Les rayonnements ionisants de type X ou γ sont utilisés aujourd’hui dans des domaines aussi variés que la sécurité aux frontières, la détermination de paramètres physiques de pièces en production industrielle, la recherche pétrolière, la physique des hautes énergies ou l’imagerie médicale. Au cœur du dispositif de détection de ces rayonnements ionisants, le scintillateur est le matériau qui convertit le photon X ou γ détecté en lumière visible ou proche du visible. Cette lumière émise sera alors convertie en un signal électrique, lequel sera ensuite analysé dans le cadre de l’application concernée. Les enjeux géostratégiques, médicaux et scientifiques actuels font que le marché des scintillateurs est aujourd’hui en pleine expansion. Loin de se contenter d’une quête du « scintillateur idéal », la recherche dans le domaine des matériaux scintillants s’attache de nos jours à considérer les propriétés les plus utiles pour une application donnée. L’approche par tâtonnements ne suffit plus, la compréhension des mécanismes à l’origine de la scintillation devient nécessaire à l’obtention de scintillateurs mieux adaptés au marché visé. L’imagerie médicale est demandeuse de scintillateurs donnant l’image la plus précise possible du patient, tout en limitant la dose de rayonnement ionisant utilisée. Pour cela, un scintillateur capable de distinguer et de localiser précisément un tissu ou une activité fonctionnelle particulière de l’organisme sera privilégié. Les scintillateurs les plus couramment utilisés jusqu’à présent sont le GSO(Gd2SiO5:Ce3+) , NaI:Tl+ et le BGO (Bi4Ge3O12). Le chlorure de lanthane dopé cérium (LaCl3:Ce3+) et le bromure de lanthane dopé cérium (LaBr3:Ce3+), réunis sous l’appellation générique d’halogénures de lanthane dopés cérium, sont des scintillateurs découverts récemment et dont l’utilisation en imagerie médicale n’en est qu’au stade du prototype. Néanmoins, ils possèdent un réel avantage sur les autres scintillateurs inorganiques du marché par leur capacité à distinguer des rayonnements d’énergie très voisine (pour fournir une image plus précise), par leur excellent rendement de conversion de rayonnement ionisant en photons (pour améliorer le contraste de l’image) et par leur très faible temps de conversion de ce rayonnement ionisant (ce qui permettra d’obtenir des informations temporelles très utiles dans des techniques d’imagerie particulières). Ces matériaux sont en revanche particulièrement hygroscopiques : sous l’action de l’humidité de l’atmosphère ambiante, ils deviennent déliquescents. L’étude des propriétés physico-chimiques, préalable nécessaire à toute application industrielle d’un matériau, est donc rendue parfois difficile. D’autre part, seule la connaissance du mécanisme de scintillation permettra de prévoir et d’optimiser le comportement du scintillateur selon les propriétés que l’on souhaite privilégier. Enfin, au-delà de l’intérêt industriel d’une meilleure compréhension d’un matériau donné, l’étude des scintillateurs est également très intéressante sur un plan scientifique. Elle permet d’approfondir notre connaissance de phénomènes complexes : l’absorption de rayonnement ionisant, les processus qui gouvernent les électrons et les trous électroniques de haute énergie au cœur de la matière, les transferts d’énergie et la désexcitation par émission lumineuse.
Les scintillateurs rapides en imagerie médicale
HISTORIQUE
Le 8 novembre 1895, Wilhelm Conrad Röntgen, directeur à l’institut de physique de l’université de Würzburg, s’intéresse au fonctionnement d’un tube à décharge gazeuse afin d’étudier les rayons cathodiques récemment découverts par William Crookes. Au cours d’une expérience, il s’aperçoit que chaque décharge provoque la luminescence verte d’un panneau formé d’une plaque de verre enduite de platinocyanure de baryum Ba(PtCN4). Il a alors l’idée d’enfermer le tube dans un caisson opaque, pour constater que le phénomène a toujours lieu. A la suite de quoi il intercale entre le tube et le panneau divers objets plus ou moins denses pour observer le résultat sur la plaque. En intercalant sa main, il peut même voir les os de son squelette. Röntgen vient de découvrir « le rayon invisible qui pénètre les corps», le rayon X [1].
Rapidement, de nombreux matériaux, outre le platinocyanure de baryum, sont utilisés pour révéler les rayons X. Thomas Edison réalise ainsi trois mois après la découverte de Röntgen un écran à base de tungstate de calcium CaWO4, le fluoroscope. La découverte d’autres types de rayonnements ionisants suite aux travaux d’AntoineHenri Becquerel sur la radioactivité, conduit à s’intéresser à la détection des rayonnements de haute énergie en général. Aujourd’hui, on retrouve parmi eux les rayons X, γ, et les particules chargées de haute énergie. Les matériaux qui absorbent ces rayonnements pour en réponse émettre des photons de longueur d’onde plus longue sont appelés scintillateurs (du latin scintilla, étincelle).
Les appareils de détection mettant en œuvre des scintillateurs ont été mis au point peu de temps après les travaux de Röntgen et Becquerel. En 1903, Crookes crée le spinthariscope (du grec spintharis, étincelle), un appareil contenant une petite quantité de sel de radium et un écran de sulfure de zinc. Aujourd’hui, ces appareils peuvent mettre en œuvre des matériaux scintillants de natures très diverses : des gaz, des liquides organiques, des couches minces, des solides organiques, des monocristaux isolants ou encore des semi-conducteurs [2].
En 1948, Robert Hofstadter découvre l’iodure de sodium dopé thallium NaI:Tl+ [3,4] qui, couplé au photomultiplicateur inventé quelques années auparavant, représente une véritable amélioration technique face aux détecteurs à matériaux organiques utilisés à l’époque (comme l’anthracène). Il reste encore de nos jours le matériau scintillateur le plus utilisé.
Aujourd’hui, la recherche de nouveaux scintillateurs met en œuvre deux stratégies :
– l’amélioration des propriétés de matériaux déjà connus, ce qui nécessite en général une bonne compréhension du mécanisme de scintillation impliqué : PbWO4, Y3Al5O12, Gd3Al5O12.
– la conception de matériaux nouveaux à partir de considérations théoriques. Les matériaux dopés au cérium sont une illustration de cette seconde stratégie, en raison des excellentes propriétés du cérium en tant qu’activateur comme nous le verrons dans la suite de cette étude.
APPLICATIONS DES SCINTILLATEURS EN IMAGERIE MEDICALE
Les premières applications de la découverte simultanée des rayons X et des scintillateurs eurent lieu en imagerie médicale. Dès 1897, Antoine Béclère créa le premier service de radiologie en France, à l’hôpital Tenon à Paris. Aujourd’hui, l’imagerie médicale reste un des domaines majeurs d’application des scintillateurs, au côté des quatre domaines suivants :
– Le domaine industriel, qui utilise des scintillateurs pour la mesure de paramètres physiques tels que l’épaisseur ou l’absorption de rayonnement, pour l’inspection non destructrice de matériaux, ou pour les systèmes de sécurité contrôlant la radioactivité aux points d’entrée et de sortie de sites sensibles.
– Le domaine géophysique, qui se sert de détecteurs pour évaluer la radioactivité naturelle dans la croûte terrestre et en déduire des informations sur la composition du sol, tout particulièrement en recherche pétrolière [6,7].
– Le domaine de la sécurité publique, pour lequel les scintillateurs permettent le contrôle fixe et mobile, actif et passif, des bagages, véhicules et conteneurs afin d’y détecter des matières dangereuses ou des passagers clandestins.
– Le domaine de la physique fondamentale : les calorimètres nécessitent ainsi de grandes quantités de scintillateurs afin de détecter des événements très rares [8].
Depuis les premières radiographies par Wilhelm Röntgen, les techniques d’imagerie médicale employant des scintillateurs se sont sensiblement diversifiées[9] et peuvent être divisées en deux grandes familles selon le rayonnement utilisé:
– les techniques à rayons γ: elles regroupent les techniques TEP, SPECT et gamma caméra
– les techniques à rayons X: on y trouve en particulier la radiographie X et la tomographie axiale calculée (Computed Tomography, CT) .
l’imagerie TEP
La Tomographie par Émission de Positrons (TEP) [10,11] est une technique d’imagerie médicale dont l’objectif premier est l’étude fonctionnelle des tissus : l’intérêt est moins porté sur les caractéristiques anatomiques, à l’instar de la radiographie aux rayons X, que sur le fonctionnement des tissus ou organes étudiés. Le principe de l’étude fonctionnelle des tissus est fondé sur l’observation du métabolisme des cellules par assimilation d’un marqueur radioactif. Des radionucléides sont injectés dans l’organisme étudié afin de servir de traceurs pour sonder les processus physiologiques. La molécule marquée généralement utilisée est le 18Ffluorodésoxyglucose (en abrégé 18F-FDG), injecté dans le bras du patient par voie intraveineuse. Les cellules utilisent le glucose comme source d’énergie, et leur consommation de glucose est directement fonction de leur activité. Or, le 18F FDG se comporte comme du glucose lors de son injection dans l’organisme, mais n’est pas assimilable par les cellules. Son accumulation permet donc d’intensifier les zones tissulaires de forte activité (cas du cerveau, du cœur, mais aussi des cellules cancéreuses) ou à l’inverse d’activité anormalement basse (cas des portions du cerveau atteintes par la maladie d’Alzheimer).
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Table des matières
Introduction générale
Chapitre 1 – Les scintillateurs rapides en imagerie médicale
I. Historique
II. Applications des scintillateurs en imagerie médicale
II.A. L’imagerie TEP
II.B. Les gamma caméras et l’imagerie SPECT
II.C. L’imagerie CT
III. Les mécanismes de scintillation
III.A. L’interaction rayonnement-matière
III.B. Transfert d’énergie
III.C. La luminescence
IV. Caractérisation et évaluation des scintillateurs
IV.A. Pouvoir d’absorption
IV.B. Rendement lumineux
IV.C. Résolution énergétique
IV. D. Temps de vie de scintillation
IV.E. Longueur d’onde d’émission
V. Des scintillateurs rapides pour l’imagerie médicale
Références
Chapitre 2 – Les halogénures de lanthane dopés cérium
I. Propriétés de scintillation
II. Synthèse industrielle
II.A. Synthèse de monocristaux
II.B. Découpe et montage des pièces
III. Intérêt de notre étude
IV. Techniques de caractérisation
IV.A. Cristallogénèse
IV.B. Caractérisations chimiques et structurales
IV.C. Propriétés de scintillation
IV.D. Mise en évidence de défauts et impuretés
IV.E. Spectroscopies optiques et de photoélectrons
Références
Chapitre 3 – Propriétés structurales et physico-chimiques
I. Structure et propriétés physiques
I.A. Description structurale
I.B. Propriétés physiques
II. Propriétés chimiques et de croissance du matériau
II.A. Diagrammes de phase
II.B. Impuretés du matériau
II.C. Étude RPE de l’ion Ce3+ dans LaX3
III. Propriétés optiques
III.A. Spectroscopie d’absorption infrarouge : expérience et simulation
III.B. Propriétés optiques UV-visible – simulation quantique ab initio
Conclusion
Références
Chapitre 4 – Mécanismes de scintillation
I. Identification des centres luminescents
I.A. Étude par radioluminescence
I.B. Étude des centres excitoniques
II. Processus de luminescence dans les halogénures de lanthane dopés cérium
II.A. Les transferts d’énergie vers les centres luminescents
II.B. Modulation des performances de scintillation
III. Caractérisation des défauts du matériau industriel
III.A. Étude par thermoluminescence à basse température
III.B. Étude par thermoluminescence à haute température
III.C. La luminescence persistante (afterglow)
IV. Pistes d’amélioration du matériau
Conclusion
Références
Conclusion générale
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