Grandes fonctions de l’endothélium et modulation liée au sepsis

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Immunité et sepsis

Relation hôte-pathogène

Le sepsis est initié par la reconnaissance de l’agent pathogène et de signaux endogènes associés par un système de défense impliquant le système du complément, des récepteurs cellulaires spécifiques présents à la surface de certains types cellulaires immunitaires, mais également les cellules endothéliales et épithéliales, permettant à l’organisme de réaliser une veille vis à vis de l’infection. La reconnaissance d’un agent pathogène est en effet indispensable afin de débuter la réaction immunitaire permettant son éradication. La cascade physiologique de réaction débute par l’activation de certains récepteurs, les pattern recognition receptors (PRR) appartenant à plusieurs grandes classes : les toll-like receptors (TLR), les mannose-binding lectin receptors, les retinoic acid-inductible gene (RIG)-like receptors, les scavenger receptors et les nucleotide-binding oligomerization domain (NOD)-like receptors, ces derniers entrant dans la constitution du groupement protéique de l’inflammasome, élément majeur de la régulation de l’inflammation16. Cette liste n’est pas exhaustive et il est probable que d’autres types de récepteurs s’ajouteront à cette liste au fur et à mesure des investigations scientifiques, tant le processus de reconnaissance est complexe et de découverte récente. 4
L’activation de ces PRR peut être secondaire à la reconnaissance de molécules du pathogène, les Pathogen-Associated Molecular Patterns (PAMPs) qui sont des structures conservées au sein des agents microbiens, ou de molécules endogènes issues de la destruction tissulaire par le pathogène, les Damage-Associated Molecular Patterns (DAMPs) ou « alarmines », constituant ce qui est appelé les « signaux de dangers »16–18. Les PAMPS sont essentiellement des sucres complexes, lipoproitéines ou acides nucléiques exprimés par les bactéries, virus ou champignons, comme le lipopolysaccharide (LPS) bactérien présent à la surface des bacilles à gram négatif (reconnu essentiellement par les TLR-4), les peptidoglycanes bactériens (TLR-2) ou les ARN double-brin viraux (TLR-3) pour ne citer qu’eux. Parallèlement, ces mêmes PPR sont capables de détecter des DAMPs, tels que les protéines Extracellular Cold-Inductible RNA-Binding (eCIRB), High Mobility Group Box 1 (HMGB-1) mais également les histones provenant de la dégradation de l’ADN nucléaire ou mitochondriale ou même l’Adénosine Tri-Phosphate (ATP)18. Le relargage cellulaire de ces DAMPs n’est pas spécifique de l’infection et peut s’observer dans tous les cas de destructions cellulaires importantes, expliquant le syndrome inflammatoire observé lors de polytraumatismes, chocs cardiogéniques, chirurgies majeures (…) et les possibles difficultés à parfois diagnostiquer l’origine septique ou non du processus inflammatoire.

Réaction pro-inflammatoire

L’activation des PRR conduit à de complexes voies de transduction intracellulaire aboutissant à la production de médiateurs de l’inflammation. Cette signalisation implique notamment des voies phosphorylatives tels que les mitogen-activated protein kinases (MAPKs), janus kinases (JAKs) ou myeloid differentiation primary response protein 88 (MYD88), avec in fine l’activation de facteurs de transcription génique tels que le nuclear factor-κB (NF- κB) , l’activator protein-1 (AP1) […] ayant pour objet l’expression de nombreux gènes impliqués dans l’inflammation (figure 1).
L’activation du facteur NF- κB, grâce à l’inactivation de son inhibiteur I-κB, entraine sa dimérisation et sa translocation nucléaire, permettant l’expression de nombreux gènes indispensables à la réaction inflammatoire : cytokines, chémokines, interférons… D’autres facteurs sont également impliqués selon les voies de transduction PRR-PAMPs/DAMPs, comme l’AP-1 ou les Interferon Regulatory Factor (IRF)19. Ceci permet la production par les cellules immunitaires au site de l’infection (macrophages, fibroblastes) de cytokines pro-inflammatoires puissantes à la phase initiale de l’inflammation, principalement les Interleukines (IL) 1β, IL-12, IL-18, le Tumor Necrosis Factor (TNF) α pour ne citer qu’eux. Cette première phase survient dans les minutes suivant la pénétration de l’agent pathogène et va permettre l’amplification de la réponse inflammatoire, notamment grâce à la production par les cellules immunitaires locales d’autres cytokines : IL-3, IL-6, IL-8, IL-17, IL-23, IFNγ… mais également des facteurs chémotactiques permettant le recrutement cellulaire immunitaire au site de l’infection comme le CC-chemokine Ligand 2 (CCL2), CCL3 et le CXC-chemokine ligand 10 (CXCL10)17,20. Parmi ces cytokines l’IL-6 présente un rôle particulièrement important. Les taux plasmatiques d’IL-6 sont bien corrélés avec la sévérité de l’état septique, et notamment avec la mortalité, avec des taux 1000 fois supérieurs à ceux de sujets sains, permettant de prédire l’apparition d’une dysfonction d’organe avec une spécificité de plus de 80%21. De plus, le taux d’IL-6 était également corrélé avec l’existence d’une dysfonction endothéliale (altération de la vasodilatation brachiale à l’ischémie) chez des patients diabétiques, témoin de ses multiples effets au sein de l’organisme22. Les effets de cette cytokine résultent de son interaction avec son récepteur spécifique IL-6R, lui-même couplé à la protéine transmembranaire gp130 responsable de la transduction intracellulaire23. Comme beaucoup de récepteurs aux cytokines, l’IL-6R n’est exprimé que dans un nombre limité de tissus, essentiellement les hépatocytes et les leucocytes, tandis que la gp130 est exprimée de façon ubiquitaire23,24. L’existence d’une forme soluble de l’IL-6R (sIL-6R) permet la transduction du signal inflammatoire dans une multitude d’autre type cellulaire, dont la cellule endothéliale25. Nous ne détaillerons pas ici l’ensemble des cytokines produites au cours du sepsis, mais cette liste non exhaustive illustre la complexité des processus impliqués dans la réaction inflammatoire locale secondaire à la pénétration du pathogène, véritable veille immunitaire contre l’infection. Nous n’aborderons pas non plus le détail des réactions immunitaires à l’infection, sortant du cadre strict de notre travail. Il est néanmoins important d’évoquer que cette réaction cytokinique locale va modifier l’expression des protéines à la surface des cellules endothéliales, avec une surexpression des protéines d’adhésion P et E-selectines, InterCellular Adhesion Molecule 1 (ICAM-1) et Vascular Cell Adhesion Molecule 1 (VCAM-1). Les selectines permettent le ralentissement des leucocytes à la surface des cellules endothéliales (rolling) tandis que VCAM-1 et ICAM-1 permettent l’adhésion ferme avec ces cellules grâce à l’interaction avec les protéines Very Late Antigen 4 (VLA4) et Leukocyte Function Antigen 1 (LFA1). Nous verrons plus en détails ces phénomènes dans le chapitre dédié à l’endothélium vasculaire.
La réaction pro-inflammatoire vise donc à stimuler localement la réponse inflammatoire à l’infection et s’avère donc bénéfique en limitant l’extension de celle-ci grâce à un effet anti-pathogène des cellules immunitaires recrutées et activées, mais également en diminuant le flux sanguin local par des phénomènes microvasculaires (hypercoagulation, vasoconstriction). Cependant, la production dérégulée, véritable « orage cytokinique », peut être dangereuse et induire des altérations des grandes fonctions physiologiques aboutissant à la défaillance multiviscérale. Ainsi il a été montré que l’intensité et la durée de la réponse inflammatoire était corrélée avec la dysfonction d’organe et la mortalité de patients en choc septique26,27.

Réaction anti-inflammatoire

Parallèlement à cette phase pro-inflammatoire se met en place une réaction anti-inflammatoire ayant pour objectif de contenir la production des cytokines pro-inflammatoires potentiellement dangereuses, et de participer secondairement à la phase de résolution de l’inflammation28. Cette phase anti-inflammatoire est également supportée par plusieurs cytokines dont IL-4, IL-10, IL-11, IL-13, IL-35, Transforming Growth Factorβ (TGF-β) ou les inhibiteurs spécifiques d’IL-1 (IL-1Ra) ou de TNF-α (soluble TNF-α)20. L’IL10 est une cytokine clé produite par les lymphocytes Th2 CD4+, les monocytes et les lymphocytes B. Elle inhibe la 7 production des cytokines pro-inflammatoires par les Lymphocytes Th1, macrophages, monocytes et neutrophiles29, permettant de réduire la production des cytokines pro-inflammatoires IL-1, IL-2, IL-6, IL-8, IL-12, TNF-α, IFNγ, GM-CSF… Elle permet également la production des inhibiteurs spécifiques IL-1Ra et sTNF-α , et favorise la production de cytokines anti-inflammatoires tels que l’IL-2730. Sa production est augmentée en réponse à l’activation des PRR de façon quasi concomitante aux premières phases de la réaction inflammatoire, mais son expression est également régulée par différents facteurs, et tout particulièrement la présence intracellulaire de glucocorticoïdes28. Si cette phase anti-inflammatoire a pour objectif la régulation de la réponse pro-inflammatoire à la phase très précoce du sepsis, puis de participer à la phase de résolution de cette inflammation, les patients survivants au sepsis présentent souvent des profils immunitaires inadaptés à moyen terme, avec une immunosuppression persistant plusieurs semaines et pouvant faire le lit d’infections secondaires acquises ou tardives impactant sur le pronostic au long terme. On peut évoquer de façon plus concrète l’exemple d’un jeune patient présentant une méningococcémie au tableau initial très bruyant associant fièvre, tachycardie puis troubles de conscience avec état de choc. Le profil est alors hautement pro-inflammatoire avec une réaction systémique intense. Dans un second temps, la phase pro-inflammatoire se résout, mais le patient présente un profil immunitaire déficitaire, permettant à des bactéries habituellement peu pathogènes d’infecter le sujet, qui développe alors une pneumopathie acquise sous ventilation mécanique à germes opportunistes (par exemple à Pseudomonas Aeruginosa)31. Cette évolution biphasique est représentée sur la figure 2 d’après Hotchkiss et al32.
Ce déficit prolongé de l’immunité au décours du sepsis justifie les essais médicamenteux en cours , au stade expérimental ou clinique, visant à la stimuler par des thérapies telles que par GM-CSF, IFNγ ou IL-7r32–34.
Au total, l’organisme soumis à la pénétration d’un agent pathogène développe une réaction à la fois pro et anti-inflammatoire dont l’objectif initial est l’éviction du micro-organisme. Les calor et rubor observés sont donc bénéfiques à la lutte contre l’infection en favorisant l’afflux et l’activation du système immunitaire. Néanmoins dans les cas les plus graves les patients développent une réaction inflammatoire dérégulée conduisant à une atteinte systémique dangereuse et potentiellement mortelle : le sepsis. D’autres structures physiologiques primordiales peuvent être atteintes. C’est le cas de l’endothélium qui joue un rôle primordial à la fois dans l’immunité innée et dans la fonction des organes.

Dysfonction endothéliale au cours du sepsis

L’endothélium est un élément majeur constituant l’arbre vasculaire. Sa position, en contact étroit avec le flux sanguin d’un côté et avec les autres couches vasculaires d’autre part, ainsi qu’un grand nombre de propriétés auto et paracrines, lui confèrent un rôle central dans l’homéostasie de nombreuses fonctions : vasomotricité, coagulation, afflux immunitaire, régulation des flux hydro-sodés pour ne citer qu’eux. Cependant, l’avènement d’une stimulation, tout particulièrement infectieuse, nécessite de la cellule endothéliale des ressources adaptatives qui peuvent outrepasser leur objectif, conduisant à la dysfonction endothéliale.
Au cours de cette partie nous détaillerons quelques généralités sur l’endothélium avant de détailler les grandes fonctions lui incombant et leur modulation par le sepsis.

Physiologie de l’endothélium

De la cellule endothéliale à l’endothélium

La cellule endothéliale est embryologiquement dérivée des angioblastes et hémangioblastes. Elle présente une forme longiligne permettant de minimiser les forces de cisaillement qui lui sont appliquées par le flux sanguin. Sa face apicale est orientée vers la lumière vasculaire, tandis que sa face basale est ancrée à une matrice extracellulaire riche en collagène : la lame basale. Les cellules endothéliales sont reliées entre elles par des jonctions-intercellulaires, l’ensemble tapissant l’intégralité des vaisseaux sanguins et lymphatiques et constituant l’endothélium (Figure 4).
L’endothélium représente une surface globale comprise entre 300 et 1000 m2. La face endo-vasculaire est tapissée d’une fine couche, le glycocalyx, d’une épaisseur de 0,5 à 11 μm, composé en grande partie de glycosaminoglycanes jouant de nombreux rôles physiologiques, notamment en retenant de l’eau et des solutés, mais également en régulant le contact avec les éléments figurés du sang35. La morphologie comme la fonction de l’endothélium varient en fonction de l’organe et de la taille du vaisseau. Cette hétérogénéité est bien identifiée en microscopie électronique avec la présence par endroit de fenestrations. Ainsi on peut classer l’endothélium en « continu » (cerveau, poumons, cœur, peau, muscle), en « fenêtré » avec la présence de pores d’environ 50-60 nm de la surface apicale, fermés par un diaphragme (glandes endocrines, intestins, reins) et en « discontinu » avec des pores de 100 à 200 nm associés à une faible organisation de la lame basale (foie, rate, moelle osseuse)36. De plus, l’endothélium présente selon les endroits des variations de la composition du glycocalyx et des jonctions intercellulaires, renforçant son hétérogénéité. L’endothélium est un lieu privilégié d’échange et de régulation entre les secteurs vasculaires et tissulaires grâce à sa grande surface de contact, une porosité variable, mais également grâce à des éléments de régulation de l’hémostase, de la réponse immunitaire et de la vasoréactivité comme nous allons le voir par la suite.

Le glycocalyx : élément clé de la fonction endothéliale

Le glycocalyx constitue une fine couche à la surface de l’endothélium participant activement à une très grande partie des fonctions exercées par l’endothélium. Son épaisseur est estimée à 0,5 à 11 m et il représenterait environ 20% du volume intravasculaire37. Il est essentiellement composé de protéoglycanes, de glycoprotéines et de sialoprotéines ancrées à la cellule endothéliale par des glycosaminoglycanes38. Les protéoglycanes sont principalement le syndican, le glypican, le mimecan ou le biglycan, sur la face endovasculaire desquelles se fixent des glycosaminocanes : heparane sulfate pour l’essentiel, mais également chondroitine sulfate, kertane sulfate et dermante sulfate39. Ces protéoglycanes ont un rôle majeur dans la physiologie vasculaire. Elles présentent un domaine transmembranaire et une portion C-terminale intracytoplasmique qui permettent la transmission des forces de cisaillement, générées par le flux sanguin, et la transduction du signal aboutit à l’upregulation de la eNOS et à la production de monoxyde d’azote (NO) aux propriétés vasodilatatrices (cf infra). De plus, leur taille excède celle d’autres glycoprotéines du glycocalyx, dont des molécules d’adhésion cellulaire telles que les intégrines ou les selectines, limitant de ce fait les interactions entre les leucocytes et la paroi vasculaire par effet de recouvrement. De même, les glycosaminoglycanes sont essentiellement sulfatées et donc porteuses de charges négatives repoussant à distance de l’endothélium les protéines chargées négativement, mais également les éléments figurés du sang et certains solutés chargés positivement. Ceci permet d’une part de maintenir un gradient oncotique, limitant la fuite capillaire, mais également de limiter les interactions entre les éléments figurés du sang et l’endothélium, régulant la transmigration et l’hémostase. Une autre fonction du glycocalyx est de maintenir certaines protéines à proximité de l’endothélium. C’est le cas pour l’antithrombine III qui exerce localement, avec l’aide des héparane-sulfates, un effet anticoagulant local. De même, la thrombomoduline et l’inhibiteur de la voie du facteur intrinsèque régulent la formation de thrombine puis d’un caillot39. Ainsi, le glycocalyx joue un rôle majeur dans les fonctions de perméabilité, d’hémostase, de régulation de l’immunité et de vaso-réactivité en symbiose avec l’endothélium.
Cependant, le processus inflammatoire observé au cours des processus septiques est à même d’endommager le glycocalyx. Les principaux facteurs pouvant le dégrader sont les espèces réactives de l’oxygène (ROS pour Reactive Oxygen Species), tels que le peroxyde d’hydrogène H2O2, les anions hydroxyle OH- et superoxide O°2- mais également certaines protéases (héparanase et autres sheddases), relargués notamment par les granulocytes et mastocytes activés lors des phénomènes infectieux ou d’ischémie-reperfusion, responsables d’un véritable décapage du glycocalyx40,41. L’activation directe de la cellule endothéliale pourrait également induire une dégradation de ce glycocalyx, notamment sous l’impulsion du LPS bactérien ou de cytokines pro-inflammatoires comme le TNF , induisant la production de protéase endothéliale intracellulaire avec détachement des protéoglycanes42. Il en résulte une diminution de l’épaisseur du glycocalyx chez les patients inflammatoires (sepsis, polytraumatisme, chirurgie majeure) comme récemment démontré in vivo par des techniques d’imagerie par microscopie sublinguale Sidestream Dark Field Imaging (Glycochek™, Microvascular Health Solution, USA)43, ou comme également attesté par l’augmentation des taux circulants des composants du glycocalyx Syndecan-1 ou Heparane-Sulfate44–46.

Grandes fonctions de l’endothélium et modulation liée au sepsis

Endothélium, hémostase et sepsis

L’hémostase est un processus physiologique complexe faisant intervenir l’endothélium, les plaquettes, les globules rouges, les leucocytes et de nombreux facteurs plasmatiques. A l’état physiologique l’endothélium synthétise nombre de ces facteurs : facteur Von Willebrandt (vWf), facteur tissulaire (FT), inhibiteur de l’activateur du plasminogène (PAI-1), monoxyde d’azote (NO), prostacyclines, métabolisation de l’ATP et de l’ADP, thrombomoduline35,37. Le glycocalyx est également synthétisé par l’endothélium et joue un rôle dans l’hémostase grâce à de nombreuses glycosaminoglycanes heparin-like et à la présence d’antithrombine. Ainsi l’endothélium produit à la fois des facteurs pro-coagulants et anti-coagulants, le mettant au centre de la régulation du processus d’hémostase. En cas de brèche vasculaire, l’exposition de la matrice extracellulaire de la lame basale, et notamment du collagène, induit le recrutement plaquettaire grâce à l’interaction entre les récepteurs aux intégrines avec la laminine et la fibronectine associées à la matrice extracellulaire. Cette adhésion est renforcée par la cellule endothéliale grâce au relargage du vWf contenu dans les corps de Weibel-Palade endothéliaux47. Le vWf permet la liaison entre le collagène, contenu dans la matrice extracellulaire sous endothéliale, et le récepteur GPIb/IX/V plaquettaire. Ce processus est renforcé par la production endothéliale de facteur tissulaire activant la cascade de la coagulation via l’activation du facteur VII. A l’inverse, la production endothéliale de plusieurs facteurs limite la formation du caillot, tels que l’inhibiteur de voie du facteur tissulaire (Tissu Factor Pathway Inhibitor TFPI) limitant la formation locale de fibrine, ou l’activation de la protéine C qui inhibe les facteurs V, VIII et le PAI-137.
Cette régulation hémostatique peut être fortement altérée au cours des processus inflammatoires, et a fortiori au cours du sepsis. De nombreux facteurs systémiques sont à même d’altérer le fonctionnement normal de l’endothélium, et notamment du vWf. En effet la production de vWf nécessite le clivage protéolytique par la protéase ADAMTS-13 de méga-multimères vWf, extrêment thrombotiques, en multimères de plus petites tailles et de pouvoir agrégant moindre. Ainsi les cytokines pro-inflammatoires, dont l’IL-6, IL-1 ou TNF-α, mais également des toxines bactériennes ou des autoanticorps neutralisants sont suspectibles d’inactiver l’ADAMTS-1337,48–50. La présence de taux anormaux de mega-vWf augmentant ainsi l’état prothrombotique des états septiques. Parallèlement, l’activation de la cellule endothéliale en présence de divers stimuli (endotoxine, cytokine, hypoxémie, espèces réactives de l’oxygène…) favorise la cascade de la coagulation en induisant une upregulation du facteur tissulaire, et donc favorise la formation de fibrine indispensable au caillot51. Cet état pro-coagulant est aggravé par la diminution de production ou l’inactivation du TFPI et de la protéine C. De plus, la cellule endothéliale activée par le sepsis surexprime de nombreux récepteurs d’adhésion leucocytaire et plaquettaire (ICAM-1, VCAM-1, selectines), soit par augmentation de leur production suite au stimulus inflammatoire, soit par dégradation du glycocalyx et augmentation de leur exposition au flux sanguin. L’augmentation de ces interactions entre les éléments figurés du sang et l’endothélium diminue le flux sanguin local, favorisant ainsi la formation du caillot37. Enfin, l’activation du système du complément joue un rôle dans l’état d’hypercoagulabilité du sepsis par la création d’un complexe d’attaque, normalement destiné aux pathogènes, à travers la membrane endothéliale, exposant le facteur tissulaire48.
Au cours de l’infection, cette formation du caillot plaquettaire via l’activation endothéliale pourrait avoir des effets bénéfiques en permettant de circonscrire l’infection et en favorisant l’afflux des cellules immunitaires. Cependant, l’activation massive et inappropriée, comme observée dans les états les plus sévères, peut favoriser l’apparition d’une coagulation intra-vasculaire disséminée dans 25 à 50% des cas, hautement associée à la mortalité48,52. Les diverses monothérapies visant à prévenir l’altération de la coagulation lors du sepsis se sont toutes soldées à ce jour par des échecs : protéine C activée, antithrombine III, thrombomoduline…, témoin de la complexité de ce système et probablement de la nécessité de disposer de moyens diagnostiques des perturbations précises de l’hémostase, afin d’adapter la stratégie thérapeutique dans une optique de soins personnalisés au patient.

Monoxyde d’azote dans le sepsis

(Cette partie a fait l’objet d’une mise au point dans la revue Réanimation en 2015, annexe 2)

Métabolisme du monoxyde d’azote

De part sa proximité avec les couches musculaires lisses de la média et sa capacité à produire des médiateurs aux propriétés paracrines diffusant vers elles, la cellule endothéliale est indispensable au tonus vasculaire macro et microcirculatoire. Le NO est un élément gazeux radicalaire avec un fort pouvoir de diffusion découvert dans les années 198053. Sa production est essentiellement assurée par l’endothélium où il est produit par les NO-synthases (NOS) à partir de la L-arginine. Sa forte diffusion à travers les couches lipidiques lui permet d’activer des cibles à plus d’une centaine de µm de son site de production. Bien que son site de production principal soit endothélial, il est également produit dans de nombreux types cellulaires : cellules immunitaires (leucocytes, macrophages, cellules dendritiques…), hépatocytes, cardiomyocytes, neurones, cellules musculaires striées… La production est assurée par 3 isoformes de NOS : la NOS endothéliale (eNOS), exprimée essentiellement dans l’endothélium et les cardiomyocytes54 ; la NOS neuronale (nNOS) exprimée dans les neurones centraux et périphériques, mais également les cardiomyocytes, les cellules β-pancréatiques, les cellules glomérulaires rénales et les cellules musculaires striées55,56 ; la NOS inductible (iNOS) dont l’expression dans de nombreux tissus est induite par certains facteurs, notamment les cytokines pro-inflammatoires. Ces NOS permettent la production de NO et de citrulline à partir de la L-arginine, d’oxygène et de NAPDH via un processus enzymatique impliquant un certain nombre de co-facteurs indispensables (tetrahydrobioptérine BH4, flavine-adenine dinucleotide FAD et flavine mononucleotide FMN, voir figure 5).
Ces enzymes présentent deux sites catalytiques et un site réductase permettant le transfert d’électrons à partir du NADPH vers l’hème du site oxygénase qui entraîne la transformation en tant que telle de l’arginine en citrulline et NO.
La eNOS et la nNOS, dites constitutives, produisent à l’état physiologique du NO. Leur fonctionnement est modulé par la concentration intracellulaire de calcium53, tandis que la iNOS, dite inductible, est indépendante du calcium. Au cours du processus septique, l’exposition conjointe aux multiples cytokines permet l’induction de cette iNOS. Ainsi, l’exposition de macrophages murins au LPS et à l’INF-γ induit une forte expression de la iNOS. De même, l’IL-1 induit une forte expression de cette enzyme au sein des chondrocytes et/ou des cellules pancréatiques. Enfin, l’exposition concomitante d’hépatocytes murins aux LPS, IL-1, TNF-α et INF-γ provoque l’induction de cette NOS via le NF-κB avec production explosive de NO, près de 100 à 1000 fois plus importante que les taux produits par les NOS constitutives57–59. A contrario, l’expression de la iNOS semble être down-régulée par la présence des cytokines anti-inflammatoires. Ainsi, l’IL-4, IL-8 et l’IL-10 diminuent l’expression de iNOS de macrophages murins et l’ajout de TGF-β à des cultures d’hépatocytes réduit l’expression de iNOS induite par les cytokines pro-inflammatoires57. L’utilisation de dexaméthasone diminue drastiquement l’expression de iNOS induite par les cytokines pro-inflammatoires dans les hépatocytes murins in vitro58. L’expression de la iNOS semble donc bien être conditionnée, au moins en partie, par le profil inflammatoire de l’organisme.

Place du NO dans la vasomotricité

Le NO est un agent indispensable à la régulation de la vaso-réactivité en conditions physiologiques. La production endothéliale par la eNOS est secondaire principalement à la détection de force de cisaillement pariétale ou « shear stress » ainsi qu’au caractère pulsatile de la pression artérielle60,61. Les mécanismes moléculaires permettant la détection de cette tension pariétale sont nombreux et feraient intervenir différentes voies de signalisation dont les intégrines, la modification du cytosquelette endothéliale, la perturbation du glycocalyx, la voie des tyrosines kinases62… Après production au sein de la cellule endothéliale, principalement par la eNOS et plus faiblement par la nNOS, le NO diffuse librement vers les couches musculaires de la média vasculaire où il active une guanylate cyclase soluble cytosolique permettant d’augmenter la production de GMPc63. Le GMPc est un second messager induisant une cascade de transduction intracellulaire impliquant de multiples kinases, responsables de la diminution du calcium cytosolique et limitant de ce fait la contraction de la cellule musculaire lisse64. L’effet vasodilatat

Autres effets du NO au cours du sepsis

Effets cardiaques

Les cardiomyocytes et les neurones à destinée cardiaque sont pourvus des trois types de NOS. Alors que la eNOS est présente au niveau de la membrane cellulaire au sein d’invagination appelée « cavéoles », la nNOS est exprimée au niveau du réticulum sarcoplasmique des cardiomyocytes76. Ces différences de localisation conditionnent en partie les sites de régulation de la fonction cardiaque. Ainsi, le NO produit par le eNOS inhibe l’activité des récepteurs β-adrénergiques. Le NO produit par la nNOS sarcoplasmique semble plutôt opérer un effet sur la régulation intracellulaire des flux calciques par inhibition de l’activation du récepteur à la ryanodine. Enfin, de façon commune à ces deux NOS, le NO active la protéine kinase G (via la voie du GMPc) induisant une phosphorylation de la troponine I (et donc une diminution des interactions troponine-calcium) et une altération des flux calciques transmembranaires par inactivation des canaux calciques de type L76,77. Ces effets semblent influencés par la concentration locale en NO puisque de faibles concentrations de NO semblent paradoxalement stimuler la protéine kinase A responsable d’un effet inotrope positif. En situation pathologique, la production de NO est explosive, notamment par le biais de l’induction de la iNOS cytosolique. Le NO produit induit les mêmes effets que précédemment mais de façon décuplée, associés à un stress radicalaire par production de ONOO-. En effet, l’invalidation du gène de la iNOS induisait une augmentation de la réponse aux catécholamines et du travail myocardique dans un modèle murin de sepsis65. Par ailleurs, l’utilisation d’inhibiteur de NOS et de donneurs de NO a permis de mettre en évidence 17
un effet modulateur du NO sur la synthèse de noradrénaline par le système autonome cardiaque. La diminution du taux de NO neuronaux induisait une augmentation de la production de noradrénaline, témoin du tonus inhibiteur du NO sur le système autonome78. De plus, les cardiomyocytes sont particulièrement sensibles au ONOO- comme l’atteste l’inhibition de la contraction et la diminution de la fonction cardiaque systolique et diastolique dans un modèle inflammatoire de cœur isolé-perfusé de rat79.

Effets immunologiques

Le NO présente également des effets sur les cellules du système immunitaire. Au cours du sepsis, les veinules post-capillaires sont le site d’une intense réaction inflammatoire avec infiltrat neutrophile et d’une augmentation de la perméabilité à l’eau et aux protéines, responsables d’une dysfonction de la micro-vascularisation potentiellement impliquée dans l’apparition des défaillances d’organes80. La réaction neutrophile se traduit par une augmentation des contacts entre l’endothélium et les leucocytes circulants. Le NO est un acteur primordial de ces interactions en inhibant l’adhésion neutrophile à l’endothélium81–83. Au cours du sepsis, l’infiltration neutrophile est majorée par le syndrome inflammatoire et le NO diminue leurs phénomènes d’adhésion et de migration tissulaire83–85. L’inhibition de la migration des neutrophiles pourrait être en relation avec une down-regulation du CXCR2, récepteur à une des principales chémokines synthétisées au cours du processus infectieux, par le NO produit par la iNOS86. Une autre voie pourrait être une nitrosylation par le NO du réseau d’actine des neutrophiles limitant la migration cellulaire via l’inhibition de l’activité de la β2-intégrine87. Hickey et coll ont pu mettre en évidence, grâce à l’utilisation d’une chambre de flux in vitro exempte de cellules endothéliales, que les leucocytes produisaient de façon inductible le NO, limitant leur adhésion à la microcirculation88. Cependant, il semble exister dans la littérature des discordances quant à l’effet du NO sur l’infiltrat neutrophile inflammatoire. Certaines études montraient à l’inverse un effet pro migratoire du NO associé à une modulation de l’expression des protéines de surfaces. Très probablement le NO présente un effet dual en fonction de son niveau d’expression et du profil inflammatoire de l’organisme. Dans un modèle murin de sepsis, deux niveaux d’intensité inflammatoire furent analysés : un niveau létal avec 100% de mortalité et un niveau sub-létal avec une mortalité de 40% à 5 jours. Les souris du modèle létal présentaient une diminution de l’adhésion et de la migration leucocytaire. Ce phénomène était réversible chez les souris déficientes pour la iNOS, reflet donc de l’effet anti-migratoire du NO inductible. Cette diminution de migration était associée à la diminution de l’expression de β2-integrines des neutrophiles, molécules impliquées dans les interactions endothélium-leucocytes. A contrario, les souris présentant un sepsis sub-létal présentait une augmentation de l’activation migratrice des neutrophiles, suggérant un effet pro-migratoire du NO dans cette situation89. Les souris déficientes pour la iNOS dans le modèle sub-létal présentaient une mortalité accrue. Ainsi, l’infiltration neutrophile pourrait être bénéfique à certains stades du sepsis, permettant la clairance bactérienne, notamment grâce aux effets bactéricides des dérivés du NO produits par ces cellules immunitaires. Concernant les mécanismes d’adhésion leucocytaire, les travaux de Hickey et coll, sur un 18
modèle inflammatoire au LPS (n’induisant ainsi qu’un nombre plus restreint de voies de l’inflammation) ne mettait pas en évidence d’effet de la iNOS sur l’expression des molécules impliquées dans l’adhésion leucocytaire que sont les E-selectines, P-selectine et VCAM-183 alors que des travaux réalisés au cours d’un sepsis polymicrobien objectivaient une augmentation des E et P selectines par la iNOS90. Il semble donc que le sepsis induise une augmentation des protéines d’adhésion leucocytaire via la production de NO grâce à des voies de signalisations complexes.
Ainsi, la production de NO au cours du sepsis est à la fois indispensable à une réaction adaptée contre le pathogène et délétère en cas de pérennisation du processus infectieux.

Autres défaillances d’organes

A l’état physiologique l’activité NOS constitutive participe à un nombre important de fonctions pulmonaires comme la vasodilatation pulmonaire, la bronchodilatation et la modulation immunitaire locale91. Néanmoins le NO semble impliqué dans la pathogénie de l’altération pulmonaire de nombreux processus inflammatoires. Ainsi, la production du NO est augmentée au sein du liquide alvéolaire et du sang pulmonaire lors du sepsis92,93, et serait impliquée dans l’hyperperméabilité vasculaire pulmonaire observée au cours du Syndrome de Détresse Respiratoire Aigu (SDRA)94,95. Le NO produit spécifiquement par les neutrophiles induirait une augmentation de l’infiltration inflammatoire pulmonaire, un stress oxydant et une augmentation de la perméabilité microvasculaire 96. Parallèlement, le ONOO- inhibe les pompes Na+/K+ ATP dépendantes dans les pneumocytes de type 2 et perturbe ainsi la formation du surfactant, pouvant participer à l’altération des échanges gazeux au cours du sepsis97.
Le NO semble pouvoir influencer également la fonction surrénalienne au cours du processus septique. Ainsi, dans des modèles LPS et de sepsis, l’utilisation de donneurs de NO diminuait la capacité de fixation du récepteur aux glucocorticoïdes tandis que l’invalidation du gène de la iNOS restaurait cette fonction 98.
Le NO synthétisé au cours du sepsis présente également des effets néfastes sur le foie 99, le rein 100 ou le tissu intestinal. Comme précédemment, le ONOO- aurait une place non négligeable dans la genèse de ces dysfonctions de par les nombreuses lésions intracellulaires qu’il peut induire. Il serait notamment à même de promouvoir la translocation bactérienne depuis le tissu intestinal par l’altération de la perméabilité tissulaire78.

Recrutement et migration leucocytaire

La régulation de l’afflux de leucocytes au site de l’infection participe à la réponse immunitaire. Ce mécanisme d’extravasation cellulaire à travers la paroi vasculaire présente plusieurs étapes successives : l’adhésion, le rolling et l’arrêt à la surface endothéliale, puis enfin la diapédèse cellulaire à travers la paroi endothéliale (figure 7).

Adhésion, rolling et arrêt

Les leucocytes circulants sont tout d’abord « freinés » grâce à l’expression de molécules d’adhésion à la surface endothéliale101. La famille des sélectines est au centre de ces phénomènes. Ces glycoprotéines transmembranaires sont principalement exprimées au niveau des veinules post-capillaires, où le flux sanguin est le plus faible et où la taille des vaisseaux favorisent le contact entre les éléments figurés du sang et la surface vasculaire. Trois types de sélectines sont actuellement identifiées : E, P et L. Elles sont contenues à l’état physiologique dans les corps de Weibel-Palade des cellules endothéliales et la présence d’un stimulus inflammatoire conduit à l’augmentation de la production de ces molécules et à leur exocystose à la surface endothéliale. De plus, la destruction du glycocalyx par le stress inflammatoire, notamment via la production de sheddase (voir plus haut) facilite la reconnaissance de ces molécules par les leucocytes circulants. Ces sélectines se lient principalement à une glycoprotéine leucocytaire ligand, la PSGL-1 selon des liaisons de faible intensité, permettant le ralentissement puis le « roulement » des leucocytes à la surface endothéliale. Dans un second temps s’établit des liaisons de plus forte intensité. La production de chémokines tissulaires par le stress inflammatoire va en effet induire l’uprégulation d’intégrines leucocytaires de surface (essentiellement LFA-1, VLA-4 et Mac-1), qui vont intéragir avec des glycoprotéines endothéliales : ICAM-1 et ICAM-2 exprimées à l’état physiologique et VCAM-1 exprimée suite à la stimulation par les cytokines pro-inflammatoires101,102. Des taux circulants particulièrement élevés d’ICAM-1, de VCAM-1 et de selectines E sont observés au cours des processus septiques et sont associés à la sévérité de l’état septique, à l’apparition d’une dysfonction d’organe et à la mortalité103.

Diapédèse

Une fois arrêté le leucocyte va s’aplatir et se polariser afin de chercher une voie d’entrée à travers l’endothélium. Cette polarisation consiste en une polymérisation des filaments d’actine F en lamelopodes, en doigts de gant, selon le gradient de concentration des agents chémotactiques104. De façon concomittante est observée une modification physico-chimique de la membrane cellulaire des neutrophiles avec concentration de microdomaines lipidiques riches en intégrines telles que LFA-1, Mac-1, CD11b […] permettant de consolider la liaison à l’endothélium102,105–107. Au final, le leucocyte activé à la surface de l’endothélium présente une modification conformationnelle avec un aplatissement et la création de protusions invasives riches en actine et en intégrines, cherchant une « brèche » vasculaire108. Avant l’étape de diapédèse à proprement parler, la cellule endothéliale joue également un rôle actif dans l’ « acceptation » du leucocyte, avec une modification également de sa membrane cellulaire formant des structures riches en molécules d’adhésion (ICAM-1) en forme de filopodes entourant le leucocyte, confortant la stabilisation à la surface endothéliale avant diapédèse102,109. Deux voies de migration à travers l’endothélium ont été mises en évidence : une voie paracellulaire et une voie transcellulaire. La voie paracellulaire fut la première décrite. A cette fin, de nouvelles liaisons vont s’établir entre les intégrines leucocytaires et les jonctions intercellulaires endothéliales, notamment avec les glycoprotéines PE-CAM 1, JAM, CD99 et ESAM particulièrement concentrées dans ces zones intercellulaires. Après l’adhésion ferme, l’intéraction avec ICAM-1 et β2-intégrines est responsable de la phosphorylation des VE-cadhérines, éléments indispensables de la jonction inter-celllulaire, et permettant la migration du leucocyte entre les cellules endothéliales, notamment grâce à des intéractions séquentielles avec les protéines JAM et PE-CAM et à des vésicules spécialisées, les endothelial lateral border recycling compartment (LBRC), produites par l’endothélium, et riches en molécules d’adhésion libres, notamment PE-CAM, JAM et CD99, permettant de « guider » les leucocytes à travers cet espace102,110–113. La voie transcellulaire permet quant à elle le passage du leucocyte à travers la cellule endothéliale par la création d’un canal transcellulaire, tout en laissant la cellule intacte. Les mêmes acteurs d’adhésion sont indispensables à la migration : ICAM-1, PE-CAM-1, CD99, JAM […]. La migration à travers la cellule repose également sur l’utilisation de vésicules spécialisées apportant les éléments nécessaires : cytosquelette, molécules d’adhésion, membrane cellulaire… formant un véritable « tapis roulant » pour le leucocyte102,108,114,115. On suppose actuellement qu’environ 15% des migrations sont réalisées par voie transcellulaire, néanmoins cette proportion est variable selon le tissu et la situation physiopathologique. Ainsi le phénomène transcellulaire est fréquent à l’état physiologique au niveau cérébral, probablement en raison du caractère spécialisé et très serré des jonctions intercellulaires116, tandis que la voie paracellulaire peut augmenter en cas de stress inflammatoire responsable d’un relâchement des jonctions cellulaires (cf infra).Une fois la couche endothéliale dépassée, la dernière étape correspond au franchissement des péricytes vasculaires selon des mécanismes encore mal étudiés, mais faisant probablement intervenir des intéractions entre intégrines leucocytaires et collagène.
Au total, lors du sepsis la production de cytokines pro-inflammatoires et de chemokines va induire à la fois une activation de la cellule endothéliale, favorisant l’expression de glycoprotéines d’adhésion, elles-même d’accès facilité par la destruction du glycocalyx protecteur, mais également une activation des leucocytes circulants avec expression membranaire d’intégrines, favorisant les étapes d’adhésion et d’arrêt. Puis la présence des chémokines inflammatoires va permettre la modification de conformation nécessaire à la diapédèse, soit par voie paracellulaire favorisée par la perte d’adhésion intercellulaire, soit par voie transcellulaire.

Place de l’endothélium dans la perméabilité capillaire

La diffusion de l’eau et de certaines petites molécules depuis la lumière vasculaire vers le secteur interstitiel s’effectue à travers l’endothélium majoritairement au niveau des capillaires et des veinules post-capillaires. Ce mouvement est classiquement régi par la loi de Starling pour les membranes biologiques semi-perméables : le transfert s’effectue selon un gradient de pression hydrostatique, contrebalancé par un gradient inverse de pression oncotique selon un équilibre des forces tel que Jv = Kf([Pc-Pi]-σ[πc-πi]), où Jv est le débit net de fluides, Kf le coefficient de filtration dépendant de la membrane (et notamment de la présence de fenestration), P la pression hydrostatique, π la pression oncotique et σ le coefficient de réflexion oncotique117 (figure 8).
D’après Besnier et al Réanimation 2015.
Ce modèle historique a été récemment précisé, notamment impliquant le rôle du glycocalyx (cf supra). Cette fine couche de glycosaminoglycanes à la surface de la cellule endothéliale réalise une membrane semi-perméable aux protéines chargées négativement (telles que l’albumine), les retenant dans la lumière vasculaire118. Ainsi la force motrice principale serait le gradient de pression hydrostatique entre les espaces vasculaires et sous-glycocaliens, contrebalancé par un gradient de pression oncotique inverse entre ces deux compartiments. La diffusion se fait ensuite soit par voie para-cellulaire entre les jonctions intercellulaires des cellules endothéliales, soit par transcytose cellulaire pour certaines protéines119. La présence du glycocalyx à la surface endothéliale n’autorise pas le flux d’eau en sens inverse, la résorption du liquide interstitiel s’opérant alors grâce au système lymphatique.
Un stress inflammatoire majeur peut être responsable d’une dégradation rapide du glycocalyx, comme l’atteste l’augmentation des taux circulants des produits issus du glycocalyx tels que le syndecan-1 ou l’heparn-sulfate120–122. Cette altération a été identifiée expérimentalement comme responsable d’une fuite vasculaire. Ainsi les travaux de Rehm et al sur cœur isolé de porc mirent en évidence que l’altération du glycocalyx induisait une extravasation de sérum salé à 0,9% et que la destruction du glycocalyx entraînait également une fuite des colloïdes118. L’altération du glycocalyx au cours du sepsis pourrait donc être impliquée dans l’hyperperméabilité observée, et est identifiée comme associée à la surmortalité123.
Cependant la seule dégradation du glycocalyx n’explique pas complètement les mécanismes de fuite hydrique. En effet, les cellules endothéliales sont reliées entre elles par des jonctions serrées ou des jonctions adhérentes, censées « imperméabiliser » l’endothélium. Les jonctions adhérentes sont composées de plusieurs protéines dont les Vascular Endothelial Cadherins (VE-cadhérines), elles mêmes reliées au réseau d’actine par des caténines. La force de liaison entre les VE-cadhérines de deux cellules voisines peut cependant être modulée par leur degré de phosphorylation. Le Vascular Endothelial Growth Factor (VEGF) est un élément primordial de cette régulation. Cette molécule est produite à l’état physiologique essentiellement par l’endothélium, les leucocytes et plaquettes circulants et les cellules epithéliales pulmonaires. L’activation du récepteur au VEGF induit une cascade de phosphorylation intra-celluaire responsable d’une dissociation des VE-cadherines et d’une modification conformationnelle de la cellule endothéliale (via la modification de la tension du réseau d’actine), aboutissant à un élargissement de l’espace intercellulaire. Plusieurs études cliniques ont mis en évidence une augmentation des taux de VEGF au cours des processus inflammatoires, notamment septiques, ainsi qu’une augmentation du taux de son antagoniste naturel, le récepteur soluble au VEGF (sFlt-1). Ces points seront abordés plus précisément dans les sections suivantes.

Fuite capillaire au cours du sepsis

Mécanismes de l’hyperperméabilité capillaire au cours du sepsis

Jonctions serrées et adhérentes

Le passage des protéines et des ions à travers la couche endothéliale sous glycocalienne procède selon 2 voies complémentaires. La voie transcellulaire est un mécanisme actif par lequel des protéines plasmatiques se lient à des protéines d’ancrage membranaire, telle que la gp60, à la surface endothéliale. Ces protéines interagissent ensuite avec la protéine cavéoline-1, induisant la formation de « cavéoles », vésicules contenant 23
les protéines ancrées ainsi que de l’eau et certains ions. Ces cavéoles sont ensuite adressées par polarisation du réseau d’actine jusqu’au pôle basal de la cellule endothéliale, jusqu’à l’exocytose des vésicules dans l’espace sous-endothélial. Ce processus nécessite la présence de Ca2+ et d’ATP, est probablement minoritaire, et complète la voie classique paracellulaire . La voie paracellulaire repose sur la modulation des jonctions intercellulaires que nous allons détailler par la suite.
Les cellules endothéliales sont reliées entre elles afin d’assurer une relative étanchéité vis-à-vis du secteur plasmatique, constituant une membrane semi-perméable régulant les flux d’eau, de protéines et de solutés. Les jonctions intercellulaires jouent un rôle primordial dans cette régulation des flux. Deux grands types de jonctions sont décrites au sein de l’organisme : les jonctions serrées et les jonctions adhérentes. Ces jonctions présentent la particularité d’être constituées de protéines transmembranaires liant les cellules entre elles, mais étant également reliées au cytosquelette d’actine par plusieurs complexes protéiques intracytosoliques, permettant un équilibre constant entre perméabilité et contraction/dilatation cellulaire. Ces ensembles sont soumis à des phénomènes de régulation à la fois intracellulaire et extracellulaire. Nous n’aborderons pas ici le rôle des gap-junctions réalisant des canaux de communication entre les cellules, avec transfert d’eau et de molécules de signalisation126.
Les jonctions serrées présentent une structure en fermeture éclair très serrée, constituée des protéines transmembranaires claudines et occludines couplées au cytosquelette d’actine via des protéines sous-membranaires d’interaction telles que les zonula occludens (ZO-1, 2 et 3), cinguline et paracinguline127. Les claudines et occludines présentent 4 domaines transmembranaires et interagissent avec la portion extracellulaire de la cellule voisine. Les ZO permettent la liaison entre les claudines et les filaments d’actine, via les β-caténines, et ainsi la stabilisation de la structure, mais également la régulation de l’ouverture de l’espace intercellulaire selon la contraction du cytosquelette. La jonction serrée est également stabilisée par la protéine transmembranaire Junctional Adhesion Molecule (JAM), dont la liaison est régulée par ZO-3 et un complexe sous-membranaire incluant la protéine régulatrice Cdc42 (figure 10). La protéine JAM intervient également dans les processus de migration leucocytaire paracellulaire (cf supra). Ces jonctions serrées sont particulièrement imperméables et sont majoritaires au sein de la barrière hémato-encéphalique et de la microvascularisation rétinienne, mais sont également présentes dans un grand nombre de type cellulaire : entérocytes, cellules épithéliales muqueuses ou cutanées… Le niveau d’imperméabilité de l’endothélium est modulé par la densité des jonctions serrées et leur niveau d’organisation. Ainsi une grande concentration est observée dans l’arbre vasculaire cérébral tandis que la densité et le niveau d’organisation est plus faible au niveau des veinules post-capillaires de nombreux organes, lieu d’échange privilégié entre les secteurs plasmatiques et interstitiels tant pour les protéines plasmatiques que pour les cellules immunitaires128,129.

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Table des matières

1. Introduction
1.1. Sepsis : Histoire d’une pathologie complexe
1.2. Définitions du sepsis
1.3. Epidémiologie
1.4. Immunité et sepsis
1.4.1. Relation hôte-pathogène
1.4.2. Réaction pro-inflammatoire
1.4.3. Réaction anti-inflammatoire
1.5. Dysfonction endothéliale au cours du sepsis
1.5.1. Physiologie de l’endothélium
1.5.1.1. De la cellule endothéliale à l’endothélium
1.5.1.2. Le glycocalyx : élément clé de la fonction endothéliale
1.5.2. Grandes fonctions de l’endothélium et modulation liée au sepsis
1.5.2.1. Endothélium, hémostase et sepsis
1.5.2.2. Monoxyde d’azote dans le sepsis
1.5.2.2.1. Métabolisme du monoxyde d’azote
1.5.2.2.2. Place du NO dans la vasomotricité
1.5.2.2.3. Autres effets du NO au cours du sepsis
1.5.2.2.3.1. Effets cardiaques
1.5.2.2.3.2. Effets immunologiques
1.5.2.2.3.3. Autres défaillances d’organes
1.5.2.3. Recrutement et migration leucocytaire
1.5.2.3.1. Adhésion, rolling et arrêt
1.5.2.3.2. Diapédèse
1.5.2.4. Place de l’endothélium dans la perméabilité capillaire
1.6. Fuite capillaire au cours du sepsis
1.6.1. Mécanismes de l’hyperperméabilité capillaire au cours du sepsis
1.6.1.1. Jonctions serrées et adhérentes
1.6.1.2. Modulation de la barrière endothéliale au cours de l’inflammation
1.6.1.3. Système Angiopoiétine dans le sepsis
1.6.1.4. Signalisation VEGF au cours du sepsis
1.6.1.4.1. VEGF et VEGF-R
1.6.1.4.2. VEGF et perméabilité vasculaire
1.6.1.4.3. VEGF en pathologie
1.6.2. Approche clinique de la fuite capillaire
1.6.3. Patients critiques et balance hydrique
1.7. Place des solutés d’expansion volémique dans la fuite capillaire septique
1.7.1. Volume et compartiment hydrique
1.7.2. Équilibre acide-base : de la théorie à la pratique
1.7.3. Les cristalloïdes
1.7.3.1. Serum salé à 0,9%
1.7.3.2. Cristalloïdes balancés
1.7.3.2.1. Ringer lactate
1.7.3.2.2. Malate acétate et gluconate acétate
1.7.3.2.3. Impact clinique des solutés balancés
1.7.3.2.3.1. Impact sur la fonction rénale
1.7.3.2.3.2. Impact sur l’équilibre acido-basique
1.7.3.2.3.3. Impact sur la coagulation
1.7.3.2.3.4. Impact sur le processus inflammatoire
1.7.4. Les colloïdes
1.7.5. Soluté de lactate de sodium molaire
1.7.5.1. Métabolisme du lactate
1.7.5.2. Cœur et lactate
1.7.5.3. Lactate et cerveau
1.7.5.4. Lactate et l’inflammation
2. Objectifs des travaux de recherche
3. Résultats
3.1. Partie 1 : effets de la balance hydrique au cours du choc cardiogénique réfractaire traité par ECMO veino-artérielle
3.2. Partie 2 : intérêt du bevacizumab, anti-corps anti-VEGF, dans le sepsis
3.3. Partie 3 : impact d’un soluté de lactate de sodium molaire sur la microcirculation, la fuite capillaire et la fonction cardiaque dans un modèle murin de sepsis
4. Synthèse générale et perspectives
4.1. Balance hydrique au cours du choc non septique
4.2. VEGF et sepsis
4.3. Impact d’un soluté de lactate de sodium molaire sur la microcirculation, la fuite capillaire et la fonction cardiaque
5. Conclusion
6. Abbreviations
7. References
8. Curriculum Vitae et autres publications

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