Gestion du risque de lésion du nerf alvéolaire inférieur en implantologie orale

Les débuts de l’implantologie dentaire remontent à bien longtemps. Depuis toujours l’Homme a été confronté à la perte de ses dents, accidentelle ou non, avec un retentissement autant fonctionnel qu’esthétique sur sa vie quotidienne. Des études ont montré que l’idée de remplacer une ou plusieurs dents manquantes par un corps étranger existait déjà durant l’Égypte ancienne, où l’on utilisait des morceaux d’ivoire taillés, en lieu et place des dents absentes. Cette idée a fait son chemin au cours des siècles, jusqu’en 1960 avec la découverte par BRANEMARK de la bonne ostéointégration du titane. Suite à cela, les bases de l’implantologie dentaire moderne étaient posées. Au cours des cinquante dernières années, cette discipline a connu un tel essor qu’elle occupe aujourd’hui une place indispensable dans la pratique de la dentisterie moderne. En atteste ces chiffres issus d’une étude portant sur la prévalence des implants dans la population américaine de 1999 à 2016 : celle ci est passée de 0,7% en 1999 à 5,7% en 2016, soit une évolution moyenne de 14% par an. En se basant sur ces chiffres, l’estimation de la prévalence du nombre d’implant pour 2026 est comprise entre 17 et 23% (1).

Avec une évolution et un perfectionnement permanent de ses techniques et matériaux, l’implantologie est aujourd’hui une pratique chirurgicale sûre et fiable. Il n’en demeure pas moins qu’une connaissance parfaite des maxillaires et des obstacles anatomiques qu’ils peuvent présenter est indispensable pour minimiser les risques de complications. Parmi ces obstacles, on retrouve notamment le nerf alvéolaire inférieur (NAI), dont la proximité avec les sites implantés l’expose à des lésions, pouvant avoir un impact important sur la qualité de vie des patients affectés. Ce travail a pour objectif de faire un état des lieux des différentes complications concernant le NAI en implantologie, et des solutions qui s’offrent aux praticiens pour éviter ce genre de difficultés. Nous développerons ainsi le lien étroit qu’il existe entre la chirurgie implantaire et le nerf alvéolaire inférieur, les complications éventuelles qui peuvent en découler et leur prise en charge. Nous détaillerons également les alternatives permettant de contourner une situation fréquente propice à de nombreuses lésions du NAI : une insuffisance osseuse. Toutes ces informations seront ensuite synthétisées sous forme d’arbres décisionnels permettant de guider la prise en charge en fonction de la situation clinique.

La mandibule

Structure osseuse

La mandibule est un os impair, médian et symétrique. Il s’agit du seul os mobile de tout le massif crânio-facial. Elle correspond au squelette de l’étage inférieur de la face. Elle comprend trois parties : un corps et deux branches, unis par deux angles mandibulaires (2).

Le corps : horizontal, arqué, à concavité postérieure, avec deux faces. Il est formé de deux types d’os, l’os alvéolaire qui vit et meurt avec les dents, et de l’os basal.

Les branches : elles sont rectangulaires à grand axe vertical avec quatre faces et deux bords.

Parmi les structures anatomiques mandibulaires qui nous intéressent, nous citerons :
● Le foramen mandibulaire : situé au milieu de la face interne de la branche montante, en arrière de la troisième molaire mandibulaire. Son rebord antérieur présente une crête osseuse proéminente, la lingula mandibulaire. C’est par ce foramen que les vaisseaux et le nerf alvéolaire inférieur rentrent dans l’os mandibulaire.
● Le canal mandibulaire : il prend naissance au niveau du foramen mandibulaire (branche montante) jusqu’au foramen mentonnier (corps) et chemine sous les apex des racines des molaires et prémolaires mandibulaires. Le canal contient le nerf alvéolaire inférieur ainsi que l’artère et la veine alvéolaire inférieure.
● Le foramen mentonnier : situé en moyenne en dessous de l’apex de la deuxième prémolaire mandibulaire, c’est l’orifice de sortie du canal mandibulaire. Il correspond au point d’émergence nerf mentonnier. Un foramen mentonnier accessoire peut également être présent dans 4,17% des cas (3).

Fonctions de la mandibule

Elle présente trois rôles principaux :
– Rôle morphologique : elle donne la forme du menton
– Rôle mécanique : elle représente une zone de protection ; c’est la zone la plus résistante après la zone frontale permettant de protéger les organes vitaux du crâne.
– Rôle fonctionnel : par le biais de l’articulation temporo-mandibulaire, elle intervient dans la mastication, la déglutition, l’élocution.

Le nerf alvéolaire inférieur

Structure
Comme tout nerf périphérique, le nerf alvéolaire inférieur est composé d’un ensemble d’axones responsable de la transmission des signaux nerveux afférents et efférents jusqu’au système nerveux central. Ces axones sont entourés d’une gaine de myéline, et l’ensemble est protégé par un endonèvre. Ces complexes sont regroupés en fascicules qui forment le nerf (4).

Il existe quatre types de fibres nerveuses au niveau du NAI :
● Les fibres A alpha : ce sont les plus grosses, elles sont myélinisées et sont responsables de la proprioception.
● Les fibres A bêta : elles sont myélinisées et sont responsables de la mécanoception (toucher).
● Les fibres A delta : elles sont myélinisées et responsables de la perception thermique et de la nociception.
● Les fibres C : ce sont les plus nombreuses, elles sont non myélinisées et sont responsables des perceptions thermiques et nociceptives.

Origine

Le nerf trijumeau
Le nerf trijumeau (nerf V) correspond à la plus volumineuse paire des nerfs crânien. Il joue un rôle sensitif important au niveau de la face et un rôle moteur en innervant les muscles masticateurs. C’est donc un nerf mixte. Il émerge à la surface antérieure du pont par une grosse racine sensitive et une petite racine motrice. Les racines se dirigent en avant de la fosse crânienne postérieure vers la fosse crânienne moyenne, jusqu’au ganglion trigéminal (5).

Ses trois rameaux terminaux naissent du bord antérieur du ganglion trigéminal, et sont de haut en bas :
• Le nerf ophtalmique (V1)
• Le nerf maxillaire (V2)
• Le nerf mandibulaire (V3)

Le nerf mandibulaire
Contrairement aux rameaux ophtalmiques et maxillaires qui sont uniquement sensitifs, le nerf mandibulaire (V3) est un nerf mixte. Il naît au niveau du bord inférieur du ganglion trigéminal et sort du crâne par le foramen ovale. Il chemine ensuite jusqu’à la fosse infra-temporale où il donne de nombreux rameaux nerveux, notamment les nerfs masséter, buccal, lingual, et le nerf alvéolaire inférieur (5).

Trajet et terrain d’innervation du NAI

Le NAI est la branche la plus volumineuse du nerf mandibulaire, dont il continue le trajet. Il descend sur la face latérale du muscle ptérygoïdien médial, passe entre le ligament sphénomandibulaire et la branche montante de la mandibule et se dirige vers le foramen mandibulaire (6). Son trajet intra-osseux peut être tracé comme allant du versant lingual profond (foramen mandibulaire), au versant vestibulaire superficiel (foramen mentonnier). Le canal décrit ainsi un trajet d’arrière en avant et de dedans en dehors. Durant ce trajet il donne des rameaux pour les trois molaires et la seconde prémolaire, ainsi que pour la gencive labiale correspondante (rôle sensitif). Il a également un rôle moteur en innervant le muscle mylo-hyoïdien et le ventre antérieur du muscle digastrique.

Il se termine au niveau du foramen mentonnier et se divise en deux rameaux terminaux (5) :
● Le nerf incisif : il continue son trajet dans l’os mandibulaire pour innerver la première prémolaire, la canine, les incisives, et la gencive correspondante.
● Le nerf mentonnier : il sort du corps mandibulaire au niveau du foramen mentonnier et se divise en plusieurs rameaux qui innervent le menton, la gencive et la muqueuse depuis la première (voir deuxième) prémolaire, la lèvre inférieure et la peau située dans cette région.

Un des éléments anatomiques pouvant constituer un obstacle chirurgical est la présence de la boucle antérieure ou “anterior loop”, qui se définit comme le trajet inférieur et antérieur du NAI par rapport au foramen mentonnier, formant ainsi une boucle. En cas d’absence de cette boucle le NAI se rapproche progressivement de la table externe jusqu’à l’affleurer pour s’anastomoser et émettre le nerf mentonnier.

Variabilité anatomique du NAI

On peut observer une variation de la position du nerf alvéolaire inférieur dans l’os mandibulaire. Celle-ci peut être congénitale ou acquise suite à la perte des organes dentaires.

Variations anatomiques congénitales

Dans le sens vertical
En 1971, Carter et Keen (7) décrivent 3 types de trajets du NAI au sein de l’os mandibulaire :
– Type 1 : Le nerf alvéolaire inférieur est une seule grande structure située dans le canal mandibulaire. L’apex des racines molaires est proche du canal, de sorte que les branches issues du NAI innervant ces racines sont très courtes.
– Type 2 : Le nerf a une position médiane ou basse dans le corps mandibulaire, à distance des apex dentaires. Les rameaux dentaires sont plus longs et plus obliques que pour le type 1. Il s’agit du plus fréquemment rencontré.
– Type 3 : Le NAI a un aspect pléxiforme avec une ou deux branches venant innerver les organes dentaires. Le rameau principal est dans une position plus basse et continu son chemin jusqu’au foramen mentonnier. Il est moins fréquent.

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Table des matières

I. Introduction
II. Rappels anatomiques
1) La mandibule
A) Structure osseuse
B) Fonction de la mandibule
2) Le nerf alvéolaire inférieur
A) Structure
B) Origine
1. Le nerf trijumeaux
2. Le nerf mandibulaire
C) Trajet et terrain d’innervation du NAI
D) Variabilité anatomique du NAI
1. Variations anatomiques congénitales
a) Dans le sens vertical
b) Dans le sens vestibulo-lingual
2. Variation anatomique acquise
E) NAI et implantologie
III. Lésion du nerf alvéolaire inférieur en implantologie
1) Classification des lésions nerveuses
2) Epidémiologie
3) Facteurs de risques
A) Facteurs de risque préopératoire
B) Facteurs de risque peropératoire
C) Facteurs de risque post-opératoire
4) Origines lésionnelles
A) Lésion lors de l’anesthésie locale
B) Lésion lors de la séquence de forage
C) Lésion lors de la mise en place de l’implant
D) Lésion lors d’une erreur technique du praticien
5) Interrogatoire et examen clinique lors d’une lésion du NAI
A) Interrogatoire
B) Examen clinique
C) Cartographie de la zone atteinte
6) Conduite à tenir devant une lésion du NAI
A) Prise en charge immédiate, peropératoire
B) Prise en charge dans les 36 heures post-opératoire
C) Prise en charge après 36 heures post-opératoire
D) Prescription médicamenteuse
E) Suivi
7) Microchirurgie
8) Prévention
A) L’information et le consentement du patient
B) Examens d’imageries
C) Planification de la chirurgie implantaire
D) L’anesthésie locale
E) La séquence de forage
F) Suivi rapproché du patient
G) Alternatives thérapeutiques
9) Proposition d’un arbre décisionnel concernant la prise en charge des lésions du NAI en chirurgie implantaire
IV. Alternatives thérapeutiques en cas d’insuffisance osseuse verticale postérieure
1) Les implants courts et très courts
A) Définition
B) Evaluation des implants courts : revue de littérature
C) Facteur influençant ou non le devenir des implants courts
D) Conclusion
2) Implants sous-périostés
A) Définition
B) Protocole
C) Résultats
D) Conclusion
3) Augmentation verticale du volume osseux
A) Régénération osseuse guidée
1. Définition
2. Type de membrane
a) Les membranes non résorbables
b) Les membranes résorbables
3. Nature du greffon
4. protocole opératoire
5. Résultats
6. Avantages et limites de la ROG
B) Greffe d’apposition
1. Définition
2. Nature du greffon
3. Protocole
4. résultats
5. Variantes de la greffe d’apposition : la ring technique
6. Avantages et limites
C) Greffe d’interposition
1. Définition
2. Nature du greffon
3. Protocole
4. Résultats
5. Avantages et limites
D) Distraction ostéogénique
1. Définition
2. Protocole
3. Avantages et limites
4) Déplacement du nerf alvéolaire inférieur
A) Définition
B) Protocole
1. Planification de la chirurgie
2. Intervention chirurgicale
a) Latéralisation du NAI
b) Transposition du NAI
C) Résultats
D) Complications
1. Troubles nerveuses
2. Fracture mandibulaire
E) Avantages et limites
5) Proposition d’un arbre décisionnel des options thérapeutiques
V. Conclusion
VI. Bibliographie

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