus élevée chez le futur vainqueur que la possibilité de l’animalité. Il ne doit pas comme future vainqueur épouser l’attitude du futur vaincu car comme le remarque Alexandre Kojève dans esquisse d’une phénoménologie du droit « Pour céder en renonçant à la lutte, le vaincu doit avoir eu peur. Son désir de reconnaissance doit se subordonner à son désir naturel de conservation. L’homme en lui est et se révèle plus faible que l’animal qui lui sert de support : son humanité reste à l’état de puissance et ne s’actualise pas, n’atteint pas le plan de réalité déterminé par sa vie animale. » C’est ainsi que plongé dans cet état de peur, le future vaincu faisant l’expérience du maître absolu qu’est la mort, et voyant combien il est difficile à affronter, capitule.
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Table des matières
INTRODUCTION GENERALE
PREMIERE PARTIE : la force de la négativité entre nature et reconnaissance
Chapitre1 : la négativité comme manifestation de la vie
Section1 : La négativité et les déterminations de la nature
Section2 : l’animal comme moment non effectif de la manifestation de la vie de l’esprit
Section3 : La négativité dans les expériences de la conscience, condition de l’homme comme Esprit
Chapitre 2 : Au cœur de la lutte anthropogénèse, la négativité comme condition de la reconnaissance
Section1 : le désir comme élan de possession
Section2 : De la servitude à la maîtrise, une phénoménologie de la négativité
Section 3 : la famille, un moment de la société civile
DEUXIEME PARTIE : la négativité entre société civile et Etat
Chapitre1 : La négativité dans la phénoménologie de la société civile
Section 1 : la négativité du conflit, pour la promotion du citoyen
Section2 : L’apport de la négativité dans la formation de la société civile
Section3 : L’unité comme principe de réconciliation entre société civile et Etat
Chapitre2 : L’état nation et l’actualité du terrorisme
Section1 : La négativité entre vision transcendante et vision immanente de l’Etat
Section2 : La négativité dans L’exercice de l’Etat
Section3 : Le temps du terrorisme à l’assaut de l’état nation, comment envisager Hegel pour l’avenir
CONCLUSION
Bibliographie
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