Gestion des déchets radioactifs et présentation des différentes techniques de mesure actuelles
La classification des déchets
L’Agence Internationale de l’Energie Atomique (AIEA) laisse à chaque pays le choix de la classification des déchets nucléaires [AIEA09]. Le Japon classe par exemple ses déchets par filière de production tandis que la classification allemande se base sur le caractère exothermique des déchets. En France, l’organisme de réglementation chargé de suivre les recommandations de l’AIEA est l’ANDRA, l’Agence Nationale pour la gestion des Déchets RAdioactifs. L’ANDRA classe les déchets en fonction de deux paramètres : le niveau de radioactivité et la période radioactive. Une distinction est de plus effectuée en fonction de la nature du rayonnement (de type α ou de type β).
Pour des activités de l’ordre du Becquerel, on parle de déchets Très Faiblement Actif (TFA), de l’ordre du kilo Becquerel, ce sont les déchets Faiblement Actifs (FA), de l’ordre du méga Becquerel, on parle de déchets Moyennent Actifs et enfin, les déchets Hautement Actifs contiennent une activité de l’ordre du giga Becquerel. En ce qui concerne le classement par période radioactive, les déchets à Vie Très Courte (VTC) sont ceux dont la période est inférieure à 100 jours. Entre 100 jours et 30 ans, ce sont les déchets à Vie Courte (VC). Au-delà de 30 ans, ce sont les déchets à Vie Longue (VL).
Chaque catégorie donne lieu à une gestion différente des déchets qui doit être adaptée au niveau d’activité et à la période des radionucléides. Ainsi, le CSTFA, situé dans l’Aube, accueille les déchets TFA à vie courte et vie longue, le CSFMA, situé également dans l’Aube, prend en charge les déchets FA et MA à vie courte. Les déchets FA à vie longue n’ont actuellement pas d’exutoire et sont entreposés chez les producteurs. Un site de stockage à faible profondeur (entre 15 et 200 mètres) devrait être mise en service en 2019 [LABALETTE11] pour accueillir ces déchets. Comme les déchets FAVL, les déchets MA et HA à vie longue sont actuellement entreposés chez les producteurs, principalement EDF, AREVA et le CEA, en attendant la mise en service d’une solution de stockage en profondeur vers 2025 [LABALETTE11]. Les déchets à vie très courte sont gérés sur place par les producteurs en laissant leur activité décroître. À titre informatif, les déchets rencontrés pendant la thèse sont des FA et MA à vie courte et à vie longue.
Les moyens de caractérisation radiologique des déchets nucléaires
En plus de l’évacuation des déchets, les industriels qui produisent ou transforment des matières radioactives doivent en assurer la surveillance et le suivi d’activité radiologique. Le suivi de ces matières intervient à toutes les étapes du procédé et est garanti par des mesures d’activité. Dans la suite du chapitre, nous présentons les principales méthodes de mesure, destructives et non destructives, passives et actives, utilisées pour la caractérisation des matières radioactives, quelles soient conditionnées sous forme de colis de déchets ou en rétention dans les procédés.
Les méthodes destructives
Une méthode est dite destructive lorsque l’intégrité du colis est altérée, c’est-à-dire lorsqu’il y a prélèvement d’échantillons, typiquement par frottis sur les colis solides ou pipetage sur les liquides. Une analyse chimique ou physique est ensuite réalisée sur l’échantillon. Les grandeurs recherchées sont l’activité (ou la concentration) et la composition isotopique. De par la prise d’échantillons, ces méthodes possèdent des seuils de détection très bas et sont ainsi très utilisées pour la mesure des déchets très faiblement et faiblement actifs. Cependant, elles présentent des inconvénients liés à :
– la génération de déchets radioactifs secondaires,
– la représentativité de l’échantillon,
– la réalisation de l’échantillon.
Des méthodes couramment utilisées sont la spectrométrie de masse à plasma induit (ICP-MS), la spectrométrie d’émission atomique à plasma induit (ICP-AES) [MERMET11, HUFF1985] et la spectrométrie de masse à thermo-ionisation (TIMS) [CHARTIER99]. Leur principe est d’exciter et d’ioniser les atomes de l’échantillon (soit par induction d’un plasma pour l’ICP-AES et l’ICP-MS, soit par l’application d’un courant électrique pour le TIMS). La détection des photons issus de la désexcitation des atomes (pour l’ICP-AES) ou le dénombrement des atomes ionisés suivant leur nombre de masse A (pour le TIMS et l’ICP-MS) permet de caractériser l’échantillon.
La mise en place de méthodes ne générant pas de déchets secondaires et ne posant pas le problème de la prise d’échantillon peut être judicieuse. Ce sont les méthodes non destructives.
Les méthodes non destructives
Le principe des méthodes non destructives est de mesurer les radiations émises par l’objet dans sa globalité, sans porter atteinte à son intégrité physique. Les radiations émises peuvent être spontanées (on parle de mesure passive) ou induites par une source de rayonnement externe (on parle alors de mesure active).
Les mesures actives
Les mesures actives reposent sur l’utilisation d’une source externe de rayonnement qui permet :
– soit d’activer les radionucléides du colis dans le but de détecter les rayonnements de désexcitation (X, γ, neutrons),
– soit de mesurer l’absorption des rayonnements de la source externe à travers le colis.
L’activation des radionucléides génère des particules plus énergétiques que celles émises spontanément par le colis, ce qui diminue leur probabilité d’être atténuées par l’objet et donc le seuil de détection de la mesure. Les mesures actives sont ainsi souvent utilisées pour la détection de faibles quantités d’actinides dans les colis. Le faisceau interrogateur peut être constitué de photons ou de neutrons [ROGERS83, JALLU99, PEROT96, SAUREL02].
L’interrogation neutronique active
L’interrogation neutronique active consiste à irradier le colis avec une source de neutrons, afin de provoquer des fissions induites dans les radionucléides à caractériser. La détection des particules promptes ou retardées produites par fissions permet de caractériser l’objet [ROMEYER96, COOP96]. La source de neutrons est souvent un générateur qui produit majoritairement (à 95%) des neutrons d’énergie 14 MeV issus de la réaction 3H(2H,n)4He. Des neutrons de 2,5 MeV peuvent aussi être créés par la réaction 2H(2H,n)3He. L’interrogation neutronique est plus efficace sur des colis pauvres en éléments légers (typiquement hydrogène ou carbone) car plus l’élément est léger, plus les neutrons perdent d’énergie par diffusion et finissent par être absorbés par l’objet.
L’interrogation photonique active
L’interrogation photonique active consiste à induire des fissions à l’aide d’un flux de photons dans les radionucléides lourds à caractériser, typiquement les actinides [SAUREL02, LYOUSSI94]. Le seuil de la réaction de photofission, qui se situe vers 6 MeV pour l’ensemble des actinides, et sa faible section efficace nécessitent l’utilisation d’un accélérateur linéaire d’électrons (LINAC) pour soumettre le colis à un flux intense de photons. Le principe des LINAC est de générer des électrons de 15 à 20 MeV qui sont convertis en photons par rayonnement de freinage sur une cible de tungstène. Les énergies des photons ainsi créés varient de zéro à l’énergie des électrons incidents. Les photons d’énergie supérieure à 6 MeV engendrent des photofissions sur les noyaux lourds présents et les neutrons retardés de photofission permettent de caractériser l’objet. Les neutrons prompts sont noyés dans le « flash gamma » du LINAC et sont donc difficilement exploitables.
La double interrogation
La double interrogation neutrons photons combine les deux interrogations décrites précédemment. Elle consiste à induire des fissions à l’aide d’un mélange de photons et de neutrons de haute énergie. Comme dans l’interrogation photonique, un LINAC génère des photons de haute énergie par l’intermédiaire d’une cible de conversion. Ce flux de photons rencontre une cible dite de conversion photo neutronique, qui crée des neutrons par réactions (γ,n) et (γ,2n). L’objet est interrogé par les neutrons créés dans la cible de conversion et par les photons du LINAC qui n’ont pas interagi dans la cible de conversion. La caractérisation de l’objet se base au final sur la discrimination temporelle des neutrons prompts et retardés issus des fissions induites ou des photofissions [JALLU99, FRANKS82].
Bilan sur les méthodes actives
Parmi les méthodes non destructives, les méthodes actives sont celles qui font l’objet du plus grand nombre d’études au niveau de l’interrogation du colis et des méthodes de détection. De par leurs faibles seuils de sensibilité, elles sont bien adaptées à la mesure de faibles quantités de radionucléides. Cependant, la mise en place et la gestion d’un générateur de particules impliquent des contraintes importantes : au niveau budgétaire, au niveau sûreté nucléaire et radioprotection (par exemple, le LINAC peut délivrer un débit de dose de plusieurs centaines de Gray par minute [LAINE05]), au niveau du dimensionnement de l’installation de mesure. Ces contraintes rendent les méthodes actives lourdes à mettre en œuvre. Des méthodes ne mettant pas en jeu de source externe de rayonnement pallient ces problèmes, ce sont les mesures passives.
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Table des matières
INTRODUCTION
I.INTRODUCTION : ENJEUX ET CONTEXTE DE LA THESE
II. GESTION DES DECHETS RADIOACTIFS ET PRESENTATION DES DIFFERENTES TECHNIQUES DE MESURE ACTUELLES
1. LA CLASSIFICATION DES DECHETS
2. LES MOYENS DE CARACTERISATION RADIOLOGIQUE DES DECHETS NUCLEAIRES
2.1. Les méthodes destructives
2.2. Les méthodes non destructives
2.2.a) Les mesures actives
2.2.b) L’interrogation neutronique active
2.2.c) L’interrogation photonique active
2.2.d) La double interrogation
2.2.e) Bilan sur les méthodes actives
2.3. Les mesures passives
2.3.a) Le comptage neutronique passif
2.3.b) La spectrométrie gamma
2.3.c) Bilan des mesures passives
3. LA SPECTROMETRIE GAMMA
3.1. Les interactions gamma/matière
3.1.a) L’absorption photoélectrique
3.1.b) La diffusion Compton
3.1.c) La production de paires
3.2. La chaîne de détection
3.2.a) La production de charges
3.2.b) La collecte de charges
3.2.c) L’électronique de mise en forme
3.2.d) Bilan sur l’instrumentation d’une chaîne de mesure
3.3. Identification et quantification des radionucléides
3.3.a) Extraction des énergies et des surfaces des pics d’absorption
3.3.b) Méthodes classiques de localisation des pics
3.3.c) Calcul des surfaces
3.3.d) Bilan et limitation des méthodes de déconvolution actuelles
3.4. Détermination du rendement de détection
3.4.a) Obtention du rendement intrinsèque du détecteur (E) détecteur ε
3.4.b) Obtention du rendement total de mesure
3.4.c) Bilan sur la détermination du rendement de détection
3.5. Bilan des méthodes actuelles de quantification des radionucléides
III. DECONVOLUTION DE SPECTRES GAMMA PAR METHODE NON PARAMETRIQUE : PRINCIPE, VALIDATION ET INTEGRATION
1. FONCTIONNEMENT DE SINBAD
1.1. Profil du fond : arbres de Pólya
1.2. Profil des pics : processus de Dirichlet
1.3. Processus itératif par Chaînes de Markov Monte Carlo
1.4. Étape d’identification des pics d’absorption totale
1.5. Intervention de l’utilisateur
2. MISE EN PLACE DE LA VALIDATION
2.1. Vocabulaire et définitions
2.1.a) Réponses
2.1.b) Facteurs
2.1.c) Niveaux des facteurs
2.1.d) Plan d’expériences
2.1.e) Modèle de comportement
2.2. Application à SINBAD
2.2.a) Outils utilisés : LUMIERE, CASEx, SINBAD
2.2.b) Définition des facteurs (1ère itération)
2.2.c) Exemple de création d’un essai avec CASEx
2.2.d) Schéma directeur de la validation
3. REALISATION DE LA VALIDATION
3.1. 1ère Étape : réalisation et analyse du plan fractionnaire
3.1.a) Analyse de l’écart sur la surface du grand pic ln(∆S1)
3.1.b) Analyse de l’écart sur l’énergie du grand pic ∆E1
3.1.c) Analyse de l’écart sur la surface du petit pic ln(∆S2)
3.1.d) Analyse de l’écart sur l’énergie du petit pic ∆E2
3.1.e) Conclusions du plan fractionnaire
3.2. Étape intermédiaire : affinage de la validation grâce aux résultats du plan fractionnaire
3.2.a) Redéfinition du facteur surface S1
3.2.b) Ajustement du facteur écartement DKV
3.2.c) Bilan des réajustements
3.3. 2ème Étape : validation complète de SINBAD
3.3.a) Validation des singulets
3.3.b) Validation des multiplets
3.3.c) Conclusions de la validation de SINBAD
4.INTEGRATION DES MODELES DE COMPORTEMENT A SINBAD
5. PLUS VALUES APPORTEES PAR LE TRAVAIL DE THESE
CONCLUSION