Le nombre de nouveaux cas de cancers détectés augmente chaque année depuis le siècle dernier, si bien que cette pathologie est devenue la première cause de mortalité en France et en Europe. Bien que les progrès scientifiques dans ce domaine aient permis d’augmenter le taux de rémission, le taux de décès pour un cancer reste proche de 50 %. Il existe aujourd’hui trois principales techniques de traitement pour un cancer : la chirurgie, qui consiste à opérer le patient pour en extraire la tumeur, la chimiothérapie qui est un traitement médicamenteux visant à détruire les cellules cancéreuses ou stopper leur multiplication, et la radiothérapie, qui consiste à irradier la tumeur afin d’en détruire les cellules la constituant. Cette dernière technique est particulièrement utilisée pour le traitement de tumeurs locales. C’est dans ce cas précis que des améliorations sont possibles. En effet, encore 18 % des échecs de traitements concernent des tumeurs locales, sans métastases. Un meilleur contrôle du dépôt de dose et une meilleure efficacité de traitement permettraient ainsi de réduire ce chiffre.
C’est dans cette optique qu’une nouvelle forme de radiothérapie utilisant des particules hadroniques (composées de quarks) est étudiée. Ainsi, différentes particules ont été utilisées : protons, neutrons, pions ou encore ions « lourds » (l’appellation est ici abusive et concerne tous les ions plus lourds que le proton). Parmi celles-ci, les particules chargées sont les plus intéressantes pour le traitement. Ces particules ont la particularité d’avoir un dépôt d’énergie localisé en profondeur, permettant de cibler le volume tumoral tout en épargnant au maximum les tissus sains en amont. À ce jour, la particule la plus communément utilisée est le proton. Cependant, l’intérêt pour les ions plus lourds se développe de plus en plus. Leur masse plus élevée leur procure une meilleure précision balistique et leur plus grande densité d’ionisation implique des dommages accrus au niveau des cellules cancéreuses. Cette plus grande efficacité biologique par rapport aux protons rend l’utilisation d’ions lourds très intéressante pour le traitement des tumeurs radio-résistantes, ne pouvant être efficacement détruites par les méthodes conventionnelles. Cependant, les collisions subies par le projectile en rencontrant d’autres noyaux le long de son parcours peuvent provoquer la fragmentation de celui-ci. Ce phénomène engendre la production de noyaux plus légers ayant un parcours dans la matière plus long et pouvant donc occasionner des dégâts dans les tissus sains en aval de la tumeur. La conséquence principale sur le traitement est la disparition du projectile, provoquant une baisse significative de la dose dans la tumeur. La proportion de projectiles fragmentant est d’autant plus importante que la masse de la particule utilisée est élevée. Il est alors nécessaire de maîtriser l’importance de la fragmentation pour planifier correctement un traitement en hadronthérapie.
Hadronthérapie et Carbone 12
Le cancer et les différents traitements
Généralités et chiffres sur le cancer
Le terme « cancer » désigne une pathologie caractérisée par la prolifération incontrôlée de cellules dites anormales. Cet amas de cellules est alors appelé « tumeur maligne » et peut se développer de manière locale ou bien migrer par voie sanguine ou lymphatique, ou à travers les tissus avoisinants et former des métastases. Le nombre de cancers diagnostiqués par an depuis 1980 a doublé, au point que cette maladie est devenue la première cause de mortalité en France et en Europe, selon la Fondation ARC pour la recherche sur le cancer [1]. Cette augmentation brutale peut s’expliquer par plusieurs facteurs. Le premier est l’accroissement de la population, responsable d’un tiers de l’augmentation, suivi par son vieillissement également à hauteur d’environ un tiers (la majorité des cancers sont diagnostiqués chez les personnes âgées). Le reste de l’augmentation est dû à l’amélioration des techniques de dépistage ainsi qu’à l’évolution de l’exposition aux facteurs de risques, comme la pollution atmosphérique et le tabagisme. En 2015, 385 000 nouveaux cas de cancers ont été recensés, et 149 500 patients sont décédés des suites d’un cancer [2]. Si le nombre de cancers diagnostiqués (ou taux d’incidence) augmente continuellement depuis 1980, le taux de mortalité quant à lui ne cesse de diminuer. En France, la baisse de mortalité est de l’ordre de 1,25 % par an. Cette baisse de mortalité peut être expliquée par l’amélioration des techniques de diagnostic qui permettent de dépister un cancer plus tôt et donc d’augmenter les chances de rémission, ainsi que par l’amélioration des techniques de traitement.
Les principales méthodes utilisées pour traiter un cancer sont la chimiothérapie, la chirurgie et la radiothérapie. Ces techniques utilisées séparément sont responsables respectivement de 5 %, 22 % et 12 % des rémissions. Utilisées conjointement, la radiothérapie et la chirurgie permettent d’atteindre 40 % de rémission. La majorité des échecs de traitements est due à un mauvais contrôle d’une tumeur avec métastases, la délocalisation de la tumeur rendant le ciblage du traitement difficile. Si dans le cas d’une tumeur locale le taux de rémission est supérieur, le taux d’échec n’est cependant pas nul et le contrôle de la tumeur peut encore être amélioré. C’est le but des techniques de radiothérapies modernes, qui visent toujours à améliorer la précision du dépôt de dose dans le volume tumoral, tout en épargnant au mieux les tissus sains avoisinants. L’une des plus récentes innovations a été d’utiliser des particules chargées lourdes comme les protons et autres ions à la place des photons. Ces particules ont la particularité d’avoir un dépôt d’énergie faible lors de l’entrée dans le corps et maximal en fin de parcours où la tumeur est localisée. Cette variante à la radiothérapie conventionnelle est appelée hadronthérapie et sera étudiée tout au long de ce chapitre.
Des rayons X aux ions carbone
L’histoire de la radiothérapie commence rapidement après la découverte des rayons X par Röntgen en 1895. Durant les années qui suivirent, plusieurs tests de traitement par irradiation ont été effectués sur des maladies sans remède connu en utilisant des rayons X ainsi que les rayonnements issus du radium, dont les propriétés radioactives venaient d’être découvertes par Marie Curie. Cette dernière est alors convaincue que ces rayonnements sont capables de traiter le cancer. C’est dans l’optique de lancer des recherches dans ce domaine que l’Institut Curie fut fondé en 1909. Très vite, il apparaît nécessaire d’utiliser des photons de plus hautes énergies que les quelques dizaines de keV générés avec un tube à rayons X afin de pouvoir irradier en profondeur sans trop endommager les tissus superficiels. Cela a conduit à utiliser les rayonnements γ issus du 60Co (1,17 MeV et 1,33 MeV) et enfin à l’utilisation d’accélérateurs linéaires d’électrons (linac) permettant d’émettre des photons X d’une énergie jusqu’à 25 MeV. Le linac est encore aujourd’hui l’outil le plus utilisé en radiothérapie. Depuis, l’enjeu principal a été l’amélioration de la précision balistique. Les technologies actuelles utilisent en général pour cela l’irradiation à incidence multiple (tomothérapie, CyberKnife [4]) et à modulation d’intensité (Intensity Modulated Radiotherapy, ou IMRT [5]).
Malgré toutes les améliorations apportées au procédé, l’irradiation par photons n’est pas idéale du fait du dépôt d’énergie décroissant avec la profondeur . Très tôt, un intérêt est porté vers les particules hadroniques chargées et notamment les ions légers tels le proton, le deuteron ou la particule α. Les propriétés de dépôt d’énergie de ces particules ayant déjà été mises en évidence par Bragg en 1904, la possibilité de concentrer la majorité du dépôt de dose en fin de parcours séduit. Après l’invention du premier cyclotron par Robert Wilson en 1945, capable d’accélérer des protons à 160 MeV, il faudra attendre 1954 pour qu’un premier traitement par protonthérapie ait lieu au Lawrence Berkeley Laboratory (LBL). Les premiers traitements utilisant des deuterons et des ions hélium y ont ensuite été testés en 1957 [6], suivis par des ions plus lourds (C, Ne, Ar) [7]. Jusqu’à sa fermeture en 1992, ce centre a traité 2054 patients en utilisant des protons et des ions plus lourds.
Durant les années 1970, différentes études ont porté sur l’utilisation des ions tels que le carbone ou l’oxygène, ou bien plus lourds comme le silicium ou l’argon. Si la masse importante de ces ions semblait être un atout en termes d’efficacité à détruire les cellules cancéreuses, ils ont aussi montré des effets indésirables sur les tissus sains. En effet, les sections efficaces de fragmentation du projectile augmentent avec la masse de l’ion et des produits de réaction plus légers sont dispersés et peuvent causer des dégâts dans des organes à risque. Au terme de plusieurs études dans le début des années 1990, notamment au Heavy Ion Medical Accelerator in Chiba (HIMAC) au Japon, un compromis semble avoir été trouvé avec l’ion carbone [8].
Depuis, différents centres de recherches ou de traitements dédiés à la hadronthérapie ont vu le jour partout dans le monde. Plus de 60 centres de protonthérapie sont actuellement en activité aujourd’hui, dont près de la moitié aux États Unis et deux en France. Un troisième centre appelé ARCHADE est actuellement en construction dans la ville de Caen et ouvrira ses portes aux premiers patients en 2018. Les centres de traitement par ions carbone sont eux beaucoup plus rares. Il en existe aujourd’hui onze en activité dont cinq au Japon et deux en construction en Chine et en Corée du Sud qui devraient être opérationnels dans les deux années à venir.
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Table des matières
Introduction générale
1 Hadronthérapie et Carbone 12
1.1 Le cancer et les différents traitements
1.1.1 Généralités et chiffres sur le cancer
1.1.2 Des rayons X aux ions carbone
1.2 Interaction des rayonnements avec la matière
1.2.1 Interactions des photons dans la matière
1.2.2 Pouvoir d’arrêt et dépôt d’énergie des ions
1.2.3 Effets des interactions sur le faisceau
1.2.4 Interactions nucléaires inélastiques
1.3 Effets des rayonnements sur les cellules
1.3.1 Notions de dose et de TEL
1.3.2 Dégâts des rayonnements sur les cellules
1.3.3 Survie cellulaire et efficacité biologique
1.3.4 Effet Oxygène
1.4 Fragmentation et mesures de sections efficaces
1.4.1 Présentation de la simulation
1.4.2 Effets de la fragmentation sur la dose
1.4.3 Contrôle d’irradiation et imagerie
1.4.4 Historique des expériences
Conclusion
2 Analyse des données de l’expérience à 50 MeV/n
Introduction
2.1 Dispositif expérimental
2.1.1 Cibles utilisées
2.1.2 Détecteurs de fragments chargés
2.1.3 Moniteur faisceau
2.1.4 Système d’acquisition des données
2.2 Étalonnage du moniteur faisceau
2.2.1 Taux de comptage dans les détecteurs
2.2.2 Étalonnage du détecteur
2.3 Identification des particules
2.3.1 Étapes de l’analyse
2.3.2 Étalonnage des détecteurs silicium
2.3.3 Création des grilles d’identification
2.3.4 Identification et énergie des particules
2.3.5 Seuils de détection en énergie
2.4 Nettoyage des cartes d’identification
2.4.1 Corrections pré-identification
2.4.2 Corrections post-identification
2.5 Estimation des erreurs systématiques
2.5.1 Erreur sur l’énergie CsI
2.5.2 Erreurs engendrées par la méthode d’identification
2.5.3 Estimation des erreurs engendrées par la traînée 12C
2.5.4 Calcul de la barre d’erreur totale
Conclusion
3 Résultats expérimentaux
Introduction
3.1 Mécanismes de réaction
3.1.1 Réactions nucléaires à basse énergie
3.1.2 Réactions nucléaires à haute énergie
3.1.3 Réactions nucléaires aux énergies intermédiaires
3.1.4 Bilan et application à notre expérience
3.2 Calcul des sections efficaces pour les cibles reconstruites
3.3 Sections efficaces doublement différentielles
3.3.1 Évolution avec l’angle
3.3.2 Évolution avec la charge et la masse du fragment
3.3.3 Évolution avec la masse de la cible
3.4 Sections efficaces différentielles en angle
3.4.1 Évolution avec la masse du fragment
3.4.2 Évolution avec la masse de la cible
3.5 Reconstitution des sections efficaces pour une cible de PMMA
3.6 Sections efficaces de production
3.6.1 Reproduction analytique des distributions angulaires
3.6.2 Sections efficaces de production par isotope
Conclusion
4 Comparaison avec les modèles existants
Introduction
4.1 Simulations avec GEANT4
4.1.1 Description des modèles utilisés
4.1.2 Comparaisons aux données expérimentales
4.2 Simulations avec PHITS
4.2.1 Description des modèles utilisés
4.2.2 Comparaisons aux données expérimentales
4.3 Simulations avec SLIIPIE
4.3.1 Description du modèle
4.3.2 Comparaisons aux données expérimentales
Conclusion
Conclusion générale