Gliomes et chirurgie éveillée
Les tumeurs primitives gliales, communément appelées gliomes, représentent l’entité la plus fréquente des tumeurs cérébrales chez l’adulte (70%) (1). Elles sont, de par leurs évolutions, schématiquement divisées en deux groupes : les gliomes dits de haut grade d’évolution rapide et de mauvais pronostic en l’absence de traitement ; et les gliomes dits de bas grade d’évolution lente, présentant un risque de dégénérescence à long terme. La chirurgie est la première étape du traitement des patients porteurs de gliomes. Chez ces patients, dont la médiane de survie se situe entre 14 mois et 13 ans en fonction du grade du gliome, il est essentiel de préserver la qualité de vie et d’éviter de nouveaux déficits neurologiques ou d’aggraver ceux déjà existants. Afin d’éviter des séquelles neurologiques lors de l’ablation des gliomes, la chirurgie éveillée a été développée (2). Cette technique chirurgicale consiste à réveiller les patients pendant l’intervention et à réaliser une cartographie cérébrale (corticale et sous-corticale) en inactivant temporairement des régions circonscrites du cerveau (environ 5 mm2) avec des stimulations électriques alors que le patient réalise une tâche . Si le patient montre des troubles comme un trouble du langage lors d’une tâche de dénomination, cela signifie que la région stimulée est éloquente et doit être préservée. Dans la pratique, pour réduire le risque épileptique, l’utilisation de cette technique est soumise à des contraintes strictes : la stimulation électrique ne doit pas excéder 4 secondes et ne doit pas être appliquée plus de deux ou trois fois sur la même zone cérébrale. Les stimuli présentés dans les épreuves doivent alors obligatoirement être simples et brefs. La preuve que la chirurgie éveillée permet d’optimiser la résection chirurgicale tout en minimisant le risque de séquelles neurologiques a été apportée par de nombreuses publications (3–6).
Actuellement, le protocole de chirurgie éveillée évalue principalement les fonctions du langage qui sont préférentiellement sous-tendues par l’hémisphère dominant (HD), localisé à gauche chez la plupart des patients, notamment les droitiers. Ainsi, seuls les patients présentant une tumeur de l’HD, sans troubles phasiques ou ayant récupérés sous traitement par corticoïdes, et dont l’exérèse de la tumeur pourrait induire une aphasie, bénéficient d’une chirurgie éveillée. Ce protocole est aussi proposé chez les patients atteints de tumeurs dans l’hémisphère controlatéral dit non-dominant (HND), lorsque la tumeur est localisée à proximité d’une zone fonctionnelle motrice (lobe frontal), mais dans ce cas, l’évaluation langagière n’est pas requise. En l’absence de risques moteurs dans l’HND, le protocole de chirurgie éveillée est peu proposé pour l’exérèse de la tumeur. Or, Il est aujourd’hui avéré que l’HND possède un rôle prépondérant dans de grandes fonctions cognitives, comme la cognition visuo-spatiale à laquelle on rattache les processus attentionnels et la cognition sociale (7–9). Des déficits de ces fonctions après une chirurgie de gliomes de l’HND sont connus. Ils peuvent avoir un impact significatif sur les relations sociales et la qualité de vie du patient. Leur préservation per opératoire est délicate, notamment en chirurgie sous anesthésie générale. Une attitude séduisante serait d’effectuer une chirurgie éveillée pour préciser l’anatomie fonctionnelle per-opératoire et optimiser les résections chirurgicales. Différents tests neuropsychologiques évaluant ces fonctions sont disponibles en clinique courante. Contrairement à ceux utilisés pour l’évaluation langagière, ils ne sont pas adaptés aux contraintes strictes de la chirurgie éveillée. Cela explique pourquoi cette technique chirurgicale est peu proposée pour identifier et préserver les fonctions cognitives de l’HND.
Gliomes et altération des fonctions cognitives de l’HND
Une atteinte de la cognition visuo-spatiale et de la cognition sociale per-opératoire peut être à l’origine de déficits neurologiques polymorphes, impactant la qualité de vie des patients.
Troubles de la cognition spatiale et des processus attentionnels
Le trouble le plus connu de la cognition spatiale et des processus attentionnels est une négligence spatiale unilatérale, aussi appelée héminégligence (7). Selon la définition de Heilman & Valenstein, 1979, le syndrome d’héminégligence est défini comme « l’impossibilité de décrire verbalement, de répondre et de s’orienter aux stimulations controlatérales à la lésion hémisphérique, sans que ce trouble puisse être attribué à un déficit sensoriel ou moteur. ». Ce trouble doit donc être dissocié des troubles visuels purs (comme l’hémianopsie latérale homonyme) par le fait qu’il peut concerner différentes modalités sensorielles : visuelle, auditive, olfactive ou somesthésique(11). En raison du rôle majeur de l’HND dans les processus attentionnels, ce trouble apparaît quasiment exclusivement suite à des lésions de cet hémisphère. IL s’agit essentiellement d’une héminégligence gauche chez les patients droitiers. Avant même une évaluation « papier-crayon » pour diagnostiquer cette négligence, on peut repérer certains signes cliniques grâce à la seule observation des patients (Li & Malhotra, 2015). En effet, les patients atteints de ces troubles se comportent de manière caricaturale en ignorant la moitié gauche de l’environnement. Ils ne mangent pas ce qui se trouve dans la moitié gauche de l’assiette, ne se rasent pas la partie gauche du visage et ne répondent pas quand ils sont interrogés du côté gauche. En dessinant de mémoire ou en copie une fleur ou une maison, ils omettent les détails de gauche. Si on leur demande de marquer le milieu d’une ligne horizontale, ils le déplacent vers la droite.
Alors qu’il est généralement admis que l’héminégligence résulte d’une atteinte de l’HND, il n’y a pas de consensus quant à la localisation anatomique intra-hémisphérique des lésions. Des études ont utilisé la stimulation électrique per-opératoire avec un test de bissection de ligne modifié sur l’HND pour explorer les fonctions visuo-spatiales (7,13–15). Ces études signalent le rôle du gyrus temporal supérieur et du lobule pariétal inférieur, et plus particulièrement de sa portion contigüe avec le lobe temporal. Les neuroscientifiques désignent d’ailleurs souvent cette région comme « la jonction temporopariétale droite », témoignant ainsi leur difficulté dans la définition précise de ce carrefour fonctionnel (Figure 2). Ces études ont aussi montré par l’utilisation de la tractographie cérébrale par IRM en tenseur de diffusion, que des lésions des faisceaux blancs d’association sont fortement corrélês au symptomes d’héminégligence spatiale. On peut citer de nombreux faisceaux impliqués, comme des lésions du faisceau longitudinal supérieur III (SLF pour « superior longitudinal fasciculus »), du faisceau arqué, du faisceau fronto-occipital inférieur (IFOF pour « inferior fronto-occipital fasciculus) et du faisceau longitudinal inférieur (ILF pour « inferior longitudinal fasciculus) . Certaines équipes ont évalué l’impact d’une chirurgie cérébrale dans l’HND sur la cognition visuospatiale. Emanuele et al. (16) ont évalué les fonctions visuo spatiales en pré- et post-opératoire chez 14 patients porteurs d’une tumeur cérébrale dans l’HND. Ils ont observé une prévalence des troubles visuo-spatiaux de 42,86% avant chirurgie qui a augmenté à 57,14% après la chirurgie. Cette morbidité ne peut être prédite de manière fiable sur les données d’imagerie pré et per-opératoires. Ces résultats soulignent l’importance potentielle de la chirurgie éveillée dans l’HND. Tester l’attention visuo-spatiale en per-opératoire pourrait permettre de minimiser ces troubles post-opératoires. Ainsi on pourrait diminuer l’impact fonctionnel de la prise en charge chirurgicale.
Troubles de la cognition sociale
La cognition sociale sous-tend le succès de toute interaction sociale. Elle regroupe trois grandes fonctions : le langage non verbal, la théorie de l’esprit et l’empathie (17). Comprendre les émotions exprimées par les visages nous permet de préciser les états affectifs de nos interlocuteurs. Une mauvaise identification, une fausse reconnaissance ou une mauvaise interprétation des émotions peuvent générer des attitudes inadaptées. De ce fait, l’analyse des visages sont dotés d’une importance sociale considérable. Les techniques d’imagerie médicales telles que l’IRM fonctionnelle et la méthode de « voxel-based lesion symptom mapping » (VSLM) ont permis de mettre en évidence que la reconnaissance des émotions met en jeu un réseau de structures très largement distribuées dans le cerveau incluant le cortex occipito-temporal, l’amygdale, le cortex orbito-frontal et le cortex fronto pariétal . La reconnaissance de la peur se ferait en particulier par l’amygdale, celle du dégoût par le cortex insulaire et les ganglions de la base. Unger et al. (21) ont montré par tractographie que l’ILF et l’IFOF jouent tous deux un rôle important dans la reconnaissance des émotions . La latéralisation de ce réseau dans l’HND fait par contre encore débat (22). Des études récentes, impliquant spécifiquement des patients atteints de tumeurs cérébrales, n’ont pas observé d’effets de la latéralisation sur la reconnaissance des émotions faciales (17,18). Par contre, une relation entre les déficiences dans la reconnaissance des émotions faciales et la localisation de la tumeur a été rapportée par Campanella et al., 2014. Ils ont observé que les patients présentant des tumeurs cérébrales temporales étaient significativement plus déficients que des patients présentant des tumeurs cérébrales frontales et pariétales. De même, deux études ont rapporté que la procédure chirurgicale entraînait une majoration des déficiences dans la reconnaissance des émotions faciales en particulier pour les patients porteurs de gliomes de bas grade (18,23). Ces résultats soulignent, là encore, la nécessité d’évaluer en peropératoire la reconnaissance des émotions faciales pour éviter un déficit du langage non verbal qui entraînerait des difficultés sociales et professionnelles.
|
Table des matières
Introduction
1. Contexte
1.1. Gliomes et chirurgie éveillée
1.2. Gliomes et altération des fonctions cognitives de l’HND
1.3. Évaluation des fonctions cognitives de l’HND
2. L’apport des neurosciences dans l’exploration de l’hémisphère non dominant
2.1. Méthodes d’études de l’HND
2.2. Synthèse des résultats de neuro-imagerie concernant l’héminégligence spatiale
2.3. Organisation des fibres blanches cérébrales
3. Objectifs de la thèse
4. Travaux réalisés
Revue de la littérature
1. État de l’art des fonctions cognitives de l’hémisphère droit : des bases anatomo-cliniques à la stimulation électrique corticale en chirurgie éveillée
1.1. Anatomie structurale et fonctionnelle de l’hémisphère non-dominant
Right Hemisphere Cognitive Functions: From Clinical and Anatomic Bases to Brain Mapping During Awake Craniotomy
Part I: Clinical and Functional Anatomy
1.2. Tests neuropsychologiques et stimulation électrique en chirurgie éveillée de l’hémisphère non-dominant
Right Hemisphere Cognitive Functions: From Clinical and Anatomic Bases to Brain Mapping During Awake Craniotomy
Part II: Neuropsychological tasks and Brain mapping
2. Anatomie des fibres blanches cérébrales. Le débat concernant la distinction entre SLF III et faisceau arqué
Anatomical variability of the arcuate fasciculus: a systematical review
Travail expérimental
The ventral attention network: the mirror of the language network in the right brain hemisphere
Oncology meets Art: a way to understand patient’s symptoms
BERNARD Florian | Anatomie fonctionnelle de la cognition visuo-spatiale Using a VR social network during awake craniotomy to map the social cognition: Prospective Trial
Immersing patients in a virtual reality environment for brain mapping during awake surgery. Safety study
Discussion générale, Perspectives
Enter “The Matrix” for Brain mapping during awake brain surgery
Publications et communications présentées au cours de la Thèse
1. Publications
2. Communications orales ou affichées
2.1. Communications orales lors de congrès
2.2. Communication par poster lors de congrès
Conclusion
Bibliographie